Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Thursday, November 18, 2021

Haïti au bord de l’implosion

Une illustration exemplaire de la vie de nos congénères haïtiens


Par Max Dorismond

À lire les nouvelles, nous demeurons avec l’impression que c’est une île où traînent les morts-vivants de la célèbre «marche des zombis» dans «Thriller» de Michaël Jackson. C’est un coin de terre où chacun dicte sa propre loi, sa propre Constitution. 

Les gangs sont les maîtres du jeu. BBQ, le roi des rois, peut fermer et ouvrir la capitale à sa guise, concrétisant ainsi la prophétie de l’historien Michel Soukar : «Un jour viendra, ce sont les gangs qui nous diront quand sortir et quand rentrer chez nous». Et nous y voilà!

Les nantis ou les quelques barons de la classe moyenne ont déjà pris leurs jambes à leur cou vers des cieux plus cléments. Les rues sont quasi désertes. Ceux qui restent et ne peuvent s’enfuir, ce sont les plus mal pris et les quidams à dossiers criminels, exclus de la scène internationale. 

Ces pauvres hères constituent des loques humaines croisées sur les routes, comme s’ils évoluaient sur une autre planète. Advienne que pourra! Kidnappings, assassinats, viols, covid-19, balles perdues, être au mauvais endroit au mauvais moment : c’est la nouvelle loterie de l’heure, pour laquelle il faut être béni des dieux pour ne pas gagner son lot de tourments. 

Michael Jackson - Thriller

Les gens vivent, la rage au cœur. Tout va de travers, et personne ne connaît son ennemi : le gouvernement, c’est trop vague; le Premier ministre, il plane au-dessus de la mêlée. L’opposition, qui avait diabolisé le p’tit gars du Trou-du-Nord, en jurant de le gifler en pleine rue, cette opposition qui rêvait du «p’tit transit», selon feu Jovenel, on ne l’entend plus, on ne la voit plus depuis l’assassinat crapuleux de la cible rouge. Les gangs de la rue, ils sont trop forts et trop bien équipés. Comme des zombis, le peuple ne vit plus, il survit, prie et espère! 

Ainsi, il suit son instinct et évolue au rythme des esclandres. À Milot, dans le Nord, l’hôpital a été attaqué après qu’un citoyen blessé, réfugié dans la place, eût été achevé par des hommes en armes. Dans la panique, tout le personnel a pris la fuite, suivi des malades à qui il restait encore un peu de force. Une partie de l’institution a été incendiée. 

À Jacmel, l’hôpital Saint-Michel fut saccagé après le décès d’un patient dont la famille a crié à la négligence. Le personnel médical a pris la poudre d’escampette. Dans le «sauve-ta-poule» ou dans la cohue, une autre dame, en attente de soins aigus, après avoir accouché d’un enfant mort-né, décéda à son tour. Ses parents et alliés, ont appliqué la même méthode à ce qui restait de cette institution à la suite d’une crise de rage et de vengeance collective. 

Dans certaines églises, les pasteurs, pour ne pas perdre la dîme, invitent les fidèles inquiets à se présenter, armés de machettes, parce que, disent-ils, la Bible n’a pas de balle. En cette période survoltée, les pasteurs gourmands se sont vus dans l’obligation de dire les vraies affaires : La Bible c’est du papier. Elle n’est pas un bouclier pour un kalachnikov. Elle ne protège d’aucune façon, contrairement à ce qu’ils avaient toujours enseigné à leurs ouailles aux fins de les endormir. 

Cette Bible, dénommée «laBiblaye ou la Négraille», selon certaines critiques qui prétendent qu’elle a été retouchée spécialement pour les négros après l’indépendance d’Haïti, pour calmer les ardeurs des esclaves des colonies environnantes, avec l’ajout de certains chapitres ciblés, a toujours été un instrument de manipulation écrit sur mesure, tels qu’en font foi les passages suivants : 

Mathieu 5:44 — «Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent. Faîtes du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous maltraitent et vous persécutent…» 

Éphésiens 6:5-9 – « 5Esclaves, Obéissez à vos maîtres terrestres avec crainte et profond respect, avec sincérité de cœur comme à Christ… 7Servez-les avec bonne volonté, comme si vous serviez le Seigneur et non des hommes… 8sachant que chacun, esclave ou homme libre, recevra du Seigneur le bien qu’il aura lui-même fait… ». 

1 Pierre 2:18 — «Les esclaves et leurs maîtres : 18Serviteurs, soumettez-vous à votre maître avec toute la crainte qui lui est due, non seulement s’il est bon et bienveillant, mais aussi s’il est dur. 19 En effet, c’est un privilège que de supporter des souffrances imméritées, par motif de conscience envers Dieu…». 

Galates 6:6 – «6Que celui à qui on enseigne la parole fasse part de tous ses biens à celui qui l’enseigne». 

Après la lecture de ces versets, vous devinez l’engouement, le plaisir de certains étrangers à faire fortune et bombance chez nous sans crainte d’être lynchés, vous connaissez la raison de cette pauvreté endémique et pourquoi l’injustice règne dans l’absolu. 

C’est un peuple de moutons, mené par des «bergers subventionnés» qui assurent la sainte paix. C’est un groupe qui implore son dieu, matin, midi et soir, du lundi au dimanche, en rêvant du pain béni. Il se trouve aujourd’hui devant la criante réalité en découvrant que la Bible n’était jamais un protecteur, un bouclier contre les 400 Marozo ou Lanmô 100 jou, BBQ et compagnie. Ce n’était simplement qu’un leurre pour berner les idiots et les empêcher de se révolter. 

L’urgence a écarquillé bien des yeux. Le peuple vit la rage au cœur et se perd sans boussole dans l’identification de ses ennemis. Il les voit partout aux alentours. À ses yeux ne pétille que le reflet des pilleurs professionnels, surtout les politiciens, les nantis, les prédateurs, les privilégiés dont les appétits croissent avec arrogance. C’est maintenant qu’il vient de découvrir qu’il a trop prié depuis plus de 200 ans pour tous ceux qui lui avaient fait du tort. (voir Mathieu 5:44) ci-dessus. 

Le défoulement collectif devient un choix de vie, un besoin de vengeance, en substituant l’intuition et l’émotion au processus analytique. Il veut tout détruire; les stations d’essence sautent, des hôpitaux sont incendiés; l’embrasement se généralise. Cela apaise certains détraqués et enrage les victimes et le gros de la population : un asile de fous! 

En somnambules, sans aucun état d’âme, ces laissés pour compte se cherchent un éventuel ennemi, un coupable à flamber. N’importe quoi peut arriver. Le pays est à la dérive. L’International est fatigué et s’enferme dans un silence coupable, dénotant son incompétence en matière d’assistance à pays en danger, tout en se disant, comme certains le pensent en théorisant sur Haïti : «Il n’y a rien à faire pour cette nation, sinon la laisser fondre comme neige au soleil».

Max Dorismond

 




Wednesday, November 17, 2021

Vertières – Une invitation à la réflexion

Vertières, ce mot fraîchement inscrit dans le dictionnaire, ce nom qui avait troublé le sommeil de certains nobles français, ne fut point un accident de parcours ni un bégaiement de l’histoire. Il coiffait la détermination de toute une race qui luttait à mains nues : la race noire, dont chaque coup porté à l’ennemi écrivait un poème d’airain dans le siècle naissant. C’est à Vertières que fut créé le Nouveau Monde avec un zeste d’égalité et d’humanité. C’est à Vertières que fut écrite l’histoire moderne du monde actuel. C’est là que la négritude s’est mise debout pour définir les contours de la nouvelle civilisation à visage humain. Sans ce nom, nos frères, les laissés pour compte, les plus pauvres du système, blancs, jaunes ou Noirs, seraient encore aujourd’hui dans les fers. 

Par conséquent, en ce 18 novembre, il est venu le temps de saluer bien bas ces héros qui étaient montés à l’assaut du bien contre le mal. C’est ce que chante Fernande Gilbert dans ce suave poème inscrit ci-dessous. HCC

Oh Vertières !

Oh ! place exceptionnelle!

Fierté de nos aïeux, nos sentinelles!

Un 18 Novembre! Qui peut l’oublier?

Ce jour historique qui nous a marqués.

Un jour de combat,

Pour nos braves soldats.

Un moment décisif

Pour nos nègres captifs.

Tannés de leur condition d’esclaves,

Anxieux de se libérer de leurs entraves.

L’air du Nord a épousé l’odeur du sang.

Un sang mêlé de noirs et de blancs.

La terre a été piétinée

Par nos grenadiers déterminés.

Oh! Nuage de poussière

Qui a vu mourir nos âmes altières!

Oh! Vertières! Qu’ont-il  fait de tes Forts?

Nos mémorables lieux du grand renfort.

Que de chevaux entrainés pour cette expédition!

Que de chiens dressés pour cette mutilation!...

Ce bataillon de grande foi, 

Sous les ordres de Capois,

A fait tonner les canons.

A l’assaut! Répètent-ils à l’unisson

Tant pis pour ceux qui meurent…

Tant pis pour ceux qui pleurent...

Capois a vu tomber son chapeau

Et a fait voler celui de Rochambeau.

Le français lui a rendu hommage,

Accepta sa défaite et salua son courage.

Oh! Crête-à-Pierrot

Où sont tombés nos héros…

Oh! Butte Charrier, crête dominante

Vive La mission triomphante!

 

Haïtiens, mes frères!

Vous! les fils de Vertières!

Qui d’entre vous, reflètent ses vaillants?

Qui héritent encore l’âme de ses  brillants?

Aujourd’hui, rendons  hommage à nos Forts!

Renaissons de la cendre avec un peu d’effort.

Oh Vertières! où est passé  ton esprit  d’union

Que nos  ancêtres reflétaient avec passion.

Tes enfants s’entredéchirent vivement

Puisqu’ils font la politique autrement

Ils ont perdu le sens de vivre en frères

Ont-ils vraiment saisi le sens de “Vertières”

Vous les jeunes patriotes entêtés

Rallumons le flambeau de nos héros de la liberté

Qui nous ont procuré cette épopée

Tous Droits Réservés ©

8-11-13

Fernande Gilbert





Chanson pour Haïti 

avec la voix de Yole Derose


 

Thursday, November 11, 2021

Rêvons simplement en couleur - Un modèle africain dans nos rêves

C’est le seul temps où on n’a ni devoir ni obligation

Par Max Dorismond 

Quel ne fut mon étonnement de voir la liste des 46 compatriotes qui ont pris l’avion pour aller à la COP26, la conférence sur le climat à Glasgow en Écosse, où même une petite photo de l’île des Caïmites dans le Grand-Sud, à moitié submergée par les flots, ne sera exhibée pour sensibiliser les invités. Aucun lutrin ne fut offert à nos représentants pour prononcer un seul mot, pas même l’onomatopée HA, pour Haïti. Et pourtant, ils étaient 46. Quarante-six noirauds dans la pièce d’à côté! Mais quel vent les a poussés aussi loin de leur île? Gaspillage, quand tu nous habites! 

À voir la liste de ces 46 touristes en environnement qui ont débarqué de l’avion, les Glasvégiens étonnés ont dû se dire que cette gentille petite île est sans doute la plus propre au monde, un petit paradis, tant ses citoyens sont des passionnés du climat. Sa cohorte ne ratera pas une virgule de la COP26. Pauvre de nous! 

Pour un pays qui se cherche, pour un coin qui s’interroge sur son devenir, en ces temps très durs où le vide institutionnel se fait le plus sentir, où l’urgence en la demeure interpelle, le Premier ministre Ariel Henri a-t-il succombé à la pression de ses employés pour éviter d’être «jovenélisé» à son tour? Je le comprends, même pour un per diem1, certains n’hésiteraient point à utiliser des Colombiens pour l’envoyer en visite chez St-Pierre. Donc, pas de petits jeux à la roulette russe. Ce sont, ironise-t-il, des environnementalistes. On les emmène tous! « Venez, il y aura des per diem pour tout le monde » Et tournant la tête, il marmonna  entre ses dents : « Nou pa vinn chanje peyi ici pou pèsonn!». 

L’assassinat de feu le président trop exigeant est-il un handicap permanent pour Haïti? Oui et non! De prime abord, certaines ardeurs seront refroidies. C’est dans la nature des choses. Mais, à l’autre extrême, il existe des hommes déterminés que la pression répugne, que le danger attire naturellement : ce sont des révolutionnaires nés pour défier la mort, pour braver les interdits. 

Dans la même lignée, nous côtoyons aussi chez nous des gens allergiques à la corruption, de super compétents, de super intelligents qui pensent vraiment pays, mais qui rasent les murs et ne veulent se commettre pour l’instant. Laissons au temps le temps de s’en charger. 

En attendant, jouons au devin en rêvant un peu : imaginons que le hasard, qui arrange souvent très bien les choses, nous arrive avec un congénère qui s’est mué en brave pour tenter le diable. Des deux mains, je l’encouragerais à suivre les traces de ce président africain qui vient d’être terrassé le 22 mars écoulé, par une crise cardiaque, le Dr John Pombe Joseph Magufuli, qui dirigeait la Tanzanie. 

Nous savons habituellement comment se terminent les mandats de ces élus. Point n’est besoin de pérorer dessus, ce n’est pas du chinois pour nous. La France à elle seule en a refroidi 23. Ce qui n’a pas empêché pour autant Paul Kagamé d’humilier l’Hexagone et placer le Rwanda au rang des pays les plus évolués, après un sauvage génocide provoqué. Il en fut de même pour ce Magufuli reconnu par ses pairs comme le plus grand, le plus honnête des présidents africains en ce début du XXIè siècle. Il avait imposé le respect. «C’est un combattant de la corruption» selon les mots du dirigeant sud-africain Cyril Ramaphosa. C’est un phare. 

Ainsi, j’offre Magufuli comme modèle, au prochain élu sciemment choisi par « légitimité populaire », et non par les aiguillons des Américains, pour conduire notre nation hors des sentiers de la stupidité, de la gabegie, des tordages de bras, etc. Pour comprendre cette recommandation, veuillez cliquer sur le lien ci-dessous pour écouter, réfléchir et espérer : https://youtu.be/isym_qrN968 

 Max Dorismond


NOTE

 1 – Per diem : Expression latine très utilisée dans l’administration haïtienne. « Elle désigne l’indemnité prévue pour rembourser les frais quotidiens assumés par une personne en déplacement dans l’exercice de ses fonctions ». (Banque de dépannage linguistique).

Sunday, November 7, 2021

Les adieux de Beaumont à Mérès Wèche

Mérès Wèche
1943-2021

Eddy Cavé,

Ottawa, le 6 novembre 2021 

Dans l’après-midi du vendredi 5 novembre en cours, la ville de Beaumont gratifiait son fils Mérès de funérailles grandioses que, de mémoire d’homme, on avait rarement vues dans toute cette région de la Grand'Anse. Tenant compte des pluies torrentielles qui se sont abattues sur la ville le soir de la veillée mortuaire et le lendemain, avant et après les funérailles, on serait tenté de dire que même la Mère Nature s’était mise de la partie. Qu’elle a versé toutes les larmes qu’elle portait en son sein pour pleurer la disparition de l’illustre personnage.  Car Mérès n’était rien moins que cela, dans son patelin, comme dans les communautés qu’il a traversées ou adoptées dans ses 78 ans d’une existence de voyageur impénitent. 

Retourné au bercail l’an dernier comme le fils prodigue, mais avec les mains pleines de cadeaux, le cœur chargé de pensées généreuses, la tête remplie de projets d’envergure, Mérès était devenu le symbole et l’apôtre du renouveau à Beaumont. Dans un premier temps, le séisme du 12 septembre dernier a balayé en un clin d’œil la table qu’il venait de garnir dans un merveilleux élan d’enthousiasme et de solidarité avec le quatrième âge. Puis, c’est lui-même qu’un ouragan totalement imprévu a emporté sans le moindre avertissement. 

Un segment des funérailles de Mérès Wèche à Beaumont 


De mon refuge canadien d’Ottawa, j’ai eu le privilège de participer à la veillée du jeudi soir dernier, grâce à l’amabilité de sa nièce Emnie Wèche qui m’a téléphoné à plusieurs reprises pour me faire participer à distance à l’événement. Pour me faire écouter également les chants et les bruits de la grandiose manifestation d’amour que Beaumont tenait à la mémoire de Mérès. Elle m’a même donné l’occasion de dire directement en ondes un mot d’adieu  à cet ami de toujours. Au critique littéraire qui a été le premier à m’accueillir dans le monde des lettres haïtiennes à la sortie de mon premier livre en 2009, De mémoire de Jérémien. 

Cette veillée mortuaire m’a rappelé celle que Mérès alors, reporteur à la Télévision nationale d’Haïti avait réalisé à Jérémie lors du décès de son idole Émile Roumer. Dans ma pensée, Mérès rencontrait ainsi l’autre poète grand’anselais qu’il venait d’immortaliser dans les mémoires de Beaumont avec son documentaire sur l’auteur de Marabout de mon cœur. 

Durant le déroulement des funérailles, Emnie m’a également transmis en direct trois fragments qui m’ont donné une claire idée de l’ampleur de la cérémonie. En pensant aux maigres funérailles qu’avaient les exilés haïtiens en France après les guerres civiles haïtiennes des dernières décennies du 20e siècle, l’ancien président  Leslie Manigat se plaisait souvent à répéter un mot d’un des hommes politiques de l’époque : « On ne meurt bien qu’au village ». 

Eddy Cavé, Mérès Wèche et Herve Gilbert à Montréal  en 2019
(de la gauche vers la droite)

J’avais changé d’avis sur ce sujet après les funérailles, grandioses elles aussi, de notre ami de Corail, Claude C. Pierre, décédé à Ottawa en 2017. Mais à la vue des scènes de désespoir, des pleurs et des cris de douleur, authentiques, qui ont ponctué la veillée mortuaire et les funérailles de Mérès, je suis bien forcé de répéter avec mon ancien professeur Leslie Manigat qu’on ne meurt bien qu’au village. 

Resté jusqu’aux os un provincial incorrigible, malgré des 50 ans de résidence permanente au Canada, je crois profondément en la vertu salvatrice des cris de douleur et des scènes de désespoir caractéristiques des funérailles chantées sur la terre natale, en particulier dans le pays profond. Y compris celle des complaintes des pleureuses qui font partie de mes souvenirs d’enfance et de jeunesse. 

« Va, repose-toi, Mérès ! ». Tel est le titre du très beau poème signé à Montréal par Pivoine MJL, nom de plume de Mireille Jean-Louis, de Montréal, en guise de dernier hommage au monument qu’était Mérès Wèche : poète, écrivain, journaliste, critique d’art, cinéaste, communicateur, peintre, plasticien artiste, aux multiples talents. Mérès était tout cela et plus encore, précisait des États-Unis, l’écrivain bien connu Leslie Péan, qui semble avoir lu tous les écrits de Mérès.. 

Il y a une dizaine de jours, le vieil ami de Mérès, l’ancien ministre Henri Piquion, faisait écho à un cri du cœur lâché de Montréal par une amie commune, Lélia Lebon, qui s’était exclamée en apprenant la nouvelle du décès : « Mérès, ne t’en va pas trop loin ».  Mis bout à bout, ces deux messages à l’ami défunt expriment en peu de mots tout le désarroi que sa disparition soudaine a provoqué dans la diaspora : « Va, repose-toi, Mérès! » …  « Mérès, ne t’en va pas trop loin ». En lisant ces deux phrases, la semaine dernière, je n’ai pu m’empêcher de les mettre sur les lèvres des parents et amis qui, à l’heure des funérailles à Beaumont, devraient remplir l’église Sainte-Agnès : « Merès, ou pa ta fè nou sa ! Men, ou mèt ale. Ou bezwen yon ti repo ! Merès, ou mèt ale, men  pa al twò lwen, souple! Sous-entendu : Nou bezwen w toujou! Ta mission n’est pas terminée. 

Pour nous qui venons de la Grand’Anse, du Cap-Haïtien, de Saint-Louis-du-Nord, de Jacmel, des Cayes, de Port-au-Prince, il y a en filigrane, dans le message d’adieu : « Mérès, ne va pas trop loin », l’idée que ce voyageur infatigable est seulement parti pour quelques jours, quelques mois. L’idée que Mérès a quitté Montréal, sa terre d’élection, pour mener à terme les projets entamés à Beaumont et qu’il reviendra un de ces jours. 

Douce et apaisante illusion qui aide sans nul doute à surmonter l’épreuve de cette disparition brutale. Mais nous devons vous rendre à l’évidence. Nous ne le reverrons plus. En prenant congé de nous, le printemps dernier, il nous a seulement laissé entendre qu’il effectuait cet énième pèlerinage dans la Grand’Anse pour aller mettre définitivement Beaumont sur la carte de la Caraïbe, sur le circuit des concours de lecture, des salons du livre. Et surtout pour inscrire cette ville aux programmes des soins de santé et des Clubs des 120 ans de l’association cubaine AMECA. 

Par l’initiative et les soins de Mérès, cette initiative conçue pour le quatrième âge a trouvé dans Beaumont la rampe de lancement dont elle avait besoin en Haïti. Les photographies des gran moun bwòdè du 4e âge prises l’été dernier, durant le Salon du livre de Beaumont, ont fait le tour du monde. Elles passeront à l’histoire comme un témoignage vivant des réalisations les plus spectaculaires de Mérès et de son amour sans bornes pour sa terre natale. Un héritage qui sera très lourd à porter et à sauvegarder! 

« Le pont de la Grand’Anse est trop jeune pour mourir », écrivait Mérès le 28 août dernier, dans les colonnes du Nouvelliste et de Haïti Connexion Culture. Il était alors à mille lieux de penser que,  lui aussi, était trop jeune pour partir. Et surtout qu’après avoir tant semé sur les terres fertiles de Beaumont, de Cassannette et de Chardonnette, il était contraint d’attendre l’éclosion des bourgeons pour organiser et superviser les konbit de la récolte. Le Destin en a voulu autrement. Il a fauché en plein vol cet oiseau d’une espèce peu commune qui s’était confortablement installé dans les hauteurs de la création littéraire et artistique, de la réflexion philosophique et de l’action humanitaire. Dorénavant, il faudra compter sans lui.

J’associe ma voix à celle des amis d’ici qui ont déjà trouvé les notes justes pour saluer ton départ et je les invite à entonner en chœur avec moi cette chanson de Jean Ferrat,idéale pour la circonstance:

« Tu aurais pu vivre encore un peu  » :

Mérès, tu vivras toujours dans nos pensées. Que la terre de Beaumont te soit douce et légère! 

À son frère Nènè, à sa longue famille éparpillée sur les terres de l’exil volontaire et du pays natal, à Emnie qui a organisé de main de maître les cérémonies d’adieu, je ne puis dire qu’un seul mot : Kenbe fò. Premye so pa so.


« Anmwey » - L’actuel hymne national d’Haïti


Par Max Dorismond 

J’avais totalement oublié cette chanson, cette complainte, si je devais l’appeler ainsi. Apparue en 2019, écrite par des jeunes qui en avaient assez de ce voyage sans destination que la nation leur offre, cette ritournelle qui interpellait le secours des aînés, semble ne trouver aucun écho dans le cœur des belligérants. Car, en 2021, en Haïti, il n’y a plus de mots dans le négativisme pour traduire le pire.  Anmwey est devenu le symbole flagrant du dégoût de vivre.

Anmwey!

Voilà ! Je ne peux l’écouter ni la réécouter, sans embuer mes paupières de quelques larmes furtives. C’est une chanson qui me captive. La sincérité des chanteurs dans l’interprétation du poème de leur vie, de leur vécu, de leur quotidien, me chiffonne. Résigné, je vous la soumets une nouvelle fois, presque sans espoir de rédemption, sans espoir de solution. 

J’invite les insouciants à la gouverne de la nation, les prédateurs de la place, les candidats de tout poil, à en prendre lecture et à l’écouter. Peut-être, qui sait, une note compatissante pourrait occulter les modulations négatives de leur âme aux fins d’un changement de cap vers un futur miséricordieux. Sur aucun point du globe, l’homme ne naît diable. Il le devient par ambition, par couardise et folie. Certaines fois, il peut aussi se métamorphoser, en raison de la seconde chance, chez tout individu sensé, d’être meilleur. C’est dans la nature humaine. Espérons-le! 

Une invitation à la lecture de quelques strophes du poème

 ANMWEY

Konbyen souf ki pou koupe

Kombyen fyèl ki pou pete

Konbyen je ki gen pou fèmen

Avan’n di ase 

Konbyen zantray ki pou tombe

Dim konbyen moun pou kochon manje

Avan poun aji kòm responsab

Mouche Leta dim si w pa koupab 

Anmway – Souf mwen ap koupe / Anmwey – Nou pa kapab ankò…

Gouvènman – Anmwey. Paleman – Anmwey. Sektè prive – Anmweyyy…

Cliquez sur la vidéo ci-dessous 

Bonne écoute! Attention : Cœur sensible, s’abstenir!


Écoutez cette musique poignante et lancinante qui rime avec souffrances et indigences. C’est ce qui reste de La Perle des Antilles. Ce cri du cœur d’une population aux abois, cette déchéance innommable écrite avec des mots intemporels doivent préoccuper riches et pauvres de chez nous, dans la diaspora et partout. Le poème et les images surprennent, abasourdissent et ne laissent personne indifférent. Ce qui nous permet d’entrevoir les raisons de la fuite de ces jeunes, sur de frêles esquifs, au risque incalculable, vers des ailleurs imaginaires, pour aller s’offrir en esclaves dans les îles environnantes ou en Amérique du Sud. 

C’est un hymne à la résilience d’un peuple trop gentil qui fait preuve d’une résignation têtue. Une population bon enfant qui ne veut pas se laisser entraîner par les tambours de guerre, pour l’instant. Il préfère souffrir dans tout son être en chantant ses drames, laissant le champ libre aux éternels rapaces. En sera-t-il toujours ainsi demain? J’en doute! 

Toutefois, je me permets d’ajouter un bémol, à savoir qu’il existe un temps pour pleurer, une minute pour chanter et une dernière seconde pour se révolter. En 1791, si Dessalines, Christophe et les autres proscrits n'avaient pas bravé les prescriprions du colon pour passer de l'ombre à la lumière sans implorer le ciel, nous serions aujourd’hui encore dans les fers. En attendant, cette lamentation devrait être un hymne à la Nation pour le moment présent et jusqu’à la rédemption espérée.

« Anmwey »  dans le créole haïtien signifie « Au secours » 

Max Dorismond






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Wednesday, November 3, 2021

VA, REPOSE-TOI, MERÈS !

Mérès Wèche


Le tocsin de la dernière heure a sonné 

pour le poète, l’écrivain, l’artiste aux multiples talents. 


Mères a étreint d’un regard, pour une dernière fois, le luxuriant feuillage des caféiers de son Beaumont natal avant de prendre la route.


Savait-il qu’il ne reverrait plus jamais,

son patelin tant aimé? Je ne le sais pas. 

Les nouvelles n'avaient plus d'écho.


Le premier regard jeté sur mes mots,

qui corrigeait lapsus et coquilles 

de mes phalanges trop nerveuses, n’est plus. 

Tu trouvais sublimes mes textes, 

alors que je me voyais imposteure. 

Tu croyais  en mes réflexions, au pouvoir de mes pensées, au souffle de ma poésie.   


Mérès & MJL à Montréal (2019)
Ton rêve, c’était de tenir en ta main,  

« un recueil de ma fascinante  inspiration ». 

Il n’est pas mort ton rêve, il dort sur la banquise,


tout comme toi, étendu sur de la glace, 

attendant les derniers honneurs, 

les embrassades mêlés de rires et de larmes, le partage de tes souvenirs par proches et amis,


je suis en attente de la justice

pour les femmes, les filles blessées, 

pour mes enfants et mes petits enfants, traînés dans la boue.


Lorsque la justice cognera à ma porte,

je déposerai enfin mon balluchon de maux,  et j’écrirai à la première page 

« À Mères, parti trop vite ».


Tu savais combien la poésie, 

l’amitié désintéressée,

la rencontre d’autrui 

sont sacrées pour moi. 


Mais comme beaucoup, 

tu interprétais  mal mes sourires et mon sens inné du partage.

Te voir grossir le rang de mes bourreaux me fut  pénible.  


Pourtant, je m’inclinerai toujours, 

devant ta lumineuse plume, 

ta vivacité d’esprit, ton amour de la poésie 

et de l’art dans tous ses états. 


Va, repose-toi poète! Ne nous envie pas, 

nous, qui devons continuer la lutte, sur une route sinueuse et escarpée, 

pour notre dernier voyage! 


Pivoine MJL


Tuesday, November 2, 2021

Mérès, loin des entourloupes du panier à crabes

Mérès Wèche

Par Leslie Péan, 27 octobre 2021

« Tout compte fait, Haïti est peuplé de vivants-morts et de morts-vivants qui n’entendent pas lâcher-prise dans leurs attaches, même au-delà de la tombe ». Dans ce texte intitulé « Les Saints ont peur : l’analogie de la tragédie haïtienne », inspiré de la toile du radeau de la Méduse de Géricault, Mérès Wèche avait fait, il y a deux ans, avec une pointe d’humour, l’histoire d’un rendez-vous avec Lucifer que s’est donné la société haïtienne depuis 1957. À travers l’art, la culture, la peinture, l’écriture, la langue créole, le sport, la mode, la musique, etc., le combat est mené de mille et une façons pour l’émergence d’une autre ligne de pensée permettant de combattre l’assujettissement de la majorité.  La vassalité de la multitude. « Un appel au réveil à la conscience du peuple haïtien », comme l’exprime Joseph Léandre dans son ouvrage intitulé Encre de Rage.

Utilisant la radio, l’internet et les réseaux sociaux, Mérès Wèche s’était investi à fond dans cette mouvance de libération. En tant qu’Haïtien, mais aussi et surtout en tant que citoyen du monde. Un combat aux multiples rebondissements qui valident le côté positif de sa démarche. En s’appuyant sur les traités internationaux signés par Haïti. La lutte pour les droits humains donne une nouvelle vie à celle menée pour les luttes démocratiques. J’en ai fait personnellement l’expérience il y a une décennie lors de ma participation à ses côtés à l’émission Ki moun ou ye ? de Radio Caraïbes animée par Serge Pierre-Louis. C’était autour de la célébration de Livres en folie 2011 où je signais Le Prince noir de Lillian Russell, ouvrage co-écrit avec Kettly Mars. On ne peut que regretter que Mérès soit parti de sitôt et qu’il ne soit pas le témoin des résultats de sa méthode consistant à partir de l’ancien pour arriver au nouveau. Représentant le peuple de la diaspora, son attitude est restée la même, jusqu’à son dernier jour. Quoi qu’on en pense !

Ce ne seront plus des ouï-dire, à un moment où le Covid fait tomber sur nos rêves cette camarde dont nous avons tant parlé ces derniers mois. Un sujet d’actualité, donc. Suite à la disparition au début du mois de Février 2021 du peintre et journaliste Wébert Lahens et à l’occasion de la mort de Franck Louissaint, peintre hyperréaliste haïtien, Mérès Wèche lui avait consacré de jolis mots. Il disait, citant Malraux, que Louissaint venait « d'emprunter cet autre court chemin de l'homme à l'homme qu'est la mort. » Et il ajoutait, en désaccord avec l'auteur de La Condition humaine: « La mort, tend-t-elle, ces derniers jours, à supplanter l'art en Haïti, pour devenir ce raccourci de l'humain à l'humain […] ? ». Le monde artistique et pictural se trouve donc en pleine détresse avec la mort de Mérès Wèche dans le sillage de celles de Franck Louissaint et de Wébert Lahens.

Henri Piquion a jeté un éclairage particulier sur la vie professionnelle de Mérès Wèche  en retraçant son parcours montréalais, sinon canadien. Un parcours réalisé en dépit des pratiques de l’entourloupe qui tiennent lieu de politique. Entourloupe que Wèche qualifiait justement de « panier à crabes  où s’entredéchirent toutes sortes de phratries sociales, politiques, littéraires et artistiques ». Délaissant cet espace surfacturé comme celui de la galerie d’art DiaspoArt de la rue Beaubien, où il avait mouillé son bateau d’abord, il leva les voiles pour jeter l’ancre au 333-335 de la rue Emmery dans le Quartier latin, un coin plus clément, entre l’UQAM et le Cegep du Vieux-Montréal.  Plus tard, au café Thélem, Mérès devait rendre au centuple ce qu’il  avait appris en écoutant ses aînés. Attentivement. Il y a séjourné en gardant  sur lui  l’empreinte durable de l’expérience de ses prédécesseurs.

Après 1986, il met le Cap sur ce vieux port de la Caraïbe où la liste d’attente est interminable. Pour mettre en pratique de nouvelles directives avec un accent particulier, mais sans complaintes exagérées dans ce sentier devenu parcours du combattant. Entretemps, il ne cesse de produire des textes sur des sujets variés : Le songe d'une nuit de carnage  (2011) Le plus long jour de chasteté (2013); Alexandre Dumas, monsieur le général  (2014) ; Débat Français-Créole, une querelle de ménage ; Frankétienne s'est échappé (2018). Des pistes de réflexion indépendantes et des propositions rigoureusesIl ne s’est pas servi de l’âge de la retraite comme prétexte pour démissionner et se taire. 

La séduction chez Mérès le libertin a causé bien des scissions dans des cœurs et dans des couples. Sa passion pour la beauté n’était pas que théorique. Évidente résonance des thèses de Giambattista Vico sur la complexité du monde réel et la nécessité de trouver les mots justes pour parler d’un vécu. Mérès cultivait un sens élevé des mots, l’amour des mots, l’amour de la Grand'Anse, particulièrement de Beaumont, sa terre natale. Bref, l’amour tout court.

Mérès était tout ça et plus encore. On notera à cet égard sa manière d’aborder le réel face à une opposition réduite à se contenter d’offensives diplomatiques de parade. Aux prises avec ce qu’il considérait comme un cas d’école, il trouvait ces options trop légères. Un constat fait par bien d’autres qui plaident pour des offensives d’un autre genre, sans s’écharper sur les détails des mesures transitoires. Il avait compris que le mal est plus profond.