Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Wednesday, June 28, 2017

L’humour caustique et grinçant des Haïtiens

2016-10-27
Par Max Dorismond

Dans des livres percutants, dans des textes pertinents sur les réseaux sociaux, on s’évertue à dépeindre, à dénoncer la situation d’Haïti sous toutes ses coutures avec l’espoir de dessiller les yeux des gouvernants pour une meilleure gestion, gage de lendemains chantants. Mais c’est peine perdue. Le vide ne retourne même pas son écho. Et le pays s’enfonce allègrement dans le gouffre béant, sans espoir de rédemption, au point de se demander s’il n’est pas mieux de se résigner, de laisser fondre la neige, ou se rabattre sur la dernière strophe de « La Mort du loup » d’Alfred de Vigny et se répéter en son for intérieur :

« Gémir,  pleurer,  prier, est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »

Les dirigeants haïtiens doivent se mettre à l'ouvrage
C’est un point de vue. Mais c’est oublier la résilience de l’homme haïtien. Il ne sera jamais un résigné. Sa bataille peut épouser toutes les formes : violence, silence, provocation etc… Aujourd’hui, via l’internet, il utilise le sarcasme, la dérision et sa force subversive pour se faire valoir, pour attirer les regards sur la gabegie nationale. J’ai eu la chance de recevoir des dizaines et des dizaines de ces capsules humoristiques à damner le diable. Mais, la dernière en date, qui m’a fait sourire et souffrir dans mes tripes, fut un montage de la prestation de serment d’un groupe d’élus des CASEC (Conseils d’Administration des Sections Communales), qui souligne aujourd’hui au trait rouge les conséquences du nivellement du pays par le bas, entamé et consacré, depuis 1957, par notre psychopathe national, le tristement célèbre François Duvalier.

Avant d’aller plus loin dans ma réflexion, permettez que je vous résume l’objet de ce sketch, puisque certains risquent de ne pas pouvoir ouvrir la vidéo attachée qui provient de l’interface « WhatsApps 1 ».

Voilà ! Plusieurs des nominés avaient beaucoup de difficultés à débiter le serment d’office. Mais, particulièrement pour l’un d’entre eux, ce fut une montagne à gravir, tant il avait de la misère à prononcer les simples vocables : « Je Jure ». Ces mots culbutaient sur sa langue et se bousculaient entre ses dents, s’entrechoquant pour sortir en une cascade de « Je ju, Je zu, Je gu, Ji gu, Ji go, Je su, Jezus ». Une éternité pour le pauvre hère. Entretemps, toujours dans la vidéo, on aperçoit en filigrane  le visage de Jésus-Christ, un Jésus interrogateur, qui finit par se demander, en créole : « Ou kwè sé mwen ? » - « Est-ce qu’il m’appelle ? ». Métaphore pléthorique, certes ! , mais ravageur pour un pays dont plusieurs de ses fils ont déjà acquis leur lettre de noblesse sous d’autres cieux. 
La vidéo de la prestation de serment 

L’humour est une arme dissuasive contre l’intolérance et l’obscurantisme. Dans le cas présent, Il s’agit d’identifier et de dénoncer un échec éducationnel et institutionnel majeur sur lequel Daniel G. Rouzier s’est penché, cette semaine, dans un texte éclairant, « L'appel de détresse du pays en dehors ». Je vous invite à le lire. L’humour a toute sa raison d’être dans l’ambiance démocratique courante. Comme le maringouin qui empêche de dormir, il ne faut laisser aucun répit à nos gouvernants. Les tenir éveillés devrait être la mission des humoristes pour obtenir même un semblant de changement dans l’éducation des laissés pour compte, dans l’éducation de l’arrière-pays, toujours négligée. Le grand Voltaire, qui avait introduit le mot « humour 2 » dans la langue française, en avait usé à satiété pour mettre à genoux le clergé autoritaire et abuseur de son époque. Pour lui, l'ironie a une vertu pédagogique, en démontrant l'absurdité des croyances nées de l'obscurantisme, de la dictature des religions, et les dangers du fanatisme…

L’Haïtien, déçu et morose, a tout essayé pour faire passer son message : sabotages, grèves, kidnappings, amoncellements d‘ordures dans les quartiers riches… Rien n’y fit. Les plus « intelligents » de la nation avaient concocté, pour endormir le petit peuple, une présidence à fermeture-éclair, c’est-à-dire une loi constitutionnelle de gouvernement interchangeable, tous les cinq ans, sans imputabilité,  au point que la populace n’a personne à blâmer ou condamner. Chacun vient faire son p’tit tour, s’enrichit et puis s’en va. Ce peuple-enfant  n’a même pas le temps de soulever la tête pour dire ouaille ! Il est déjà trop tard et on oublie tout… Passons au suivant !

À la prochaine joute, les candidats arrivent avec des slogans rassembleurs, les uns plus vides que les autres, tels, par exemple, le fameux « Terre-Eau-Soleil-Bras » de Jovenel Moïse, un slogan de marketing à faire rougir les idiots. Entretemps, toutes les places sont déjà occupées par des ignares, des incompétents, des analphabètes, des corrompus jusqu’à l’os et les réserves de la république en débordent encore. Plus de 5 millions piaffent déjà dans les antichambres électorales, attendant leur tour pour ronger l’os jusqu’à la moelle. Rien n’a été entrepris pour corriger ce nivellement par le bas, cet analphabétisme galopant et opérant dans un cercle vicieux. On a introduit un créole comme langue officielle, mais c’est un créole « dent surette » qui empêche de faire le lien avec l’autre langue. Un créole, qui, s’il était bien pensé, bien enseigné et en harmonie avec sa racine à 95% francophone, aurait évité ce cirque national lors de la prestation des CASEC.

Durant les années 60 et 70, l’élite savante du pays a été exilée manu militari. Les crétins restants avaient formé, à leur tour, de plus en plus d’autres crétins pour contribuer, selon le terme de Leslie F. Manigat, « à la médiocratie triomphante par le poids du nombre ».

Comment peut-on penser développement avec une armée de nigauds ? À les écouter, ils sont tous diplômés des grandes Universités d’outre-mer. Les faux diplômes foisonnent et tapissent les bureaux et Haïti s’enfonce de plus en plus. Un jour viendra où certaines Universités étrangères auront, soit à reprendre, soit à diminuer la valeur de certains parchemins face à ce constat d’échec collectif. C’est à perdre son latin ...

Faire la guerre, verser du sang n’est pas du tout la solution. C’est ajouter d’autres drames à la somme des malheurs qui submergent ce pays, déjà aux abois. En l’occurrence, la moquerie est une forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à s’en détacher. Elle s’accompagne d’un jugement. Les humoristes, dans l’ensemble, demeurent des acteurs majeurs du débat public et identitaire. La dérision, bien plus qu’elle en a l’air, est une forme de contre-pouvoir. Servez-vous en ! C’est votre combat. Il faut remonter à l’envers du statu quo. Ça a trop duré. En attendant, « si vous avez l'impression que vous êtes trop petit pour pouvoir changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique ... et vous verrez lequel des deux empêchera l'autre de dormir ». (Le Dalaï Lama)

Par conséquent, frères malheureux, je me permets, avant toute chose, de vous laisser avec ce précieux conseil : Réunissez-vous et exigez la réouverture de la Constitution du pays. Exigez des lois autorisant l’élection d’un gouvernement rééligible sans limite du temps de sa gouvernance. Les joutes électorales se chargeront de départager le bon grain de l’ivraie. Diminuez le pouvoir de coercition des Parlementaires sur l’Exécutif pour éviter le chantage et l’introduction d’idiots patentés à la tête des institutions étatiques.  Introduisez un maximum de balises pour l’acceptation des candidats à tous les postes électifs. C’est la seule façon de garder quelques sous dans la caisse. Sinon, vous êtes tous condamnés à nourrir toutes les banques étrangères à chaque cinq ans. Car, comme je l’ai déjà souligné, « Haïti est le seul pays où la plupart des hommes politiques, et certains fonctionnaires, sont plus riches que ses hommes d’affaires ».

Max Dorismond
             

Note -2 : «C’est Voltaire qui introduit le mot humour dans notre langue. "Les Anglais, dit-il dans une lettre à l’abbé d’Olivet, ont un terme pour signifier cette plaisanterie, ce vrai comique, cette gaieté, cette urbanité, ces saillies qui échappent à un homme sans qu’il s’en doute; et ils rendent cette idée par le mot humeur, humour, qu’ils prononcent yumor; et ils croient qu’ils ont seuls cette humeur; que les autres nations n’ont point de terme pour exprimer ce caractère d’esprit. Cependant c’est un ancien mot de notre langue, employé en ce sens dans plusieurs comédies de Corneille." (Encyclopédie de l’Agora)

Friday, June 9, 2017

Réponse de Charles Dupuy à la mise au point de Roseline P. Laroche

Roseline P. Laroche
Suite à la publication de la lettre de Madame Laroche, lettre d’une veuve éplorée devant les assauts de la vie: l’assassinat délibéré de son mari, l’amour d'une vie, le père de ses enfants, par notre psychopathe national, l’histoire biaisée de l’évènement écrite à la porte de la légende, l’auteur ci-devant cité, Charles Dupuy a eu l’insigne l’honneur de corriger la partie faisant l’objet de sa frustration et lui présenter ses excuses. Haïti Connexion Culture, devant l’ampleur et l’écho de la lettre qui a fait grincer l’échelle du web, juge nécessaire de publier l’excuse de l’historien de la même façon que la missive de Mme Laroche a été présentée. 

Max Dorismond pour HCC

Pour répondre à l'exposé de Madame Laroche…

par Charles Dupuy

Pour répondre à l'exposé que Madame Laroche a fait paraître à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'exécution des dix-neuf officiers, un exposé dans lequel Madame Laroche s'attaque sans détours à ma crédibilité d'historien, je publie ici les précisions que j'ai fait paraître dans le cinquième tome de mon livre, Le Coin de l'Histoire, (page 44) paru en 2013.  

«Pour paraphraser Talleyrand, nous dirons qu'en «histoire ce qui est cru est plus important que ce qui est vrai». Rien ne peut mieux illustrer ce principe que le rôle que j'ai fait jouer à Madame Laroche dans la triste affaire des dix-neuf officiers exécutés par François Duvalier. Selon mon exposé des événements, Madame Laroche serait allée trouver Duvalier au sujet d'une liste d'officiers sur laquelle figurait le nom de son mari. Habilement questionnée par le président, celui-ci aurait découvert l'auteur de l'indiscrétion, le capitaine Serge Hilaire, à qui il demandera le lendemain de taper lui-même son nom sur la liste des condamnés, faisant de lui le dix-neuvième officier à mourir. Ce que je rapporte est largement confirmé par le général Prosper Avril qui, dans le troisième tome de son livre Vérités et révélations, nous apprend que le capitaine Serge Hilaire, après avoir reçu à son bureau du Grand Quartier général la liste des officiers à transférer, «eut la malencontreuse idée d'appeler le colonel Dominique pour le mettre au courant du fait et lui demander d'intervenir en faveur du lieutenant Joseph Laroche, son cousin de la Vallée de Jacmel […] Le capitaine Hilaire avertit aussi la famille Laroche qui, immédiatement, entreprit les démarches en vue de “faire annuler“ ce transfert dont elle ne soupçonnait pas la gravité».

J'ai eu la chance assez inouïe de croiser sur mon chemin Madame Joseph Laroche. Madame Laroche, née Roseline Philanthrope, m'a certifié que jamais elle n'est intervenue auprès de François Duvalier pour lui parler ni de cette liste ni d'aucune autre. Si Duvalier a été mis au courant de l'affaire et si le capitaine Hilaire a été condamné à mort, je n'y suis absolument pour rien, m'a-t-elle affirmé. Jeune mariée de 24 ans, elle avait suivi son mari à Hinche dans la plus complète insouciance. Le Lieutenant Laroche bénéficiait de toute la confiance du président, le couple n'avait aucune raison de s'inquiéter du lendemain et encore moins à craindre une improbable disgrâce. Comme on le sait, le lieutenant Laroche fut arrêté, jugé et condamné mort par une cour martiale aux casernes Dessalines. Le 8 juin 1967, avec dix-huit de ses frères d'armes, il fut attaché à un poteau d'exécution au Fort-Dimanche. Le lieutenant Joseph Laroche devait succomber à une défaillance cardiaque, quelques instants avant la fusillade.»

À Madame Laroche qui m'a laissé la plus agréable impression lors de notre brève rencontre, je renouvelle ici mes plus respectueux hommages. Je ne lui garderai pas rancune malgré les mots déplaisants qu'elle a eu à mon endroit. Je préfère les mettre au compte de son immense douleur, une douleur que la dictature duvaliériste a planté dans nos cœurs et que rien ne saurait apaiser.


Thursday, June 8, 2017

L’EXÉCUTION DES 19 OFFICIERS EN 1967 : UNE MISE AU POINT

Par Roseline Philantrope Laroche
Miami le 8 juin 2017

Le lieutenant Joseph Laroche (Année 1963)

Le 50e anniversaire de l’exécution des 19 officiers à Fort Dimanche le 8 juin 1967 sous les ordres de François Duvalier est pour moi une excellente occasion de sortir du mutisme dans lequel je me suis enfermée depuis lors. C’est aussi et surtout l’occasion pour moi de faire une mise au point sur une fausseté qui risque de devenir un fait historique si on ne la dénonce pas pour rétablir la vérité. Il s’agit d’une affirmation sans fondement formulée à la page 172 de la première édition du tome II du Coin de l’histoire, publiée par Charles Dupuis en 2003. Après discussion avec des membres de ma famille, l’auteur avait promis de réexaminer la question et d’apporter à son récit les correctifs appropriés, mais les nouvelles rééditions du livre ne comportent aucun changement à ce chapitre.

Parlant des circonstances qui ont précédé cette exécution, l’auteur écrit :

« Le cas le plus dramatique est celui du capitaine Serge Hilaire qui, après avoir tapé la liste des condamnés, commit l’imprudence d’avertir la femme du capitaine Joseph Laroche, laquelle se rendit en catastrophe au Palais pour en savoir plus sur la liste secrète. Duvalier la rassura habilement et lui demanda qui l’avait informée de l’existence d’une telle liste. Le Capitaine Hilaire, une fois dénoncé par ceux-là mêmes qu’il voulait protéger, plus rien ni personne ne pouvait le soustraire à la vindicte présidentielle. Duvalier lui fit rajouter son nom à la fameuse liste et demeura inflexible malgré l’intervention du père du Luc Hilaire, frère du capitaine et aumonier du Palais national...»

Non seulement ce récit est en tous points farfelu,  les faits invoqués sont complètement faux :

i)                   Le caractère farfelu de l’affirmation
L’auteur raconte au paragraphe suivant que le procès se déroula aux casernes Dessalines, que les officiers furent « accusés de complot contre la sureté intérieure de l’État, de mutinerie, de tentative d’assassinat du président de la publique, déchus de leurs grades et condamnés à la peine capitale ». Cette affirmation est sans doute juste, mais elle appelle des questions auxquelles l’auteur seul peut répondre : si l’épouse du capitaine Laroche a eu cette conversation avec Duvalier, pourquoi ce dernier s’est-il donné la peine d’intenter un procès, tout en se réservant le privilège d’ajouter des noms à la liste des condamnés? En prenant à la lettre le témoignage de M. Dupuis, il faut conclure que les suspects ont été condamnés à mort et que Duvalier a ensuite appelé Serge Hilaire pour lui demander d’ajouter son nom à la liste des officiers à exécuter. Le ridicule de cette interprétation des faits est évident.

C’est un fait bien connu de tous que, tout en s’accommodant sans fausse honte du titre de dictateur, le président-à-vie aimait recouvrir ses actes les plus arbitraires d’un semblant de légitimité et de légalité. De deux choses l’une : soit que l’auteur, pressé de diffuser une fausseté inventée par le père Hilaire, qui voulait à tout prix faire porter l’odieux du drame à un bouc émissaire et se faire une nouvelle virginité après ses frasques bien connues, soit qu’il ait inventé de toutes pièces ce scénario ridicule. La pratique des « fake news » aurait donc déjà commencé en Haïti.

Il existe cependant une autre version des faits bien connue dans les milieux informés. Dans l’atmosphère des luttes de pouvoir et des intriques de palais dont l’ancien journaliste Jean Florival a largement fait état dans La face cachée de papa Doc, personne n’était à l’abri d’une dénonciation dans les antichambres du Palais national. Comme l’a bien relaté Jean Florival, il y avait, d’un côté, le duo France Saint-Victor – Gérard Daumec, et, de l’autre, le clan des officiers regroupés autour de Max Dominique, qui venait d’épouser Marie-Denise Duvalier. En tant qu’officier exécutif de la 33e compagnie et ami personnel de Dominique, mon mari était pris entre deux feux. C’est ainsi qu’il sera transféré à Hinche le 21 avril, tandis que les autres officiers tombés également en disgrâce se retrouveront dans d’autres coins du pays.

Toujours dans les milieux informés, il se répète depuis maintenant 50 ans que Duvalier transmit une liste de transferts au Grand Quartier général dans la nuit du 19 au 20 avril et que le capitaine Hilaire en accusa réception. Quelques heures après, le lieutenant Joseph Laforest, dont le nom figurait sur la liste des transferts, était informé de la chose à Cabane Choucoune où Nemours Jean-Baptiste animait une soirée dansante. Affolé par la nouvelle, il alla immédiatement en parler à son patron et protecteur, le colonel Franck Romain, qui, à son tour, alerta Luc-Albert Foucard,  le gendre du président et frère de France Saint-Victor. Insatisfait des promesses obtenues et craignant le pire, le lieutenant Laforest se réfugia dans une ambassade étrangère. Il n’en fallait pas plus pour que Serge Hilaire tombe à son tour en disgrâce. Il ne s’agissait donc, pas d’une liste de condamnés, comme l’affirme Charles Dupuis, mais d’une liste de transferts et je n’avais absolument rien à y voir.

ii)                La chronologie des événements
Pour l’histoire, je tiens à rappeler ici la séquence des évènements qui ont précédé l’exécution de mon mari. Le 21 avril, il se rend à son nouveau poste à Hinche sans se soucier du danger qui le guette. Le jeudi 18 mai suivant, il commande la parade militaire de ce département et ne se doute de rien. Étant donné que le vendredi 19 est férié également et que mes deux enfants ont congé au Kindergarden Jacqueline Turian, nous prenons tous les trois l’autobus pour nous rendre à Hinche passer ces quatre jours avec Joseph. C’est à partir de ce moment que les choses se corsent.

Joseph & Roseline Laroche (Année 1963)
Le 19, Joseph reçoit un autre ordre de transfert, avec pour instruction de se rendre au Grand Quartier Général pour les suites nécessaires. Vu que nous sommes ensemble tous les quatre, je lui suggère de traverser la frontière sans tarder, mais il clame son innocence et refuse. Nous repartons donc pour Port-au-Prince par les transports publics, car l’Armée ne peut pas ou ne veut pas mettre une de ses Jeep à notre disposition. Par suite d’une panne du véhicule dans lequel nous nous trouvions, Joseph continue seul dans un autre véhicule et sera accueilli à Cazeau par deux officiers amis, Francis Charles et Willy Gaillard, qui lui demandent poliment de leur remettre son pistolet. C’était le début de la fin. On connaît la suite : internement au Pénitencier national, simulacre de jugement, condamnation, exécution le 8 juin 1967… Grand Dieu, à quel moment a pu avoir lieu cette prétendue visite au Palais national où le capitaine Hilaire a prétendument « été dénoncé par ceux-là même qu’il voulait protéger »? Si l’auteur avait écrit « par celle-là même qu’il voulait protéger », il y aurait un semblant de logique dans son récit.

En résumé, cette conversation que j’aurais eue avec François Duvalier n’est qu’une pure invention. De quel droit aurais-je pu me présenter au Palais sans invitation pour soumettre le sort de ma famille au président ou à son épouse? Par quelle porte la femme d’un jeune lieutenant nouvellement promu capitaine ad honores, suspecté de crime de haute trahison et de complot contre la sûreté de l’État, serait passée pour entrer dans les habitations de la famille présidentielle? Seuls les gens peu informés et les pseudo-journalistes ou écrivains en quête de sensationnalisme peuvent raconter de pareilles stupidités.

Comme toutes celles qui ont connu de telles épreuves, j’ai connu des jours sombres après l’exécution de mon mari, mais je me suis relevée par la grâce de Dieu et je n’ai jamais cessé de marcher la tête haute. Duboisienne bien armée pour affronter les aléas de la vie, j’ai ouvert par la suite un atelier de couture et de broderie et j’ai éduqué mes deux enfants dans la dignité et l’esprit de pardon. Les deux ont fait leur chemin et c’est une femme sereine qui, après avoir parcouru ce calvaire, a fait ce témoignage avec le plus grand soulagement.

Miami, ce 8 juin 2017
Roseline P. Laroche
rorolaroche@yahoo.com