Comment expliquer qu’un gouvernement
majoritaire se fasse tripoter par ses propres alliés parlementaires lors de la ratification de son Premier ministre aux fins d’une application rapide de sa politique
pour une gestion efficiente du pays ?
C’est la première question qui tambourine contre les tympans de tout citoyen
s’attendant à une reconnaissance rapide du gouvernement nommé à cause de la
majorité dont jouit le pouvoir en place au Parlement. Étant un
pays unique, Haïti fonctionne à
l’envers des lois et des principes établis. Il faut replier les rebords pour
saisir les raisons. Le marchandage et le népotisme ont un
pays.
Pour illustrer ce comportement hors
norme, nous empruntons un récit
d’origine persane appris sur les bancs de la petite école. C’est l’histoire d’Ali Baba. Dans
l’antiquité, la caverne d’Ali-Baba comptait seulement 40 voleurs. Mais aujourd’hui, les Baba se sont multipliés.
Le Parlement haïtien en compte 30 sénateurs et une centaine de
députés. Le nombre peut augmenter à l’avenir. Déjà, une armée de prétendants piaffe d’impatience derrière la porte. L’assiette au beurre est alléchante.
Tout le monde veut se graisser la patte. Faute d'être président, le titre de parlementaire fascine. c'est un placement sûr.
Le président Jovenel Moïse
pensait gérer le pays à la manière des coopérants de sa bananeraie, avec un
résultat positif en fin de parcours. Non ! Il a eu la surprise de sa vie,
de se retrouver face à des détrousseurs qui lui présentent deux choix : la
bourse ou la vie. En effet, les petits baba, riant dans leur barbe,
laissent au coin de la table, leur liste d’épicerie au nouvel occupant du
fauteuil présidentiel comme condition préalable de l’accréditation du premier
ministre de son choix. Ahuri, Jovenel se
dit : « Dans quel pétrin me
suis-je fourré. Seigneur-Dieu, Mwen pran nan 3 wa ». Les conditions sont
surprenantes.
Vue de l'Assemblée Nationale (Photo archive) |
De guerre lasse, en ouvrant par hasard une première
enveloppe, il lit : je voudrais tel ministère pour mon frangin ; telle
direction pour ma soeurette ; dix bourses d’études en France
ou au Canada
pour mes enfants et neveux ; deux Bâton-Moïse (2 Auto VUS Range-Rover)
pour mon père et mon beau-père ;
une maison de deux étages dans les hauteurs avec voitures et chauffeurs
pour chacune de mes maîtresses, (des Madan Papa) ; un consulat pour mon
beau-frère ; une ambassade pour le gendre de ma 2èm maîtresse ;
vacances à Walt Disney World pour mes petits-enfants ; un chèque pour la bonne et le garçon de
cour ; deux billets de voyage, avec frais d’hôtel, pour mon voisin d’à
côté….etc…etc.
Le parlement en séance plénière (Février 2017) |
Que le monde a changé! Hier, comme
je l’ai déjà écrit dans l’une de mes chroniques sur la corruption, la fonction
de sénateur ou de député, était,
naturellement, selon la tradition, le poste réservé aux notables méritants de
nos villes, de nos patelins. Personnages de valeur, au dessus de tout soupçon, l’honnêteté personnifiée à qui on confiait par le truchement des élections, la
gestion de la région, du pays. À cette belle époque, le citoyen ordinaire
pouvait vaquer à ses occupations sans crainte de déception, car la nation était entre bonnes mains. Il pouvait dormir en
paix. Aujourd’hui, c’est la fin du rêve. Si le citoyen a le malheur de
s’assoupir présentement, il risque de se réveiller avec la citoyenneté
dominicaine, ou je ne sais quoi. La confiance est au diable.
Le Sénateur Gracia Delva (à droite) très connu pour sa fameuse remarque sur l'article (IV) qu'il appelle (Ive) |
Peuple haïtien, réveillez-vous, sortez de
votre gentillesse. Cessez de priez le ciel pour votre délivrance. J’ai
souvenance encore, de votre feinte ou passivité légendaire, à l’époque où les Duvalier et
consorts pillaient et détroussaient la nation à tour de bras, « maspinaient » nos pères, frères,
sœurs et voisins ; vous chantiez à tue-tête : « Duvalier Duvalier, peyi-a se pou ou, vire bouda w
jan w vle ». Voilà le résultat aujourd’hui. À l‘Université de
la subornation, 95% de nos élus ont été à bonne école. Ils sont tous des Docteurs Ès-Fraude. 75% ne savent ni lire,
ni écrire, mais leur propension pour les billets verts est exacerbée par leur
consommation à outrance des bling-blings importés. Leur appétit ne connaît
aucune limite. Ce sont des analphabètes politiques ou du moins, des analphabètes
tout court. Ce que nous pouvons illustrer avec cette diatribe de Bertolt Brecht.
« L’analphabète politique …ne sait pas que le coût de la vie…le prix du loyer…le prix des médicaments… dépendent des décisions politiques… Il ne sait pas l’imbécile, que c’est son ignorance politique qui produit la prostituée, l’enfant de la rue, le voleur, le pire de
tous les bandits et surtout le politicien malhonnête, menteur et corrompu, qui
lèche les pieds des entreprises nationales et internationales. (Eugen Berthold Friedrich Brecht,
1898-1956).
Un segment en vidéo durant la séance houleuse de ratification du Premier ministre Lafontant par ses propres alliés soit-disant majoritaires au Parlement.
|
Écoutez, sœurs et frères, tassez ces fanfarons. Nous sommes en démocratie. Donc, le pouvoir c’est vous !
Saisissez-le au vol ! Descendez dans la rue, amendez la constitution et réclamez non pas la
dissolution, mais l’abolition pure et simple de l’une des deux chambres!
Demandez à votre président de faire, comme Macky Sall, le président du Sénégal, en
Afrique. Ce dernier a éliminé
le sénat de son pays et a consacré le budget de ce Corps inutile au développement de l’énergie solaire.
Son pays se porte mieux maintenant en matière d’électricité.
Avec ses hommes de corde et de sac, Haïti va tout droit
vers un mur. C’est un suicide annoncé. Mais, ce n’est pas la première fois que Haïti se démerde
avec les Ali Baba. C’est une habitude nationale, si bien qu’une formulation
avait pris racine dans la culture du pays avec l’expression « Kon-Baba ». Quand l’haïtien est
exaspéré, découragé, déçu, étonné, il lève les bras au ciel et porte ses mains sur sa tête en hurlant : « Kon-Baba! Nou mélé ». Ce qui peut
se traduire par : « Nous sommes
foutus ».
Point n’est besoin de nous illusionner,
le cas de la nation est une affaire entendue. Le sage chinois avait raison.
« Après vingt ans de malversations,
un pays finira par être dirigé par des voleurs, des cancres et des bandits…1 ».
Nous y voilà ! Il nous reste à croiser nos bras et à entonner en chœur le
nouveau refrain national d’Haïti : « Kon-Baba! Nou mélé !/ Nou
fenk karé mélé / Vive Ali Baba ! ».
Max
Dorismond
Note 1 : Voir mon texte : Quand la corruption
destabilise un pays (1 et 2) publié sur Haïti Connexion Culture ou sur le
Journal le Nouvelliste (20 avril et 3 mai 2016).
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