Par Max Dorismond
Max Dorismond |
A méditer cet oracle, on se sent
interpellé en contemplant le tableau
national aujourd’hui : un morceau de
l’enfer surpeuplé voguant à la dérive dans la mer des Antilles. La seule île de
la zone, invisible la nuit, à vol d’oiseau, faute d’électricité. Une terre
fossilisée, retournée à l’âge de pierre. Un sous-développement chronique sans
équivalence dans le coin. Un peuple affamé qui
ne produit presque rien et commande même son riz, son sucre et son café à
l’extérieur… La liste est non-exhaustive.
La corruption, comme la prostitution, est un
des travers de toute société en général, pauvre ou riche. Elle s’avère être une
des tares du genre humain, c’est une évidence. Elle conduit des États fragiles
tout droit à la déliquescence. Mais en Haïti, c’est à nul
autre pareil. Elle est érigée en système, du privé au public. De tout temps,
depuis la naissance du nouvel État, ce schème de malversation a toujours
habillé le décor. D’ailleurs, c’est ce qui a coûté la vie à J.J. Desssalines,
pour avoir osé réclamer des kidnappeurs de la nation quelques lopins de terre
pour les frères nègres dont les pères sont restés en Afrique.
Une
affaire de famille
Dans les lettres d’un
ingénieur polonais, Josef A. Grekowicz,
envoyé par une compagnie française en
Haïti en 1881 pour effectuer une étude sur une éventuelle installation de
chemins de fer, on note ce sempiternel constat : « Ils (les haïtiens) sont insouciants au plus haut degré... Ainsi, par exemple, aujourd’hui
il est haut fonctionnaire bien rétribué, il a l’occasion de s’approprier
quelque fond public ou privé (c‘est ce qu’ils ne manquent jamais de faire)...
Ils sont, sauf quelques exceptions, menteurs, voleurs et mendiants... Sur le
rapport politique, ils se divisent en deux partis : les gouvernements et
les aspirants à gouverner, ce qui signifie tout simplement : avoir la
douane à sa disposition… Tous les généraux rêvent de devenir président et le
reste veut devenir général ou employé de la douane.
Et il paraît que c’est le véritable
motif de toutes les révolutions qu’ils font… Je n’ai pas la prétention de
connaître le pays, mais en jugeant par les choses qui me sont connues, je suis
arrivé à la conviction qu’il est
condamné à périr ». Triste annotation! En 1881 ou en 2016, rien n'a changé sous le ciel
d'Haïti.
Cette mentalité de
prédateurs puise sans doute son origine dans la culture du marronnage,
corollaire de l’esclavage. En fait, l’esclave marron ou en fuite ne comptait
que sur lui-même et sur son clan pour subsister. Il vivait de rapines et
d’expédients, d’où sa propension à s’accaparer de tout, car son lendemain est
hypothétique. Malgré tout, dans le marronnage sévissait un paradoxe : ce
fut la solidarité, le partage et le sens du caractère. Ce qui est loin d’être
l’apanage des pilleurs d’aujourd’hui. En dépit de tout, faut prendre en compte
que l’esclave-soldat a fondé un pays neuf dans lequel il ne possédait rien. La
paix venue, les meilleures propriétés ont été accaparées ou plutôt kidnappées
par les généraux et les anciens libres, parfois avec de faux documents… etc. Les fruits n’ont pas tenu la promesse des
fleurs. Donc, l'Haïtien a été à bonne
école depuis le début. Il n’a pas su se délester de l’instinct du nègre marron.
Il en est tributaire. Cette tendance s’est perpétuée dans le temps et le vice
s’est fait chair. Est-ce vraiment la raison à l’origine de cet état de
fait? Face à la démence, l’esprit se berce d’illusion. On ne sait à quelle
logique se référer pour en déterminer la relation de cause à effet.
Quand, dans la vidéo,
« Femmes de dictateurs - les grandes dépensières femmes
», l’avocat Jacques Salès expose, entre
mille exemples, le chèque de 21 millions $ transféré à Michèle Bennett,
quand, selon Radio Zénith et d’autres médias de chez-nous, les dribbles de Martelly et
compagnie sur les terrains de foot rénovés leur permettent de sacrifier
l’essentiel à l’insignifiant pour mieux empocher des dizaines de millions US,
on est en droit de s’interroger sur la viabilité de ce pays. Et pourtant, ce
même Martelly, en mai
2011, lors d’un dîner officiel avec Mme Clinton, alors secrétaire d’État des
USA, avait juré que : « Sous
mon gouvernement la corruption ne sera pas de mise… Je vous garantis les
résultats ». (Lire mon texte de l’époque : « Corruption - Martelly a-t-il les moyens de
ses ambitions »). Personne
n’ose interroger les contrevenants. A l’inverse, ces nombreux coups fumants et
électrisants s’inscrivent au palmarès des braconniers comme une preuve de leur
haute « intelligence ». Ils se congratulent et se félicitent de leurs
superbes passes. Ils remuent ciel et terre, torpillent les élections, achètent
le CEP au comptant
pour que le nouvel élu soit l’un des leurs, question de garantir leur immunité.
Les futurs présidents ou les futurs fonctionnaires se voient déjà dans le coup. Ils se
frottent les mains. La recette du pasé pran-m, ma pasé pran- w a droit de
cité. C’est un défi à relever. La concurrence oblige, ils sont condamnés à
prouver plus tard qu’ils sont les meilleurs champions en empochant beaucoup
plus que leurs devanciers. Cette mentalité de pharaons
nous porte à penser que ces gens évoluent avec l’éternelle idée ou la secrète
pensée qu’ils auront, le moment crucial venu, deux cercueils, l’un pour leur
dépouille et l’autre pour leurs millions. Comme tel, ils érigeront une pyramide
à la bêtise pour enfouir la fausse monnaie de leurs rêves. D’ailleurs,
plusieurs de ces détrousseurs s’imaginent revenir un jour au pouvoir, car,
ils se voient déjà réincarnés.
Correction
chez les autres
Pour répéter Robert
Klitgaard, « la corruption commence
dans une société, quand ce sont les gens sans vergogne qui triomphent, lorsqu’on admire les méchants, lorsque les
principes disparaissent et que seul règne l’opportunisme, lorsque les insolents
gouvernent et que le peuple accepte cela,
quand tout se corrompt mais que la majorité se tait parce qu’elle attend
sa part de gâteau ». Avec les médias sociaux le statu quo change de
camp. De plus en plus de voix se réveillent. Plus près de nous, en Amérique latine, au
Pérou, l’ex-président Fujimori est en prison pour corruption. Au Brésil, idem, l'ex président Lula
risque d’être enfermé, la présidente actuelle Dilma Rousseff s’énerve. Elle est
sur une pente descendante… Au Canada, en 2016,
des ministres, des maires et d’autres ex-officiels piaffent d’inquiétude dans
l’antichambre du cachot…etc. En Haïti, c’est le
calme plat. On se la coule douce. Tout le monde roupille. Vive l’indifférence,
c’est l’insouciance personnifiée. Très compréhensible, les nouveaux cleptomanes
n’ont aucun intérêt à brasser la cage.
Qui adore se tirer dans les
pattes ? Ils sont condamnés à protéger leur futur. Nul ne peut compter sur
eux pour enrayer ce fléau des mentalités. (Lire la suite ici...)
20 Avril 2016
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