Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, October 21, 2022

LA DERNIÈRE NOTE NOIRE DE MIKABEN


Par Herve Gilbert

Et pourtant, tout avait si bien commencé en cette  soirée d'automne du 15 octobre à l'Accor Arena. Il y avait de la passion dans l’air. Les fanatiques, les amants du "Konpa", avides de nouveaux sons, piaffaient à coeur joie. Carimi était à la hauteur et électrisait l’atmosphère. 

Comme tant d'autres, je suivais  devant mon téléviseur la réunification de "Carimi Band'' pour un concert à Bercy, Paris, après que le trio du groupe musical ( Carlo Vieux, Richard Cavé et Mickaël Guirand) fût scindée en deux  -  VAYB et KAI -  depuis plus de 6 ans. 

Mikaben ! Va en Paix ! 
Suite à ses retrouvailles, Michaël Benjamin et deux autres artistes féminins (Princess Lover et Tina)  étaient invités  à se produire également  au cours de ce festival qui avait réuni environ 20.000 spectateurs. Carlo Vieux  débutait la première partie en chantant deux chansons en solo, suivi de Mickaël Guirand qui a chanté en duo avec Princess Lover. Au lever du rideau,  le groupe Carimi a émerveillé le public avec un répertoire bien diversifié. Au tour de l'idole, mieux connu sous le pseudonyme de Mikaben, ce fut l’apothéose. Les spectateurs  explosaient de joie à son apparition. Chanteur, guitariste, compositeur, arrangeur,  producteur, il  est un artiste hors pair qui se passe de présentation. Sur  scène, sa touche d'humour bien dosée a été vivement applaudie par le public. Sa prestation musicale se mêlait aux éloges et à l'enthousiasme de l’assistance qui l'accompagnait dans les refrains de ses chansons. L'artiste était convaincant lors de sa présentation. Par le phrasé de ses tubes, il venait chercher les spectateurs en chevauchant avec eux au rythme de ses ondulations frénétiques. Mais, le bonheur n’était pas là pour durer. Il les a subitement laissés sous le choc lorsqu'il s'est effondré, alors qu'il se dirigeait vers sa loge. Hélas! Est-ce une chute accidentelle sous l’effet de la fatigue ? En émoi, tout le monde attendait  et appréhendait l’inéluctable.  

Les dernières prestations de Mikaben à Paris

La musique s'est arrêtée peu après sa chute au sol. Des médecins urgentistes ont été réclamés sur la scène pour le réanimer. Après plus d'une demie heure de massage cardiaque, le chanteur n'a pas survécu. L'évanouissement  prolongé de Mika allait mettre fin à la prestation du groupe Carimi qui avait eu un très beau début.  Michaël Guirand, le band leader, sur un ton émotionnel, annonçait  la fin du spectacle tout en demandant des prières pour son frère musicien. Peine perdue, le ciel en a décidé autrement. La nouvelle du décès de notre Mika s'est répandue  comme une traînée de poudre  au cours de la soirée du 15 octobre écoulé. 

La famille de Mikaben posant derrière une fresque de Mikaben
Partout, c'est la consternation dans tous les médias haïtiens. Guy Wewe, l'un des commentateurs en ligne, relayant le spectacle depuis Paris, le confirme: « Mika vient de nous laisser ». Wow ! Personne ne s'attendait à cette  triste note…  

Nul n'espérait vivre cette dure épreuve en plein spectacle. « La mort   est un tyran qui n'épargne personne » , dixit Pierre Corneille.  Nous sommes tous de passage sur terre. Mais la mort est toujours surprenante, en particulier quand elle touche quelqu’un d’aussi jeune. Quand ces tragédies surgissent, elles nous ramènent à la réalité. Brusquement, nous prenons conscience de l'insoutenable  fragilité de l’être. 

Depuis, les Haïtiens de partout pleurent la disparition de l'icône. Plus d'un millier de fans  se sont défilés à Paris à l'endroit où il rendait l'âme pour y déposer une gerbe de fleurs. Les réactions s'enchaînent et se multiplient aussi bien au sein de la communauté haïtienne  qu'au sein de l’internationale. 

Le Premier ministre haitien Ariel Henry a fait part de ses émotions sur Twitter: "Je suis bouleversé par la nouvelle de la mort subite du jeune et très talentueux artiste Michael Benjamin « Mikaben ». C'est une grande référence de la musique haïtienne qui vient de s'éteindre". 

"C'était un génie musical que nous venions de perdre", a déclaré Alex Abellard, le maestro du groupe  Zin,  l'un des pionniers  de la Nouvelle Génération Konpa des années 1980, à Haitian Times. 

"Son écriture était originale", a ajouté Abellard. "Imaginez que vous n'ayez plus ça dans un pays qui en manque tellement maintenant. C'est une grande perte pour notre culture au niveau mondial."

Face à la cruauté du destin, nous devons nous incliner devant le Divin tout en lui demandant d’offrir à notre Mika national, une place à sa droite.

Une brève biographie de Mikaben

Courtoisie de Wilky Toussaint

En fait, c'est une grande perte pour l'industrie de la musique haïtienne. Mika, ta subite disparition résonne comme un choc  et une immense tristesse pour tous les Haïtiens ainsi que pour tes fans du monde entier. Merci pour toutes les belles variétés de mélodies que tu as composées et  chantées dans ton patrimoine musical, pour tous les artistes que tu as inspirés et encadrés, pour ta musique sur Haïti que tu as chantée dans toute sa splendeur. Merci,  pour avoir porté bien haut notre drapeau même jusqu'à la dernière minute de ton départ sur terre .Puisse ton âme se reposer en paix!  

Tous les membres du staff de Haïti Connexion Network s'inclinent  devant la dépouille de ce grand disparu et présentent  leurs condoléances à  sa femme: Mme Vanessa F. Benjamin, ses enfants Gabriel et Leïa Benjamin, son père et sa mère: Mr er Mme Lionel Benjamin, son frère Lionel Benjamin et famille, sa soeur Mélodie Benjamin et famille ainsi qu'aux autres parents et alliés.

Herve Gilbert





La famille de Mikaben parle au peuple haïtien


Hommage de la talentueuse pianiste Rose Valcin à Mikaben 



Friday, October 14, 2022

La liste des « Ministres Facebook » ou Facedebouc



Par Max Dorismond 

Sans statistiques en main, puis-je avancer sans crainte d’être contesté que l’individualisme exacerbé se révèle le fléau qui a le plus contribué à la descente aux enfers de mon pays d’origine? Voyons voir! 

Plusieurs exemples me viennent à l’esprit, mais concentrons-nous simplement sur deux d’entre eux. Dans l’actualité haïtienne, un gouvernement transitoire a l’obligation d’expédier les affaires courantes de la Nation, en situation de vacance de la présidence. Le cabinet devrait être remanié à la cloche de bois pour se donner un certain vernis. 

C’est le moment propice qu’attendaient les rêveurs impénitents. Personne ne veut rester sur le carreau. De temps à autre, quelques listes de ministrables apparaissent sur nos mini-écrans, comme par magie, d’où leur appellation de «Ministres Facebook» ou «ministres face de bouc» avec, en sous-titre, des fanfaronnades telles que : «Dernière heure — le Palais national a fait son choix». 

Quand on se rapproche de plus près, sa lecture nous fait grincer les dents. On y trouve de tout : quelques échantillons de l’intelligentsia, des gens de bonne facture pour la crédibilité, mais aussi des analphabètes, des vendeurs de drogue, des voleurs, des «Koupèd poch», d’anciens bagnards, des cagoulards, que sais-je? 

Et pourtant, ces listes jouent leur rôle sans crier gare. Ce sont des messages sibyllins envoyés au premier dirigeant de la nation, habituellement nommé par un simple Twitt, en guise de rappel, juste pour éviter les affres de l’oubli, car la lutte est âpre. C’est une autre façon d’impulser sa propre promotion sociale, une technique de valorisation personnelle aux yeux des possédants, aux fins de leur soutirer quelques sous pour tromper la faim.

Certains des prénommés vont promouvoir leur propre publicité en démentant, à demi-mots à leur entourage, la douteuse nomination avec une certaine légèreté, tout en attribuant aux aléas du hasard l’objet de la comédie.

Ô surprise, j’ai appris que la liste a un coût. Elle n’a pas été imprimée «like this - like that». Mais non. Elle est monnayable en fonction du ministère recherché. Plus la boîte est calibrée, plus chère est la mise. En fin de compte, il faut payer pour mériter le titre, même en rêve. 

Face à ces ambitions débridées, ces listes ne passent pas inaperçues pour certains intéressés, telles les agences internationales (du genre de la CIA), en quête de marionnettes à placer au timon des affaires. Elles servent de viviers où sont péchés les guignols à garder en réserve pour les coups fumants au détriment de la république. 

L’une de ces listes m’avait vraiment surpris dernièrement pour deux raisons. Un nom choisi comme titulaire de l’Éducation était celui d’un ex-maire unilingue (créolophone). Ce personnage possède une fausse licence en droit, obtenue d’un imprimeur des Cayes, pour la modique somme de 200,00 $ en 1995. D’ailleurs, pour le charmer, on lui décerne son titre de «Maître» à toutes les occasions. J’ignore si c’est «Me. Zabèlbok bèr a chatt». Interrogez-moi encore! 

Pour plusieurs naïfs, à court de réflexion, il est un vrai maître. Toutefois, si son nom figure sur la liste des « ministres face de bouc », point n’est besoin de chercher midi à quatorze heures, l’éditeur aurait été largement monnayé pour avoir accordé l’Éducation à ce barbouze. 

Un phénomène socio-économique – En mentionnant cet «avocat marron» qui rêve de la grande vie, cela me ramène à un article que j’avais écrit sur ces entités maléfiques pour l’île. D’où vient cette tendance aux faux diplômes qui indisposent et entravent la nation dans sa marche vers sa destinée? 

Dans un pays où la justice est quasiment inexistante, on demeure avec l’impression qu’il y a plus d’avocats que le reste de la population. En fait, comme aucune institution n’est viable sur cette île, tout le monde en profite. Les moyens de contrôle sont caducs. Allez, emmenez-en des titres! 

En conséquence, avec ces cohortes de diplômés en goguette, la profession n’est plus rentable, la majorité des disciples de Thémis se trouvent quelque part en politique. Et une porte en ouvre une autre. Presque tous les militants du Champ-de-Mars s’attellent à la tâche pour se procurer un titre de «Maître» à leur tour, au cas où! 

Maître samba, Maître azizwèl, Maître Kornichon, Maître Kare  chacun est le maître de quelqu’un, quelque part. Ils ignorent royalement l’existence du Barreau et son rôle de chien de garde. Ce dernier se lave les mains. Personne n’ose protester sous peine de kidnapping. 

Les imprimeries ronronnent. De faux diplômes d’avocat s’alignent en rang serré. Tout le monde sera un maître. C’est l’île de la «Maîtrologie», le royaume des «Maîtrologues» unilingues qui trouvent dans la politique un exutoire pour tromper le chômage. 

Peut-on leur en tenir rigueur? Il revient aux lecteurs de partager le vrai du faux! Car, on ne voit pas d’issue. Comment sortir de ce cercle vicieux qui nous entraîne toujours plus profondément dans ce labyrinthe sans destination. C’est toute une interrogation! 

Max Dorismond



            

Monday, October 10, 2022

Editorial - La stratégie du Core Group suit sa partition musicale en Haïti

Les pays membres du Core  Group 

Personne n’est dupe. Même le plus idiot parmi les idiots comprend le jeu de ces néo-colonialistes. Telle à travers une barrière trouée, les armes de tout calibre laissent les USA pour rentrer en Haïti en toute liberté, dans toutes les conditions possibles et imaginaires.

Dans un pays où les terroristes arabes ne peuvent bouger sans être inquiétés, car tout est strictement contrôlé électroniquement aux doigts et à l’oeil, on remarque que le commerce des armes se fait au p’tit bonheur sur les quais de Miami. C’est la liberté délibérée. Tout peut s’embarquer en chantant vers Haïti. En veux-tu, en voilà! En crise perpétuelle. C’est une île bordélique.

 Au pied du mur, avec un connard de Premier ministre à sa tête qui n’a de premier que la lettre « P », pour un être vidé de sa substance, sans envergure, sans compétence, Haïti a perdu le nord et entraîne le peuple sur son chemin de Damas. Se sentant la potence déjà installée, appréhendant sa fin prochaine, en panique, Ariel se retourne vers son maître et lui réclame assistance. Qui l’aurait cru? 

Washington s’y attendait depuis des mois. Il avait créé le chaos dans ce but. Fier de sa stratégie, il va rentrer en habituel maître, pour continuer son oeuvre de sape. Il ne manquait que ses sangsues pour tirer la dernière substance de ce peuple à genoux. Le choléra est déjà de retour.

HCC         

Profitant de la crise du carburant en Haïti, les États-Unis envisagent une intervention internationale.

Source :  Miami Herald - Traduction  HCC

L'administration Biden étudie les appels à la création d'un corridor humanitaire en Haïti pour briser le blocus du carburant par des bandes armées et protéger l'acheminement de l'aide alors que le pays est confronté à l'une de ses pires crises sanitaires, énergétiques et sécuritaires depuis une génération.

Dr Ariel Henry 
Premier Ministre de facto
Des responsables de la Maison Blanche et du Département d'État ont reconnu vendredi qu'une multitude de conversations avaient eu lieu au cours de la semaine écoulée sur la détérioration de la situation en Haïti. La confirmation d'une épidémie mortelle de choléra dans un contexte de troubles civils généralisés et le blocage pendant des mois par des gangs puissants des ports du pays et du principal terminal pétrolier, Varreux, ont suscité des appels à une action internationale.

Jeudi, le Bureau intégré des Nations unies à Port-au-Prince a lancé un appel à la création d'un "couloir humanitaire" et, vendredi, le Premier ministre par intérim, Ariel Henry, a publié officiellement dans le journal officiel du gouvernement, Le Moniteur, que son gouvernement avait pris une décision l'autorisant à demander et à obtenir l'aide des partenaires internationaux du pays pour "le déploiement immédiat d'une force armée spécialisée".


Friday, October 7, 2022

Haïti périclite – ses enfants brillent de tous leurs feux sur la terre étrangère

Tarah Ernest, une autre haïtienne au palmares des étoiles

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Par Herve Gilbert 

American Airlines, l'une des  lignes aériennes qui avaient emmené en exil une majorité de nos compatriotes  avec des blancs aux commandes de l'avion, a fait appel aujourd’hui à l'un de nos enfants comme commandant de bord du vol  Miami – Port-au-Prince ,Haïti. Quelle ironie de l’histoire! 

La voici: elle se nomme Tarah Ernest, pilote d’un Boeing 737 de la American Airlines qui a atterri sur le tarmac de l’aéroport Toussaint Louverture hier jeudi 6 octobre 2022. Ravis,  les Haïtiens de partout  n’en croyaient  pas leurs yeux.  

Tarah a réalisé un rêve qu'elle caressait depuis 14 ans 
Photo (Tarah-Instagram)

Coiffée de sa casquette de pilote, fière et altière, Tarah s’enveloppant du bicolore bleu et rouge, descend la passerelle et  foule avec assurance le sol natal qu’elle avait laissé en 1998. 

Qui est-elle? , elle plane sur un curriculum riche qui lui a ouvert les portes du ciel. Elle a étudié à « Embry-Riddle Aeronautical University » de 2008 à 2014 où elle a décroché un « bachelor’s degree in Aerotical Science ». De  août 2015 à novembre  2018, on lui confie la commande d’un aéronef de Bakersfield  Jet Center by Loyd's  Aviation comme pilote instructeur.  De juin  2018 à novembre 2021, elle est devenue premier officier à Republic Airways, Miami/Fort-Lauderdale Area.  Peu après, elle fut promue Capitaine de novembre 2021   jusqu’en février 2022 pour décrocher le titre de « First Officer » ou « Co-Pilote   » au sein de American Airlines, l’une des plus grandes lignes aériennes américaines. 

Qui dit mieux!!! Quand un pays bien organisé comme les USA vous confie la vie de ses passagers, c’est que vous avez prouvé de mille et une façons que vous êtes à la hauteur. La preuve est là: elle est aux commandes de ce 737. 

Frères  et soeurs, sans vergogne et sans tambour, nous détruisons notre pays  à petit feu. Ce qui n'est pas sans nous rappeler les propos du grand Leslie Manigat qui  eut à dire  que : « les campagnes haïtiennes regorgent de ces petits génies qui croupissent à l’ombre de nos cocotiers. Donnez-leur une école, du papier et un crayon, ils soulèveront la terre avec plaisir. Mais hélas, nous avons commis un crime d’abandon en leur privant du pain de l’instruction ». C’est en ce sens que nous répétons avec Dr Carl Gilbert, écrivain prolifique, que “ quand des membres d'une société humaine vivent comme dans la jungle, ils finissent par s’entre-déchirer” et mourir  sans rien accomplir… 

L'annonce de Tarah aux passagers avant son décollage

En 1804, Haïti a appris à ses enfants à viser la lune pour atteindre les étoiles. Ce peuple si fier ne se laissera point dominer par la misère, par les prédateurs et les corrompus. Au lieu des kalachnikov, au lieu des « zam fan fwa » donnez-leur la chance de se scolariser, de se parfaire et vous verrez des miracles. 

Bienvenue Tarah et bonne chance dans ta carrière: Haïti est fière de dérouler le tapis rouge en ton honneur . 

Hervé Gilbert





Interview exclusive avec le pilote féminin haïtien Tarah Ernest



Accueil des employés de American Airlines en Haïti




Thursday, October 6, 2022

La double souffrance de la diaspora haïtienne

On le devient surtout par nécessité, par abdication et non par choix

Par Max Dorismond 

Partir, s’exiler, émigrer, sont des vocables non synonymes du mot «adieu».  L’idée ou l’intention d’un retour à la case départ, au contraire, y est toujours associée sans commune mesure pour avoir coché inconsciemment cette absence dans sa dimension intemporelle hors de toute notion conceptuelle. 

Partant de cet axiome et s’accrochant à cette bouée imaginaire, la terre de la diaspora l’interpelle au plus haut point. Physiquement, elle vit de l’autre côté du soleil levant, mais spirituellement son âme est au couchant. Cette ambivalence la transporte vers son ailleurs quand chaque interaction l’entraîne, telle une girouette, du présent au passé et vice-versa. 

Ainsi, tout dans le pays d’accueil la retient en porte-à-faux et la comparaison ne se fait point prier, au constat de la bonne organisation, la discipline et l’ordre régnants, d’où les premières crispations, les premières interrogations et les points d’exclamation inaudibles refoulés. En un mot, les premières douleurs. 

Au cours des siècles passés, les informations sur le globe étaient relayées par bateau, par voie postale avec un laps de temps non négligeable, mais aujourd’hui, via les fenêtres béantes des réseaux sociaux, l’image et les commentaires sur la réalité quotidienne parviennent au destinataire à la seconde près. Face à ces déversements d’objets virtuels, la sensibilité de l’exilé est exacerbée à son plus haut degré. Intérieurement, la déception le ronge à petit feu. Il se découvre instinctivement une vocation en rêvant de renverser l’ordre des choses dans son pays d’origine où les médiocres sont aux commandes et les capables aux oubliettes. Il cherche des solutions, il échafaude des plans théoriques de sauvetage national… la déraison n’est pas trop loin, la nostalgie l’accable, le fil qui sépare le désespoir de la colère est assez mince : la double souffrance est lancinante.

Certains optent pour le déni en choisissant de ne pas accorder d’importance à ces sornettes, à ces radotages de WhatsApp, d’Instagram, de Twitter ou autres, relatant le quotidien de la terre de leurs pairs. Mais c’est une colère mal asservie, une fuite en avant, car nul ne peut échapper à «l’œil de Caen». La misère omniprésente, la violence latente interpellent indubitablement l’exilé. Ce sont les siens, ses sœurs, ses frères qui les affrontent maintenant sans lui. 

À la télé on expose son pays et ses malheurs : c’est la crise continuelle. En 1986, à la fin du règne des Duvalier, les scènes de cannibalisme étalées sur le petit écran ne laissaient aucun être humain indifférent. Le congénère dans la diaspora en avait plein la caboche. Il ne pouvait soutenir le regard du voisin. Que répondre quand ce dernier lui déposera l’objet de ces clichés abjects sous les yeux? Que dire au bureau, à l’usine, à l’université! La vue de cette barbarie, de ces images d’une époque révolue dérange et suffoque. Lassé de cet état de fait, fatigué de l’injustice immanente, l’émigré avait placé entre lui et la déchéance un bras de mer, des kilomètres et des kilomètres de distance, ou même un continent, mais l’instantanéité des actes vient frapper à sa porte par la magie de l’électronique sans aucun répit et s’introduit furtivement sans permission. 

Pendant le séisme de 2010, j’ai rencontré des camarades qui souffraient de psychose dépressive temporaire, rien qu’à regarder au petit écran la monstruosité de cette terrible catastrophe dans leur pays de naissance. Combien d’entre nous avaient craqué lors de ce cataclysmeinnommable? Les plus faibles avaient sombré, d’autres ont été secoués dans leur for intérieur, surtout s’ils se trouvaient démunis et étant trop loin pour secourir les déshérités de la terre qui les avait bercés. Comme me l’avait dit à l’époque mon ami, le pédopsychiatre de renommée, Dr Gold Smith Dorval, «La déprime est sournoise et peut porter plusieurs chapeaux en rapport au niveau de l’émotivité des témoins. Il y en a qui vont la traîner durant une minute, d’autres, une heure et ainsi de suite… pour toute une vie». Combien ont continué le voyage sur le bateau ivre? 

Aujourd’hui, c’est pire, face à ces kyrielles de manifestations déversées à flots de vidéos. Ces déferlements de femmes et d’hommes affamés, oubliés, qui crient leur rancœur, abîment le décor et chiffonnent les esprits. La diaspora est aux abois et en souffre de la même manière que ceux qui subissent les chocs de ces esclandres sur le terrain. 

Une autre preuve de ce grand dérangement demeure le nombre d’écrits en terre étrangère, émanant de cette classe de souffreteux, d’exilés malgré eux. Ils cherchent tous une sorte d’exutoire pour calmer leurs appréhensions avec des solutions un tant soit peu archaïques, puisque leur absence, leur éloignement les privent de l’analyse des raisons de ce tohu-bohu. Même s’ils se bercent d’illusions, l’autosatisfaction apportée par leurs articles n’est pas à dédaigner. C’est une façon personnelle de se dédouaner de leur torpeur, de leur blessure intérieure face à l’incompréhensible.

Voir au loin son pays sombrer sous les feux de l’anarchie, en débandade, sans structure, sans institutions, il y a de quoi faire rager son homme. Malgré la distance, la diaspora vit cette déchirure dans sa chair, dans son corps et dans son âme. Elle en souffre autant que ceux qui partagent et subissent ces tragiques situations : endurer deux fois les mêmes maux n’est pas une sinécure. 

Max Dorismond