Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Monday, May 31, 2021

L'ALLEMAGNE FAIT ADIEU À ANGELA MERKEL_

Angela Merkel est chancelière depuis le 22 novembre 2005


Avec six minutes d'applaudissements chaleureux, dans les rues, les balcons, les fenêtres, tout le Pays a applaudi pendant 6 minutes - exemple spectaculaire de leadership et de défense de l'humanité, chapeaux! 

Les Allemands l'ont élue pour les diriger et elle a dirigé 80 millions d'Allemands pendant 18 ans avec compétence, dévouement et sincérité. Elle n'a pas dit de bêtises. Elle n'est pas apparue dans les ruelles de Berlin pour être photographiée. Elle a été surnommée "La Dame du monde" et qui a été décrite comme l'équivalent de six millions d'hommes. 

Pendant ces dix-huit ans de sa direction de l'autorité dans son pays, aucune transgression n'a été enregistrée contre elle.  Elle n'a affecté aucun de ses proches à un poste gouvernemental.  Elle n'a pas prétendu qu'elle était la créatrice de gloires.  Elle n'a pas reçu de millions de dollars en paiement, personne n'a applaudi sa performance, elle n'a pas reçu de chartes et de promesses, elle n'a pas combattu ceux qui l'ont précédée. 

Merkel a quitté le poste de direction du parti et l'a cédé à ceux qui lui succédaient, et l'Allemagne et son peuple allemand sont dans les meilleures conditions. 

La réaction des Allemands était sans précédent dans l'histoire du pays. La population entière est sortie sur leurs balcons de leurs maisons et a applaudi pour elle spontanément pendant 6 minutes consécutives.  Une standing ovation dans tout le pays. 

L'Allemagne a fait ses adieux à son chef, une physicienne chimiste qui n'a pas été tentée par la mode ou les lumières et n'a pas acheté de biens immobiliers, de voitures, de yachts et d'avions privés, sachant qu'elle est originaire de l'ancienne Allemagne de l'Est. 

Elle a quitté son poste après avoir quitté l'Allemagne au sommet.  Elle est partie et ses proches n'ont pas réclamé d'avantage.  Dix-huit ans et elle n'a jamais changé sa garde-robe.  Que Dieu soit sur ce chef silencieux. 

Lors d’une conférence de presse, une journaliste a demandé à Merkel: Nous remarquons que vous portez le même costume, n’en avez-vous pas d’autre?  Elle a répondu: "Je suis un employé du gouvernement et non un mannequin". 

Lors d'une autre conférence de presse, ils lui ont demandé: Avez-vous des femmes de ménage qui nettoient votre maison, préparent vos repas, etc.?  Sa réponse a été: "Non, je n'ai pas de serviteurs et je n'en ai pas besoin. Mon mari et moi faisons ce travail à la maison tous les jours. 

Puis un autre journaliste a demandé: Qui lave les vêtements, vous ou votre mari?  Sa réponse: «J'arrange les vêtements, et c'est mon mari qui fait fonctionner la machine à laver, et c'est généralement la nuit, car l'électricité est disponible et il n'y a pas de pression, et le plus important est de prendre en charge  comptez les éventuels désagréments pour les voisins, heureusement, le mur séparant notre appartement des voisins est épais. Elle leur a dit: "Je m'attendais à ce que vous me posiez des questions sur les succès et les échecs de notre travail au gouvernement ??"  

Mme Merkel vit dans un appartement normal comme tout autre citoyen. « Elle a vécu dans cet appartement avant d'être élue chancelière d'Allemagne.  Elle ne l'a pas quittée et ne possède ni villa, ni domestiques, ni piscines, ni jardins.» 

Merkel, la désormais ancienne chancelière allemande, la plus grande économie d'Europe !!

 

Sources combinées

 


Friday, May 28, 2021

Maxime Roumer - Une perte irremplaçable pour Jérémie

Maxime Roumer
12 mai 1950 - 27 mai 2021
                       

La communauté jérémienne ainsi que celle de la Grand'Anse viennent de perdre une de ses grandes figures en la personne de l’ancien sénateur Maxime Roumer, décédé de la Covid-19 dans la nuit du 27 mai 2021 à l’âge de 71 ans. C'est une nouvelle qui a couru comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux hier soir. Personne ne s'attendait à une telle tragédie

Maxime Roumer, l'homme politique, l'ancien sénateur, le patriote, le citoyen engagé nous a quittés! C'est terrible! C'est tout ce qu'il nous restait comme le dernier rempart de la ville assiégée par la misère,  l’incompétence et l’absence des institutions. Devons-nous hisser le drapeau blanc face à cette débacle. Car, l’espoir s’est envolé définitivement pour la Cité.

C'est une grande perte pour la Grand’Anse, les étudiants de l'Unoga et ceux de l'école technique avec qui il travaillait pour l'enrichissement de l'agriculture de la zone. 

Cette nouvelle du départ de Maxime vient de frapper de plein fouet, tous les compatriotes de l'intérieur comme de l'extérieur, qui suivaient avec respect et enthousiasme ses nobles initiatives et ses accomplissements qui étaient destinés à mettre la région sur la voie de la rédemption. Quelle perte pour ce coin éloigné !

En attendant d'offrir un mémorial à cet illustre disparu, tout le staff de Haïti Connexion Network et moi, renouvelons nos condoléances les plus sincères à tous les membres et proches de la famille que cette disparition a plongés dans le deuil.

Nos condoléances s'étendent spécialement à nos amis Leopold, Patrick, Michel, Guy  Sary, Philippa Roumer  ainsi qu' à la  diaspora jérémienne.

Pour le staff: Herve Gilbert

Herve Gilbert





Thursday, May 27, 2021

Les causes profondes de la décadence de Jérémie.

Par: Jean-Pierre  Alcindor

Jean-Pierre Alcindor
Plusieurs situations de son histoire, les unes plus sugnifiantes que les autres, sont à la base de l'actuelle décadence de Jérémie. 

Mise à part la position géographique de Jérémie qui la place sur le chemin des ouragans, il y a aussi ces catastrophes sociales causées par les hommes qui pourraient être évitées. Il y a:

--- Le préjugé de couleur lié à la génèse coloniale. Jérémie, depuis sa fondation,  a eu la réputation de communauté bourrée de préjugés.

--- La guerre du Sud entre Toussaint et Rigaud qui fit rentrer Dessalines à Jérémie. Ce fut un bain de sang.

--- La correction politique et sociale de Soulouque qui fit exécuter un ancien Ministre de l'intérieur jérémien: David Troy en 1851 qui avait publié un article cinglant à l'endroit de Soulouque, critiquant le sacre de l'empereur. Bon nombre de mulatres quittèrent Jérémie sous Soulouque.

--- La campagne èlectorale de 1957 quand plusieurs maisons appartenant aux mulatres périrent dans les flammes. Louis Dejoie, l'un des plus populaires candidats à la Présidence,  devait visiter Jérémie le 15 septembre 1957. Le point fort de son programme était d'assister à la grande messe en l'Eglise St Louis ce dimance qui restera dans les annales de l'histoire de Jérémie comme le dimanche de la honte et du châtiment. 

Les jérémiens et jérémiennes noirs duvaliéristes, avec à leur tête St Ange Bontemps,  Max Frédérique,  Sanette Balmir, Fritz Balmir et consorts se dressèrent en croix contre toute pénétration de l'église par Louis Déjoie, candidat du clan mulatre. 

Pour ce faire, ils ont souillé les bancs de l'èglise de matières fécales. Cet acte infame révolta la conscience de bon nombre de jérémiens, noirs ou mulatres. Déjoueistes et Duvaliéristes le dénoncèrent et voyèrent dans toute cette bestialité un signe de mauvaise augure pour Jérémie. 

Louis Déjoie fut contraint de quitter Jérémie sans assister à la messe, voire pénétrer l'enceinte de la fameuse eglise pour éviter le pire

--- Les vêpres jérémiennes de 1964 qui sont indirectement une résultante du préjugé de couleur, vous diront des sociologues avisés.

--- L'élimination de la famille Sansaricq en 1964.

--- L'émergence des Etats-Unis d'Amérique et du Canada qui se sont attirés 90%  de la jeunesse intellectuelle jérémienne au cours des années 1960.

Jérémie a beaucoup souffert  


Wednesday, May 26, 2021

L’aménagement du créole en Haïti et la réforme Bernardde 1979 : le bilan exhaustif reste à faire

Par Robert Berrouët-Oriol

Publié en Haïti dans Le National  du 16 mars 2021

Dans l’article publié par Le National le 8 janvier 2020, « Le défi de l’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien », nous avons mis en lumière des données factuelles sur  l’introduction du créole aux côtés du français dans le champ éducatif et, à l’appui de notre propos, nous avons fait appel à des références documentaires utiles à l’intellection de la réflexion offerte en partage. Le présent article élargit l’éclairage analytique de cette question de fond au regard, cette fois-ci, de la première grande réforme du système éducatif haïtien connue sous l’appellation de réforme Bernard de 1979 et dont le bilan exhaustif interpelle.

La réflexion sur le statut, le rôle et la place du créole dans le système éducatif haïtien, souventes fois fragmentaire et inaboutie, n’est pas nouvelle en Haïti. Comme le rappelle à juste titre le linguiste Renauld Govain dans son article intitulé « Le créole haïtien : de langue d’alphabétisation des adultes à langue d’enseignement » (researchgate.net, 11 avril 2018), « En 1898 déjà, Georges Sylvain [déclarait] que « le jour où (…) le créole aura droit de cité dans nos écoles primaires, rurales et urbaines, le problème de l’organisation de notre enseignement populaire sera près d’être résolu ». Dans les années 1930-1940, cette réflexion a été poursuivie notamment par Christian Beaulieu, compagnon de lutte de Jacques Roumain et auteur de « Pour écrire le créole » (Les Griots, 1939), et qui fut l’un des premiers, à cette époque, à réclamer l’utilisation du créole à des fins pédagogiques. Bien plus tard, l’aménagement et le rôle du créole dans le système éducatif haïtien ont été institutionnalisés par la réforme Bernard de 1979, mise en veilleuse en 1987, et qui faisait du créole, pour la première fois dans l’histoire du pays, langue d’enseignement et langue enseignée aux côtés du français langue seconde.

Plus récemment, les contributeurs du livre « Haïti : couleurs, croyances, créole » ont noté qu’« À partir de l’occupation américaine (…) on commença à réclamer l’utilisation du créole dans une vaste campagne d’alphabétisation du peuple. Que l’on puisse également produire des œuvres littéraires sérieuses et des études scientifiques en créole semblait prématuré [sic]. Il est vrai qu’une Académie créole fut fondée en 1947, sous la présidence de Charles-Fernand Pressoir et la vice-présidence de Jean Price-Mars. Mais, après sa séance inaugurale, dont Haïti Journal rend compte le 10 février, elle semble ne s’être plus jamais réunie. 1956 vit la création, sous la présidence de Lamartinière Honorat, d’un Institut de langue créole, société culturelle dont les statuts furent publiés dans Panorama (nouvelle série, mars 1956, pp. 35-38). Son but était « de promouvoir le développement de la langue créole et de la culture populaire nationale ». Cet Institut de langue créole se proposait, entre autres tâches, de « publier une histoire complète de la langue créole et une revue littéraire créole » et de « préparer l’édition d’une grammaire et d’un dictionnaire créoles ». Ces projets non plus n’aboutirent pas. » (« Haïti : couleurs, croyances, créole », sous la direction de Léon-François Hoffmann : Éditions du Cidihca, 1989).

Connue sous l’appellation de réforme Bernard et mise en route en 1979, la première grande réforme du système éducatif haïtien est souvent évoquée par des auteurs divers et par des enseignants, et elle est également citée dans nombre de documents du ministère de l’Éducation nationale. A-t-elle été une réforme voulue, conceptualisée et soutenue par l’État haïtien ? Quel a été le rôle des agences internationales dans son élaboration et sa conduite ? Est-il juste de poser le constat qu’elle a été véritablement la première entreprise d’envergure nationale d’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien ? Dispose-t-on aujourd’hui d’un bilan exhaustif de cette réforme élaboré par l’État haïtien ou par une autre instance et qui soit capable d’éclairer ou de contribuer à guider l’élaboration d’une future politique linguistique éducative en Haïti ?

Le premier constat que l’on peut faire au terme d’une recherche documentaire est qu’il n’existe aucun document officiel et public consignant un bilan exhaustif de la réforme Bernard de 1979 élaboré par l’État haïtien, en particulier par le ministère de l’Éducation. Cela peut sembler paradoxal sinon aberrant, mais la réalité historique est que la plupart du temps l’État haïtien et plusieurs auteurs font référence à cette réforme éducative en dehors d’un bilan exhaustif réalisé par une institution haïtienne, en particulier au plan linguistique et didactique. Ainsi, des éléments d’analyses sectorielles peuvent être répertoriés dans divers types de documents produits non pas par l’État mais plutôt par des individus, par des chercheurs rattachés ou pas à une institution universitaire, parmi lesquels il convient de citer :

  • Jean Louiner St-Fort auteur en 2016, à la Sorbonne, de la thèse de doctorat « Les politiques de la réforme éducative en Haïti, 1979 – 2013 : de la logique socioprofessionnelle des acteurs politico-administratifs à la situation des établissements scolaires du département de la Grand-Anse » ;
  • Michel Saint-Germain, de l’Université d’Ottawa, auteur de l’étude « Problématique linguistique en Haïti et réforme éducative : quelques constats (Revue des sciences de l’éducation, 23 (3), 1997) ;
  • Michel Saint-Germain (1989), auteur de l’« Analyse de quelques facteurs relatifs au volet linguistique de la réforme de l’éducation en Haïti», Revue éducation canadienne et internationale, 18 (2), 18-33 ;
  • Jacques Rosembert, auteur de l’« Analyse sociologique des intentions de la réforme du système éducatif haïtien – (Réforme Bernard : 1979-1980) », mémoire de maîtrise, Université d’Ottawa, 1998 ;
  • Patrick Agnant, auteur en 2018 du mémoire présenté à l’Université de Sherbrooke « Le système d’éducation haïtien : une étude néo-institutionnaliste en trente ans, de la Réforme Bernard en 1979 jusqu’au tremblement de terre de 2010 » ;
  • Robert Chaudenson & Pierre Vernet (1983), auteurs de « L’écoleen créole : étude comparée de réformes éducatives en Haïti et aux Seychelles », Québec, Agence de coopération culturelle et technique ;
  • Guy Alexandre, auteur de l’article « Matériaux pour un bilan de la réforme éducative en Haïti», Le Nouvelliste, 6, 11, 16 mai 1999.

Pour ce qui en est de l’officialisation de la graphie du créole en 1980 dans le contexte de la réforme Bernard, une synthèse de son processus institutionnel est contenue dans l’article d’Albert Valdman « Vers la standardisation du créole haïtien » paru dans la Revue française de linguistique appliquée, 2005/1.

Parmi les références que nous venons de citer, c’est l’étude de Michel Saint-Germain, « Problématique linguistique en Haïti et réforme éducative : quelques constats » (Revue des sciences de l’éducation, 23 (3), 1997), qui consigne les données analytiques les plus éclairantes et les mieux documentées quant aux langues d’enseignement, notamment en ce qui a trait à l’aménagement du créole dans le système éducatif national. En voici un extrait :

« À la fin des années soixante-dix, le gouvernement haïtien et les organismes inter- nationaux étaient très conscients de l’incapacité du système [éducatif] à satisfaire les exigences tant qualitatives que quantitatives de la société haïtienne. Avec l’aide d’organismes tels le PNUD, l’UNESCO, l’OEA, la CEE, la Banque mondiale et de plusieurs pays, notamment le Canada, la France, les États-Unis, Haïti a entrepris une vaste réforme du système éducatif. » (p. 620) Michel Saint-Germain précise également que « Préalablement à la réforme administrative et à la réforme de l’enseignement, il y eut la mise en place du cadre juridique. Déjà proposée à l’époque de Pétion, timidement mise de l’avant en 1943 par une première initiative gouver- nementale créant le Comité pour l’enseignement en créole (Saint-Germain, 1988, p. 169), l’utilisation du créole dans l’enseignement est enfin reconnue, le 18 septembre 1979, par la « Loi autorisant l’usage du créole dans les écoles comme langue d’enseignement et objet d’enseignement. » Cette Loi a été suivie, le 30 mars 1982, par le « Décret organisant le système éducatif haïtien en vue d’offrir des chances égales à tous et de refléter la culture haïtienne » dont les articles 29, 30 et 31 portent spécifiquement sur les langues créole et française. On reconnaît que le créole est langue d’enseignement et langue enseignée tout au long de l’école fondamentale, mais que le français, enseigné tout au long de l’école fondamentale, devient la langue d’enseignement à partir de la sixième année. Suivant le décret du 5 juin 1989, le créole maintient son statut de langue enseignée (objet d’enseignement) jusqu’à la neuvième année de l’enseignement fondamental. » (p. 621) L’auteur précise également, toujours quant au volet linguistique, que « Dans le contexte de la problématique linguistique générale, une attention particulière doit être portée au volet langage. Même si ce n’était qu’un volet parmi les cinq autres, il a rapidement dominé la scène au point où la réforme de l’enseignement a été associée tout simplement à l’introduction du créole à l’école. » (p. 622)

Publié aux Éditions Zémès en 2015, le livre-phare de Charles Tardieu issu de sa thèse de doctorat en sciences de l’éducation, « Le pouvoir de l’éducation / L’éducation en Haïti de la période esclavagiste aux sociétés du savoir », est certainement l’étude la plus systématique de l’histoire et du mode de fonctionnement de l’éducation en Haïti. L’analyse rigoureuse et fort bien documentée de ce livre consigne, parmi d’autres, des données inédites et de première importance sur le contexte sociopolitique d’élaboration et de mise en œuvre de la réforme Bernard de 1979. Il est ainsi attesté que la dictature de Jean-Claude Duvalier n’avait pas conçu de son propre chef une politique éducative (la réforme Bernard de 1979) destinée à répondre à la forte demande scolaire provenant en majorité de centaines de milliers de jeunes locuteurs de langue maternelle créole –la configuration sociale et démolinguistique de l’École haïtienne ayant largement été modifiée dès la fin des années 1960 sous l’effet des flux migratoires de la campagne vers les villes et de l’exil forcé de milliers d’enseignants fuyant la répression de la dictature duvaliériste. En toute rigueur, Charles Tardieu précise que « Sous l’administration de Jean-Claude Duvalier, ce sont les agences étrangères qui prendront l’initiative d’inviter le gouvernement à réaliser une réforme du système d’enseignement, tout comme elles le font dans les domaines économique et financier, politique, etc. (…). De juin 1972 à juin 1974, la Banque internationale de développement, en coopération avec l’Unesco et d’autres agences telles que la BID, l’ACDI, l’AID, a entrepris par l’intermédiaire de plusieurs missions déléguées en Haïti des investigations sur le système éducatif. Les informations recueillies ont conduit à des conclusions et recommandations qui sont réunies dans un rapport rédigé par l’Unesco en 1971 sur la demande du gouvernement haïtien [sic : phraséologie « diplomatique » relevée par C. Tardieu]. De ce rapport découle le diagnostic d’une situation mettant en évidence les déficiences tant quantitatives que qualitatives du système éducatif (Banque mondiale, 1982 : 84) » (Charles Tardieu, op. cit., p. 198-199). Et poursuivant son analyse, Charles Tardieu (op. cit., p. 199) note très justement, en ce qui a trait à la survenue de la réforme Bernard durant le régime dictatorial de Jean-Claude Duvalier, ce qui suit : « Quand nous évaluons en perspective les résultats de ces années et si nous faisons intervenir les millions de dollars dépensés [montant de l’ordre de 266,2 millions de gourdes, soit 53,24 millions de dollars au taux ancien de cinq gourdes pour un dollar US – note de la page 200], il devient clair que le gouvernement de Jean-Claude Duvalier n’a jamais voulu d’une réforme véritable du système d’enseignement. La réforme imposée par le réseau des agences auxquelles viendront s’ajouter d’autres (…) a certainement été accueillie avec grand intérêt par les autorités à cause des sommes considérables qu’elles s’apprêtaient à piller aussitôt que le premier accord de don et de prêt serait signé. Il ne peut exister aucun doute quant aux vrais initiateurs des projets qui s’étendent déjà sur plus d’une dizaine d’années : il n’a fallu qu’une quinzaine de mois (de mars 1975 à mai 1976) pour élaborer le projet parce que celui-ci a été précédé de travaux sectoriels effectués essentiellement par l’Unesco (Banque mondiale 1982 : 6) ».

Cette juste analyse des faits a d’ailleurs été également mise en lumière par le sociologue Guy Alexandre, ancien cadre de l’IPN (l’Institut pédagogique national) dans son article « La politique éducative du jean-claudisme, chronique de l’échec « organisé » d’un projet de réforme » paru dans « Le prix du jean-claudisme – Arbitraire, parodie, désocialisation », livre publié en 2013 aux Éditions C3 sous la direction de Pierre Buteau et Lyonel Trouillot. Tout en rappelant les dimensions légales et institutionnelles de la réforme Bernard (modification de l’organigramme du ministère de l’Éducation, loi de septembre 1979 instituant le créole langue d’enseignement et langue enseignée, réaménagement des cycles d’enseignement et des contenus curriculaires, statut, rôle et activités de l’IPN, qui a été le véritable moteur de la réforme), Guy Alexandre précise à dessein que les grands commis de la dictature de Jean-Claude Duvalier –entre autres le tonton macoute Jean-Marie Chanoine alors titulaire du puissant ministère de l’Information–, et de nombreux directeurs d’écoles se sont opposés à la mise en œuvre de la réforme Bernard. Et il poursuit son analyse en ces termes : « (…) le fait est que les responsables du régime –compte non tenu des options techniques et éthiques de Joseph C. Bernard et de son équipe—n’étaient porteurs d’aucune vision véritable des problèmes d’éducation. Sur cette base, au-delà des discours à usage externe, la politique éducative effective menée par le régime se résumera bien vite à une pratique de laisser faire, qui, au bout du compte, favorisera pour quelques années encore l’école traditionnelle, « élitiste », déconnectée des réalités du milieu, et non articulée aux besoins de son développement » (Guy Alexandre, ibidem, p. 33). En conclusion de son propos, Guy Alexandre consigne un extrait de son article « Matériaux pour un bilan de la réforme éducative en Haïti » (Le Nouvelliste, 6, 11, 16 mai 1999) : « Ce qu’il faut voir en termes concrets, c’est que, voulue, passionnément voulue par le ministre Bernard, portée avec enthousiasme par les techniciens de l’IPN et du ministère de l’époque, appuyée par les institutions de coopération ou d’assistance internationale, cette réforme n’a pas été désirée par l’État et le gouvernement qui, au contraire, de diverses manières, passeront leur temps de 1979 à 1986, à la saboter proprement de façon plus ou moins ouverte ou plus ou moins larvée, selon les moments » (Guy Alexandre, ibidem, p. 35).

Le bilan exhaustif de la réforme Bernard de 1979 devra par ailleurs prendre en compte les données analytiques contenues dans une importante référence révélée en bibliographie du livre de Charles Tardieu « Le pouvoir de l’éducation / L’éducation en Haïti de la période esclavagiste aux sociétés du savoir » (Éditions Zémès, 2015), à savoir le rapport préparé par Uli Locher, Thierry Malan et Charles Pierre-Jacques pour le compte de la Banque mondiale et intitulé « Évaluation de la réforme éducative en Haïti / Rapport final de la mission d’évaluation de la réforme éducative en Haïti » (163 pages miméo, Genève, 1987). Ce rapport semble peu connu et peu accessible, comme nous l’avons constaté après avoir en vain tenté d’en obtenir une version papier ou électronique auprès de la Banque mondiale à Washington et à Genève. Mais il se pourrait que ce document, s’il a abordé un tel volet, contribue à mieux faire comprendre pourquoi la réforme Bernard a produit si peu de matériel didactique en créole et pourquoi elle n’a pas été précédée d’un programme national de formation en didactique créole pour l’enseignement du créole et en créole. Également, ce rapport, s’il s’est penché sur cette problématique, pourrait aider à faire la lumière sur l’ampleur et les mécanismes de dilapidation des fonds de la coopération internationale destinés à la réforme Bernard de 1979, ce qui expliquerait le relatif sous financement de fait de la réforme. Au sujet des détournements de fonds réalisés par Jean-Claude Duvalier, par ses « super-ministres » et autres « gran manjè » de son système politique mafieux, le « fil de presse.info » du 18 janvier 2011 notait que « Le gouvernement haïtien, qui avait demandé en mai 2008 l’aide de la justice helvète, avait évalué à 100 millions de dollars environ le siphonage de l’argent de l’État par « Bébé Doc ». Un rapport de la Banque mondiale sur le développement dans le monde, rédigé en 1997 et cité dans l’arrêt suisse, allait beaucoup plus loin puisqu’il affirmait que « Jean-Claude Duvalier s’est exilé en France (…) avec un pactole évalué à 1,6 milliard de dollars ». (Sur « l’Arrêt suisse » ou « Arrêt du Tribunal administratif suisse », le TAF, relatif aux comptes bancaires de Jean-Claude Duvalier dissimulés en Suisse, voir entre autres l’article de swiss.info.ch daté du 27 janvier 2011, « Baby Doc », l’argent suisse et la « loi Duvalier ».)

En quête de données relatives au bilan de la réforme Bernard, nous avons également mené une recherche documentaire sur le site Internet du ministère de l’Éducation d’Haïti (https://menfp.gouv.ht), qui comprend plusieurs rubriques, dont la rubrique « Banque de documents ». Cette rubrique consigne les sous-sections suivantes : « Circulaires et arrêtés », « Programmes et curriculum », « Résultats enquêtes ». Vérification faite, cette « Banque de documents » ne comprend aucune étude, aucune analyse, aucun document officiel traitant de manière spécifique de la réforme Bernard –ce qui conforte le constat que l’amnésie managériale et le brouillard archivistique constituent un « modèle » de gestion chez un grand nombre de ministres et d’administrateurs du domaine de l’éducation en Haïti. Sous le voile pompeux de l’appellation « Banque de documents », le site Internet du ministère de l’Éducation d’Haïti cache en réalité une verbeuse pauvreté archivistique puisqu’il n’offre pas de références documentaires sur des domaines majeurs de l’éducation, et l’absence de titres traitant en particulier de la réforme Bernard et de l’aménagement du créole dans le système éducatif national en est l’illustration la plus marquée. Figée et nullement construite selon les paramètres habituels des banques de données documentaires, la rubrique « Banque de documents » de ce site ne permet pas non plus d’effectuer une recherche par mots-clés, la fonction de recherche étant tout simplement absente. D’un autre côté, le site embryonnaire de la Bibliothèque nationale d’Haïti, https://dloc.com/ibnh, n’a fourni   aucun résultat lors d’une recherche effectuée à partir des mots-clés « réforme bernard ».

Dans tous les cas de figure, le bilan exhaustif de la réforme Bernard de 1979 reste à faire. Il doit être mené par des institutions haïtiennes, par des enseignants-chercheurs haïtiens avec, lorsqu’il le faut, le concours d’experts crédibles de la coopération internationale. Un tel concours permettra entre autres de mieux appréhender certaines interventions constructives d’universitaires étrangers dans la conception et la mise en route de la réforme, et plus largement de mieux comprendre et de chiffrer l’apport tant financier que professionnel des agences de coopération internationale dans le domaine de l’éducation, agences qui ont su accompagner la réforme et qui, bien souvent, à travers leurs compromissions avec la dictature duvaliériste, ont navigué en eaux troubles pour mieux assurer la défense de leurs intérêts.

L’on ne peut valablement bâtir le futur de l’École haïtienne dans l’ignorance constante de son passé, en particulier dans les domaines didactique et linguistique, les deux charpentes majeures du système éducatif national. Afin de contribuer à la nécessaire refondation de l’École haïtienne, le bilan exhaustif de la réforme Bernard de 1979 devra aborder plusieurs dimensions structurelles : (1) la présence ou l’absence de volonté politique de l’État ; (2) l’orientation et les principes didactiques prônés par la réforme ; (3) les préconisations linguistiques de la réforme, en particulier en ce qui a trait à l’aménagement du créole aux côtés du français ; (4) l’analyse des outils didactiques issus de la réforme ; (5) l’adéquation de la formation des enseignants du créole et en créole. En ce qui concerne les outils didactiques et les documents d’orientation issus de la réforme, nous en avons fait un relevé très partiel à partir du site WorldCat.org. En voici quelques titres :

  • « La réforme éducative : éléments d’information », Institut pédagogique national, Département de l’éducation nationale, direction de la planification [1982].
  • « Créole et enseignement primaire en Haïti », par Albert Valdman, Institut pédagogique national, Département de l’éducation nationale et Indiana University, Bloomington, 1980.
  • « Le créole en question », Institut pédagogique national, [1979]. Bloomington, Indiana University, 1980.
  • « Gramè kreyòl : 4èm ane : kaye elèv », Département de l’éducation nationale, Institut pédagogique national, 1986.

Et quant aux données d’enquête de terrain sur l’utilisation effective du créole dans les écoles haïtiennes, il y a lieu de préciser que cette réalité est peu connue, mal connue, et qu’elle n’a pas encore fait l’objet d’une enquête d’envergure nationale ciblant les écoles des secteur privé et public. Trois documents méritent toutefois d’être examinés avec attention : (1) « Le problème de l’usage scolaire d’une langue qui n’est pas parlée à la maison : le créole haïtien et la langue française dans l’enseignement haïtien », par Benjamin Hebblethwaite et Michel Weber (Dialogue et cultures 58 / 2012) ; (2) « L’état des lieux du créole dans les établissements scolaires en Haïti », par Renauld Govain (Contextes et didactiques 4/2014) ; (3) « L’aménagement linguistique en salle de classe – Rapport de recherche » (éd. Atelier de Grafopub, Port-au-Prince, 2000), étude commanditée par le ministère de l’Éducation et dont les judicieuses recommandations sont restées lettre morte. De plus, en ce qui a trait aux données d’enquête de terrain sur l’utilisation effective du créole dans les écoles haïtiennes, la question de la qualité des ouvrages scolaires et la typologie des outils pédagogiques en langue créole utilisés dans le système éducatif national –outils inspirés ou pas de la réforme Bernard–, devront sérieusement être examinées, d’autant plus qu’aucun document officiel consigné sur le site du Ministère de l’Éducation n’atteste que ce ministère soit au courant du nombre ou de la variété des outils pédagogiques en langue créole en libre circulation dans les écoles du pays, pas plus d’ailleurs qu’il n’est au courant du nombre d’écoles privées et publiques qui utilisent le créole dans l’enseignement des matières scolaires. Quels sont les manuels d’enseignement du créole et en créole actuellement disponibles sur le marché scolaire ? Par qui ont-ils été rédigés ? Leurs auteurs sont-ils des linguistes-didacticiens ou des enseignants ayant acquis une formation spécifique en didactique des langues ? Ces ouvrages sont-ils au préalable évalués puis recommandés et/ou normalisés ? Si oui, par qui ? Le ministère de l’Éducation nationale dispose-t-il de compétences spécifiques en didactique des langues l’habilitant à recommander/normaliser ces ouvrages ?

Tout en prenant en compte le fait que la présence ou l’absence de volonté politique de l’État constitue en amont un facteur explicatif de premier plan dans l’élaboration du bilan à venir, il faudra accorder une attention particulière à l’évaluation de la mise en oeuve des préconisations linguistiques de la réforme Bernard de 1979, en particulier en ce qui a trait au dispositif de l’aménagement du créole aux côtés du français dans le système éducatif national. Car en sus des carences curriculaires manifestes de ces dernières années, l’épineuse question linguistique n’a toujours pas trouvé de solution rigoureuse, crédible et rassembleuse au sein de l’École haïtienne. Les ratés, les demi-mesures ministérielles, les tentatives boiteuses et sans lendemain de « réforme » de l’éducation, la saga des « plans » et des « directives ministérielles », les lourdes lacunes du corps professoral notamment quant aux qualifications requises pour l’enseignement du créole et en créole et le faible niveau de compétence d’un grand nombre d’enseignants de français, tout cela doit être mis en perspective à l’aune d’un futur bilan exhaustif de la réforme Bernard de 1979. Un tel bilan pourrait être mené en partenariat, sur le mode d’une vaste enquête d’envergure nationale, par les Facultés des sciences de l’éducation (Université Notre Dame d’Haïti, Université Quisqueya), la Faculté des sciences humaines et la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Le bilan exhaustif de la réforme Bernard de 1979 contribuera ainsi, par les enseignements qu’il saura livrer sur différents plans, à la formulation d’une véritable politique linguistique éducative (voir nos articles « Politique linguistique nationale et politique linguistique éducative en Haïti : une nécessaire convergence historique », Le National, 30 novembre 2017 ; « Plaidoyer pour la première loi sur les langues officielles d’Haïti », Le National, 15 mars 2019 ; « De la nécessité d’une loi d’orientation linguistique de l’éducation en Haïti », Le National, 10 mars 2020).

 

René Dépestre: « Je me suis réconcilié cette année avec Cuba »

( Publié en 2016)

René Depestre

A 90 ans, René Depestre a été un témoin privilégié de la révolution cubaine. Alors âgé de 26 ans, il avait rejoint « ses frères d’armes » dans la Sierra Maestra en 1953 après avoir sillonné l’Amérique latine, la Chine et l’Europe de l’est. Poète, romancier et essayiste, il est entré dans la littérature par la révolte il y a 70 ans en Haïti.

René Dépestre
Comment avez-vous accueilli la mort de Fidel Castro ?

Avant tout, je me dois d’éviter les pièges du lyrisme et ceux du dénigrement, parce que je vois aujourd’hui autour de moi qu’il y a des torrents de calomnies qui s’abattent sur le parcours de Castro et puis il y a naturellement des discours apologiques et très forts. Mais il y a un fait, c’est que la solidarité plébiscitée par sa mort, comme ce fut le cas pour les funérailles d’Aimé Césaire. Comme je l’ai dit ces jours-ci, j’ai vécu à la fois les grands espoirs de la révolution cubaine et les désillusions. Donc il me faut parler des raisons qui m’ont fait espérer de Cuba dans les années 1960 et le désespoir que j’ai connu de très près également. Tout d’abord, ce qui frappe vraiment, c’est que Cuba est le seul petit pays par sa taille à occuper, sur la scène internationale, une place aussi importante. De ce fait, toute la planète parle de ce pays et son leader. C’est extrêmement rare. Ensuite, si on veut considérer quels sont les acquis internationaux que Castro a glanés pour Cuba, on peut considérer que ce pays a contribué à la décolonisation totale de l’Afrique, grâce aux 40 000 hommes envoyés sur les fronts en Angola, au Mozambique, en Ethiopie, en Algérie. Ce pays a été présent au XXe siècle sur tous les champs de bataille de la décolonisation. C’est considérable, quelles que soient les opinions qu’on puisse avoir du point de vue idéologique de Cuba.

Faites-vous un parallèle entre la révolution haïtienne au XVIIIe siècle et celle de Cuba au XXe ?

La révolution cubaine a touché toute la planète, ce qui n’était pas le cas pour la révolution haïtienne. Par la suite, le régime à La Havane a envoyé des médecins, des infirmiers en Haïti, notamment lors des catastrophes naturelles dont nous avons été victimes en 2010.

Personnellement, vous avez eu des démêlés avec le pouvoir cubain.En gardez-vous un goût amer ?

J’ai vécu des épreuves qui ont été douloureuses car elles ont été à l’origine de ma rupture en 1978 avec les autorités cubaines. Parce que j’ai pris fait et cause pour Padilla, un grand poète cubain. C’était un ami, un homme de talent, mais qui critiquait ce qu’il fallait critiquer dans la vie civile. Il a été arrêté et obligé de faire une confession pour s’accuser de tous les maux de la terre. On lui a remis le texte de la confession cinq minutes avant la réunion de la chambre des écrivains qui l’accueillaient ce jour-là. Il a fait une confession absolument lamentable. Ce n’était pas lui : les agents de la sécurité publique lui ont fait lire le texte. J’ai été témoin de cette injustice. A la fin de la réunion, j’ai pris la parole pour défendre Padilla. J’ai été le seul à le faire. Aujourd’hui, je peux le dire pour la première fois.

Mais comment peut-on expliquer qu’un rêve socialiste tourne au cauchemar ?

Le problème est d’une extrême complexité. Avant la révolution, Castro n’était pas communiste. Il ne l’était même pas dans les six premiers mois de la révolution. Je les connaissais pour avoir été très proche d’eux. Je suis allé à Cuba à l’invitation du Che dès le mois de mars 1959. J’étais un notable d e la révolution, donc au courant de tout. D’ailleurs, je viens de terminer un livre qui s’appelle « Une gomme pour le Christ » qui sortira en début d’année et dans lequel j’ai écrit tout un chapitre intitulé « Cuba, service après naufrage » . Je dis tout ce que j’ai vu et vécu. Alors Castro n’était pas communiste, contrairement à son frère. Mais quand il s’est heurté à l’hostilité d’Eisenhower, puis de Kennedy, il n’avait plus le choix. Notamment, il lui fallait un marché pour écouler la production sucrière. Alors, les communistes cubains ont sollicité l’URSS pour aider leur pays. C’est comme ça que Castro est passé avec armes et bagages du côté soviétique.

Qu’elle a été la gestion de la question noire par les vainqueurs ?

Comme Haïtien en me rendant à Cuba, je me posais la question de savoir si les révolutionnaires allient pouvoir régler le problème racial. Il faut noter que Cuba était un pays extrêmement raciste avant la prise du pouvoir par les communistes. Je l’ai subi en 1952 lors de mon séjour sous Batista avec mon épouse qui était une femme blanche. Ils ont pris ma femme à part en lui disant qu’elle devrait avoir honte d’épouser un Haïtien qui, en plus est un bolchevik. Il n’y avait pas pire ennemi qu’un Haïtien bolchevik. A la fin, nous avons été expulsés manu militari.. Et quand la révolution a triomphé, je suis allé à Cuba. Peu après mon arrivée, j’ai entendu Castro évoquer la question raciale dans un discours prononcé au coeur de La Havane. Le lendemain, des gens ont quitté le pays en disant qu’il allait instaurer le mariage mixte et livrer les femmes blanches aux Noirs. Il y a eu un scandale, à tel point que sans reculer sur la lutte contre le racisme, il avait favorisé l’accès des Noirs à l’éducation et aux hautes fonctions du pays. C’était une bonne chose, car avant Castro, le pays marchait tout droit vers l’apartheid à la manière sud africaine. Le Che et Castro ont instauré une démocratie raciale.

Quel regard posez-vous sur l’avenir d’Haiti qui vient d’élire un nouveau président ?

Oui, le pays a mis des mois pour élire un nouveau chef d’Etat. Ce qui montre l’incapacité des pouvoirs à s’organiser pour faire face aux très nombreux défis. C’est le résultat de la disparition de la société civile en Haïti. Ce n’est pas seulement un tremblement de terre pour Haïti, mais c’est un séisme pour l’Histoire. J’éprouve en ce moment, un grand pessimisme pour Haïti. C’est la première fois que je suis dans cet état.

Vous venez de fêter vos 90 ans. Bloncourt avec qui vous avez mené une révolution qui fête ses 70 ans. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Oui! Avant la révolution du 23 juillet 1953 par Castro, nous avons bouleversé le paysage politique haïtien. Nous étions quelques-uns dont Jacques-Stéphane Alexis, Gérald Bloncourt, Gérard Chenet et bien d’autres. Nous sommes descendus dans la rue et avons crée un journal, « La Ruche » , dans lequel nous avons fait le procès du gouvernement de Lescot. André Breton et Aimé Césaire étaient à l’époque en Haïti. Grâce à leur présence, nous avons renversé le régime. Les militaires ont pris ensuite le pouvoir. Depuis lors, je suis en dehors d’Haïti. Je n’ai jamais pu y vivre.

Auriez-vous souhaité une révolution en Haïti ?

A l’heure actuelle, on ne peut plus considérer les choses en termes de révolution. Parce que la révolution d’octobre, la plus importante du XXe siècle, est partie en fumée, la révolution chinoise et celle du Vietnam ont sauvé les meubles et la cubaine aussi… Je crois que l’idée même de révolution est discréditée par l’effondrement des utopies. Il faut donc faire en ce moment preuve de beaucoup d’imagination.Un petit pays comme Haïti n’aura droit au salut que par la solidarité internationale. J’appelle ce pays un hapax, c’est-à-dire une occurrence langagière qui n’arrive qu’une seule fois dans une langue. Je dis qu’Haïti est un hapax politique, sociologique, culturel. Nous n’avons pas de société civile. Haïti fait du surplace existentiel. Il faut s’en sortir, non pas par une révolution, mais une mobilisation de tous ses enfants.

Vous étiez l’un des amis et confidents de Césaire. Que tireriez-vous de son expérience ?

J’ai été dans sa classe en Haïti lors de son passage avec son épouse Suzanne durant 7 mois. Depuis ce jour-là, j’avais une haute considération. J’ai toujours été très proche de lui. J’ai connu la négritude, il y avait à boire et à manger là-dedans. Mais aujourd’hui, il y a plus à manger qu’à boire. Je pense donc que Césaire est à mettre sur le même pied que Fidel Castro. Je peux dire, rétrospectivement que les deux hommes les plus importants d’Amérique latine et la Caraïbe sont Césaire et Fidel Castro. La pensée intellectuelle de l’un est amenée à connaître la même présence planétaire que la pensée politique de l’autre.

Mais l’après Castro s’annonce plutôt houleux…

Je vous fais une confidence : je me suis réconcilié cette année avec Cuba. D’ailleurs, j’avais été invité par Raul Castro, lors de sa visite en France. S’agissant des relations avec les Etats-Unis, je pense qu’après la visite de Barack Obama à Cuba, le nouveau chef de l’Etat ne va exercer aucune agression sur ce pays. Trump ne reviendra pas sur le passé, car Cuba va évoluer dans le bon sens. Il s’en sortira mieux qu’Haïti.

Source : FRANCE-ANTILLES ( Publié en 2016


Tuesday, May 25, 2021

Portrait en Lettres Capitales Jean-Robert Léonidas, médecin et écrivain haïtien

Jean-Robert Léonidas
médecin et écrivain haïtien

Surprises sur prise jérémienne 

Avec un tel titre, vous avez déjà, sans doute, en tête, une vue en  perspective  de Jérémie, de la Grand’Anse habillée de sa verdure luxuriante, baignant dans ses flots bleus à nul autre pareils. 

Mais non, détrompez-vous, je vous parle de préférence, de l’un des écrivains jérémiens, le plus lu en Europe en plein XXIe siècle. Il s’agit de notre Jean-Robert Léonidas. 

Écrivain, journaliste, pianiste à ses heures, médecin-endocrinologue et professeur médical retraité. Un touche-à-tout, qui a fait carrière chez l’Oncle Sam, pour revenir déposer sa besace dans le coin qui l’a vu naître : Jérémie, cette cité presque oubliée à la pointe ouest de l’île d’Haïti. 

Très bien connu au pays natal, mais la France s’en raffole, au point qu’il est rare de trouver une librairie de Paris qui n’offre une de ces nombreuses œuvres. Beaucoup d’articles de l’Hexagone parlent de ses écrits en long et en large. Il est l’une des coqueluches des foires internationales du livre de là-bas, au point d’y effectuer deux ou trois voyages par année. 

Pour de plus amples connaissances, je vous invite à lire  ci-dessous l'interview de notre compatriote, publié par « Lettres Capitales », sous le titre de : Portrait en Lettres Capitales de J-R. Léonidas, médecin et écrivain. 

Max Dorismond

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Qui êtes-vous, où êtes-vous né, où habitez-vous?

Moi, Jean-Robert Léonidas, j’ai vu le jour un matin de Juin, sous le soleil des tropiques, à Jérémie, une ville du Sud-Ouest d’Haïti. Une petite maison de la rue Hortensius Merlet m’accueille. Elle est coincée entre deux églises, la cathédrale Saint-Louis vêtue de parpaings rouges et le temple adventiste qui jouxtait notre cour où croissaient les plantes préférées de ma mère. À part le pourpier, le chiendent et le plantain à ras de sol, il y avait un manguier, un arbre à pain, un oranger, un cerisier, une passiflore qui grimpait sur une palissade et une vigne vagabondant sur son berceau de bambou. Des rosiers, des glaïeuls, des pervenches. Ma mère, femme de maison férue de latin d’église, faisait partie de la chorale des mères chrétiennes. Mon père venait d’être élu maire de la ville. J’ai grandi à Jérémie face à la mer. Depuis le balcon de chez ma grand-mère maternelle, j’épiais souvent le soleil du matin et l’arrivée des bateaux venus de Port-au-Prince ou des îles avoisinantes. Le soir, derrière les montagnes, en contre-haut du collège Saint-Louis où je faisais mes humanités, le rouge euphorisant du ponant jouait à cache-cache avec une ribambelle d’oiseaux.

Par la force des choses, j’ai dû laisser mon lieu de naissance. Je suis parti pour étudier ailleurs, travailler, écrire. J’ai bourlingué en plusieurs coins du monde. Désormais, comme en une sorte d’épiphanie, j’éprouve un bonheur immense de pouvoir crawler à rebours, remonter jusqu’à la source, et revenir vivre et écrire en terre natale.  

Vivez-vous du métier d’écrivain, sinon, quel métier exercez-vous ? 

À 17 ans, déjà épris de littérature, je laisse Jérémie, pour la classe de philo au Collège Saint-Martial de Port-au-Prince. Je m’inscris à un cours de littérature moderne prodigué à Saint-Martial par le Professeur Ghislain Gouraige. L’année suivante, sur les conseils de mon père, j’entre en médecine. Je deviens médecin à Port-au-Prince et endocrinologue à New York où j’ai exercé et enseigné ma spécialité pendant des années. Parallèlement, j’écris, je fais du journalisme. J’ai gagné ma vie grâce à la médecine qui a fait la courte échelle à ma passion des mots et a même été un pied d’appel me permettant de sauter irréversiblement dans l’univers littéraire.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Je ne puis pas déceler comment a germé en moi cette passion. Elle m’est venue en douce. Tous les dimanches, après la sieste, ma mère nous récitait des fables de La Fontaine ou des poèmes qu’elle avait appris en primaire chez les Sœurs de la Sagesse. Elle nous faisait chanter des rondes et exécuter des saynètes de son enfance. Je prêtais attention aux mots, aux harmonies et aux rimes. Le paternel a également joué sa partition. Il lisait toujours et consultait souvent son dictionnaire. Sur son bureau, il y avait l’Histoire de la littérature haïtienne par Duraciné Vaval, un manuel de Procédure Civile, un vieux manuel de Droit Romain, divers numéros de Selection du Reader’s digest et de la revue Historia.  C’est à son exemple que j’étais devenu un habitué des feuilles roses du petit Larousse illustré. « L’étude sérieuse et calme n’est-elle pas là, n’y a-t-il pas en elle un refuge, une espérance et une carrière pour chacun de nous ? » Cette phrase m’était dictée par mon père. Je l’ai écrite sur le tableau noir de chez moi et de façon indélébile dans les replis de ma mémoire. C’était à Jérémie dont on dit qu’elle est un épicentre littéraire, « la cité des poètes ». Je n’aime pas ce privilège exclusif qui est de toute évidence un mythe, mais à coup sûr un mythe fondateur pour plus d’un. Pour moi en tout cas.

Quel est l’auteur, quel est le livre qui vous a marqué le plus dans la vie ?

Pendant mon adolescence j’ai lu ce qui était à ma portée. j’ai pris contact avec quelques classiques des littératures française et haïtienne. J’ai aimé les poètes jérémiens. J’ai lu Le caïman étoilé d’Emile Roumer, Les dix hommes noirs d’Etzer Vilaire. Puis mon univers s’est élargi. J’ai dessiné une carte du Tendre personnel avec Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, Le petit Chose d’Alphonse Daudet, Le petit Prince et Vol de nuit de Saint-Exupéry, Journal d’un curé de Campagne de Bernanos, en y ajoutant plus tard Climats d’André Maurois, Les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar et Belle du Seigneur d’Albert Cohen. J’ai aimé tout cela. J’hésite à le dire tant je suis omnivore, mais j’avoue que le roman d’Albert Cohen m’a divinement bluffé.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

Dans les provinces de notre pays, il était question de jardin créole, lieu de tous les produits de subsistance, pour le bien-être général. La monoculture n’était pas de règle. La sagesse était de diversifier et de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Belle métaphore pour signifier une ouverture d’esprit quant à la chose littéraire. Il n’y a pas loin de la culture à la littérature. J’ai donc développé une certaine polyvalence vis à vis de l’écriture. Tous les genres ont leur saveur. La poésie, les essais, le roman. Avec le temps, le roman s’est imposé dans mes habitudes comme genre de prédilection.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

Pour moi, écrire est un acte qui suit les mouvements de la respiration et du cœur, témoignant d’une simplicité et d’une authenticité qui me plaisent. Des fois cela arrive comme une sudation, une éructation.  La démarche reflète alors mon état d’âme, mes sautes d’humeur, ma joie, mes souffrances. La structure des phrases en dépend, le montage des paragraphes s’en ressent. Je savais écrire d’un trait dans le temps. Mais depuis un certain temps, j’ai appris à m’arrêter pour lire, comme pour me ressourcer. Je me relis. En me relisant, je remets souvent le pendule à l’heure. Je fais des ajouts. J’en dis plus pour clarifier, si je juge le message un peu abscons ou la confidence incomplète. Je caviarde, j’émonde, si le déballage me paraît trop intime ou superfétatoire. J’avais toujours écrit à la troisième personne. Marguerite Yourcenar m’a appris, cela fait un bail, à carburer sur le mode du « Je ». Après avoir lu Les Mémoires d’Hadrien, où Yourcenar s’est mise dans la peau d’un empereur du 2e siècle, j’ai compris que je pouvais faire de même.  Dans un de mes romans À chacun son big-bang, je me suis glissé dans la peau d’une fillette qui écoute parler son grand-père dont elle nous transmet l’histoire en première personne.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Le monde est la matière brute qui s’offre en pâture au travail de l’écrivain. Quand je dis « le monde », j’entends moi-même, mon environnement, la nature et les autres. Je sais plonger dans les strates freudiennes de ma personnalité pour retrouver mes vérités profondes et en faire sortir une histoire intimiste, à moitié camouflée. J’aime observer les autres qui évoluent sur la terre et dans l’univers pour puiser comme un prédateur des sujets à exploiter. Je peux me transformer tout aussi bien en pygmalion, jeter ma canne à pêche dans l’océan de l’imaginaire pour tenter de réaliser, la chance aidant, une œuvre acceptable. Le réel est la nourriture de l’écrivain autant que le rêve. S’agissant du temps qu’il me prend pour accomplir une tâche littéraire, à ce stade béni de mes rapports avec l’écriture, un tel facteur revêt de moins en moins de pertinence. Pourtant, je l’ai déjà dit ailleurs et je récidive. Il me faut à peu près 9 mois pour avoir l’essentiel d’un roman en main. Une grossesse a besoin de 9 mois. Un bananier autant pour porter son régime en triomphe. Il m’a fallu neuf semaines pour faire la cour à mon épouse, 9 jours pour visiter une belle ville, 9 heures pour apprécier la richesse d’un musée… Je tiens mordicus à la magie du chiffre 9.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Dans mes démarches littéraires, surtout s’il s’agit d’un voyage fictionnel, le titre au tout début est volontairement relégué au strapontin. Il s’identifie et se matérialise mieux en fin de parcours. Entretemps, c’est la trame de l’histoire qui prédomine. Le déroulé peut emprunter des détours inattendus, éloignés du projet initial du romancier. Le titre dérive donc de la nature des choses. C’est l’histoire qui détermine l’intitulé et non point le contraire. Il m’arrive de changer de titre au beau milieu du travail. Une fois, mon éditeur, après avoir lu et accepté un de mes manuscrits, m’a gracieusement suggéré un nouveau titre. J’ai obtempéré sans barguigner. Il avait raison, le nouveau titre collait beaucoup mieux au texte.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Je l’ai dit. Je suis un chasseur-cueilleur, un amasseur de biens. J’invente également et je crée quand je peux. Les êtres qui circulent dans ce que j’écris sont des personnages hybrides. Je m’y reconnais parfois, J’y retrouve des proches, des gens que j’aime, ceux que j’aime moins, des rencontres fortuites, des inconnus. Ces mêmes personnages peuvent à terme présenter des traits de caractère que je ne leur connaissais pas. Ils font à leur tête. Ils tendent des pièges au lecteur, à moi aussi leur créateur. Et c’est là l’un des divers charmes de la littérature qui sait construire, déconstruire le monde, pour y apporter de l’imprévisible et du neuf.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Ma dernière publication est un travail à deux. L’impertinence du mot (Riveneuve éditions, Paris) en collaboration avec Hélène Tirole. De quoi s’agit-il ?  Une femme curieuse et déterminée, ayant pénétré dans les jardins privés des auteurs qu’elle admire, interroge les lettres, les mots, les phrases, la pensée, et donc la nature. Un écrivain tente de répondre librement, à sa guise, en empruntant des chemins inattendus, pleins de surprises et d’humour. 

J’avais besoin d’une période de jachère, de repos d’esprit. La covid s’est mêlée de la partie sans me toucher heureusement. J’en ai profité pour jardiner, manier le clavier en amateur. J’ai lu beaucoup plus que j’ai écrit, avec de petits articles çà et là. Je me suis donc régénéré. Et alléluia, vacciné et en pleine forme, je suis en train de mettre la dernière main dans un projet fictionnel où j’aborde les bienfaits et les méfaits de l’adoption interraciale, dans un monde de déséquilibre où les frontières entre les gens et les pays sont à la fois poreuses et infranchissables… À bientôt.

Source: :https://lettrescapitales.com/portrait-en-lettres-capitales-jean-robert-leonidas-medecin-et-ecrivain-haitien


Friday, May 21, 2021

MÉMORIAL - DÉPART DE NOTRE AMIE SANDRA FOURCAND

 Par Eddy Cavé,

Ottawa, le jeudi 13 mai 2021

SANDRA FOURCAND
1963 -2021

DUR ! DUR ! DUR ! La mort a de nouveau frappé à nos portes dans la soirée du mercredi 12 mai en cours. Elle a fauché en plein vol, à l’âge de 58 ans seulement, la fille de deux amis de longue date Serge Fourcand et Marianne Lehmann. La nouvelle du décès de Sandra est tombée ce matin, 13 du mois, causant une véritable onde de choc dans la famille, le monde des parents et amis, ainsi que dans les milieux haïtiens de l’action communautaire et de la promotion de l’art haïtien à Montréal.

Dans notre compréhension très imparfaite des lois et du fonctionnement de la Nature, nous avons cru pendant longtemps que c’étaient les plus âgés qui partaient les premiers. Que c’étaient les enfants et le les petits-enfants qui suivaient la dépouille des parents et des grands-parents en route pour leur dernière demeure. Nous nous bercions d’illusions. Et quand l’épidémie du SIDA a éclaté dans les années 1980, nous avons vu avec stupéfaction un grand nombre de mères et de pères ensevelir des filles et des fils qui commençaient à peine à voler de leurs propres ailes. En qui ils avaient investi toutes leurs énergies, placé tous leurs espoirs.

En même temps, nous découvrions que ce que nous considérions comme une loi de la Nature n’était en fait qu’une illusion, qu’une généralisation hâtive faite avec naïveté. Comme celle de la rose des Entretiens sur la pluralité des mondes, de Fontenelle, qui pensait que le jardinier était éternel parce que, de mémoire de rose, on n’en avait jamais vu deux dans le jardin. La dure réalité, c’est que la Nature frappe quand elle veut et comme elle veut et que nous sommes impuissants devant ses diktats.

Aujourd’hui, ce sont les Fourcand qui écopent d’une fatalité qui apparaît à mes yeux comme un caprice de Mère Nature : un cas très rare de sclérose en plaques compliqué par la maladie connue en France sous le nom de maladie de Charcot, en Amérique du Nord sous celui de maladie de Lou Gherig. Un malheur qui aurait pu frapper n’importe lequel ou n’importe laquelle d’entre nous!

Sandra était très malade depuis un certain temps et elle avait pour cette raison considérablement réduit ses déplacements. De sa résidence à Terrebonne, au nord-est de Montréal, elle avait néanmoins continué à s’occuper de sa mère restée en Haïti et à entourer de son affection ses six enfants et petits-enfants. Et la Faucheuse est passée, coupant court toute possibilité et tout espoir de rémission !

Sandra est arrivée au Canada à la fin des années 1970 pour terminer son secondaire et entrer à l’université. C’était à Ottawa où Serge et Mathé venaient de s’établir et où je les avais devancés de quelques années. Le bilinguisme était alors en plein essor au Canada, et la traduction offrait d’immenses possibilités aux jeunes diplômés. Fille et petite-fille d’avocat, elle ne voulait pas être avocate et opta dans un premier temps pour la Faculté de traduction de l’Université d’Ottawa.

Attirée par les langues et le journalisme, elle se rend en Allemagne où elle acquiert une quatrième langue, puis à Bordeaux où elle étudie le journalisme.

Bien armée pour affronter les dures réalités de la vie, Sandra a épousé dans l’intervalle Rolf Sambale, travaille un certain temps à Paris et retourne en Haïti en 1991 pour donner naissance à sa première fille, Annaïse. Port-au-Prince vit alors dans l’atmosphère d’un apprentissage plutôt cahoteux de la démocratie participative. Après le coup d’État qui renverse JeanBertrand Aristide du pouvoir, elle se réfugie dabord à la Guadeloupe, puis se rend en France où elle travaille un certain temps à lAmbassade dHaïti à Paris. Commence alors une période très mouvementée de sa vie où, remariée à Ralph Dulyx, elle travaille successivement pour la FAO et OXFAM à Port-au-Prince. Les émissions de variétés qu’elle anime à Radio Métropole avec les Widmaier lui plaisent beaucoup, mais en 2004 elle retourne pour de bon au Canada.

Avec toutes les cordes qu’elle a à son arc, Sandra n’est jamais restée longtemps sans emploi. D’autant plus qu’elle s’est toujours impliquée avec joie dans le communautaire et les activités de bienfaisance. Isolé à Ottawa, je la vois très rarement à cette époque, mais c’est toujours un vrai bonheur de la rencontrer à Montréal au Salon du livre de l’automne, au Festival de jazz du début de l’été, aux festivals et spectacles de konpa. Cette authentique fille du pays s’épanouissant dans l’action, les rencontres sociales et le bénévolat, une fois accomplies ses obligations familiales, elle a mené une vie très active et très gratifiante à cette tranche de sa vie.

En 2012, le Musée canadien des civilisations hébergeait pour une période de trois mois une extraordinaire exposition itinérante d’œuvres haïtiennes d’inspiration vodou provenant de la collection privée sa mère, Marianne Lehmann. Ce fut un véritable succès pour cette exposition qui venait d’attirer des milliers de visiteurs à Genève et à Amsterdam, et cela lui procura un grand bonheur.

En revenant à Montréal, Sandra a mis au service de ses employeurs canadiens et de l’organisation Communication Karayib une bonne formation universitaire combinée à une expérience très diversifiée du marché du travail. À Terrebonne, en banlieue de Montréal, où elle s’est fixée durant les dernières années de sa vie, elle a parrainé diverses activités de promotion de l’art haïtien et de la culture haïtienne en général. C’est ainsi qu’elle a organisé en 2019 à la Maison Bélisle, dans le Vieux-Terrebonne, une exposition des œuvres du peintre Levoy Exil, totalement inconnu au Québec. 

Membre fondateur du mouvement Saint-Soleil issu de la première communauté artistique rurale d’Haïti, Exil appartient également à l’organisation Soisson-la-Montagne créée en 1973 à l’initiative du grand artiste jérémien Jean-Claude Garoute, dit Tiga. L’objectif de cette activité organisée avec conjointement avec le personnel de Communication Karayib était de faire connaître au Québec le volet de la peinture haïtienne fortement influencé par le vodou. Je crois que ce pari a été gagné.

Active sur plusieurs fronts en même temps, Sandra a volé au secours du collectif SOS Grand’Anse constitué à Ottawa en 2016 après le passage de l’ouragan Matthew sur la région.

Elle a alors mis à notre disposition un carnet d’adresses bien rempli et apporté une aide considérable au Comité organisateur. Dans le cadre de cette opération, elle avait obtenu de diverses grandes institutions canadiennes des promesses d’une aide substantielle dont nous n’avons malheureusement pas pu tirer profit.

Il est réconfortant de penser que, même si Sandra est partie à un âge où l’on continue à faire des projets d’avenir, elle a eu une vie bien remplie. Avec ses six enfants et petits-enfants, elle laisse une progéniture qui va marcher sur ses brisées et qui récoltera certainement les fruits des arbres qu’elle a plantés. 

Si ce départ m’attriste autant, moi qui l’ai seulement vue naître et grandir, qui ai seulement pu constater les grandes étapes de son impressionnant parcours, je n’ai aucune difficulté à imaginer la douleur des membres de la famille dont elle est issue : Serge, Marianne, Mathé, Junior, Martine, Anne, Françoise, Patricia. À imaginer aussi et surtout la déchirure que cette disparition prématurée inflige aux membres de la famille qu’elle a créée : Annaïse Sambale; Youri, Leticia et les jumeaux Lara et Laurent Dulyx; les ex-époux Rolph Sambale et Ralph Dulyx. À quoi s’ajoute la cellule que Youri vient de créer avec sa conjointe Christina et leur fillette Alysée. 

En présentant mes plus sincères condoléances aux familles Fourcand, Roumer, Lehmann, Guertain, Graff, Sambale, Dulyx, j’invite les amies et amis qui ont connu Sandra à lui consacrer une minute de recueillement et à dire au moins une courte prière pour le repos de son âme.

Sandy, je ne t’oublierai jamais. Que ton âme repose en paix !

Eddy