Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Sunday, April 27, 2014

Compte rendu de mon dernier voyage en Haiti

Chers amis internautes,
           Emmanuelle Gilles
Au début de ce mois,  j’ai effectué un voyage d’agrément dans notre pays pour voir mes deux petites jumelles de  4 ans.  Pour débuter les vacances, on a passé un excellent weekend au Club Indigo.  C’était un samedi matin, après le petit déjeuner, nous avons fait le tour de la station balnéaire, et j’ai été étonnée de voir que les clients étaient peu nombreux.  Les membres de la MINUSTHA que les Haïtiens appelaient les Touristas n’étaient plus sur les plages.  Les chiffres d’affaires ne doivent pas être très alléchants.  Les clients étaient en majorité quelques membres de la diaspora et quelques expatriés. Très peu de touristes !  Ce n’était pas la foule…  Ceci dit, la MINUSTHA serait entrée dans sa coquille car ses membres ne fréquentent plus les plages ni les boites haïtiennes.   Même si leurs bottent nous dérangent a vue d’œil mais leur dollar dérange-t-il ?   Les touristas auraient bien pu augmenter l’emploi dans le secteur service car plus ils sont présents plus la demande pour la main d’œuvre augmente.  Dans un système économique, les décisions  de produire, d'échanger et d'allouer des biens et services sont déterminées par l'offre et de la demande établie par le libre jeu du marché.  Il fut un temps où le marché était bien là avec la présence des Touristas.  Bien évidemment, mieux vaut que les Haïtiens s’enfuient en République Dominicaine plutôt que viser les perdiem des touristas en leur offrant de «l’Entertainment ».   Un Hard Rock Café Haïti aurait été amplement suffisant.  Bref, cela ne m’étonnerait pas qu’ils se la coulent douce en RD de préférence là où les touristas seraient les bienvenues, et là où la main d’œuvre haïtienne est plus en demande en dépit des conflits.  

Le pays est-il en Chantier ?
Des images d'Haiti par E.G (Cliquez pour agrandir la photo)
Le gouvernement avance qu’Haïti est en chantier, en effet, j’ai noté quelques bâtiments en construction, en l’occurrence des édifices publics et des routes.  Cependant il n’existe aucun plan de reconstruction en instance d’exécution.  Les travaux sont au ralenti, et d’après des renseignements obtenus auprès d’un employé du gouvernement, le parlement n’aurait jusqu’à présent pas voté le budget pouvant permettre le décaissement des fonds pour les travaux de construction.   Aucune loi n’a été votée malgré leur soumission, c’est le cas de  la loi sur le Fond National pour l’Education et la loi électorale. 
Les Fonds de PetroCaribe alimentent en majeure partie le budget de l’Etat pour les travaux de construction en plus des projets de la BID.  Autrement, Haïti ne reçoit pas d’assistance financière depuis la fermeture du CIRH.  Sans les fonds Petrocaribe, Haïti aurait des difficultés à poursuivre ses projets de reconstruction.  Il n’y a aucune garantie d’activités économiques dans le long terme en absence des fonds petrocaribe. Martelly et Lamothe ont commis l’erreur de miser sur les fonds PetroCaribe sans une forte mobilisation de ressources parallèlement.  Pour survivre, Haïti devra trouver des moyens de diversifier ses sources économiques pour éviter une dépendance totale soit du fond Petrocaribe ou de l’extérieur.   
Les Programme Sociaux en Haïti :
Image d'Haïti (Photo E.G)
Nous avons remarqué qu’Haïti investit des fonds dans différents programmes sociaux, ce qui est un phénomène nouveau puisqu’avec les fonds de la Banque Mondiale et du FMI, les programmes sociaux n’étaient pas permis, on peut constater que le pays dispose de  beaucoup plus de flexibilités pour investir dans le social avec les Fonds Petrocaribe mais il demeure une absence de transparence totale dans les activités de l’Etat.   La corruption bat son plein! C’est la réalité de notre pays.  Espérons que la stabilité du Vénézuela reviendra afin d’éviter une coupure totale de l’aide Vénézuélienne qui alimente en grande majorité l’économie Haïtienne.  Haïti doit trouver des moyens de productions et de génération de ses ressources économiques propres, autrement ces programmes sociaux ne seraient que des initiatives ad hoc qui ne pourront faire l’objet d’un programme à long terme. 
Quels sont les progrès visibles :
Vue d'une agglomération à Port-au-Prince ( Photo E.G)
J’ai noté quelques réalisations telles que la construction de centres sportifs à travers le pays, beaucoup d’aménagements ont été réalisés à Pétion-Ville, Jacmel et d’autres villes de provinces selon les témoignages de mes proches, cependant vu que j’étais seulement à Port-au-Prince et Montrouis, mon rapport sera limité à la Capitale et la situation de l’Ile à  Vache.  S’agissant des aménagements à Pétion-Ville, l’émergence de complexes hôteliers et de supermarchés modernes auraient pu rendre Pétion-Ville attrayante, cependant nous qui avons vécu dans des pays structurés et qui pouvons faire la différence entre des structures urbaines et rurales, ces améliorations sont à peine visibles.   Je regrette de dire qu’aucun changement ne peut se réaliser à Port-au-Prince ou dans les grandes villes sans une déconcentration majeure et sérieuse. A Pétion-ville, on se heurte à une foule dans les rues à toutes les heures.  A quoi bon reconstruire les trottoirs si c’est pour être envahi par des vendeurs de rues qui sabotent tous les efforts.  La surpopulation tue les grandes villes qui sont exposées à tous les risques environnementaux.  C’est une situation catastrophique !  Une copine de l’Ethiopie qui était en Haïti a eu à me dire que Pétion-ville ressemble à une petite ville de l’Ethiopie et non pas sa capitale Addis avec son imposante Hotel Sheraton.  Les habitants de Jalousie qui de plus en plus prennent davantage d’expansion sur les mornes polluent la ville.  On sous-estime le risque que courent les résidents des mornes telles que Jalousie et autres en cas de catastrophes naturelles.  En absence d’arbres dans les mornes avec des constructions sommaires et précaires, les résidents deviennent vulnérables aux effets du danger que représentent ces constructions illégales et anarchiques.  On devrait alors se demander qui dirige le pays, est-ce le peuple ou l’Etat? Ces actions irresponsables des gouvernements successifs, sont-elles irrémédiables à jamais au détriment des normes d’urbanisation ?   Le parc de la Place Boyer nouvellement rénové est occupé quasi quotidiennement par des chômeurs à vie.  Malheureusement, la bidonvilisation n’a jamais été stoppée ni contrôlée car elle constitue une garantie de manœuvres politiques des politiciens apatrides successifs.  Il faudrait un gant de fer pour prendre des décisions musclées pour mettre en œuvre un plan coriace favorisant l’urbanisme à tout prix.  Comment pouvons-nous espérer un changement dans ces conditions? 
Quid de la Reconstruction du Centre-Ville ?

Prise de vue  à Delmas  ( Photo  Emmanuelle Gilles)
Depuis que le gouvernement de Préval avait déclaré le centre-Ville d’utilité publique, un plan de reconstruction avait été établi mais les commerçants se sont plaints de cette mesure argumentant que leur propriété avait été saisie de façon arbitraire.  Le gouvernement de Martelly a levé cette mesure d’utilité publique tout en invitant les propriétaires à participer librement à la reconstruction du centre-ville.  Depuis la levée de la mesure, les commerçants se sont concentrés sur Pétion-ville qui n’a pas un espace adéquat ou structures pour un grand marché économique comme ils le prétendent.  Pétion-ville est petite avec très peu d’espace pour garer.  Tout est coincé.  On parle de magasins, mais en fait, il n’y a que des petites boutiques invisibles et de petites entreprises.  On ne voit rien de l’extérieur, ce n’est pas comme marcher sur Madison Ave à New York ou on peut faire la lèche vitrine.  Mais c’est là où se concentre le nouveau centre-ville.  D’après ce que j’ai appris de certaines sources, les commerçants n’avaient aucune intention de reconstruire le centre-ville après le séisme car ils entendaient vendre leur propriété à des investisseurs potentiels pour des millions. Ils avaient voulu récupérer leur terre à cette fin et non pour participer à une quelconque reconstruction du centre-ville.  De toute manière, pour inciter les commerçants à réinvestir au centre-ville, l’Etat devrait d’abord faire sa part, développer les infrastructures (route, eau, électricité) afin de créer des  incitations pour attirer l’investissement interne ou externe.  L’Etat Haïtien n’a rien offert et s’attend à ce que les commerçants réinvestissent au centre-ville sans leur aide.   En résumé, le Centre-Ville est abandonné à son sort et Pétion-ville ainsi que les quartiers avoisinants, Frères, Delmas et tous les coins du pays sont devenus de véritables marchés de rues incontrôlables.  Grosso modo, les changements ne seront jamais visibles car cette eternelle bidonvilisation des villes ne favorise pas le changement de l’image d’Haïti.  Haïti ne saurait être ouvert aux affaires dans ces conditions.

Les Conflits à l’Ile à Vache :
Bref les conflits de l’Ile à Vache sont très complexes.  La constitution stipule que « L'expropriation pour cause d'utilité publique peut avoir lieu moyennant le paiement ou la consignation ordonnée par justice aux ordres de qui de droit, d'une juste et préalable indemnité fixée à dire d'expert.  Si le projet initial est abandonné, l'expropriation est annulée et l'immeuble ne pouvant être l'objet d'aucune autre spéculation, doit être restitué à son propriétaire originaire, sans aucun remboursement pour le petit propriétaire. La mesure d'expropriation est effective à partir de la mise en œuvre du projet. »  Voilà ce que stipule la constitution.

Dans les années 1957, toute l’ile appartenait à l’Etat, Louis Déjoie avait acheté une petite partie des terres qu’il avait distribuées à quelques Habitants de l’Ile.  Duvalier de son coté, en réalisant les astuces de Louis Déjoie, avaient aussi acheté des terres qu’il distribua aux habitants qui se plaignaient de n’avoir pas bénéficié de la largesse de Déjoie.  C’est ainsi que près de 800 personnes sont propriétaires sur l’ile sur les 15,000 habitants.  Ceux qui ne sont pas propriétaires se sont servis des terres de l’Etat pour l’agriculture de subsistance donc pour leur survie. Les 15,000 habitants de l’ile ne sont donc pas tous des propriétaires.

En déclarant l’ile d’utilité publique, l’Etat Haïtien n’a pas violé les lois car la constitution lui confère ce droit cependant l’état n’a pas respecté les clauses de la constitution qui stipulent que le paiement et une indemnité fixée par des experts devraient être effectués.  Il arrive aussi que selon l’article 39, «les habitants des sections communales ont un droit de préemption pour l'exploitation des terres du domaine privé de l'Etat situées dans leur localité. »

Le gouvernement a commis des erreurs capitales dans le dossier.  Premièrement, Il ne s’était jamais préoccupé de l’ile !  Les habitants de l’ile étaient quasiment livrés à eux-mêmes pendant deux siècles.   Deuxièmement, les habitants de la ville n’ont pas été consultés ni avisés au préalable car Ils avaient aussi leur mot à dire dans les négociations. La déclaration d’utilité publique au prime abord couvrait toute l’ile sans tenir compte des besoins de ceux qui ont habité l’ile toute leur vie.  La mesure n’épargnait pas des investisseurs locaux déjà sur place qui se sont sentis menacés. C’est le cas de cette famille Haïtienne et leur beau-fils Américain qui avaient investi sur l’ile avec chacun leur « share » dans Akaba Bay Resort.  Ils avaient également développé un « master plan » pour le développement touristique de l’Ile à Vache.  Martelly était au courant de ce masterplan.   Apres l’élection de ce dernier, son avocat Gary Lissade aurait fait pression sur les propriétaires de Abaka Bay resort que le président convoitait personnellement. L’Américain au nom de Dietricht aurait écrit une lettre ouverte à Martelly et Lamothe et je cite un des passages :

“I am appalled at the way you are today treating my former neighbors, the inhabitants of Ile a Vache.  My vision had been to attract tourism and investors to the island, but only in complete transparency, cooperation, fair dealing, and respect for the island’s residents.  Instead, you and your officials are lying to the island’s people, expropriating them from their land, unilaterally bulldozing their forest, land and homes, and then terrorizing and brutalizing them with heavily-armed militarized police when they protest. I had seen the Ile a Vache project as a way to give back to Haiti, not to take from her yet again”. 
L’approche du président était arbitraire tout comme les diverses arrestations qui ne sont pas justifiées.  L’idée de rendre l’Ile à Vache un lieu touristique n’était pas celle du gouvernement Martelly et de Lamothe mais plutôt des actionnaires d’Akaba Bay qui avaient soumis à Martelly un plan de développement touristique pour l’ile.  Selon l’investisseur Américain, Martelly et Lamothe auraient décidé de s’accaparer du projet pour en faire leur pour leurs intérêts personnels et non pour le développement économique du pays comme ils l’entendent.

Les manifestations successives qui s’en ont suivi étaient justifiées car l’Etat ne pouvait pas déclarer l’ile d’utilité publique sans un plan qui incorporait un développement communautaire au profit de ceux dont les terres seraient passibles sous cette mesure. Ce plan devrait prendre en compte des infrastructures qui à la fois rehausseraient l’ile et les conditions de vie des Habitants c’est-à-dire, logements, école publique et eau potable avec des possibilités d’emploi.   Les habitants bénéficieraient d’un programme de  perfectionnement de la main d’œuvre, ce qui l’aiderait à participer dans les projets de l’ile.

Récemment des amis ont été a Ile a Vache et m’ont fait un compte rendu que l’ile est plutôt calme et qu’il n’y a plus de manifestations.  Les habitants ont repris leurs activités journalières et on ignore toutefois si le plan du gouvernement a été modifié pour tenir compte des revendications des résidents.  Il n’y a toujours pas de transparence sur le projet de l’Ile à Vache.  Nul n’est au courant du profil des investisseurs et de la source de financement de l’aéroport prévu!  Certains jurent que Martelly et Lamothe ainsi que la Ministre du Tourisme ont de gros intérêts personnels dans le projet, mais il reste à voir s’il s’agit vraiment de leurs intérêts ou de développement économique. 

Le gouvernement a déclaré que «Le projet de l'Ile-à-Vache est une lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales à travers les investissements et la création de richesse».  J’en conviens que c’est même une nécessité et notre pays a besoin de plusieurs sources de revenus pour alimenter notre budget national, est ce pourquoi nous devrions nous rassurer que le projet bénéficierait le pays et non les poches des membres du pouvoir.  De ce fait, Laurent Lamothe et Michel Martelly ne devraient pas être des actionnaires dans ce projet ni non plus réclamer des pots de vin et leur pourcentage au niveau des potentiels investisseurs.   Les Haïtiens doivent être donc vigilants, par là je ne me réfère pas à des politiciens véreux qui profitent de cette situation pour déstabiliser et boycotter mais ceux qui sont véritablement concernés par le développement de notre pays.

Lorsqu’un Président déclare que les caisses publiques sont vides, on devrait réfléchir ? Qui alimente le trésor public ? Quel est le pourcentage  des recettes publiques et des impôts alimentant le trésor public mensuellement?  Ou vont les impôts, et les recettes douanières? Sur quoi repose le budget de l’Etat ?

Programme d’Education gratuite : (PSUGO)
Le programme d’éducation gratuite est une initiative qui devrait être appuyée par tous les Haïtiens désireux de voir un changement au niveau de ce secteur important.  C’est un des plus grands défis qu’un gouvernement ait tenté depuis des décennies.  L’accès à l’éducation pour tous a toujours été une préoccupation majeure pour moi, et c’est l’un des objectifs du millénaire auxquels s’engagent les pays en voie de développement.  Je me suis dit que finalement ce projet contribuera à éliminer l’existence de deux mondes dans un même pays, une situation désastreuse qui pénalise et isole tout un peuple depuis plus de deux siècles.  En d’autres termes, c’est en grande partie l’origine de ce grand fossé entre la masse populaire et les nantis.   Le programme d’éducation du gouvernement revêt toute son importance, cependant, vu la célérité avec laquelle ce programme a été mis sur pied, les structures ne sont pas adéquates pour garantir son succès.  Beaucoup de failles ont été enregistrées.  Dans la liste des écoles ayant reçu des subventions de l’Etat, Des Directeurs d’écoles aussi bien que des députés ont falsifiées des écoles inexistantes pour lesquelles ils percevaient des fonds.  C’est une preuve que la corruption gangrène notre société a un point tel que même nos législateurs ne font pas l’exception.  C’est le paradoxe de la corruption institutionnalisée ! En Haïti la corruption est systémique car sa fréquence est telle qu’elle constitue plutôt la régie plutôt que l’exception, et c’est à cause de ces impasses encouragées par un système judiciaire faible et défaillant que le changement d’Haïti ne peut être espéré. 

Conclusion :
Après le départ de Duvalier, c’était évident pour tous que nos problèmes relèvent d’un système défaillant mis en place pendant des décennies par des gouvernements incompétents. L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement démocratiquement élu en 1990 était l’occasion idéale pour créer ce nouvel Etat qui nous tient à cœur, malheureusement, l’Etat s’est effondré davantage pour  devenir dysfonctionnel quasi en permanence.  Certains décrets de lois créés par le gouvernement de transition ont pu aider à renforcer le fonctionnement de l’Etat cependant La corruption est considérée comme une négation de l’Etat même en tant qu’institution.   Tous ceux qui lèvent leur voix contre l’actuel gouvernement et qui s’attendent à un changement drastique, se leurre car aucun changement n’est possible sans des réformes institutionnelles en profondeur au sein d’un système décomposé et putréfié.  L’institutionnalisation de l’État moderne repose sur l’exigence de règles formelles reconnues par la loi et applicable selon la loi par tous. Avec un parlement opportuniste et incompétent au service unique de ses intérêts politiques, des gouvernements successifs qui abusent de leurs pouvoirs, et d’une société quasiment en déchéance morale.   En dépit d’une constitution et des lois, l’Etat demeure  l’otage du peuple et le peuple l’otage de l’Etat.  On ne peut rien espérer !

Par: Emmanuelle Gilles manugi28@yahoo.fr

Une adaptation de Herve Gilbert


Tuesday, April 22, 2014

"L’écrivain et l’économiste" par Hugues Saint-Fort

Qui n’a pas entendu parler au cours de la fin de cette semaine (jeudi 17 avril 2014, plus exactement) de la disparition de Gabriel García Márquez, le célèbre écrivain colombien, auteur du livre-culte Cent ans de solitude rédigé originalement en espagnol bien sûr, traduit en français en 1968 au Seuil, et récipiendaire en 1982, je crois, du prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre littéraire ? Ce n’est qu’au milieu des années 1970 que j’ai lu ce roman extraordinaire, qui représente sans doute le modèle parfait de l’école du « réalisme magique », cher à quelques grands romanciers latino-américains (Alejo Carpentier, en particulier) et à certains romanciers haïtiens, dont Jacques-Stephen Alexis (Les arbres musiciens), René Depestre (Hadriana dans tous mes rêves), Gary Victor… Cent ans de solitude a été traduit dans plus de trente langues.

C’est donc le texte littéraire le plus connu de GGM. Il a la particularité de mêler intimement la réalité et la fiction, le réel et le fantastique, le surnaturel et le réalisme. Il est traversé par l’histoire et la mémoire, percé par l’oubli, transfiguré par la politique. Le poète chilien Pablo Neruda, un autre géant de la littérature latino-américaine, a dit de Cent ans de solitude que c’est « le plus grand roman écrit en langue espagnole depuis Don Quichotte ». Cent ans de solitude est le roman le plus connu de Gabriel García Márquez, mais il ne faudrait pas oublier aussi d’autres textes littéraires, comme Chronique d’une mort annoncée (1982), L’amour au temps du choléra (1988)…

Dans les années 1970, Garcia Marquez a pris position fermement contre l’impérialisme américain qui sévissait alors et s’est vu refuser des visas américains quand il en a postulé pour venir aux Etats-Unis. Ecrivain engagé, grand défenseur du Tiers-Monde, ami de Fidel Castro, il n’a jamais fait mystère de ses positions socialistes, plus exactement social-démocrates. Plus tard cependant, devenu tellement célèbre à travers le monde, il a été invité et reçu par les grands de ce monde, dont Bill Clinton lui-même.
Quand j’étais plus jeune et que j’étais fou de littérature, de romans surtout, j’étais émerveillé par le titre de ce livre-culte, Cent ans de solitude. Il évoquait pour moi le mystère de la fuite du temps, le surnaturel qui était associé à la réalité, le romantisme et la fiction de la solitude… Qu’en est-il resté de ces sentiments contradictoires ? Avec le départ de Gabriel García Márquez, l’heure est venue pour moi de me replonger dans la lecture de ce chef-d’œuvre.
La plupart de ceux qui ont lu le titre de mon article, si toutefois ils se sont tenus au courant de l’actualité littéraire et même politique, ont compris à qui « l’écrivain » faisait référence. Il est fort douteux que ces mêmes personnes aient compris que le terme « l’économiste » faisait référence à l’économiste français, Thomas Piketty, qui n’a que 42 ans et qui est professeur d’économie à l’école d’économie de Paris.
Ce n’est pas tous les jours que l’on voit un économiste français acclamé dans presque toutes les avenues du pouvoir américain. Dans son édition du samedi 19 avril 2014, le New York Times titrait ainsi dans sa page « The Arts » : Economist Receives Rock Star Treatement. Expliquant que Piketty venait présenter son dernier livre Capital in the 21st Century au public américain, la journaliste du NYT informe que Thomas Piketty a rencontré le Secrétaire américain au Trésor, M. Jacob Lew, donné une conférence en présence des membres du Conseil des conseillers économiques du président Obama, (President Obama’s Council of Economic Advisers), puis une autre dans les locaux du Fonds Monétaire International à Washington, DC. Piketty se rendit ensuite à New York, aux Nations Unies pour une discussion publique-- dont toutes les places étaient épuisées--avec deux récents prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz et Paul Krugman. Finalement, il rencontra la presse générale et spécialisée, dont The Nation, New York Magazine, et The Harvard Business Review.
Paul Krugman, le fameux chroniqueur économiste du NYTimes, et professeur à Princeton, a prédit que le livre de Thomas Piketty changera à la fois la façon dont nous réfléchissons sur la société et la façon dont nous enseignons l’économie. Avec un tel titre Capital in the 21st Century qui projette des échos de Das Kapital, le magnum opus de Karl Marx, certains économistes ou chercheurs affiliés à la gauche américaine semblent déceler un retour de la pensée néo-marxiste, ce qui est loin d’être paradoxal car Piketty a d’excellentes références de gauche. Ses parents sont d’anciens trotskistes qui ont fait mai 68, il possède des liens très forts avec le Parti socialiste français et surtout, c’est un grand spécialiste des inégalités économiques en France. Son parcours académique est tout simplement impressionnant : Piketty a été admis à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) -- l’une des 5 Grandes Ecoles de France—à l’âge de 18 ans où il se spécialisa en maths et en économie. Il obtint son doctorat à 22 ans avec une thèse sur le sujet de la redistribution des richesses en France. Après sa thèse, il enseigna l’économie à MIT de 1993 à 1995 puis retourna en France pour travailler au CNRS comme chercheur. Il a déjà publié une bonne douzaine de livres et d’articles en français dont le plus connu est Les haut revenus en France au XXème siècle, Grasset 2001. Capital in the 21st Century est son premier livre publié en anglais. C’est un énorme bouquin de près de 700 pages publié par Harvard University Press.

par Hugues Saint-Fort
New York, 20 avril 2014




Une vidéo de Gabriel García Márquez
Le prix Nobel de littérature colombien Gabriel... by lemondefr

Thursday, April 17, 2014

Président Michel Martelly rend hommage à l’immortel Dany Laferrière

Mercredi 16 avril 2014. 
Personne ne ronge son frein dans les appartements privés du président Michel Joseph Martelly. L’attente, entre gens de lettres, universitaires, hauts fonctionnaires de l’Etat et diplomates, est loin d’être désagréable. Le vin rouge semble de bon cru. Albert Chancy, au piano, met le zeste de festif à ce cocktail donné par le chef de l’Etat en l’honneur d’un immortel, l’enfant de Petit-Goâve, « l’écrivain du monde », Dany Laferrière.

Michel Martelly et Dany Laferrière lors de la cérémonie
L’après-midi ne sera pas sans fin. Oh que non ! Les choses s’accélèrent. Longtemps après 16 heures 30, la fanfare du palais, sur la cour écrasée par la chaleur, joue l’hymne présidentiel pour le chef et son invité. Les notes traversent portes et baies vitrées. C’est tonique, sanguin, vivant. Quelques dizaines de secondes se noient dans le grand sablier. Presque sur les talons du chef de l’Etat, l’homme au Remington 22, veste gris cendre, à pas pesants, entre.

Sur son visage s’accroche un sourire timide, semblable à celui d’un vertueux arpentant l’allée d’un bordel, tenaillé par un besoin de plaisir. Les grands yeux de Dany Laferrière, en quelques secondes, balaient cette petite salle. Ils s’arrêtent sur quelques amis, quelques complices. Emmelie Prophète, Jean Euphèle Milcé, Gary Victor, Frankétienne. Décrispation. Accolades. Intensité. Petit moment de communion entre ces solitaires sonores, jongleurs de lettres, bricoleurs de rêves, de bonheur.

Martelly, dans cet écrin, est dans l’hommage « à l’un des illustres écrivains haïtiens contemporains ». Le ton juste, le président évoque sa « fierté profonde » à l’annonce de l’élection de Dany Laferrière à l’Académie française le 12 décembre 2013. Avec Dany, Haïti a eu son instant de gloire. Avec Dany, ce sont deux cents ans de littérature haïtienne qui entrent chez les immortels.

« L’œuvre du 1er Haïtien, 1er Caribéen, 1er Québécois et Canadien à l’Académie est une " source d’inspiration ", indique Michel Joseph Martelly. Elle est empreinte de cette terre de soleil, de beauté. Le parcours de Dany Laferrière est celui d’un voyageur qui a vu le monde, goûté à d’autres cultures sans jamais laisser sa terre natale » ajoute le chef de l’Etat.

Petit-Goâve habite son œuvre. A Port-au-Prince, il a affiné ses armes avant de s’épanouir au Québec, observe Michel Martelly, à côté, Dany Laferrière est sensible à cet hommage. « Je n’aurais jamais cru que les 26 lettres de l’alphabet m’emmèneraient là », confie cet écrivain ayant passé son enfance à Petit-Goâve, à la frontière du Sud et de l’Ouest, entre des montagnes et la mer bleu turquoise.

Personnalités du secteur éducatif qui ont assisté à cette cé
rémonie                                                                                        
Dans cette ville, le 88 rue Lamarre est « l’adresse du bonheur de l’enfance », explique Dany, protégé par des femmes. Pendant les années de plomb de la dictature des Duvalier, cela a permis, raconte l’écrivain, d’observer le vol soigneux d’un papillon, d’écouter en silence les émotions de la ville en épiant les conversations de grandes personnes.

Dany regardait tomber la pluie tout en sachant qu’elle n’atteindrait jamais le 36e bric de la maison d’en face. Dans la tête de l’enfant qu’il était, en silence, se construisait une idée de la narration. Plus tard, les « la fraîcheur », ces femmes mi-prostituées mi-maîtresses qui ont habité son imaginaire, explique Dany Laferrière, qui croit que ces belles ont inventé la modernité. Ce sont elles, ces femmes-là, qui lui ont inspiré des années après le roman « Le goût des jeunes filles ».
A Port-au-Prince, 19 ans, Dany Laferrière, le jeune journaliste, se souvient d’une interview avec Frankétienne, auteur en 1972 de « Ultravocal ». De Frankétienne, DL dit que "c’est l’être le moins snob " qu’il connaisse. « J’avais un modèle, je n’étais pas seul », confie Dany Laferrière en évoquant le père du "spiralisme", cette rupture qui s’inscrit aussi dans la continuité.

 A Montréal où il a débarqué en 1976, après l’assassinat de son ami, le journaliste Gasner Raymond, DL évoque ses huit années difficiles dans les usines. La galère, comme vécue par ¼ de travailleurs dans le monde, dans les sous-sols des villes, a donné de l’authenticité à ses mots. « Il faut raconter la vie des gens si l’on veut être artiste », témoigne l’auteur de " Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer ".

Sur sa machine à écrire, son Remington 22, Dany Laferrière se souvient encore de ces mots qui ont suivi des millions d’autres, pesés dans des livres : « Pas croyable. C’est la quatrième fois que Bouba joue cette musique ». Ce style simple, en apparence accessible, c’est du Dany, l’écrivain que l’on croit être, que l’on se croit capable de devenir. Et pourquoi pas ?

DL, enfant, parle de la France. De la littérature de ce pays. D’auteurs, dont le Britannique Kipling, " Capitaine courageux ", capable de mener pêcher un enfant d’Haïti jusqu’à Terre-Neuve par la magie des mots, de l’imaginaire.

Vidéo de la cérémonie 


Ce Dany Laferrière, « pierre par pierre, a construit une œuvre qui traverse le temps. Il était déjà un immortel », dit Frankétienne, ajoutant que ce monsieur est un « homme bon ». « Dany n’a jamais eu la grosse tête. Il dit la vérité avec tendresse et un humour parfois mordant », soutient Frankétienne, qui y va de sa prophétie. Dans un siècle, deux siècles, nos enfants, nos petits-enfants parleront de Dany Laferrière, comme on parle de ce monument, la Citadelle Laferrière, affirme Frankétienne.

«L’hommage à Dany est mérité. Le président a fait un discours approprié à la circonstance. Je pense que cela a été un grand moment », confie Gary Victor, une autre grande plume d’Haïti, en marge de la partie officielle de ce cocktail.


Courtoisie / Le Nouvelliste
Par :Roberson Alphonse