Avec René Préval, durant ses dernières heures sur terre
Le député Jerry Tardieu serrant la main de René Préval (à droite) (Photo-archive: Le Nouvelliste) |
Par Jerry Tardieu
Ce jeudi 3
mars 2017, à 9 a.m. pile, j’arrive chez l’ex-président René Préval à Laboule.
Ponctuel pour le petit-déjeuner auquel il m’avait invité avec insistance la
veille. Pendant deux heures, autour des expressos que nous servait à répétition
la sympathique Rose, nous allons échanger dans la bonne humeur et la plus
parfaite convivialité. Serein, calme, détendu, l’ex-président Préval pétait la
grande forme. Fidèle à son côté blagueur, de temps à autre, il refilait des
calembours trempés d’humour dont lui seul a le secret. Absolument rien ne
laissait imaginer qu’il allait rendre l’âme cinq minutes après m’avoir
raccompagné à mon véhicule vers 11 heures du matin.
A l’heure où
j’écris ces quelques lignes, je sens encore résonner en moi les ultimes paroles
du président durant ces dernières heures sur terre. S’il avait demandé à me
voir, c’était surtout pour discuter du dernier livre de l’agro-économiste Alex
Bellande intitulé : « Haïti déforesté, paysages remodelés ». Dès mon arrivée,
il m’en offre une copie en me recommandant sa lecture qui m’aiderait, me dit-il
avec un large sourire, à mieux comprendre l’importance de légiférer au bénéfice
de la production agricole nationale. Il me confia alors fièrement avoir lui
même financé la réimpression de deux cent cinquante exemplaires pour
sensibiliser les décideurs, tant au niveau de l’exécutif qu'au niveau du
législatif, à la justesse des analyses et des recommandations de Bellande.
D’un ton
ferme, le président Préval m’explique que pour Haïti, la bataille de demain
n’est pas politique mais économique. Elle passe, me dit-il, par le
développement agricole qui peut se faire de façon intelligente à travers une
politique de reboisement audacieuse et différente. Grosso modo, pendant plus
d’une heure, le président Préval va tenter de me convaincre du bien-fondé des
thèses de l’auteur qui propose des solutions qui capitalisent sur l’expérience
et le savoir-faire séculaire de la paysannerie haïtienne. Aucun reboisement
n’est possible, me dit-il, sans y associer intelligemment et opportunément la
paysannerie en les encourageant à planter des arbres fruitiers qui deviendront
des sources de revenus. Pour René Préval, confier des projets de reboisement
aux “scouts" ou aux écoliers comme on le fait depuis des lustres rime avec
“ showbiz". Lorsque l’on plante un arbre, qui de mieux que le paysan pour
en assurer l’entretien et l’arrosage ? Personne, ajoute-t-il !
De ce point
de vue, renchérit-il plus loin, la culture du bambou peut être une filière
porteuse de développement économique. Le président Préval en veut pour preuve
que sa production à Marmelade de milliers de bancs et bureaux scolaires a
facilement trouvé preneurs. Il me dit alors que cette expérience devrait être
répétée à volonté dans tous les départements du pays. Il me fait voir quelques
échantillons de la dernière production de son atelier dont il me vante alors la
dextérité des ouvriers.
En conclusion de notre conversation, le président Préval se réjouit que les nations en reviennent aujourd’hui à des politiques protectionnistes. La tendance est mondiale. Nous ne devrons pas y échapper. A ce propos, et pour épouser l’ère du temps, il m’invite à proposer une loi pouvant favoriser la production nationale de certains biens. Il m’en dessine les contours. Nous en discutons longuement. Il insiste. Je prends note.
Notre
conversation animée est alors interrompue par l’arrivée de l’architecte Daniel
Elie qui ne restera que quelques minutes. L’ex -president renchérit de plus bel
sur le thème du développement endogène qui n’est possible que par le biais de
la production agricole, la reforestation intelligente et la mise en capacité de
la classe paysanne.
Durant ses dernières heures sur terre, le plaidoyer de René Preval a donc été pour les paysans haïtiens et la relance de la production nationale. Il l’a fait avec passion et conviction. Tout un symbole connaissant la trajectoire politique de cet homme qui s’est toujours voulu du côté des paysans opprimés qu’il a défendus inlassablement dans toutes leurs revendications.
Jusqu’à son
dernier souffle, le président Préval n’a donc pas arrêté de parler de son rêve
de modernisation pour l’agriculture haïtienne. C’est le dernier message qu’il
me laisse, qu’il nous laisse. Pour avoir été le dernier à le voir, le dernier à
lui parler, je me sentais dans l’obligation de partager ce dernier moment, ce
dernier échange, ces dernières paroles.
On aime ou
on n’aime pas René Préval. L’homme ne laisse pas indifférent. Certains lui
reprochent un côté anarchiste, insouciant, anti-institutionnel même. D’autres
lui reprochent son manque de poigne à certains moments ou des décisions fermes
s’imposaient. Mais personne ne peut remettre en question les qualités
d’honnêteté d’un serviteur public qui n’a jamais accepté de goûter au miel
empoisonné de la corruption, la simplicité de l’homme refusant avec
intransigeance toutes les prébendes et les apparats du pouvoir, l’humilité du
citoyen qui jusqu’au dernier jour vivait dans la simplicité.
Avant de
prendre congé du président Préval ce matin, je lui ai demandé une faveur, celle
de répondre positivement à mon invitation de participer à une soirée commémorative
des trente années de notre Constitution le 29 mars prochain. Ce soir-là, je
compte lancer les travaux officiels de la commission spéciale de la Chambre des
députés pour la réforme de la Constitution.
Il a
gentiment décliné mon invitation en me disant qu’il ne participerait plus aux
efforts de réflexions sur la Constitution. J’ai déjà tout donné. J’ai déjà joué
ma partition. L’heure de la relève est arrivée, me dit-il.
J’ai laissé
le président sur cette fin de non-recevoir. Je suis quand même parti le sourire
aux lèvres, satisfait d’une matinée agréable et riche en échanges instructifs.
Moins d’une demi-heure plus tard, je reçois un appel du journaliste Gary Pierre
Paul Charles m’annonçant la mort de René Préval. A priori, je n’y crois pas. Je
remonte vers Laboule pour me heurter à la cruelle vérité. René Préval est bel
et bien mort.
Je salue la
mémoire d’un aîné qui m’a beaucoup appris des dures réalités de la vie
politique haïtienne, d’un homme intègre et profondément humain, rempli de
tendresse et de fidélité, à la fois stoïque et fourbi aux rudes épreuves du
combat politique, mais également sensible lorsque ce combat se transporte sur
le terrain du cœur.
Adieu
Président! Que le miséricordieux t’accueille dans sa grâce infinie. Je lui suis
reconnaissant de m’avoir permis de passer avec toi tes dernières heures sur
terre.
Jerry
Tardieu Auteur
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