Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, November 14, 2014

Le film historique de l'exécution de Marcel Numa et de Louis (Milou) Drouin

Il y a juste 50 ans...
Par: Gérard Férère et Eddy Cavé
CE 12 novembre 2014 rappelle le cinquantième anniversaire de l'exécution des héros Marcel Numa et Milou Drouin dont voici un récit tiré de Armée d’Haïti après Magloire et Hitlérisme duvaliérien.

Attention : Les images de la vidéo en bas peuvent choquer
Marcel Numa (gauche) et Louis Milou Drouin  (droite ) en attente de
leur  exécution, le 12 novembre 1964.                                               
 « Après leur capture, Marcel Numa et Louis (Milou) Drouin furent conduits à Port-au-Prince, torturés, questionnés, et fusillés le 12 novembre 1964, en pleine rue, devant le cimetière. Duvalier exigea la présence des employés de l’État et des secteurs privés ; que les élèves de toutes les écoles, jardin d’enfants, primaire, secondaire, universités, soient conduits par leurs professeurs au lieu de l’exécution. Des orchestres populaires furent forcés de s’y rendre pour jouer de la musique dansante, des boissons gratuites furent distribuées, et la canaille partisane célébra la victoire de l’Hitlérisme duvaliérien sur les droits de l’homme, le respect de la vie humaine et les Commandements de Dieu. On ne détacha les cadavres des poteaux que plusieurs jours  après quand ils  étaient déjà en putréfaction ».
J'ai connu Marcel Numa enfant. Ci-après le "In Memoriam" que je lui ai consacré  dans Armée d'Haïti après Magloire et Hitlérisme duvaliérien:

 En souvenir de Marcel Numa, jeune ami que j’ai connu gamin
sur les quais de Jérémie et pour qui, depuis lors, 
 j’avais développé une affection toute particulière.
Que ton sang versé fertilise le sol d’une meilleure Haïti! 

Cinquante après la mort de Numa, les larmes me viennent encore aux yeux quand je pense à lui. Je passe la parole à mon ami Eddy Cavé, auteur de De Mémoire de Jérémien qui,  lui aussi était un des gamins sur le quai que je me faisais le plaisir d’accueillir à bord de mon bateau des Garde-Côtes:
 A l’époque du cyclone Hazel, en 1954, le port de Jérémie recevait régulièrement la visite d’une frégate des Garde-Côtes qui était commandée par deux jeunes officiers formés au Venezuela, Gérard Férère et Jean-Claude Laporte. Deux hommes d’une ouverture d’esprit extraordinaire qui nous traitaient en jeunes adultes, nous faisaient visiter leur bateau et nous parlaient de navigation sans jamais se lasser.
Marcel Numa 
 À l’époque, Marcel Numa qui avait seulement 10 ou 11 ans avait déjà succombé à l’appel du large et visitait souvent la frégate, bombardant les officiers de questions sur leur métier. Gérard avait un faible particulier pour lui et l’encouragea, sans doute sans le savoir, à opter pour ce métier.
En vacances à Miami avec Cécile Philantrope et Harry Loiseau au printemps 2004, nous passons un après midi mémorable chez les époux Nancy et  Gérard Férère. Nous parlons de tout et de rien... Gérard avait gardé de cet adolescent turbulent et au regard petillant d'intelligence qu'était Marcel Numa un souvenir mêlé d'émotion et d'admiration. (Cavé 2009:221)

  
2) Un mot d'Eddy Cavé

Chers amis, 

En écho au triste rappel ci-dessus, diffusé ce matin sur le Net par mon ami Gérard Ferère, je crois de mon devoir de souligner également le 50e anniversaire de l’exécution publique des Jérémiens  Marcel Numa et de Milou Drouin à l’entrée du cimetière de Port-au-Prince.  Cette date du 12 novembre 1964 est  entrée dans l'histoire de notre pays comme la fin tragique d'un rêve politique. Elle est aussi celle d’un viol collectif perpétré sur une jeunesse pleine de fraîcheur et d’illusions par un dictateur obsédé par l'efficacité des mesures de répression.  

 Louis Drouin avant son fusillade.
Certes Marcel et Milou étaient des prisonniers de guerre qui s'étaient lancés dans la lutte armée pour renverser un régime qui s'enfonçait  dans des pratiques sanguinaires et arbitraires dont on ne pouvait prévoir l'issue. Mais quel motif autre que le sadisme pouvait pousser le pouvoir à forcer des milliers d'adolescents à quitter leurs salles de classe pour se rendre au lieu de l'exécution? Pour les contraindre à assister au spectacle d'une exécution publique comme s'il s'agissait d'une kermesse, d'un Te Deum, d'un défilé carnavalesque? L'objectif de la dictature était manifestement de couronner par un spectacle macabre le projet machiavélique d'implantation de la présidence à vie déjà bien enclenché avec les massacres du vendredi 26 avril 1963. 

L'histoire retiendra, qu’abstraction faite de l'assassinat des membres de la famille Benoît et de l'incendie de leur domicile du Bois Verna, le gros des tueries se déroulait dans « la discrétion » des champs de tir et des cellules du Fort Dimanche ou dans l'obscurité des salles de tortures. Cette fois-ci, il fallait renforcer l'impact dissuasif et préventif des exécutions en donnant un grand coup en public. Ce sera le spectacle ahurissant de ces deux hommes dans la vingtaine solidement ficelés à un poteau et se pliant en deux sous la rafale d’un peloton d'exécution. Ce  fut le sort de Milou et de Marcel. Un divertissement forcé conçu jusque dans le détail par le dictateur lui-même. Un scénario diabolique digne des jeux du cirque de Néron. 

Trois ans plus tard, quand, en juin 1967, le président à vie voudra se payer un spectacle encore plus convaincant, il le fera au Fort dimanche en passant par les armes 19 des officiers les plus dévoués à sa personne. Satisfait des résultats de sa politique d'épuration, il jugera inutile, cette fois-ci, d’inviter les écoles au spectacle. Il se contentera d’informer l'opinion en procédant personnellement à la radio à un appel nominal des disparus. « Absent! », répondit-il de sa voix nasillarde après avoir cité le nom de chacun d’eux. Le comble du cynisme et de la mise en scène! Et quand vint le temps d'interpeller ceux qui s'étaient engouffrés dans les ambassades étrangères, il répondit avec jactance : « Ils ont pris la fuite après avoir bénéficié des faveurs de César.» Enfin, pour qui se prenait-il, ce modeste médecin de campagne devenu en moins de dix ans un redouté président à vie? Il réussit toutefois à instaurer un régime héréditaire dont, aujourd’hui encore, nous portons le poids dans toutes les sphères de la vie nationale.  

La mauvaise farce qui s'en est suivie aura quand même duré 19 ans. Dix-neuf années durant lesquelles le pays à genoux se vida des ressources intellectuelles et du savoir-faire technique dont il avait tant besoin pour se lancer dans la croisade du développement. Après le vigoureux coup de balai de 1986 au cours duquel les spectateurs de l'exécution de novembre 1964, devenus adultes, se lanceront à codeur joie dans l'application des méthodes enseignées par le dictateur défunt. Et la roue de l'histoire a continué de tourner... 

Dans un texte diffusé sur le Net en 2006, j'avais mentionné l'absence d'une vision mobilisatrice dans ce qu'on a appelé L'épopée des Treize . Je n'aurais jamais écrit ces pages avant 1986, car elles auraient fait le jeu de la dictature. Mais le moment me paraissait venu d'analyser sans complaisance les faiblesses du mouvement pour éviter qu'à l'avenir des expériences aussi coûteuses sur le plan humain et social ne soient de nouveau tentées sans la moindre chance de succès.  
Le groupe Jeune Haïti - Cliquez pour agrandir

À l’époque, j’avais aussi à l’esprit le souvenir de l’échec de la tentative de guérilla urbaine de Gérald Brisson dans laquelle Jérémie perdit un fort contingent de militants qui n’étaient pas nécessairement engagés dans la lutte armée. Si Adrien et Daniel Sansaricq sont tombés les armes à la main, Alphonse Bazile, Dominique Luc, Jean-Claude Alexandre, les Desrosiers et les modestes paysans de Gatineau étaient de paisibles citoyens fauchés pour simple délit d’opinion. 

En allumant ce matin un cierge à la mémoire de Marcel et de Milou, je n'ai renié ni l'esprit ni la lettre de mon texte de 2006. Je me suis incliné devant le courage dont ils ont fait preuve en se lançant dans ce combat inégal contre  une dictature féroce et stérile. Et j'ai salué avec humilité et admiration la dignité avec laquelle ils ont refusé la bénédiction du religieux pour entrer de pied ferme dans la légende. 

En visionnant ce matin cette séquence du film de l'exécution, diffusé sur le Net par les soins de l'organisation Haïti Lutte contre l'impunité, je n'ai pu m'empêcher de penser à la conversation échangée entre un moine espagnol et le chef taïno Hatuey condamné à mort à Cuba en 1512 pour avoir fomenté une insurrection contre les Espagnols. Au missionnaire qui lui offrait le dernier sacrement avant qu'il ne monte sur le bûcher, le guerrier taïno répondit plus ou moins ceci : « Si les Espagnols vont au ciel, moi, je préfère aller en enfer. »
  
Plutôt mourir debout que de vivre à genoux!     


Voici le film historique de l'exécution de Marcel Numa et de Louis (Milou) Drouin.
le 12 novembre 1964, contre le mur nord-ouest du cimetière de Port-au-Prince.


Monday, November 10, 2014

Des dieux et des dictatures

Par : Hugues Saint-Fort                                                 
Hugues Saint-Fort
Dans Bain de lune, le récent roman de Yanick Lahens qui vient d’être récompensé du prix Femina, l’auteure prend ses distances avec le roman urbain et bourgeois des sentiments délicats qui caractérisait son précédent texte de fiction Guillaume et Nathalie (Prix Caraïbes 2013). En effet, Bain de lune témoigne d’une connaissance poussée de la vie et du quotidien des paysans haïtiens, apporte la preuve que la romancière a effectué un nécessaire travail ethnologique de premier ordre et qu’elle est restée sensible aux conditions de vie, aux désirs, à la philosophie du paysan et de la paysanne en Haïti. Le roman raconte l’histoire se déroulant sur quatre générations de deux familles haïtiennes résidant à Anse Bleue, un village d’Haïti. Ces deux familles sont les Lafleur et les Mésidor et elles s’entredéchirent pour des histoires de terre. A partir de ce cadre général récurrent dans le déroulement des existences paysannes haïtiennes, Yanick Lahens a dressé un immense tableau débordant de poésie qui décrit  la vie dans une campagne haïtienne où les dieux se mêlent aux hommes, où le pouvoir des méchants tantôt prend le dessus, tantôt est rejeté, où les dictatures se succèdent sous une forme ou une autre.
Le cœur de l’histoire commence un jour au marché de Ti Pistache quand le puissant, riche et fier Tertulien Mésidor rencontre Olmène Dorival, la fille d’un pêcheur et d’une paysanne. A partir de ce jour-là, rien ne sera plus comme avant. « Tertulien se mit à désirer Olmène non point comme un fruit défendu – il régnait en maitre et seigneur des vies et des biens à des kilomètres à la ronde --, mais comme un voyou désire l’innocence d’une pucelle. Elle n’avait pas d’avis, si ce n’est qu’il était venu le temps pour elle d’être une femme. Et que cet événement et ce savoir lui viendraient de Tertulien Mésidor, un homme puissant. » (pg.71).      
Bain de lune n’est pas un roman de femmes. Elles sont toutes dépourvues de tout pouvoir, passent une existence où elles sont toujours soumises à leurs hommes, finiront seules ou disparaitront sans laisser de trace.
En revanche, les hommes contrôlent tout : les terres, le pouvoir, l’amour, le sexe et même les sentiments les plus profonds des femmes. Tertulien Mésidor est le symbole complet de l’omnipotence des hommes dans la campagne haïtienne. Voici comment la narratrice décrit la première fois que Tertulien Mésidor posséda de force Olmène Dorival : « Malgré son désir violent, Tertulien prit soin de ne pas déchirer la robe d’Olmène. Il en ouvrit le haut et posa une bouche éperdue de sa chance sur deux tétons dressés dur. Olmène fut couverte par cet homme essoufflé qui la pénétra sans même ôter son pantalon, dont il avait juste défait la braguette. Il la pénétra avec la force gourmande et vorace, inévitable, d’une première fois, et l’appétit d’un homme mûr à qui une toute jeune fille donnait l’illusion que la mort n’existait pas. « Que tu es douce Olmène ! Avec ta peau de mangue mûre, ta chafoune de canne à sucre », murmura-t-il, ivre d’un corps qui vira en ces parfums forts qu’il aimait tant. Oui, qu’il aimait les paysannes ! Qu’il les aimait ! »(pg. 73).  
Mais voici maintenant la réaction d’Olmène Dorival : « Plusieurs fois de suite, Olmène retint un cri dans sa poitrine, jusqu’à ce que le plaisir engloutisse la douleur dans un vaste soupir. Tertulien avait le geste expert du voyou, mais il fallait la prendre vite, très vite, avant qu’un œil indiscret ne vint se poser sur cette jouissance. Celle de Tertulien fut hâtive, trop hâtive à son goût, et rattrapa celle fraiche, voluptueuse et étonnée d’Olmène. Un léger vertige lui fit croire un moment que son bon ange l’avait menée au lit d’une rivière dans les bras de Simbi, ou juste dans la bouche du vent, la bouche de Loko. Loin, très loin. Là où l’on entrevoit la mort. La mort douce. (page 74).    
Il est bien connu que les dieux / divinités vodou tiennent une place capitale dans la réalité et l’imaginaire des paysans haïtiens. Les recherches historiques, littéraires, anthropologiques l’ont confirmé à satiété et dans Bain de lune, la thématique de ces dieux occupe le devant de la scène et s’installe dans le quotidien permanent de tous les personnages. Presque pas une page du roman n’est tournée sans la présence de Legba, d’Agwe, de Zaka, d’Erzuli Dantò, de Ti-Jean Petro, de Damballa, d’Ogou, des Invisibles, des Mystères… « A la monotonie des jours très ordinaires, Olmène Dorival n’avait échappé que par les dieux, qui quelquefois la chevauchaient de songes, d’humeurs, de couleurs et de mots. » (pg.16).
L’autre thématique centrale du roman que la romancière déroule avec un art littéraire expert est la dictature et ses effets meurtriers sur la population. La dictature entre en scène à partir de 1960 comme l’introduit la narratrice : « Nous étions en 1960 et, pas plus que nous, Olmène ne savait qu’ils évoquaient l’homme au pouvoir, un médecin de campagne  qui parlait tête baissée, d’une voix nasillarde de zombi, et portait un chapeau noir et d’épaisses lunettes. Parce qu’il avait soigné des paysans dans les campagnes et traité le pian, certains…croyaient en son humilité, en sa charité, en sa compassion infinie. Quelques-uns, …sentant que leur ancien monde de caste à peaux claires était menacé, se méfiaient de sa tête de paysan noir qui ne leur disait rien qui vaille. Mais vraiment rien qui vaille ! « Bakoulou, rusé », répétaient-ils à souhait.(pg.51). 
Mais, c’est à partir de 1963, ainsi que le raconte la narratrice, que la dictature dirigée par l’homme qui portait un chapeau noir et d’épaisses lunettes prit possession de la ville, des cœurs et des esprits : « En septembre 1963, l’homme à chapeau noir et lunettes épaisses recouvrit la ville d’un grand voile noir. Port-au-Prince aveugle, affaissée, à genoux, ne vit même pas son malheur et baissa la nuque au milieu des hurlements de chiens fous. La mort saigna aux portes et le crépitement de la mitraille fit de grands yeux dans les murs. Jamais ces événements ne firent la une des journaux. » (pg.112).
La tranche d’histoire racontée tout au long du roman se fit de plus en plus claire avec l’installation du prophète au Palais National. « Mais une fois au Palais National, le prophète s’était transformé en quelque chose qui ressemblait étrangement à l’homme au chapeau noir et lunettes épaisses. …Au fil des mois, la ressemblance devint encore plus frappante. Le masque ne cachait plus le visage de l’homme à chapeau noir et lunettes épaisses… » (pg.231).
Tout au long du roman, Yanick Lahens utilise le procédé bien connu au cinéma de la « voix off », c’est-à-dire de la présence d’une voix intérieure dont on ne voit pas le locuteur qui explique, précise, ou fait évoluer l’histoire racontée. Dans Bain de lune, ce procédé structure le récit du début à la fin. C’est lui qui ouvre l’histoire (page 9) et c’est lui aussi qui la conclut (page 263). Le récit développé entre ces pages mentionnées est contenu entre les explications de la voix off et l’évolution des tranches de vie des personnages. Ces personnages sont innombrables : il y a Olmène Dorival,  « au regard d’eau et de feu », fille d’Orvil Clémestal et d’Ermancia Dorival, et sœur de Léosthène Dorival et Fénelon Dorival. Dieudonné Dorival est le père de quatre enfants qu’il a faits à Philomène Florival : Abner Florival, Altagrâce Florival, Éliphète Florival et Cétoute Florival, la dernière du clan des Lafleur. Dans l’autre clan, il y a Anastase Mésidor, son fils Tertulien Mésidor, sa femme Marie-Elda et leurs dix enfants, sans oublier Jimmy Mésidor, le dernier du clan.  
Au-delà de la description de l’implacable et permanente condition des paysans vaincus par la  souffrance, les abus, la faim, ce roman séduit par la beauté de la langue et du style, les mots simples mais puissants, la poésie parfois douce et fascinante, parfois violente et accrochante de chaque scène, chaque narration, chaque commentaire. Je m’en voudrais de ne pas vous offrir ces quelques lignes avant de terminer. Dans ce passage, le personnage est l’un des rares paysans d’Anse Bleue qui aient réussi à émigrer vers l’Amérique. Il retourne vers sa nouvelle terre d’accueil, Miami : « Le jour était beau. Léosthène, revenu au regard neuf de l’enfance, tourna le dos un moment aux blessures de la terre, à des cicatrices profondes, et contempla Anse Bleue baignée de lumière liquide, le ciel et l’eau rayonnant à perte de vue. Chaque vague qui s’affaissait écumante sur le sable allait mourir en un luisant filet d’eau. Les oiseaux frôlaient la crête des vagues, sortaient de la mer et prenaient leur vol sur le ciel essoré. » (pg.189).
Ce deuxième passage est d’une violence rare mais il accroche le lecteur. Il se situe vers la fin du roman après la chute de la dictature de la descendance de l’homme à chapeau noir et lunettes épaisses quand les paysans vont prendre enfin leur revanche. « …La voix ajoute : « Fénelon, tu vas mourir ! »
Un groupe d’hommes surgit du marché et lui barre le passage. La foule avait grossi en colère et en nombre parce que les prix avaient grimpé depuis quelque temps, parce que la sécheresse avait été rude. Parce que des enfants étaient morts de la fièvre dengue, faute de soins. Et que cela faisait des années que Fénelon leur avait planté la peur au ventre. Une colère immense qui attendait en chacun de ces hommes, chacune de ces femmes les a submergés. Ils voulaient extirper cette colère comme on arrache une dent malade…
La première pierre est partie d’un étal sur le côté gauche et a atteint Fénelon en pleine poitrine. Un coup capable d’assommer un âne. Sous le choc, Fénelon a perdu l’équilibre. En tentant de se relever, un second coup l’a maintenu par terre. Les insultes pleuvaient de tous les côtés en même temps que les pierres. Dans la foule, il y en a même qui riaient. Un rire indécent, cruel, capable de faire reculer le soleil. Mais il était encore là, le soleil, et Fénelon ne pouvait plus tout à fait le voir à travers le sang qui collait à ses cils. » (pg.221).
Et voici un troisième passage, long, construit avec du « je », ce qui le rend peut-être plus beau. Il est rendu par la voix intérieure dont nous avons parlé plus haut : « SOUVENT, POUR OUBLIER qu’à Anse Bleue, la vie a deux ancres aux pieds, je venais sur la grève regarder les vagues se faire et se défaire, respirer par tous les pores et m’imprégner d’iode et de varech, de ces senteurs âcres de la mer qui laissent à l’âme comme une étrange morsure.
Même quand la mer devenait cette plaque luisante, étale, à perte horizon, je désertais les terres brûlées pour la regarder jusqu’à cligner des yeux, jusqu’à en être aveuglée.
Même quand le nordé grondait des jours et des nuits d’affilée, j’écoutais à en être toute retournée, sa voix qui fracasse les rochers, je goûtais encore et encore son haleine salée sur mon visage.
Et puis une année, octobre toucha à sa fin, mon enfance avec. Je le sus aussi quand une plaie, inconnue de moi jusque-là, saigna dans l’après-midi d’une veille d’ouragan. Je me suis sentie toute drôle. J’avais chaud, j’avais froid. A la vue du sang coulant le long de mes cuisses, je me suis penchée pour voir d’où fusait cette blessure. A dater de ce jour, mes rêves de mer se troublèrent du bruit lointain de talons aiguille,bien belle, bien poudrée, comme les femmes à la télévision du directeur de l’école, maitre Émile. Je sais désormais comment sont faits les garçons. Je connais aussi la chose proéminente plantée au beau milieu de leur corps. Je sais aussi que j’ai un corps à leur mesure… (pg.225).
              

Sunday, November 9, 2014

Pour Mikhaïl Gorbatchev, le monde est "au bord d'une nouvelle guerre froide"

Le dernier dirigeant de l'Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, a estimé que le monde était " au bord d'une  nouvelle Guerre froide lors  des festivités  marquant le 25ème anniversaire de la chute du mur de Berlin.     

Histoire - "Le monde est au bord d'une nouvelle guerre froide",  a affirmé l'ancien responsable de 83 ans, dans une allusion manifeste à la crise ukrainienne. "Certains disent qu'elle a déjà commencé", a t'il ajouté,selon des propos rapportés en allemand par dpa . Au cours des derniers mois, la confiance s'est rompue, selon lui.  


"Souvenons-nous qu'il ne peut y avoir de sécurité en Europe sans le partenariat germano-russe", a-t-il encore insisté au cours d'une manifestation organisée par la Fondation "Cinema for peace" à laquelle il appartient.
Dans un entretien à la Radio Télévision suisse (RTS) qui doit être diffusé dimanche, Gorbatchev a également estimé: "On essaie de nous attirer dans une nouvelle guerre froide. On voit de nouveaux murs. En Ukraine, c’est un fossé énorme qu’ils veulent creuser".

"Poutine défend mieux que quiconque les intérêts de la Russie"
"Le danger est toujours là", selon lui. "Eux, ils croient qu’ils ont gagné la guerre froide. Il n’y a pas eu de vainqueur, tout le monde a gagné", a-t-il jugé. "Mais aujourd’hui, ils veulent commencer une nouvelle course aux armements". Interrogé ensuite pour savoir si par "eux", il entendait les pays de l'Otan, il a répondu: "L'Otan est un instrument qui est utilisé".

8000 ballons illuminés sur le tracé de la frontière
Cliquez pour agrandir
Présent à Berlin tout au long d'un week-end de festivités marquant le 25e anniversaire de la chute du Mur, l'ancien leader soviétique doit s'entretenir lundi avec la chancelière Angela Merkel.
Mikhaïl Gorbatchev, largement crédité d'avoir permis la réunification allemande, avait déclaré avant son départ pour Berlin qu'il entendait défendre la position du président russe Vladimir Poutine auprès de la chancelière Angela Merkel.

"Je suis absolument convaincu que Poutine défend aujourd'hui mieux que quiconque les intérêts de la Russie. Il y a bien sûr dans sa politique de quoi attirer les critiques. Mais je ne souhaite pas le faire et je ne veux pas que quelqu'un d'autre le fasse", a-t-il indiqué avant son départ pour la capitale allemande.

Pour célébrer l'anniversaire de la chute du mur de Berlin, la capitale allemande a vu les choses en grand. Pour donner un peu plus de légèreté à cet événement lourd de sens, 8000 ballons gonflés à l'hélium sont installés sur 15 km de long, suivant l'ancienne frontière que délimitait le mur. Deux artistes allemands,Christopher et Marc Bauder, ont conçu l'installation.

8000 ballons lumineux pour fêter les 25 ans de la chute

         du Mur de Berlin. Cliquez pour agrandir                         

Ces 8000 ballons, attachés à deux mètres du sol, ont été allumés tous en même temps vendredi 7 novembre au soir, et le resteront jusqu'au soir du 9 novembre, date marquant la chute du mur. Les ballons seront alors tous décrochés, et s'envoleront dans le ciel. L'installation colossale rappelle également "les bougies, que des gens montraient en signe de protestation durant l'automne 89", explique Frank Ebert, ex-opposant au régime est-allemand, lors de la présentation du projet à Berlin.


Visible de l'espace ?
Moritz Van, un organisateur de l'événement, explique également qu'il s'agit de faire vivre la mémoire. En effet, aujourd'hui, beaucoup de jeunes Berlinois n'ont pas connu l'époque du mur. "Nous voulons montrer à tous ceux qui n’ont pas connu le mur, autrement dit près de 50% des Berlinois, soit parce qu’ils étaient trop jeunes ou qu’ils n’habitaient pas encore ici, nous voulons répondre à leur question: où était le mur ?" justifie-t-il.

L'installation, de très grande ampleur, devrait même être visible de l'espace. "Le Mur était une construction massive” explique Christopher Bauder, “monstrueuse, longue, haute, lourde et faite de matériaux durs alors nous voulons lui opposer quelque chose qui témoigne de la dimension de la ville mais qui soit fait d’un matériau léger, de l’air, de la lumière et tout cela va ensuite dériver gentiment et pourra donc aider les blessures à cicatriser."

Documentaire sur le mur de Berlin de la construction à la destruction


Chute du mur de Berlin: 25 ans après, d'autres barrières tiennent toujours debout

INTERNATIONAL - En ce jour de 1989, les Berlinois se sont rassemblés des deux côtés de la barrière en béton qui les avait divisés pendant presque 30 ans et ont commencé à la démolir petit à petit. Le mur qui s’érigeait entre Berlin-Est et Berlin-Ouest, entre le communisme et l’Occident, allait bientôt disparaître.

Mais 25 ans après la chute du mur de Berlin, d’autres barrières dans le monde sont toujours debout. Elles séparent des communautés, des pays et même des continents entiers. Pour célébrer l’anniversaire des événements historiques du 9 novembre, les contributeurs du HuffPost du monde entier évoquent les barrières apparemment insurmontables qui les entourent encore en ce jour. Dirigeants du monde, le temps est venu de démolir ces murs.

Sources : AFP, Le Huffington Post

Thursday, November 6, 2014

Le prix Femina 2014 attribué à l’Haïtienne Yanick Lahens

Par: Herve Gilbert haiticonnexion@gmail.com

Yanick Lahens
Comme des roses d’or, des prix littéraires pleuvent sur Haïti en ce début du XXIème  siècle et nos compatriotes n’en demandent pas mieux. Outre mer, leur talent ne passe pas inaperçu. Cette semaine, ce fut le tour de notre prolifique écrivaine, Yanick Lahens qui a reçu ce lundi  3 Novembre, le  prix littéraire *Femina pour son dernier recueil  «Bain de lune». Roman d'une violente beauté d’Haïti qui invite le lecteur à mille réflexions. Toute l'oeuvre est traversée par la destruction, l'opportunisme politique, les familles déchirées mais aussi les mots magiques des paysans qui se fient aux puissances souterraines. On y découvre aussi dans son style cette musique secrète et absolue, ce quelque chose qui atteint au silence comme une vibration naturelle à soi, cette sensation qui nous lie à la terre natale quelque soit la distance qui nous sépare.


Qui est Yanick Lahens. Pour ceux qui ne lui sont pas familiers, elle n’est pas une inconnue. Elle est l'auteure de nombreux articles, en particulier sur Faulkner et Marie Chauvet, et d'un livre d'essais critiques, L'exil entre l'ancrage et la fuite: l'écrivain haïtien. Elle est aussi l'auteure de trois magnifiques romans :  La couleur de l'aube (2008), Failles (2010), Guillaume et Nathalie (2013), tous parus chez Sabine Wespieser. Elle est membre fondatrice de l'Association des écrivains haïtiens, et contribue régulièrement aux revues culturelles haïtiennes et antillaises telles que Chemins critiquesCultura et Boutures

Yanick Lahens a reçu en 2011 le prix d’Excellence de l’Association d’études haïtiennes pour l’ensemble de son œuvre. Membre du Conseil international d'études francophones, elle a fait partie du cabinet du ministre de la Culture, Raoul Peck (1996-1997). Elle a reçu cette année le titre d’officier des Arts et des Lettres.

Yanick Lahens vit à Port-au-Prince où elle prend une part active dans l'animation culturelle et l'activité citoyenne. Elle est membre du conseil d'administration du Conseil International d'Études Francophones (CIEF). Elle partage aujourd'hui son temps entre l'écriture, l'enseignement et ses activités de conférencière en Haïti et à l'étranger. Haïti Connexion Culture s’associe à cette grande  joie  et prend plaisir à publier les retombées de cette récompense. HG 
Yanick Lahens est la lauréate du Prix
 Femina  avec son livre«Bain de lune»
Paris(AFP) - Vaudou et vent d'ailleurs ont soufflé lundi sur le prix Femina qui a sacré l'Haïtienne Yanick Lahens pour "Bain de lune", ample roman d'une violente beauté sur son pays, traversé par les cataclysmes, les magouilles politiques et les puissances invisibles.Pour le Femina étranger, le jury a choisi une autre femme, l'Israélienne Zeruya Shalev pour " Ce qui reste de nos" Gallimard, traduit de l'hébreu), envoûtante varaition, sur les mystérieux liens tissés entre parents et enfants, au soir de la vie d'une mère.

"C'est une merveilleuse surprise et une reconnaissance pour la littérature francophone en Haïti", a dit à l'AFP, radieuse. J'habite très très loin du monde parisien de l'édition. Ce roman et ce prix, témoignent de la force de la culture haïtienne francophone. Elle est aussi très engagée dans le développement social et culturel de son pays. Je suis très sensible au fait que  le jury a compris que  cette histoire, si elle se passe en Haïti est universelle" .

Yanick Lahens pose après avoir reçu le prix
Femina pour son livre"Bain de lune"         
Pour Christine Jordis, porte-parole de ce jury exclusivement féminin, "Bain de lune" (Sabine Wespieser) est un "beau roman qui a le sens du mystère et de l'invisible et qui nous sort de notre horizon habituel. L'auteure évoque les ancêtres disparus, à l'influence très forte sur les vivants".
En 2013, déjà, les dames du Femina avaient récompensé une romancière venue d'ailleurs, la Camerounaise d'expression française Leonora Miano, pour "La saison de l'ombre" (Grasset). "Mais c'est un hasard", assure Paula Jacques, également jurée.
L'historien de la Rome antique Paul Veyne (84 ans) a remporté quant à lui le Femina de l'Essai pour l'attachant livre de souvenirs, "Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas" (Albin Michel).
- Amour et mort -
Après des études en France, Yanick Lahens est retournée en Haïti enseigner la littérature à l’université jusqu’en 1995. Elle a aussi été journaliste. Elle a cofondé l'Association des écrivains haïtiens, qui lutte contre l'illettrisme, et créé en 2008 "Action pour le changement", qui forme notamment les jeunes au développement durable et a permis de construire quatre bibliothèques en Haïti.

Brossant sans complaisance le tableau de la réalité haïtienne dans ses livres, Yanick Lahens a publié en 2000 son premier roman, "Dans la maison du père" (Serpent à plumes). Chez Sabine Wespieser, sont parus en 2008 "La Couleur de l’aube", prix du livre RFO et prix Richelieu de la Francophonie, "Failles", récit inspiré du séisme qui a frappé Haïti en 2010, puis "Guillaume et Nathalie", prix Caraïbes 2013.

Tout sourire, son éditrice Sabine Wespeiser, à la tête de la maison éponyme fondée... le 11 septembre 2001, s'est réjouie de "ce formidable encouragement pour l'édition indépendante. C'est aussi un excellent signe pour les libraires indépendants qui ont beaucoup soutenu ce roman".
"J'ai aussitôt fait réimprimer 30.000 exemplaires de +Bain de lune+, tiré initialement à 10.000", précise-t-elle à l'AFP.
Dans le roman, un pêcheur découvre une jeune fille échouée sur la grève. La voix de la naufragée, qui en appelle aux dieux du vaudou et à ses ancêtres, scande cet ample roman familial qui convoque trois générations pour tenter d’élucider le double mystère de son agression et de son identité.

Entretien avec Yanick Lahens pour "La Couleur de l’aube

Participants/comédiens  : Entretien réalisé par Nadine Chausse

Près de là, à Anse Bleue, les Mésidor, seigneurs du village, et les Lafleur, se détestent depuis des lustres. Quand Tertulien Mésidor rencontre Olmène (une Lafleur), le coup de foudre est réciproque. Leur histoire va s’écrire à rebours des idées reçues sur les femmes soumises et les hommes prédateurs. Mais, dans cette île balayée aussi par les ouragans politiques, la terreur et la mort s'abattent sur Anse Bleue...

« Je suis très contente. La reconnaissance fait du bien et je suis surtout sensible au fait que le jury a compris que cette histoire, si elle se passe en Haïti, est universelle », a déclaré la lauréate après l’annonce du jury.
Ce sont quatre générations de deux familles et la vie des paysans qui défilent sur 280 pages devant nos yeux. Yanick Lahens a longtemps labouré la terre haïtienne pour faire naître Bain de lune. En Haïti, « vivre et souffrir sont une même chose » nous fait comprendre la narratrice du roman, une inconnue échouée sur une plage. Ici on lutte aussi bien contre la politique des dictateurs que contre les colères de la nature qui s’expriment par des tremblements de terre, des ouragans ou des sécheresses : « Dans toute cette histoire, il faudra tenir compte du vent, du sel, de l’eau, et pas seulement des hommes et des femmes. »

Bain de lune, c’est aussi un combat contre le poids de la généalogie et l’histoire de deux camps, les Lafleur et les très redoutés Mésidor, devenus les seigneurs de l’île : « Remonter toute la chaîne de mon existence pour comprendre une fois pour toutes… Remettre au monde un à un mes aïeuls et aïeules. Jusqu’à l’aïeul franginen, jusqu’à Bonal Lafleur, jusqu’à Tertulien Mésidor et Anastase, son père. »
Un style direct et tranchant
Née le 22 décembre 1953 à Port-au-Prince, Yanick Lahens dépeint ainsi les forces extérieures et intérieures qui sont à l’œuvre dans son pays natal. La beauté des paysages et des gestes, les bains de lune et le chant vaudou, la cruauté d’une existence très dure et d’une politique bien souvent cynique, tout passe par le style direct et tranchant, à la fois empathique et distancé de l’auteure.
Yanick Lahens a fait ses études secondaires et supérieures en France avant de s’installer à nouveau en Haïti pour enseigner la littérature et s’engager contre l’illettrisme. Une action qui l’avait mené aussi dans le cabinet du ministre de la Culture, Raoul Peck, de 1996 à 1997. Cofondatrice de l’Association des écrivains haïtiens, elle est membre du Conseil international d’études francophones et s’affirme aujourd’hui comme une parmi les grandes figures de la littérature haïtienne.

 *Femina  a été créé en 1905 par le magazine La Vie heureuse, soutenu par un autre titre phare de la presse féminine de l'époque, Femina, afin de distinguer des femmes et de faire contrepoids à ces messieurs du Goncourt. Avec le temps, les dames du Femina n'ont plus boudé les lauréats masculins..