Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, July 15, 2022

Dette de la France : Il faut stopper la surenchère mémorielle des Haïtiens

Il faut réclamer la somme volée par la France à tous les instants

Par Max Dorismond 

Psitt! Avez-vous entendu parler de la dette de l’indépendance, deux semaines après l’esclandre du New York Times? Non, shutt! ne parle pas trop fort, c’est fini, kaput…!

Les mots au pluriel, tels que réparations, réclamations, donnent la frousse et viennent troubler le sommeil des anciens colonisateurs. En fait, les articles du New York Times sur les détails croustillants et les effets pervers du couteau enfoncé par la France dans la gorge des Haïtiens fraîchement libérés, pour se faire payer la perte de l’île en 1804 pour 150 millions de francs or ou 26 milliards de dollars d’aujourd’hui, ne laissent personne indifférent. 

Ce fut le branle-bas dans les chancelleries étrangères sur les révélations troublantes de cette arnaque historique menée en 1825, à la pointe des canons et de menaces. C’est un sujet épineux que les anciens colonisateurs fuient comme la peste, car il ne faut pas réveiller les escroqueries presque oubliées, les génocides sans le nom. 

Les USA qui venaient de fêter les 155 ans de la libération des esclaves n’ont encore versé un centime aux descendants des Nègres qui ont construit l’Amérique. Les Japonais ont été dédommagés pour la méprise lors de la seconde Grande Guerre. Les Allemands en ont fait de même pour les Juifs après l’holocauste. 

Personne ne veut confronter cette réalité, en réveillant ce sombre épisode savamment camouflé, un crime contre l’humanité qu’on essaie de colmater tant bien que mal pour ne pas faire face à ses responsabilités. Car, en indemnisant un premier négro, un second viendra réclamer sa part de l’ultime rêve. Ainsi, le «Jamais deux sans trois» retrouvera automatiquement ses titres de noblesse et l’Occident en général devra passer à la caisse pour rembourser ses dettes aux descendants des insoumis qui l’avaient enrichi gratuitement en lui permettant de vivre dans l’opulence au-dessus de ses moyens. 

Pour tuer dans l’œuf ce désir jugé inaccessible et non avenu pour le bien-être des Caucasiens, les ambassadeurs de mauvaise volonté de l’International se mettent à cogiter. Dans leur stratégie à divisibilité variable, les prestidigitateurs de la diplomatie offrent leur service à La France. Ils choisissent de vider à blanc le cerveau des Haïtiens en effeuillant un faux sujet brûlant d’actualité pour combler la présidence inexistante au pays avec un nom à la fois adulé et honni, une appellation qui va transmuer l’alchimie de la situation : Jean-Bertrand Aristide. 

C’est un «personnage à balance», adepte du paiement récriminatoire, le premier à lancer la fronde de cette «réclamation-restitution-réparation». Il peut équilibrer ou déséquilibrer l’île à sa guise, avec des discours tonitruants, chargés de symboles et de sous-entendus à défriser les perruques des commissaires. C’est un élément charismatique, un certain dieu, pour la moitié du pays, et presqu’un démon pour l’autre. Ils vont l’agiter tel un épouvantail à moineaux pour détourner l’esprit des Haïtiens de cette dette colossale qui grossit à chaque seconde, à chaque heure, alarmant l’horloge de la mémoire. Il faut «créer une affaire dans l’affaire1» pour rendre la sauce méconnaissable, selon le théorème de Charles Pasqua. 

En réalité, l’International a frappé la bête en plein cœur et Haïti tombe dans le panneau. Plusieurs diplomates en service au pays viennent faire leur tour chez Aristide et puis s’en vont. Ces présences qui détonnent dans le décor suffisent pour emballer les rumeurs. 

Aristide, qui fut deux fois président d’Haïti, ne peut opter pour un troisième mandat dixit la Constitution. Mais les serviteurs de mauvais augure n’en ont cure de ce charabia : ce sont eux les vrais maîtres du jeu. Leur déclaration bidon vaut son pesant d’or. Un dollar à droite, un visa à gauche, l’affaire est dans le sac. Ils ébruitent un faux secret, selon lequel Titide sera nommé Gouverneur d’Haïti. Un titre fallacieux et farfelu du 18e siècle, «à faire rire les oiseaux», déterré et brandi dans les médias comme un miroir aux alouettes. En agitant le spectre de l’avènement du p’tit prêtre, qui les avait énervés et surpris dans les années 2000, raras2, tambours sortent des houmfors3 et la rue se remplit, le temps de crier «ciseaux». Ses partisans occupent le pavé, drapeaux et majorettes multicolores, c’est la réjouissance, la farandole assurée. Manifestations de joie, alcool, clairin4, tafia, tout est là pour faire danser les macaques. 

À l’envers du décor, les provinces s’enhardissent, des pneus brûlent déjà. Les anti-Aristide érigent des barricades. Caoutchoucs, Kalachnikov, machettes, rage et colère dessinent leur vision du moment. Avec des lueurs rougeâtres dans les yeux, ils jurent de confronter l’ex-abbé. Ils veulent le pendre haut et court s’il retourne au pouvoir… 

Une semaine plus tard, on se perd en conjectures. Les jours passent et se ressemblent sans aucune consécration. On oublie tout et on revient au point de départ! 

Adieu réclamations à la France, adieu réparations. L’international se frotte les mains d’aise en riant des enculés. Encore une fois, le chromosome de la division spectrale a joué son rôle. Les chancelleries sablent le champagne. Elles rigolent à bouche en veux-tu. L’Hexagone vient d’enterrer la jarre à Euros comme en 2004 après avoir eu la peau du prêtre-président. 

Les «Transitionistes» ou les «Ti Transit» qui, selon le jeu de mots de feu Jovenel, avaient préparé les jarres vides pour les remplir d’euros, se sont cassé la margoulette. Adieu belle vie, adieu châteaux et Lamborghini en Dominicanie ou à Miami. Adieu cortège de maîtresses. Ariel doit attendre les chiches oboles de l’International pour satisfaire ces Apaches. Le vrai perdant, c’est Haïti, mais on y reviendra encore et encore. 

Le Quai d’Orsay peut, pour le moment, dormir du sommeil du juste. Dans ses pérégrinations actuelles, il se sent soulagé. Avec le rejet du Mali, la prise de conscience de la jeunesse africaine, les effets pervers de la guerre en Ukraine, il n’avait pas besoin de ce regain de réclamation à donner le tournis au président Macron. 

Max Dorismond





-NOTE—

 1 — Le théorème de Pasqua est devenu un classique des scandales politiques, consistant à rendre illisible une affaire en créant des dossiers dans le dossier. «Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien.» Pasqua fut ministre  de l’intérieur sous Chirac.

2 — Le Rara est l’une des grandes fêtes culturelles haïtiennes

3 — Houmfor : sanctuaire de Damballah dans le Vaudou haïtien

4 — Clairin : C’est une eau-de-vie extraite de la canne à sucre en Haïti

Monday, July 11, 2022

Crimes, peur et silence, une trilogie de perdants


Par Max Dorismond

La peur est-elle partie intégrante de l’ADN de ce peuple, qui chantonnait hier encore la bravoure de ses ancêtres. On lapide, on kidnappe, on tue en public, on connaît les auteurs et la vie continue comme avant. Rien de nouveau sous le ciel bleu d’Haïti.

La même musique, l’identique tempo et la routine quotidienne roulent pour les inconscients. Sommes-nous des zombis ? Sera-t-il toujours ainsi pour l’éternité ? Le doute m’habite et me tenaille !

Cette semaine, un article de Haïti Connexion Culturesur la troublante photo d’un présumé assassin devenu l’ombre de lui-même, a bouleversé une génération de jérémiens. De nombreux commentaires écrits ou oraux sont maquillés par souci d’un certain anonymat, preuve que nous tremblons encore dans nos frocs, les yeux givrés d’effroi. La peur nous habite et nous consume à petit feu, la liberté est à ce point étranglée.

Dans les faits, cette terrifiante appréhension, ce silence sépulcral, peuvent-ils conjurer l’objectif des futurs malfaiteurs, des lâches kidnappeurs ou des fieffés criminels patentés de demain ? Ne nous droguons point d’illusions, c’est l’effet contraire qui en résultera. Le chenapan ne cherche que cette opportunité dans la fragilité de notre vulnérabilité pour concrétiser ses noirs desseins.C’est psychologique.

Ainsi, toutes les fautes restées impunies sont appelées à se répéter. Et leur réédition dans le temps offrira l’occasion à certains de créer une mode d’époque, une habitude valorisante dans les mœurs, une autre échelle d’appréciation. Et nous y sommes déjà. À voir les criminels s’exhiber, s’exposer, se donner en spectacle sur les réseaux sociaux, dans les médias après leurs performances, ne surprend personne. C’est la nouvelle évolution au détriment de toute éthique, de tout bon sens moral, pour tous ceux qui ont érigé leur fonds de commerce sous le signe du crime organisé.

En effet, tous ces détours nous amènent à parler de notre Jovenel national dans la cohérence de cette réflexion. Comme une lettre à la poste, la nouvelle n’ébranle personne depuis un an. Ni pleurs ni plaintes…rien. C’est le vide sidéral. Le pauvre a été écrabouillé pour rien, comme pour le plaisir de tuer. Aucune enquête, aucune poursuite ne viennent expliquer ce « crime parfait ». Les rumeurs, les noms de certains des assassins sont parvenus à nos oreilles : Motus et bouches cousues… En Haïti, on juge souvent à l’oral, c’est la première étape de l’impunité, et la vie continue comme à l’ordinaire.

Des menaces sont adressées à tous ceux qui se croient braves pour oser tenter le diable en cherchant un coupable. Tout le monde tremble ! Les « Bêchons Joyeux » sont puissants et maîtrisent la rue. On pense déjà, dans le silence mortifère,aux victimes à venir de l’année suivante.

Dans ce pays, on vous a toujours laissé deux choix : partir ou subir. Cette tragi-comédie m’a insinué cette lancinante question, cette interrogation troublante, à savoir :« Si nos ancêtres avaient, comme nous, l’avantage de trouver un visa pour un ailleurs, Haïti aurait-elle obtenu son indépendance en 1804 ? ».

En fait, devant la perte de notre liberté, face à l’exploitation effrénée de la masse laborieuse, aux humiliations, aux inégalités, aux assassinats arbitraires pour le plaisir d’un tyran ou d’un tyranneau, nous avons, la plupart d’entre-nous, opté pour la fuite sous d’autres cieux, avec la secrète pensée qu’un jour un chevalier de l’Apocalypse viendra nous délester de ces vipères à visière.

Hélas, le temps a passé, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, notre prometteuse jeunesse s’est métamorphosée en croque-mort au passage des saisons et nous voilà encore avec notre passeport en pays d’accueil, sans nul espoir. Tous ceux ou celles que nous avions laissés là-bas avaient chaussé nos bottes pour continuer à fuir au plus vite ce pays damné. Les fils et petits-fils du tigre se sont multipliés dans l’île, et la vie est devenue insupportable.

Nos images sous le pont de Rio Grande


Serons-nous toujours des fuyards pour l’éternité ? Nos images sous le pont traversant le fleuve de Rio Grande, à la frontière du Mexique et du Texas, ont fait le tour de la planète. On ne veut de nous nulle part. Les juifs errants modernes, c’est bien nous. Étant mal placé pour vous demander de vous révolter, je continue comme les autres à espérer, espérer, espérer… presque sans lendemain.

Toutefois, je vous le donne en mille et non de gaieté de cœur : entre le silence et la peur devant le crime, vous réunissez toute la trilogie existentielle pour pérenniser l’enfer quisqueyen1  

Max Dorismond
    





NOTE –

1 – Quisqueyen : nom dérivé de Quisqueya, utilisé poétiquement parfois, par des Haïtiens pour désigner leur pays. Ancien nom de l’île d’Hispañola selon l’histoire. (Wikipédia)

Sunday, July 3, 2022

Devoir de mémoire : Quand une photo d’Abel Jérôme vient chiffonner les Jérémiens

L'ex colonel Auguste Abel Jérôme

Par Herve Gilbert 

Sur le web, cette semaine, la photo d’un vieillard ratatiné, hirsute, hagard, plus proche du cercueil, est venue hanter quelques tristes souvenirs. En ressassant un passé pas tout à fait simple, on lui accole un nom : c’est l’ex-colonel Abel Jérôme, le tombeur de ces dames, le prétendu assassin des familles jérémiennes. Qui l’eût cru! On le croyait increvable, indomptable. Regarde-le hébété, perdu, où est passé sa superbe?

Cet impressionnant militaire qui fut à la fois :  musicien, chanteur, sportif, "nèg bwòdé", "nèg chèlbè". Il avait le goût des femmes, du plaisir et du faste. C’était un personnage singulier qui cherchait à impressionner par sa posture athlétique à l’instar d’un officier SS de l’Allemagne nazie et qui, en même temps, effarouchait par sa double fonction “militaro-macoute” tous ceux qui paraissaient faibles, poltrons. Autrement dit, ce militaire avait la capacité d’être voyou et gentleman à la fois. 

Le spécimen, il faut donc l’avouer, partageait une certaine affinité avec un petit groupe de gens de l'époque.  Des femmes sottes ou moyennement instruites, de différentes couches sociales, gobaient la prestance artificielle de cet officier faussement hautain qui arborait fièrement à sa hanche un colt 45 à la crosse dorée et qui circulait en ville dans une DKW, une décapotable : le pur symbole du macoute duvaliérien arriviste. 

Selon certains observateurs de son clan, ce militaire insatiable a fait réchauffer son lit par beaucoup de jolies femmes et de jeunes filles de la cité durant son passage comme commandant du district militaire de Jérémie, une ère adulée des panégyristes du duvaliérisme. Des fois, il organise des soirées dansantes en sa demeure. Une estafette est envoyée dans les familles pour inviter les jeunes filles de la ville. Malheur au père de famille qui se rétracte lorsque la Jeep se présente devant sa porte. Sinon, le lendemain ne sera pas rose. Quelques gifles bien placées et un cachot pour un mois ou deux, l’attendent à la caserne du capitaine pour avoir contrevenu aux ordres. 

De ma mémoire d'enfant et de celle de mon grand frère Carl, à cette époque, je me rappelle que durant une parade carnavalesque de 1964, les groupes musicaux Dragon et Aroyo déambulaient sur la place Dumas, dénommée autrefois "Carré-Marché". Alors que nous habitions à l'étage de l'établissement de l'Inspection scolaire dont mon père fût le titulaire, du haut de notre balcon, durant le défilé carnavalesque, nous avons vu cet individu grimper sur le char de Dragon, dégainer son arme à feu et tirer en l’air, pendant que la foule s’amusait. 

Surpris et confus, ces fêtards, y compris les musiciens se sont mis à scander à l'unisson : « Abel viré bouda w janw vle, peyi w se pou ou… ». Une réaction reflétant la zombification dont était victime une grande partie de la population en cette période sombre qui devait déboucher 6 mois plus tard sur les “vêpres jérémiennes” ou l’assassinat de familles entières. 29 citoyens furent exécutés avec la complicité présumée de ce commandant notoire. 

Une telle démonstration de fausse puissance ce jour-là par cet individu, en plein carnaval, était là pour impressionner les jolies femmes du quartier et certains « sousous ou restavek », certains profiteurs qui espéraient quelques miettes de sa table. Bien imbu de sa popularité devant ses affamés, Abel Jérôme, pour son autosatisfaction, n’hésitait pas, parfois, à les bastonner quand il le voulait selon ses caprices, comme c’était arrivé à un fameux avocat de la ville, selon la petite histoire. 

Dans cette photo historique, on peut remarquer
la Marie-Jeanne de l'époque, Sanette Balmir.     

Le colonel Abel Jérôme, avant les vêpres de 1964, était un militaire qui avait développé une certaine relation avec un secteur particulier de la ville. On le voyait de temps en temps près de la place Dumas, pavoisant sous les galeries des Allen, des Samedy, des Chevalier, des Vilaire, des Cadet ou chez Gérard Léonidas pour ne citer que ceux-là. Les gens l'abordaient, l'écoutaient, et il leur laissait l'impression d'être une personnalité dotée d’une certaine humanité. Faux, hypocrite : c’était, pourtant, une main de fer dans un gant de velours, « une merde dans un bas de soie ». Il était, en définitive, l’un des nombreux sicaires du cruel dictateur.  

Colonel Jérôme, vous avez connu l’éden hier. Vous voilà aujourd’hui tout rabougri, le visage émacié, buriné par le temps. Seul dans votre tanière, les yeux hagards et loin des fastes du passé, vous remémorez ces temps de chien enragé. Quand on a monté si haut, comme le dit le vieil adage, pour retomber bien bas en refaisant le chemin à l’envers sous les regards méprisant des fils et filles de tous ceux que vous aviez piétinés, meurtris, giflés, bastonnés, assassinés, à qui mieux mieux, c’est toute une épreuve de vie. 

Nous ne sommes pas sans savoir que nous devons tous passer par le chemin de la vieillesse. Mais, il sera moins tortueux, moins ardu, moins tourmenté pour nous. Nos regards ne seront jamais perdus comme le vôtre contemplant le néant et les feux de l’enfer, en se posant l’inénarrable question : « Est-ce que la vie méritait tous ces crimes que j’ai sur ma conscience? ». Le ciel vous fournira l’immanquable réponse!

Contributeurs: Max Dorismond, Carl Gilbert

Herve Gilbert





Mausolée du massacre des vépres de Jérémie