Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, May 26, 2023

Haïti, a-t-elle raté l’occasion d’amortir sa chute ?

Une nation qui se trouve estampillée du sceau tragique du destin


Par Max Dorismond 

Dans le faisceau de réflexions qui chevauche la pensée de chacun de mes congénères, en ces temps de crises à fermeture-éclair, je reviens avec cette brûlante interrogation qui chiffonne le quotidien de quelques-uns d’entre nous. 

Depuis plus de trois ans, l’aiguille de l’incongrue tourne dans le vide : c’est la violence gratuite. Le peuple est aux abois, la famine s’est invitée dans le décor. La fuite ou le sauve-qui-peut demeure l’unique solution. Aucune classe sociale n’est épargnée. La balle solitaire n’a ni couleur ni odeur et les accidents se comptent par centaines. Même à l’intérieur de chez soi, la protection est illusoire. 

Dans les faits, on parle de trois années de crises, d’autres les étirent sur 37 ans, en l’occurrence, depuis le départ des Duvalier. Mais, personnellement, je pourrais remonter à la naissance même de la nation. Au cours de mes recherches à propos de notre mal-être, j’ai eu à me convaincre de la réalité après la lecture de certains ouvrages, dont le plus accrocheur demeure celui d’Eddy Cavé, «Haiti : Extermination des Pères fondateurs et pratiques d'exclusion», pour lequel j’aurai à rédiger plus tard un article. 

En remontant le cours de notre Histoire, nous avons remarqué le tour de passe-passe que les esclaves avaient joué aux Français grâce aux armes qu’ils avaient obtenues de Sonthonax1. En sous-estimant ces hommes qui n’étaient, à ses yeux, que des biens meubles, la France a pris en 1793 cette fatale décision, qui allait radicalement modifier la géopolitique de l’Occident. Sans cette révolution, le système de prévarication aurait été encore pire pour le petit monde. 

Ce n’est pas tous les jours que la chance sourit aux infortunés. Cela n’arrive que tous les deux siècles. Justement, Haïti, par un heureux ou malheureux hasard, s’est retrouvée de nouveau sur le chemin de cette opportunité, pour changer ou empirer l’ordre événementiel. 

En effet, des ambitieux, des coquins de tout poil, qui rêvent de faire main basse sur tout ce qui est «espèces sonnantes et trébuchantes», ont, dans leur plan machiavélique, attisé le feu de la violence, en armant des hordes de jeunes désœuvrés du pays. Des armes de guerre circulent librement. Même l’Église s’est acoquinée avec les malfaiteurs. La corruption est devenue un art de vivre. Plus de morale, plus d’humanité, pourvu que le fric soit au rendez-vous. 

Inquiet et médusé, le public s’interroge et ne sait où donner de la tête avec ce pays flottant depuis belle lurette sur une mer d’incertitude. Avec ces jeunes surarmés, il va jusqu’à rêver, même en 2023, de la réédition de la geste des esclaves de Saint-Domingue, ayant saisi l’opportunité offerte par Sonthonax en 1793 pour monter à l’assaut du pouvoir chancelant de la Métropole, de manière à mettre hors d’état de nuire ces oligarques de tout poil qui lessivent la République depuis des lustres. 

Malheureusement, cette messianique intention n’a jamais effleuré l’esprit de ces marmots en mal de jouissance, qui préfèrent jouer au «cowboy Johnny» face à la caméra. Avec le vide institutionnel et la faiblesse de la police plus ou moins corrompue, le champ aurait été libre pour ces desperados pour attaquer leurs providentiels fournisseurs d’armes et de munitions et nettoyer la nation. 

Mais, ce n’était pas leur credo. Pour rentabiliser leurs cadeaux, ils ont commencé, par kidnapper leurs propres frères et sœurs, des pauvres sans le sou, à violer les femmes et à assassiner sur commande. Ils se délectent dans ce panorama. Le crime est productif, mais pour combien de temps? 

Étant très jeunes, de la génération post-Duvalier, ils n’ont pas connaissance qu’en 1957, un certain Papa Doc avait posé le même geste avec leurs grands-parents, qui avaient reçu à «titre de diplôme», un revolver pour gagner leur vie. Ce geste irresponsable de François Duvalier avait figé Haïti dans une paix de cimetière. Leurs commanditaires actuels auraient dû réfléchir à notre descente aux enfers, depuis lors, avant de distribuer ces armes létales au premier idiot venu. Cet ultime effort n’est pas l’apanage de nos congénères. 

Et pourtant, l’un des chefs de file, un dénommé Jimmy Chérizier, alias Barbecue, avait généré quelques espoirs en fédérant plusieurs groupuscules (Groupe G9 et fanmi…). Avec le vocable «révolution» sur ses lèvres, lors de ses conférences de presse, il avait attiré notre regard sur l’effroyable calamité des bas-fonds de Port-au-Prince. Il avait plus ou moins gagné certaines sympathies. Ses vidéos étalaient, exposaient, à partir de La Saline, des images de fin du monde de la misère noire dans toute sa laideur. Cette dynamique de rationalité avait apporté une certaine lueur dans le cœur des estropiés de la vie qui y résident. 

En réalité, plusieurs pensaient qu’il caressait un plan pour marcher sur le Palais, pour décrotter les écuries d’Augias en débarrassant le pays de tous ces spoliateurs, qui le sucent jusqu’à l’indigestion. Malheureusement, ce n’était qu’un rêve, de la propagande pure et simple, du mauvais marketing d’un gangster sans aucune idéologie.

Le phénomène du  « Bwa Kale  »


Déçu et découragé, le petit peuple livré à lui-même s’est réveillé de sa torpeur pour éliminer ces nouvelles pieuvres du décor, sous le parapluie de l’opération «Bwa kale2». Ces apprenties sangsues sont pires que leurs maîtres. D’ailleurs, ils sont tous des condamnés à mort qui vivotent sur du temps emprunté. La lente agonie, au bout de son sang, du chef de gangs « Ti Makak » de La Boule, en dit long sur leur naïveté. Sa compréhension tardive du jeu de son marionnettiste de commanditaire, sa complainte finale rapportée par Michel Soukar3 dans « le Point » du 24 mai 2023, nous arrache malgré tout, une larme furtive. 


Écoutez le trémolo du bandit : « Boss, map rele’w, ou pa janm reponn depi lè’m pran bal la! Se konye ya m’konprann ke fizi ya m’te pwente’l nan move direksyon! ». Trop tard dans ce jeu de dupe ! Néanmoins, en joignant l’utile à l’exécrable en fusillant le salaud, il se serait sacrifié pour une juste cause. Mort en martyr, le signal à ces acolytes aurait été vraiment déterminant ! 

Malheureusement, une telle chance ne s’éclot que rarement. Donc, Haïti vient de rater sa deuxième indépendance. Notre génération va laisser le train avec un certain regret. Cette rédemption ne sera pas pour demain. Le bateau ivre continue sa route, comme à l’ordinaire. Le désespoir a toujours une nation, qui se trouve estampillée du sceau du tragique. Hélas! 

Max Dorismond





– NOTE — 

1 — Sonthonax : abolitionniste convaincu, envoyé par l’Assemblée Législative de la France à Saint-Domingue en 1792, Léger-Félicité Sonthonax entra dans l’histoire en prenant, le 29 août 1793 et pour la première fois dans l’Histoire, la décision d’abolir l’esclavage dans le Nord de la colonie.2 — Bwa Kale (prononcez Bois Calé). Bâton utilisé pour mettre à mort les bandits en Haïti (2023).3 – La mort de« TiMakak » par Michel Soukar dans le « Le Point » du 24-05-23 à la 57e minute et 50e seconde (57 :50) – 

Friday, May 5, 2023

Si Ben Laden était encore fugitif, aurait-il décroché un passeport haïtien?

Le lucratif business des bandits à cravate

Par: Max Dorismond

Dis mon ami, mon frère, dans ce carnaval de la corruption, reste-t-il quelqu’un de sérieux sur la terre de Dessalines en 2023? Les brûlants et scabreux épisodes dans la diplomatie haïtienne viennent de clouer le cercueil de la Nation. 

Un ambassadeur s’est sciemment trompé d’histoire et de vocation. C’est le comble! Penses-y un instant, vendre des passeports haïtiens à des étrangers en cavale, des fugitifs notoires recherchés par toute la cavalcade internationale! C’est très dangereux. Ce haut fonctionnaire serait devenu un jouet entre les mains de tout agent secret d’un pays adverse, désireux de le faire chanter pour parvenir à des fins inavouables. Et ce n’est pas la première fois. Un second est pris, les culottes baissées, en flagrant délit d’agression sexuelle sur une Japonaise. Voulait-il «venger la race», un clin d’œil à Maurice Sixto

Te souviens-tu quand nos pères nous parlaient des Émile Saint-Lot, des Joseph D. Charles et Cie, de ces Haïtiens verticaux, de haute stature, qui brillaient de tous leurs feux dans la diplomatie mondiale? 

Autrefois, après Dieu, sur l’échelle sociale, venaient immédiatement les ambassadeurs. C’étaient des agents de la paix qui manigançaient avec doigté dans les coulisses pour éteindre les conflagrations, stopper les guerres, atténuer les esclandres. C’étaient des personnages presque effacés au-dessus de tout soupçon, destinés à concilier les rois. Ils étaient la vitrine de l’État à l’étranger, le vecteur ou le catalyseur de promotion de leur pays et chacune de leurs postures était prise en référence pour juger leurs compatriotes. Ah, oui, en ces temps-là, la diaspora était bien représentée. Ces grands hommes avaient droit au prédicat d’Excellence (Son Excellence était abrégée en S.E). 

Quel mal cette Nation a-t-elle encore fait au bon Dieu, pour se voir ainsi flageller et traîner dans la boue, à cause de ses «fils dégénérés»? Les pires des ignorants nous traitent de «shit-hole» et la communauté internationale rit de nous en pleine face à chaque fois que nous baratinons à propos de notre fierté de «première république noire». 

Le monde a changé depuis septembre 2011. Après des siècles d’exploitation effrontée, de violence aveugle, de colonisation intempestive, les spoliés de la terre se réveillent et sonnent le tocsin de la vengeance. La paranoïa nous dessine des terroristes à chaque coin de rue. Chaque déflagration sur le globe nous interpelle. Que ce soit Paris ou Barcelone qui saute, nos cœurs chavirent et nous pleurons les martyres. Plusieurs des auteurs de ces carnages, non appréhendés, deviennent des fugitifs en cavale. Trouveront-ils chaussures à leurs pieds avec un passeport haïtien, pour perpétuer leur travail de sape? 

Si, pour quelques dollars de plus, nous sommes prêts à vendre notre âme au diable, ayons au moins une pensée pour les innocentes victimes collatérales qui ne demandaient qu’à vivre simplement leur vie, loin du bling-bling, loin de cette maladie obsessionnelle de s’affirmer, de se montrer, de gravir les échelons sociaux vers les parenthèses enchantées. 

Rien ne va plus chez nous. La justice n’est qu’un mot vide de sens, un assemblage de lettres obscurs à faire rire les cons. Haïti ne produit aucune arme à feu, mais leur prolifération sur le territoire donne la sueur froide. Même l’Église en distribue, en veux-tu, en voilà! La faim a un pays. L’institution charitable, «La Caisse d’Assistance Sociale», destinée à aider les plus pauvres, se trouve avec une directrice, menottée et emprisonnée, pour avoir siphonné, ratiboisé le fonds de 21 milliards de gourdes disponible… Si on se met à déblatérer sur le chemin de croix de la corruption, on n’en finira jamais, tant la liste est longue et non exhaustive. 

Dans cette culture d’Alibaba où chacun exerce son droit d’extorsion, sans gêne et sans pudeur, la palme revient à celui qui a ramassé la plus grosse part du gâteau national. C’est ce qui explique la conversion naturelle de chaque homme d’affaires, de chaque politicien, de chaque gestionnaire public, de chaque fonctionnaire en un voleur patenté, dépouillant le pays avec le plus d’avidité possible. Ils sont devenus par la force des choses une clique d’abrutis.

En conséquence, de là à vendre un passeport à Ben Laden, s’il était encore en vie, il n’y aurait, pour ces bandits légaux à cravate, qu’un petit pas à franchir, sans remords et sans sourciller. Pauvre Haïti!!! 

Max Dorismond