Les
effets néfastes de la corruption
Max Dorismond |
Dans la dépravation politique, la corruption
est l’un des obstacles majeurs qui freinent le développement d’un pays. Elle
porte habituellement un coup dur au processus de la démocratie et de la bonne
gouvernance. Quand vient le temps d’embaucher, la compétence, la crédibilité,
la primauté de l’intérêt général sur le particulier ne sont pas au rendez-vous.
L’aspect relationnel demeure la priorité, d’où la prolifération des faux titres, des crétins
et des nominations atypiques de décideurs irresponsables. Au point
de vue économique c’est la crise continuelle, la détérioration et la
provocation de déficits énormes. La pauvreté est galopante et ses corollaires,
la prostitution et l’insécurité fleurissent à qui mieux-mieux. La grande et la
petite mafia opèrent à visière levée et les règlements de compte sont légion.
Les concessionnaires de voitures Land-Rover ou Mercedes blindées n’ont jamais
réalisés autant de ventes ces derniers temps. Les marchands d’armes de tout
calibre se frottent les mains d’aise. Au niveau des marchés, le pays est
compartimenté en zone de non droit. Aucun inconnu du milieu ne peut se
prévaloir d’écouler de nouveaux produits sans obtenir l’autorisation monnayée
des maîtres de céans ou des cartels. Plusieurs petits investisseurs de la
diaspora se sont faits flamber la
cervelle pour avoir osé.
La paupérisation aidant, les intégristes musulmans
occupent déjà l’île. En l’espace de 10 ans, du jamais vu, plus d’une
quarantaine de Mosquées y ont déjà pignon sur rue. (Lire mon texte :
« L'Islam et la dérive
participative ») Les pétrodollars circulent et animent
allègrement le décor. À preuve, au Parlement Haïtien, investissements,
marketing et conditionnements obligent, un gentil député, tout de blanc vêtu
d’une djellaba1, sorte de robe ample, trône au sein de
l’auguste Assemblée. Une première, une visibilité suspecte. Les Etats-Unis
s’énervent et la Cia veille au grain. Plusieurs criminels ont acheté leur siège
de député ou de sénateur et obtiennent illico l’immunité parlementaire.
Certains pauvres se métamorphosent en millionnaires l’espace d’une nomination
politique. Le marché de la drogue illicite est florissant. Le gros commerce ne
paie pas d’impôt ou presque. Les vérificateurs fiscaux de l’état sont soudoyés.
On ne verra jamais le nom des grandes fortunes dans le scandale des Panama
Papers. Aucun intérêt, puisqu’ils ont façonné leur propre paradis fiscal dans
le pays en tirant les ficelles de tous détenteurs du pouvoir. Et ce, depuis des
lustres. Les incorruptibles ont peur de leur ombre et rasent les murs. La
grande presse tremble et dénonce seulement les menus fretins. Le journalisme
d’enquête est absent. On eut dit que cette discipline ne s’enseigne plus dans
les facultés. La corruption juridique se traduit par la faiblesse de la
suprématie des lois… etc. Il y a tellement à dire. Mais à quoi ça rime ?
Nous le vivons au jour le jour. Les effets dévastateurs
crèvent les yeux. Le peuple crie quotidiennement son désarroi. Tous les signes
avant-coureurs d’une déflagration générale annoncée crèvent les yeux.
Des
mesures coercitives sans effet
Sur le tableau institutionnel, toutes les
mesures ont été prises pour contrer ce fléau. Malheureusement, elles ont été
élaborées par des petits copains au profit d’un groupe de coquins.
Délibérément, plusieurs portes ont été laissées entrouvertes pour laisser
passer les petits amis à qui on doit remettre une décharge, moyennant espèces
sonnantes et trébuchantes ou d’autres avantages délibérés. En guise
d’institutions de contrôle, citons :
La Cour Supérieure des Comptes : CSC
Le Contentieux Administratif : CA
L’Unité de Lutte Contre la Corruption :
ULCC
L’Unité Centrale des Renseignements
Financiers : UCREF
L’Inspection Générale des Finances : IGF
Le Comité National de Lutte Contre le
Blanchiment D’Argent : CNLBA
Des sigles électrisants empreints de noblesse
et d’un certain romantisme pour contrer l’hydre aux cent têtes. Mais tous,
indistinctement, roulent comme une coquille vide avec de multiples
échappatoires. Aucun « grand mangeur » n’a jamais été inquiété. Et le
pays continu à s’enfoncer.
Solutions
possibles
Ne nous illusionnons pas, je ne vois poindre
aucune solution à l’horizon. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les esprits lucides
s’en plaignent. Hier encore, en 1900, notre éminent compatriote Hannibal Price
écrivait : « C'est en se donnant des chefs ignorants ou vicieux, c'est en manquant
ainsi à la responsabilité nationale qu'on en vient à chercher des protecteurs
au dehors. La nation, qui se donne des chefs ignorants ou vicieux, tombe
rapidement à l'état de proie et, en cherchant un protecteur, c'est la bête de
proie qu'elle rencontre ». Et l’histoire lui a donné raison. Nos
pilleurs sont tous de potentiels bagnards à enchaîner pour la vie. Vous allez
dire qu’il faut les éduquer. Peut-être ! Par contre, on peut sortir la
corruption de l’Haïtien, mais on ne peut
sortir l’Haïtien de la corruption. Collectivement ils se concurrencent
entre eux. C’est la course aux bling-blings, le superficiel. C’est le faire
voir, le paraître. Il faut jumeler l’éducation à des mesures coercitives
strictes et illimitées. Quelque soit le salaire que vous leur offrez, c’est le
cadet de leur souci. Il leur en faut la caisse entière. Tout le monde est
affamé. Tout le monde rêve d’un coup fumant qui le portera au sommet du
palmarès des richards. Tous, ils
souffrent du complexe du roi. La formule du « Tout le monde le fait, fais-le donc » est la mesure qui anime
l’orchestre. Petit à petit, ils vont finir par vendre, au su et au vu de tous,
les îles alentours, si ce n’est Haïti en son entier.
Toutefois, frérots, ne soyons pas déments.
Dans la réalité, pour fermer la parenthèse avec l’historien Arnold Toynbee qui
rejoint le sage chinois sus cité : « les civilisations ne meurent pas d’assassinat mais de suicide. Il est
plus que temps de faire preuve de bon sens et d’inverser nos priorités si nous
ne voulons pas mourir de notre propre main ».
Max Dorismond
20 Avril 2016.
Note 1 : Sorte
de robe ample, ornée de passementeries et munie d'un capuchon, portée par les
hommes dans le Maghreb islamique.
Note 2 : Hannibal Price : De la réhabilitation des races par la république d’Haïti.
Port-au-Prince (Année 1900), (P.511).
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