Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Sunday, January 28, 2018

Haïti Réveille-Toi, Haïti Remue-Toi !

Par: Branly OGÉ

Branly OGÉ
La toute dernière déclaration de Donald Trump à l'encontre d'Haiti et de ses ressortissants a provoqué un vif émoi et une grande effervescence. Et nombreux sont nos compatriotes qui, meurtris dans leur dignité citoyenne et leur fierté nationale, ont, à leur tour, exprimé des réactions à fleur de peau, et parfois outrancières, vis-à-vis de l'actuel locataire de la Maison Blanche. A mon humble avis, une telle attitude est non seulement contre-productive, mais, on n'y gagne rien, à vouloir émuler Donald Trump.

N'importe quel observateur de la politique internationale pointerait du doigt le fait qu'à l'échelle mondiale, même Rodrigo Duterte n'a pas su générer autant de controverses en une année de pouvoir. 

A l'évidence, les propos orduriers, scatologiques et fortement imprégnés de darwinisme social de Donald Trump ne jettent l'opprobre que sur le président yankee lui-même  et ils ne sauraient, aucunement, flétrir notre dignité ni porter atteinte à notre glorieux passé. 

La réprobation générale soulevée par les paroles injurieuses du président américain  constitue un verdict moral sans appel et sans équivoque de sorte qu’il serait fortement déconseillé d’essayer de lui rendre coup pour coup, insulte pour insulte, injure pour injure.

Au lieu de suivre dans les marais et sables mouvants de la vulgarité, de l'indécence et de l'immoralité, un président qui ne fait honneur, ni à sa fonction, ni à son pays, nous ferions  beaucoup mieux de nous lancer dans une sérieuse réflexion sur la gouvernance de notre propre pays. 

Aussi, par-delà le torrent d'indignations, qu'ont provoqué, chez les Haïtiens de tous bords, les propos racistes et xénophobes de M. Trump, il est opportun de reconnaître que notre pays ne va pas bien et de nous interroger sur les causes, les racines profondes de notre mal-être collectif. 

En effet, quand, 32 ans après le renversement de Jean-Claude Duvalier, Haïti peine à ériger une démocratie fonctionnelle, on est en droit de questionner le bilan global de notre classe politique, la gestion catastrophique de nos dirigeants successifs et le rôle, pour le moins ambigu et néfaste, de nos élites économiques, des grandes puissances, et surtout des États-Unis, dans la gouvernance de notre pays.

Quand la corruption gangrène l'ensemble de nos institutions, à un point tel qu'un ex-président laisse "les caisses de l'État dans un état catastrophique",  sans que cela ne soulève indignation ou réprobation, il faut reconnaître que notre Pays va mal. 

Quand notre Parlement, dont l'une des principales missions est de contrôler l'Exécutif, se laisse vassaliser par ce dernier, patauge, de façon éhontée, dans la corruption et participe
activement à la mise en coupe réglée des institutions du pays, il convient d'admettre que les choses vont mal au Pays de Dessalines.

Quand le chômage, la pauvreté, la misère, l'insécurité alimentaire, la précarité sociale, l'injustice et l'insécurité s'érigent en plaies endémiques;quand la contrebande, la fraude fiscale, les prébendes, le détournement de fonds et la gabegie administrative règnent en maîtres dans notre beau Pays, c'est signe que notre Nation, notre Société vont excessivement mal.

Quand s'effondrent nos normes et valeurs sociales, quand notre boussole morale s'affole tellement que des gens extasiés applaudissent à tout rompre aux divagations et diatribes ordurières et salaces d'un cabotin des bas-fonds ;  quand, par vagues successives, notre jeunesse fout le camp vers le Brésil et le Chili, sans que cela ne nous interpelle ; quand l'État se révèle incapable de secourir des populations sinistrées, est-ce que ça dérange ? 

Quand, par souci de blanchir M. Trump, et ce, malgré la Note de Protestation du Ministère des Affaires Étrangères, notre Premier Ministre, en visite dans le Pays de Goman, de Vilaire et de l'auteur du Caïman Étoilé, soutient que le Président américain n'avait point proféré pareils propos ; quand, notre Président, d'ordinaire si volubile,  se mure dans un mutisme embarrassant, laissant aux étrangers le soin de critiquer et de condamner les propos racistes et insultants du locataire de la Maison Blanche, il est réellement patent que notre Nation accuse un Énorme Déficit de Gouvernance Politique. 

Quand certains directeurs d'opinion et de conscience attestent, par leur silence, leur tiédeur et leur inertie, avoir failli à leur mission, il est impératif de se demander quand la Nation haïtienne se réveillera de sa léthargie et de sa torpeur ! Pour demander des comptes, et accoucher d'un Nouveau 1804.

A coup sûr, ce moment c'est Maintenant ! 

Oui, il est effectivement venu le temps de crier Assez, de reprendre en mains notre Destin Collectif, de rebâtir le Pays conformément aux attentes et revendications nationales. Il est aussi grand temps de renouer avec les idéaux qui animèrent nos Ancêtres et engendrèrent la noble et légendaire Épopée de 1804.

Haïtiens, Haïtiennes de toutes parts, il nous faut, désormais,  rompre notre Silence, faire entendre notre Voix, sonner le Lambi, battre  l'Assotor, brandir bien haut le Flambeau de notre Dignité et arborer l'Étendard de notre Fierté nationale.

Et, en l'honneur de nos Aïeux et des Sacrifices , qu'ils ont si Librement Consentis, il Faut, à présent, nous rallier autour de ce qui reste de la Patrie Vilipendée.  

Haïti Réveille-Toi, Haïti Remue-Toi ! 

Branly OGÉ

Politologue, Consultant Politique













Friday, January 26, 2018

Haïti, plus de 200 ans d’ostracisme et de racisme de l’Occident!

Par Joël Léon
Mondialisation.ca, 20 janvier 2018

« L’occident mentait à l’homme noir, à l’homme jaune, à l’homme blanc. Il mentait au moins depuis 4 siècles, à tous les colonisés de la terre.» ( René Dépestre, Mémoire du Néo libertinage: Alléluia Pour Une Femme Jardin)
 
Haïti : entre l'ostracisme et le racisme
Les dernières déclarations du président américain, Donald Trump, à l’encontre des pays tels que: Salvador, Haïti et tout le continent noir, l’Afrique, soulèvent un tollé de réactions en Haïti, aux États-Unis et dans les autres pays du monde, à savoir que, l’Amérique n’a plus de place pour les immigrants noirs; il faut inviter de préférence selon les propos attribués au sieur Trump les Caucasiens de l’Europe à y venir afin de perpétuer la domination de la race blanche tout au cours du 21ème siècle aux États-Unis. Pointer Haïti du doigt en ce carrefour historique de grandes difficultés économiques, sociales et politiques ressuscite la mémoire de toute une série d’expériences malheureuses qu’Haïti a connues pendant plus de 200 ans des mains des puissances occidentales. Haïti n’est pas à son premier coup d’essai d’accusations farfelues et fantaisistes dans le but exclusif de détruire ce territoire exclusivement nègre. Pour bien comprendre cette nouvelle vague de dénigrements du gouvernement américain, il faut bien remonter dans l’histoire.

La fondation d’Haïti comme état libre du colonialisme et de l’esclavagisme a été perçue comme une menace pour l’occident. Ainsi, la nouvelle république devait être punie, ce qui fut unanimement accepté comme axiome politique par les anciennes puissances coloniales.
Les hostilités commencèrent de très tôt.
Thomas Jefferson
Thomas Jefferson, le troisième président américain faisait de l’indépendance d’Haïti un sujet personnel qu’il jurait de détruire par tous les moyens. À ses yeux, la nation naissante était une impertinence, une vague tumultueuse au milieu d’un océan colonial si tranquille. Ainsi, George Logan, sénateur de l’état de Pennsylvanie, introduisit une loi réclamant un embargo commercial contre Haïti, spécialement au niveau des armes. La loi fut approuvée en 1806 sous la présidence de Thomas Jefferson. Et, les États-Unis attendirent jusqu’en 1962 pour reconnaître Haïti comme un état souverain à part entière. Ceci, en pleine guerre civile, sous l’administration d’Abraham Lincoln.
En 1825, la France imposa une indemnité à Haïti, via une ordonnance, pour reconnaître son indépendance au prix de 150 millions de franc-or, ce qui équivaut aujourd’hui à 22 milliards de dollars américains. Haïti a mis 125 ans, soit en jusqu’en 1952, pour éponger finalement cette dette insupportable, ce qui a considérablement perturbé son développement économique et le progrès social.
Charles X avait pris soin d’accompagner « l’ordonnance par une Armada de 14 bâtiments de guerre armés de 528 canons.» Les États-Unis n’avaient pas protégé Haïti contre l’agression française. Il faut le noter: en dépit de l’application de la doctrine de Monroe dans l’hémisphère dès 1823, « l’Amérique aux Américains», formulée par John Quincy Adams, ministre des affaires étrangères du président Monroe, les nègres d’Haïti étaient toujours seuls.
Je dois rappeler aussi qu’en 1826, Simon Bolivar a évité tout simplement d’inviter Haïti à prendre part au congrès panaméricain, quoi qu’Haïti fût le père du panaméricanisme à partir de l’aide militaire, financière et vivrière qu’Alexandre Pétion avait données à Miranda et à Bolivar, en échange de la libération de tous ceux qui croupissaient dans l’esclavage dans les pays andins.
Fabre Geffrard
En 1861, le général espagnol du nom de Rubalcava _ sous l’accusation qu’Haïti troublait l’ordre public en République Dominicaine, alors sous protectorat espagnol, en armant et finançant les mouvements indépendantistes dans ce pays pour saper le régime établi_ allait insulter toute une nation. À la tête d’une flotte de plusieurs navires de guerre, l’Espagne imposa une indemnité de 200 piastres à Haïti et le salut de 21 coups de canon au drapeau espagnol. Fabre Geffrard, président de l’époque, a failli; et, l’âme haïtienne fut humiliée encore une fois. La doctrine de Monroe était déjà en place dans l’hémisphère. Les États-Unis n’avaient levé le petit doigt pour prendre la défense de la première république nègre.
En 1872, Vineta et Gazella, deux navires Allemands se présentèrent dans la rade de Port-au-Prince pour exiger le paiement de 15.000 dollars aux deux ressortissants du Kaiser, en l’occurrence Dickmann et Stapenhort, prétextant qu’ils avaient perdu du commerce sous les gouvernements antérieurs. Le capitaine de la flotte, Bastch, réclama 3.000 livres sterling du gouvernement haïtien et saisit deux bateaux de guerre haïtiens qui mouillaient dans la rade. Nissage Saget, président d’alors, paya la somme réclamée. Les navires furent restitués, mais avec leurs drapeaux souillés de matière fécale.
Vingt-cinq ans après avoir volé les 3.000 livres sterling, soit en 1897, les Allemands faisaient des leurs à nouveau. Cette fois-ci, Guillaume II a voulu donner une leçon aux « nègres qui parlent français.» Le nommé Luders, un ressortissant allemand, après avoir roué de coups des policiers haïtiens, au cours d’une altercation qui ne lui concernait même pas, fut arrêté et jugé pour passer trois mois en prison. Il alla en appel. Le juge de la cour d’appel a ajouté neuf mois à la durée de la première condamnation. Finalement gracié par le président de la république, il rentra chez lui en Allemagne. Arrivé là-bas, il fit un vacarme autour de l’affaire jusqu’à retenir l’attention du roi Guillaume II. Ce dernier s’empressa d’envoyer deux navires de guerre allemands dans les ports de Port-au-Prince avec l’ordre formel de mettre à genoux les nègres d’Haïti. Thiel, le commandant de l’expédition, présenta un ultimatum exigeant 20.000 dollars comme dédommagement à Luders, des excuses publiques au gouvernement allemand, une salutation de 21 coups de canon au drapeau de ce pays, l’annulation de la condamnation de Luders _ tout ceci dans une période de quatre heures d’horloge.
T

Tirésias Simon Sam 
Le président Tirésias Simon Sam capitula. « Ces Allemands» eurent gain de cause. Oswald Durand, ce grand poète national, publia ce texte à jamais mémorable: « Ces Allemands», pour immortaliser l’affaire. Il y exprima l’amertume de chaque haïtien: «Nous jetâmes l’argent avec le front haut et l’âme fière, ainsi qu’on jette un os aux chiens.»
En 1889, les États-Unis voulaient s’emparer du Môle Saint Nicolas pour en faire un dépôt de charbon. Benjamin Harrison, président américain, envoya l’amiral Gherardi dans les eaux haïtiennes avec 2000 hommes, et 100 canons pointés vers la capitale. Anténor Firmin, le grand, ministre des affaires étrangères, s’était battu avec rage et intelligence pour repousser cette demande, non sans l’aide de l’ambassadeur d’Haïti à Washington, Mr Hannibal Price. C’était de courte durée, mais la tension était de haute intensité.
Charlemagne Péralte,
opposé à l'occupation
d'Haïti, fut exécuté. 
1915, après quatre ans de turpitude politique au cours de laquelle six présidents séjournèrent au palais national, les marines américains débarquèrent dans le pays. Ils entrèrent en possession de la réserve d’or nationale et l’emporta à New York. Puis, ils occupèrent le pays. Ils y restèrent pendant 19 ans, tout en prenant soin de favoriser la République Dominicaine dans le tracé de la frontière en 1929. L’occupation états-unienne de 1915 a fait plus de 50.000 morts dans le pays, surtout dans le milieu paysan qui fut particulièrement hostile à la présence de l’armée étrangère sur le sol national, conformément à l’idéal dessalinien. Le massacre de Marche-à-Terre resta très vif dans la mémoire collective des habitants de la zone pendant des décennies. Sans oublier les méfaits de la SHADA (Société Haïtiano-Américaine de Développement Agricole) mise sur pied le 30 juillet 1941 sous le règne du moribond Elie Lescot. Cette piètre initiative affamait plus d’un, car elle consistait à remplacer des plantations de nourriture par la production du caoutchouc.
L’occupation américaine n’était pas bénéficiaire à Haïti. Au contraire, le contrôle de nos douanes et l’ensemble des recettes publiques furent utilisés pour éteindre des arriérées de dette aux États-Unis et à la France.
Rafael Trujillo
1937! 25.000 Haïtiens furent massacrés en République Dominicaine à partir d’un appel au meurtre du président Rafael Trujillo aux sbires dominicains. Ce fut un acte de guerre. Encore une fois, le leadership haïtien faisait piètre figure. Le président Sténio Vincent s’était enfoui dans une démarche diplomatique inopportune dans laquelle le pays n’avait rien bénéficié. Quoique l’armée haïtienne dans son écrasante majorité fût prête à faire la guerre pour défendre l’honneur national!
Au mois de mars 1983, le Center for Disease Control (CDC) classa Haïti abusivement dans une équation de «4 H» qui serait responsable de la maladie du SIDA aux États-Unis. Il a fallu une grande manifestation populaire d’haïtiens ayant bloqué le pont de Brooklyn, New York pendant des heures pour dissuader les dirigeants américains à enlever Haïti de cette liste de stigmatisation.
En 1994, les «Blancs Américains» débarquèrent encore sous la rubrique de restaurer la démocratie après 3 ans d’un coup d’état féroce qui avait fait plus de 5000 cadavres.
29 février 2004
Les américains débarquent
En moins d’une décennie, soit le 29 février 2004, les «Blancs» débarquèrent à nouveau, après que des écervelés du gros commerce et de l’intelligentsia aient boycotté la célébration des deux cents ans d’histoire de la République d’Haïti. Aujourd’hui encore, nous avons plusieurs milliers de soldats étrangers dans le pays, n’ayant pas accompli grand-chose, si ce n’est l’introduction du choléra responsable de 12.000 morts et des dizaines de milliers de victimes.
Récemment, en plein 21ème siècle, la déclaration du premier citoyen du pays étoilé, Donald Trump, vint empirer les choses pour Haïti. Trump a propulsé Haïti dans les médias internationaux, mais tristement. Il attribue l’épithète «shithole» (trou de merde) à la terre de Dessalines. Nous devons faire face à cette nouvelle vague de calomnies, comme toujours depuis plus de 200 ans! On a un groupe qui s’accapare du pouvoir politique dans le pays depuis 2010; cependant, il n’a aucun sens de l’histoire, voire sa mission au profit de la république. Les propos orduriers de Trump sont de nature à donner feu vert aux institutions et aux groupes d’extrême droite de discriminer, lyncher des Haïtiens sans sourciller. Haïtiens, des serpents sont entrain de siffler sur nos têtes. À de nous de leur opposer une farouche résistance!
Joël Léon
Joël Léon











Illustrations : HCC

HAÏTI – CHILI DES LARMES DE SANG POUR JOANE FLORVIL ET JOHN BENJAMIN

Première de deux parties
Joane Florvil entre les mains de ses geôliers
Par Eddy Cavé
Ottawa, le6 janvier 2018       
                                                      

Cet article en deux parties est la suite d’une réflexion déclenchée par le spectacle donné au théâtre CAOPOLICAN de  Santiago du Chili  le 16 décembre dernier par l’ex-président Michel Martelly. L’auteur a étudié au Chili dans les années 1960 et il analyse les problèmes de l’immigration haïtienne actuelle au Chili à la lumière de ses souvenirs d’étudiant.

J’avais à peine terminé l’article intitulée « Entre la nostalgie et l'espoir »  publié dans Le Nouvelliste du 27 décembre que je voyais mes raisons d’espérer s’effriter au rythme de mes lectures et de mes réflexions sur ce sujet. Après la mort violente, en août dernier,  de Joane Florvil emprisonnée et maltraitée par des carabiniers au Chili, j’apprenais cette semaine celle du jeune John Benjamin, victime de la rage du propriétaire de son logement. Tandis que Joane  avait était faussement accusée d’avoir laissé sans surveillance sa fillette de trois mois, John  a été battu à mort  par suite d’un différend portant sur l’équivalent d’une dizaine de dollars US. Dans les deux cas, on était en présence de meurtres imputables, directement ou indirectement,  à d’évidentes  tensions sociales non contrôlées ou mal gérées par la société d’accueil.

Joane Florvil 
Âgée de 28 ans, Joane Florvil  avait été arrêtée le 30 août dernier par des policiers qui lui assénèrent, selon la presse locale,  de coups violents à  la tête. Le lendemain matin, elle succombait des suites de ces mauvais traitements. L’explication fournie par les autorités est qu’elle se serait elle-même cogné la tête contre un mur de la prison et serait morte « de blessures auto-infligées ». Le genre d’explications qu’on entend dans les États  racistes des États-Unis. À peine croyable que cela ait pu se produire sur la terre de Salvador Allende !

La communauté haïtienne de sa localité a rejeté en bloc la thèse de l’abandon de l’enfant. Selon les personnes interrogées, Joane Florvil l’aurait  plutôt confié  à une amie « afin de porter plainte contre un Chilien qui lui avait  volé son portefeuille. » Il n’en fallait pas plus pour alimenter la vague de xénophobie déclenchée par l’arrivée massive de ces Noirs considérés comme des voleurs d’emplois et de plus en plus comme des indésirables. À preuve, le commentaire suivant posté dans Loop News peu de temps après le décès : 

« Heureusement, avec des nouvelles comme celle-ci, les Haïtiens comprennent qu'ils ne sont pas les bienvenus au Chili. Cette femme a abandonné sa fille, la police l'a arrêtée et elle s'est finalement cogné la tête contre un mur de son plein gré. Elle est au Chili depuis plus d'un an et n'a pas pu apprendre l'espagnol. Elle criait et se plaignait en créole, comme si nous, les Chiliens, devions la comprendre. Les Chiliens n'ont pas à apprendre le créole au Chili. »

La lune de miel avec le Chili était donc terminée, et il fallait déjà s’attendre au pire.

John Benjamin
John Benjamin,
peu avant sa mort
Moins de trois mois après le meurtre de Joane Florvil, celui de John Benjamin, en pleine période de Noël, a plongé de nouveau  la communauté haïtienne dans la consternation. Pour mettre un terme à une chaude discussion  relative à une simple question de facture d’eau, le propriétaire du logement, Christofer Yáñez Olivares,  piquait une crise de colère et rouait de coups le jeune Haïtien sans défense. Transporté d’urgence dans un centre hospitalier voisin, John devait, lui aussi,  succomber  à ses blessures. Comme sa compatriote Joane. Tout ce qu’on sait pour l’instant, c’est que l’agresseur a été placé en détention préventive.

Élégant, affable, John vivait à Santiago, dans la localité de Conchali, et il avait bien commencé à s’intégrer  à la société chilienne. Il avait même fait venir un membre de sa famille, ce qui le mettait à l’étroit dans son budget et expliquait le problème avec la facture d’eau. Était-ce cela  le vrai mobile du meurtre?  À mon avis, la véritable cause réside dans un penchant mal comprimé pour la violence, le conservatisme de la société chilienne, ses instincts de supériorité, les paradoxes de cette société plus attachée à ses origines européennes qu’à ses racines indigènes, etc. La télévision chilienne a montré un grand nombre de scènes illustrant la colère, les appels à la justice et  le désespoir que la nouvelle de ce meurtre a déclenchés parmi les Haïtiens.

Comme Joane Florvil et comme tous les autres compatriotes assassinés en République Dominicaine, John Benjamin a payé de sa vie l’irresponsabilité, l’incompétence et la cupidité de nos dirigeants. De ces gens sans vision ni conscience nationale dont le principal souci est de déverser dans les ports et aéroports étrangers la masse des jeunes qu’ils privent de tout moyen de subsistance.

De l’espoir à la désillusion
En écrivant l’article, je savais certes que 50 ans, c’est très peu dans la vie des peuples et qu’il était très improbable que le Chili des années 1960 se soit transformé en si peu de temps  en un pôle d’attraction de tout repos  pour des dizaines de milliers de sans-emploi noirs. J’avoue aussi que j’étais très circonspect, mais je préférais croire en la vertu des autres.  En la générosité des peuples, en la solidarité humaine et en l’humanisme international  pendant que s’accumulaient un grand nombre de preuves à l’effet contraire. 

Le Chili, nouvel Eldorado des Haïtiens
Dans mes questionnements toutefois,  je me disais que Michelle Bachelet avait probablement fait en connaissance de cause le pari d’entrer dans l’histoire comme le pendant d’Angela Merkel  dans le Cône Sud de l’Amérique.  Les illusions d’optique dues à l’éloignement et à la tentation bien connue des vœux pieux avaient  eu raison de la logique et j’avais sombré dans l’utopie. Au vu de l’assassinat de ces deux paisibles compatriotes, le vœu que mes amis chiliens «europhiles»  jusqu’à la moelle se soient en un demi-siècle métamorphosés en des citoyens tolérants et pacifiques a volé en éclats. Et le réveil pour moi a été brutal.

En cette fin d’année 2017 où  je pleure l’assassinat de Joane et de John, je me demande, décontenancé, si cette émigration massive commencée dans l’euphorie avait la moindre chance de finir autrement que dans le conflit permanent et le départ  de nos compatriotes vers d’autres cieux  où personne ne voudra encore de nous. Même pas au pays natal!

Les signes avant-coureurs de l’échec
Haïti  était encore en plein dans sa lune de miel avec le Chili que l’horizon a commencé à s’assombrir. Je retiendrai deux éléments à ce sujet : le différend sur le transport aérien entre ces deux pays et  les nombreux reportages réalisés au Chili  sur les réactions de la population à l’arrivée massive des travailleurs étrangers. Les lecteurs intéressés par ce sujet  trouveront dans Google et dans la plateforme YouTube des réponses à la plupart de leurs questions.

Le différend sur le transport aérien
L'avion interdit de vol en Haïti en septembre 2017
À la fin de septembre dernier, il s’est produit à l’aéroport international de Port-au-Prince un incident dont la portée profonde n’a pas été immédiatement comprise. Le Chili ayant mis unilatéralement fin à une liaison Port-au-Prince-Santiago assurée par la compagnie haïtienne Sunrise Airways, l’Office national de l’aviation civile d’Haïti, l’OFNAC, refusa de renouveler le permis de vol de la compagnie chilienne Latin American Wings (LAW) qui venait de transporter, en moins d’un an, plus de 20 000 passagers au Chili. Le bras de fer dura plusieurs jours au cours desquels le Chili sortit son artillerie lourde et imposa son point de vue. La preuve que, même dans la coopération Sud-Sud, les États n’ont pas d’amis, mais plutôt des intérêts. Et que l’aide internationale et les déclarations d’amitié sont la plupart du temps au service des intérêts commerciaux. On pouvait dès lors s’attendre au pire.

Dans les négociations, le Chili a souligné que sa diaspora haïtienne avait transféré 36  millions de dollars en Haïti en 2016, ce qui faisait.de lui la deuxième source de transferts de migrants d’Haïti. Sous-entendu,  un partenaire commercial privilégié à exempter de l’application du principe de la réciprocité dans le transport aérien. Le commerce inégal s’affirmait dans toute sa laideur  dans le Tiers-Monde. Sunrise n’a toujours pas eu gain de cause.

Si l’ensemble des transferts des Haïtiens de l’étranger se chiffre à 2 milliards par année, on  ne voit pas comment le Chili peut prétendre être le deuxième fournisseur mondial de paiements de transfert d’Haïti. En réalité, personne ou presque ne prend au sérieux la prétendue valse de millions qui se danse depuis deux ou trois ans entre Haïti et le Chili. Des millions qui  partent d’Haïti et qui reviennent à un rythme étourdissant. Vrai ou faux, cet argument se répète inlassablement et il a  contribué à empoisonner le débat sur le poids de l’immigration haïtienne au Chili : les Haïtiens sont en train de modifier le paysage social du pays et de voler un grand nombre d’emplois aux Chiliens, tout en puisant 3 millions de dollars par mois dans les réserves de devises du pays.

Dans la deuxième partie, nous passons en revue les reportages réalisés par la télévision chilienne sur l’immigration haïtienne, l’échec de la tentative d’ouverture du Chili à ses voisins, ainsi que quelques exemples de réussite personnelle d’émigrés haïtiens dans ce pays.

Tuesday, January 23, 2018

HAÏTI – CHILI : DES LARMES DE SANG POUR JOANE FLORVIL ET JOHN BENJAMIN

(Deuxième de deux parties)

Joane Florvil & John Benjamin

Par Eddy Cavé
Ottawa, le 7 janvier 2018       
eddycave@hotmail.com                                                    








Dans la première partie de cet article, l’auteur a analysé les circonstances et la signification de la mort de deux compatriotes tués au Chili dans  les jours qui ont suivi le spectacle de très mauvais goût donné par  Michel Martelly le 16 décembre dernier au théâtre CAOPOLICAN de  Santiago du Chili. Il ouvre ici une fenêtre sur l’avenir très incertain de cette diaspora en pleine croissance.

Reportages télévisés sur l’immigration récente au Chili

Le nouveau visage du Chili
Au cours des dernières années, la télévision chilienne a réalisé un grand nombre d’émissions qui exposent clairement les problèmes liés à l’immigration haïtienne.  Après plusieurs décennies d’«  inflation structurelle et galopante », le pays était sorti de la dictature de Pinochet-en 1990  avec une économie saine et une forte croissance économique. Il a  d’abord attiré un grand nombre de travailleurs non spécialisés  des pays proches comme le Pérou, la Colombie, la Bolivie, etc.  Puis,  il a eu besoin, pour prendre le virage technologique de la fin du 21e siècle, de nombreux cadres techniques qu’il  a trouvés en Argentine et en  Espagne.

Quand les persécutions des opposants au régime Chavez ont commencé, les Vénézuéliens de diverses couches sociales sont arrivés en nombre croissant.  Selon les enquêtes les plus fiables, 23%  des Chiliens interrogés se sont dits, en 2016, fragilisés dans leurs emplois  par la concurrence de ces étrangers.

En même temps, le Chili  a atteint un niveau de développement où les citoyens commencent à dédaigner les emplois  peu valorisants et mal payés qui sont en général laissés aux travailleurs étrangers. Il a ainsi dû accueillir un flux de travailleurs non spécialisés en butte à  des problèmes  d’intégration sociale et d’acceptation par la population.  Quand, après le tremblement de terre de 2010 en Haïti et l’arrivée des casques bleus chiliens dans notre pays, la jeunesse haïtienne découvrira les possibilités offertes par le Chili, elle s’y jettera les yeux bandés. On découvre maintenant que tout n’était  pas rose sur cette nouvelle terre d’accueil.

Les immigrants haïtiens à la recherche d'un emploi
Si un grand nombre de  travailleurs étrangers arrivent à survivre tant bien que mal dans ce pays, ce n’est certainement pas la terre promise. Dans le reportage, encore accessible sur YouTube, intitulé Trabajadores extranjeros en Chile (Les travailleurs étrangers au Chili), on apprend que la plupart [des Haïtiens] habitent à Santiago, dans le centre-ville, dans d'anciennes maisons où ils louent un petit espace. « Il y a des chambres où ils dorment à 12 ou 15 personnes. Ils sont en train de reproduire ce qui s'est passé dans les années 90 avec les Péruviens qui sont arrivés ici aussi par milliers » (Nibaldo Mosciatti, directeur de l'information, Radio BioBio, Chili).

Selon cette même source, beaucoup d’Haïtiens vivent dans l’illégalité, sont sous-payés et sont obligés d’accepter des emplois que les Chiliens refusent. Ils forment aussi  la catégorie des étrangers les plus vulnérables et qui ont le plus de difficultés à se trouver un emploi.  

Le reportage le plus poignant et le plus instructif est sans doute  celui sur la location illégale de logements insalubres ou inhabitables au Chili. Ce reportage intitulé El lucrativo negocio de arriedo illegal a Haitianos, (Le commerce lucratif de location illégale aux Haïtiens), dénonce les conditions inhumaines dans lesquelles vivent nos compatriotes avec un maigre espoir de pouvoir en sortir un jour. Tout aussi inquiétant est le récent reportage révélant, sans jamais employer le terme « ghetto »,  l’existence du quartier haïtien de Estacion Central où nos compatriotes se réunissent en nombre croissant pour partager leurs souffrances et le mince espoir d’un avenir meilleur.
(Le commerce lucratif de location illégale aux Haïtiens)

Il ressort des observations qui précèdent que l’émigration massive vers le Chili avait peu de chances de combler les attentes exagérément optimistes de nos candidats à l’exil volontaire, surtout les jeunes universitaires. En même temps, on ne pouvait pas s’attendre aux réactions de violence qui ont causé la mort de Joane Florvil et de John Benjamin.

Faut-il perdre tout espoir ?
Tout d’abord, il n’y a pas lieu de croire que les commentaires négatifs entendus dans les reportages visent exclusivement les Haïtiens. Non. Ils concernent toutes les « minorités visibles » : les Péruviens, appelés souvent Indios peruanos feos (Indiens affreux du Pérou), les Boliviens, les Colombiens, les Dominicains, etc. Dans l’opinion publique chilienne, on estime que les immigrants venus de la Caraïbe sont ceux qui sont le plus attachés à leurs coutumes et à leur culture et les moins disposés à s’acculturer. Ils estiment, affirment nombre de Chiliens, que c’est à la communauté d’accueil de s’ajuster à leurs mœurs, leurs habitudes de plein air, leur cuisine, leurs danses. Cela crée bien des conflits dans une société confortablement installée dans son isolement.

Ce même phénomène a été observé récemment au Japon où un certain nombre de citoyens nés et élevés au Brésil sont retournés s’installer en pensant pouvoir conserver les mœurs brésiliennes. Le résultat a été catastrophique. De même, au Chili, les peuples de la Caraïbe semblent croire dur comme fer qu’il incombe aux Chiliens de s’adapter à eux  et qu’ils n’ont pas d’efforts d’acculturation à faire. Nos compatriotes seraient donc tombés dans le même piège.

En guise de conclusion
Givens Laguerre  (au studio)
Un  élément encourageant à mentionner est qu’il  y a eu  des réussites spectaculaires au Chili au cours des quelque 20 dernières années. Des réussites inimaginables à l’époque où j’étudiais à Santiago. Une des plus marquantes a été celle du producteur de spectacles Givens Laguerre, dont la vie apparaît aujourd’hui comme un conte de fée : moins de 40 ans, dont 21 ans au Chili ; débuts difficiles, mais une carrière couronnée de succès ; bonne maîtrise de l’espagnol ; grande capacité de séduction et de persuasion ; de l’énergie à en revendre. Il a un sens extraordinaire de l’humour, comme on l’a vu durant une émission télévisée où il était confronté à l’ancien président Sebastián Piñera, réélu entre-temps. Cette émission, encore accessible sur YouTube, mérite d’être regardée. On y aborde notamment le problème, souvent imputé aux étrangers, de la délinquance et que le candidat s’engageait  à régler. Les chances qu’il fasse quoi que ce soit pour atténuer les tensions raciales sont presque nulles.

Dr. Mompoint
Givens Laguerre est allé beaucoup plus loin que tous les Haïtiens de ma génération qui ont vécu au Chili à partir des années 1960. L’ancien chanteur du petit groupe dénommé  Raggaeton Boys, créé en l’an 2000,  a diversifié ses activités en quelques années en créant plusieurs entreprises qui engagent des immigrants de plusieurs nationalités. Sa réussite spectaculaire est la meilleure preuve qu’il est encore permis de rêver et que rien de grand ne se construit dans la facilité.

Tandis que Givens Laguerre a laissé sa marque dans les milieux du spectacle et des affaires, le médecin haïtien de 29 ans Emmanuel Mompoint a été désigné le médecin le plus aimé de la grande agglomération urbaine de Maipú (un demi-million d’habitants) après seulement quatre années de pratique dans la région. Au terme de ses études en République Dominicaine, le Dr. Mompoint  a choisi de pratiquer au Chili où il estimait avoir d’excellentes possibilités de réaliser son sacerdoce à sa satisfaction. Dans le reportage réalisé au terme de l’enquête menée à Maipú, on le voit accueillir avec le même entregent et la même attention, les divers patients qui se succèdent à sa salle de consultation et à son bureau.  

Jean Beauséjour
le footballer étoile du Chili
Ricardo Ade
Ce coup d’œil sur les motifs d’espoir serait incomplet si je passais sous silence l’excellente travail réalisé le professeur de langues Yvenet Dorsainvil en produisant un glossaire médical créole-espagnol. Ce linguiste a fait œuvre de pionnier en construisant ce pont qui va aider à établir, dans les soins de santé, le type de dialogue fécond sans lequel on ne pourra jamais combattre l’incompréhension, l’ignorance mutuelle, la xénophobie et leur corollaire, l’intolérance.

On notera pour conclure que l’organisme dénommé Espas Refleksyon Haiti - Chili a déjà commencé un excellent travail en vue de l’élimination des préjugés et de la création d’une plus grande harmonie entre les deux peuples. À cet égard, la contribution d’une organisation internationale plus large comme Comunidad Sin Fronteras ne peut être que bénéfique à tous les égards. On y retrouve la plupart des ténors haïtiens du rapprochement entre le Chili et ses minorités de travailleurs étrangers nouvellement arrivés. Il y a enfin le football où Haïti a déjà donné à la sélection nationale le joueur étoile Jean Beauséjour, de mère chilienne, et  tout récemment un fils authentique dénommé Ricardo Ade.

A suivre...

Eddy Cavé eddycave@hotmail.com