Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Wednesday, July 15, 2015

A QUOI SERVAIT LA REVOLUTION DE 1804 ? Tranchons le nœud gordien de la crise perpétuelle Haïtienne!

Par:Emmanuelle Gilles
Le conflit entre la République Dominicaine et Haïti autour de la déportation des Haïtiens ne date pas de cette semaine ni de ce mois. Depuis le début du millénaire, plusieurs douzaines d’Haïtiens étaient régulièrement arrêtés de façon arbitraire et déportés sur le champ vers Haïti. Ces actes étaient perpétrés tous les vendredis par des officiers de migration envers les Haïtiens à peau noire. Le quotidien de la RD « El Caribe » exposait cette pratique sous le titre «les Rafles du Vendredi ». Le problème des Haïtiens en République Dominicaine à plusieurs facettes, d’une part il existe un flux d’Haïtiens traversant la frontière illégalement, d’autre part, ils sont vulnérables a des violations de droits humains des plus odieuses. Les récentes mesures ont été annoncées par les Dominicains depuis plus d’un an. Le gouvernement Haïtien disposait amplement du temps pour organiser la réintégration des Haïtiens et leurs descendants dans notre pays comme tous pays soucieux de leurs ressortissants. Force est de constater que ce n’est ni le premier et ce ne sera peut-être pas le dernier gouvernement à afficher leur indifférence vis-à-vis nos compatriotes de l’autre côté de l’ile. Depuis la présidence de Sténio Vincent, le Traffic des Haïtiens remplissait leur poche au grand dam d’un peuple bafoué, qui jadis n’oserait rêver du denier de la veuve. 


Tenu au rencart depuis deux siècles, La tentation de Venise devient l’unique porte de sortie de la masse isolée. Le gouvernement Haïtien doit prendre les enfants du bon Dieu pour des imbéciles, lorsque, pour maintenir ses relations intéressées avec la République Dominicaine avait opté pour des négociations bilatérales sachant que ces négociations n’auguraient rien de concret. Quel résultat pouvait-on espérer d’une oligarchie raciste et xénophobe? Les pressions internationales auraient peut-être été plus musclées, mais faites gaffe et gardons-nous d’être trop naïfs car l’oligarchie occidentale, elle aussi a ses intérêts de l’autre côté de l’ile. Les Espagnols, le tourisme. Les Italiens et les Américains, l’industrie sucrière. L’immobilier pour l’ensemble et l’élite économique Haïtienne, la source de leur commerce étant des revendeurs et non des producteurs. Le développement économique de l’ile voisine attire la main d’œuvre haïtienne, alors qu’en Haïti, leur modèle n’est pas ce qu’il faut pour Haïti, n’est-ce pas paradoxal ? A la place de l’investissement en Haïti, ce sont les Haïtiens qui sont eux-mêmes soumis à l’exploitation étrangère tandis que leur pays languit dans un conservatisme absurde pour préserver un monopole égoïste déjouant la compétition. La meilleure façon de moucher les voisins c’est de couper les ponts avec eux et stopper l’importation de leurs produits.
Guy Alexandre,ancien Ambassadeur
d'Haïti en République Domincaine.   
Rendons hommage au feu Guy Alexandre pour les efforts déployés en vue de la coordination d’une réponse internationale, en dépit de ses démarches irrésolues et avortées. Que son âme ait succombé d’indignation en constatant la complicité du gouvernement Haïtien avec son homologue Dominicain, on s’en souviendra. 


Très souvent, on parle de pression, pensons-nous vraiment qu’il peut exister une pression internationale envers la République Dominicaine dont le plus fort des capitaux générés dans ce pays appartiennent aux forces puissantes étrangères qui ont saisi les terres de la RD tout de suite après l’occupation? 5 à 10% des terres arables dominicaines dont une partie abrite la plus grande industrie sucrière à la Romana, sont contrôlées par Gulf and Western dont le siège central se trouve à New York. Ces terres constituent un total de 1113 km2 dont 44% en production de canne à sucre et 47% en terres d’élevages. Le « Gulf et Western » contrôle non seulement l’industrie sucrière mais une partie de l’économie nationale de la République Dominicaine. Rappelez-vous que les grandes puissances n’ont que des intérêts. Jusqu’ici, malgré les nombreuses manifestations, les négociations, les déclarations de haut placés, la République Dominicaine entend régulariser le statut des immigrants Haïtiens qui d’après eux envahissent leur pays. Pour accorder une légitimité à la décision de réduire le nombre des Haïtiens chez eux, ils ont fait appel à l’expertise même des instances internationales en vue de développer leur plan de régularisation. Avec ou sans manifestations, leur plan sera mis en œuvre! Dans la mesure où cette décision n’affecte pas la production sucrière avec la main d’œuvre esclavagiste haïtienne, la RD ne recevra aucune pression. Et si elle en recoit c’est pour mieux preserver l’esclavage auquel sont soumis les Haitiens depuis 1919.


Des coupeurs de canne en RD
Pouvons-nous forcer un pays à nous aimer ou à accepter de force nos compatriotes sur leur territoire et même quand certains traversent la frontière illégalement a la recherche d’une vie meilleure, et de surcroit sont traités pire que des animaux pour ceux qui survivent dans les bateys et dans les milieux populaires? Cette conduite de Grenoble devrait nous faire mal. C’est comme si on demandait à Hitler d’accorder la nationalité Allemande aux Juifs et de les intégrer en Allemagne, ou les Arméniens en Turquie.
Si les Dominicains sont tenus d’accorder cette « vie meilleure » que cherchent les Haïtiens et Haïti, quelle est sa responsabilité vis-à-vis de ses propres citoyens? Je me demande le sens de la révolution de 1804 lorsqu’on constate la complicité des Haïtiens eux-mêmes dans le trafic de leurs ressortissants érigés en esclaves dans l’ile voisine. A ce stade des conflits, les autorités Haïtiennes ont l’obligation de venir en aide à leurs citoyens en République Dominicaine et les aider à régulariser leur statut, soit en leur accordant la nationalité haïtienne pour ceux qui sont dans une situation d’apatride, d’aider ceux qui possèdent déjà la nationalité Dominicaine et qui sont menacés illégalement par cette mesure. Ainsi, nous mettrons fin à cette guerre picrocholine.
Les Haïtiens dans l'un des bateys
Il est inconcevable que le gouvernement Haïtien ait adopté une attitude aussi irresponsable et insensible envers ses propres citoyens. L’attitude du gouvernement prouve que les masses Haïtiennes en République Dominicaine encourent les mêmes préjugés infligés à la fois par les Dominicains qui les chassent et par les Haïtiens qui les abandonnent à leur sort. Les deux gouvernements sont du même tonneau. Les internationaux exploitent leur territoire et nos sous classes et s’enrichissent aux dépens des deux républiques. Le problème est donc plus complexe qu’on le pense. Il est impératif que les autorités Haïtiennes prennent des mesures pour encadrer la masse et stopper l’humiliation des Haïtiens en République Dominicaine, aux Bahamas, dans les Dom Tom, les iles Turques et Caicos etc… par des actions concrètes et durables. Les manifestations envers les Dominicains à mon avis c’est comme tuer un âne à coups de figues.


Les présidents Trujilio (RD) et Lescot (Haïti) trinquant leur
verre lors de leur rencontre de 1939 en Domincanie.         
Si nos autorités avaient un minimum de gêne et de sensibilité patriotiques, ils auraient fait preuve d’imagination car franchement, il existe maintes alternatives de solution que de quémander une nationalité dominicaine lorsque le gouvernement Haïtien ne dispose même pas d’un livret de passeport à l’intention de ses ressortissants. Je vous présente de mon point de vue quelques-unes des alternatives valables qui peuvent être prises dans l’immédiat et à long terme pour mettre une fin au dilemme des Haïtiens en République Dominicaine :


Dans l’immédiat :

1) Organisation d’un téléthon invitant chaque Haïtien à l’intérieur comme à l’extérieur à contribuer $20 par tête ou 1000 gourdes – 1 million de personnes a 20 dollars en une semaine, on aurait déjà collecté 20 millions de dollars, ou 2 millions de personnes contribueraient 40 millions de dollars.
2) Les Haïtiens des bateys vivent dans des campements permanents très sommaires et dépourvus de tous services tandis que les colons de la Gulf et Western produisent un volume annuel de production supérieur à 1,3 milliard de tonnes de sucre. Les Haïtiens doivent demander officiellement a la République Dominicaine de mettre fin à effet immédiat aux travaux des travailleurs Haïtiens dans les Bateys. Rapatriement total des Haïtiens travaillant dans les Bateys.
Haïtiens réfugiés dans le camp (batey) Munoz à Puerto Plata
3) Une nouvelle loi à introduire dans la constitution Haïtienne «Aucun Haïtien doit être soumis aux travaux forces dans un autre pays». Aucun Haïtien dorénavant ne doit travailler dans les bateys. Annulation de tout contrat illégal entre la République Dominicaine et Haïti relatif à l’exploitation des Haïtiens dans les Bateys. La République Dominicaine doit employer leurs ressortissants dorénavant dans les bateys. Les braceros ne doivent jamais plus être associés aux Haïtiens, si nou avons encore une dignité à préserver.
4) Le gouvernement devrait disposer d’une zone vierge, en particulier dans le nord d‘est pour le rapatriement de ses citoyens, ces zones étant inhabitées sans aucun plan de développement serviraient à la construction d’une nouvelle ville qu’on nommerait « la ville fierté»;
5) 40 millions de dollars construiraient près de 8,000 maisons à $5,000 dollars par famille sans les couts de la main d’oeuvre. Ces maisons seraient construites en utilisant la force des rapatriés comme main d’œuvre. En d’autres termes, ils auraient du travail et comme fruits, ils auront leur propre habitat.
6) Les rapatriés auraient droit à une cantine trois fois par jour durant toute la période de la construction de leur logement qui se ferait simultanément.
7) L’Etat ferait appel à des volontaires parmi des ingénieurs Haïtiens désireux d’assister nos compatriotes dans le projet moyennant une réduction d’impôts pour leur contribution qu’ils auront à déclarer lors du paiement des impôts.
8) L’Etat Haïtien devrait mettre des bus à disposition des Haïtiens dans les endroits annoncés pour leur rapatriement et empêcher que la République Dominicaine déporté nos frères et sœurs mais plutôt les Haïtiens rapatrient leur peuple. L’achat des bus aurait été plus utile qu’un concert de quelques heures sur le Champ de Mars.
9) Un Comité d’accueil sérieux et efficace devrait être établi dans les zones frontalières qui enregistrerait leurs noms et d’autres détails les concernant ;
10) Un recensement de tous les rapatriés devrait être réalisé en vue d’une meilleure planification de leur réintégration.
11) A l’arrivée des rapatriés, des tentes seraient mises à leur disposition comme logements temporaires Ils se rendront au travail pour une durée déterminée dans la construction de leur habitat.
12) Dans un deuxième temps, l’Etat devrait aider les nouveaux résidents à travailler dans des plantations que l’Etat devrait prévoir dans le cadre du développement de l’agriculture. Par exemple, planter des légumes et des fruits pour la consommation locale. Il est à noter que la firme Haïtienne qui fournit la MINUSTHA en légumes les obtient de la République Dominicaine.
13) Développement d’une industrie haïtienne de canne à sucre la ou les Haïtiens peuvent travailler et produire le sucre localement; Une étude de faisabilité devrait être réalisée à cet effet en vue d’une action concrète.
14) En attendant les récoltes, chaque famille recevrait une allocation de 5,000 gourdes afin d’injecter dans la nouvelle vie une activité économique. Les 5,000 gourdes devraient aider la famille à une activité entrepreneuriale (achat et vente des produits) pour commencer.
15) L’Etat se chargerait de construire un lycée dans la zone qui tiendrait compte de la langue Espagnole qui serait largement parlée dans la nouvelle ville.
16) Ceux qui ont des familles en Haïti et qui ne font pas parti des Haïtiens nés et grandis en RD devraient rejoindre leur famille.
Dans un long terme : 


1) Il est absolument essentiel que la décentralisation des villes ait lieu et qu’un gouvernement local soit développé et sa capacité renforcée dans toutes les villes. Le gouvernement local doit assurer le développer de sa zone respective sans passer par Port-au-Prince. Ceci est sérieux si on veut éviter d’exacerber le problème d’émigration de notre peuple vers l’ile voisine et d’autres villes des Caraïbes.

2) Relancement d’un plan de production agricole pour éliminer toute importation de la République Dominicaine, c’est une conséquence que la RD devra assumer. Haïti ne doit plus accommoder l’économie dominicaine si ce n’est que par des échanges commerciaux mutuels.
3) Investir dans la recherche minière de manière à créer une main d’œuvre dans le secteur minier. Le développement d’une main d’œuvre qualifiée à travers le pays doit être parmi les points importants de l’agenda de chaque gouvernement.
4) Analyse et recherche sur les capacités de rendement dans chaque zone géographique et impliquer la population dans le développement de leur ville. Si nous cherchons notre corne d’abondance, nous la trouverons ;
5) Prévoir une protection de nos champs agricoles afin d’éviter des actes de sabotage par les voisins.
6) L’Etat Haïtien doit investir dans la construction de campus universitaires dans plusieurs départements géographiques au service d’un plus grand nombre d’Haïtiens afin que nos étudiants n’aient pas à verser $10,000 dollars par tête aux universités privées Dominicaines. A noter que 70% des étudiants dans les universités privées en RD sont des Haïtiens, ce qui revient à dire que ces universités ont été créées pour attirer des devises haïtiennes. Ce sont des devises qui seraient utiles à notre pays.
7) Haïti doit se moderniser et pour cela, il faut la participation de tous les membres de ses élites. On ne peut blâmer le professeur qui admet « qu’Haïti se trouve actuellement « au bord du précipice de l'histoire », il nous appartient de renverser la tendance. Nous ne pouvons demeurer une société perpétuellement en crise. L’écrivain Dorvilier constate que cette « longue crise haïtienne du développement résulte du fait que les principaux sous-systèmes culturel, social, politique et économique n'ont pas su remplir adéquatement leurs fonctions respectives. Ils ont en effet fonctionné de manière anachronique, perverse et chaotique. » Une nouvelle direction s’avère donc nécessaire ;
8) Pour citer le sociologue Claude Souffrant « Haïti entretient des archives et des musées, institutions de conservation du passé. La sociologie haïtienne contemporaine demeure obstinément diachronique. Chez ses meilleurs représentants, les vues prospectives sont rarement développées au-delà des limites ... le regard haïtien est fixé sur son passé. Avec ce regard borgne, on entre dans l'avenir, inattentif à la nouveauté du temps, insouciant à l'inédit qu'amène le futur, imperméable aux innovations, prisonniers de l'héritage sacré des anciens, répétant le discours bègue du passé, le discours de l'aliénation. » Moi je dis, relevons le défi du développement, regardons vers l’avenir et utilisons nos moyens et développons les possibilités. Faisons preuve d’innovation !
9) Haïti a besoin d’une révolution industrielle. Beaucoup d’Haïtiens de la diaspora souhaitent investir dans leur pays mais la situation sécuritaire, le monopole de l’Elite économique aussi bien que le style mafieux observé dans la gestion des affaires publiques les découragent. Haïti importe pratiquement tout de la République Dominicaine et même les produits de première nécessité qui auraient pu être fabriqués sur place. Le gouvernement doit faciliter le développement de l’industrie afin d’élargir l’économie et de réduire le monopole par quelques familles.
10) Chaque président sortant doit laisser leurs empreintes en établissant, ou sponsorisant ou une industrie locale, ou une ou des institutions dans les domaines suivants ;


• Agriculture

• Education/Formation (Sciences techniques)

• Industries pour la fabrication de produits de première nécessité

• Santé

• Logements

• Environnement

• Mines et energie

11) Développer une campagne d’information et de conscientisation sur le maltraitement des Haïtiens en République Dominicaine, en particulier les bateys à l’intention des masses à travers des documentaires filmés. Ceci servira à décourager les Haïtiens à s’enfuir vers la RD. Apprendre aux Haïtiens à conserver leur dignité, et leur fierté, Les inculquer une responsabilité citoyenne. c’est un minimum qu’on leur doit.
12) L’explosion démographique pèse très lourd sur le développement du pays. Le gouvernement ne planifie jamais pour sa population mais pour une poignée de gens, est ce pourquoi il ne réalise jamais un recensement annuel. Loin de planifier pour eux, il les abandonne, les isole et les laisse à la recherche de leur propre survie. A cause de leur statut de sous-classe, ils sont marginalisés partout où ils vont et sont traités comme des parias.
13) Repenser la gouvernance car sans une réforme totale des institutions et des engagements phares à être respectés par tous les secteurs, on ne saurait nous orienter vers la modernité. Il faut une consultation citoyenne et une commission nationale de réformes des institutions et de l’Etat afin de construire un Etat solide. Pour l’instant, l’Etat est une foire d’empoigne à la solde des dirigeants et de l’élite économique aussi bien que quelques poignées d’opportunistes.
14) Les préjugés envers les masses Haïtiennes sont aussi à l’origine des problèmes. Garder un peuple dans l’ignorance parce qu’ils sont en majorité noire, est un crime contre l’humanité. C’est l’occasion pour que les autorités haïtiennes réparent le tort qu’ils ont fait à la grande majorité livrée à elle-même. Nous ne pouvons plus faire litière d’une situation des plus macabres que nous avons occasionnée durant deux siècles.
15) Une table ronde doit être organisée invitant les élites du pays (économique, politique et intellectuel) vers le développement d’un « compact » national à s’engager dans des responsabilités propres. Comme l’a fait remarquer le Professeur de l’Administration Publique louis Coté, « Le premier indicateur qui permet de savoir si un Etat va se développer ou s'inscrire dans la modernité, c'est un projet commun de développement partagé par l'ensemble des élites » ; L’assiette au beurre doit prendre fin car nul n’est né dans la pourpre dans notre pays.
16) Nous avons perdu la face au monde entier et nous avons trop longtemps frisé le ridicule. Si nous ne pouvons pas nous entendre pour faire cet ultime sacrifice en vue de ramener notre pays aux portes de la modernité, je repose la question à savoir « A quoi servait la révolution de 1804 » ? sinon mettons-nous à pied d’œuvre pour construire l’Etat.


Emmanuelle Gilles
3 Juillet 2015

Tuesday, July 14, 2015

Le “leadership haïtien” existe t-il ?

par : Pascale Doresca 
Président Michel Martelly  06-26-2015
En vérité je n’ai jamais fait partie des fans du président Martelly. D’abord parce que j’ai toujours considéré la fonction présidentielle comme une sorte de sacerdoce,  la façon la plus assurée de se mettre au service du bien commun, un tremplin à partir duquel on change le monde et les choses. Etre le premier citoyen d’un pays—aussi petit et insignifiant soit-il—c’est porter, contre vents et marées, son étendard à travers le monde et faire profession de foi en ce que ce pays représente, à toute heure du jour et de la nuit. Du plus loin que je me souvienne, le chanteur Sweet Micky n’a jamais montré aucune volonté de servir personne d’autre que lui-même. A travers ses compositions et interprétations, on s’est toujours heurté à son indifférence et mépris pour l’ordre public et la décence, ses épanchements hédonistes, son machisme vulgaire et maladroit, et un narcissisme maladif dont l’homme peine à se départir en dépit de l’âge et des expériences.
Aussi, je n’ai jamais compris par quels artifices Martelly ait pu se réclamer la présidence d’un pays de plus de 10 millions d’âmes quand seulement 600 mille personnes, soit 6 % de la population, ont voté pour lui. C’est une chose de forcer la « démocratie » dans la gorge d’un petit pays sous l’impressionnante supervision des observateurs de l’ONU, c’est une autre chose que de vouloir substituer en pleine lumière cette farce à la réalité.  A vrai dire, les politiques haïtiens ne m’ont jamais impressionnée. Et la politique politicienne m’a toujours fait l’effet d’une entreprise mafieuse à la tête de laquelle des petits personnages s’enrichissent au nom de Dieu et des pauvres absolus qui servent d’engrais à leur vieux rêves de présidence et de banditisme prétentieux.
Michel Martelly au Champs de Mars le 26 Juin
En tout cas, rien de  ce qui a à voir, de près ou de loin, avec le président Tet Kale ou avec ceux et celles qui tournent autour de lui n’a, jusqu’au concert du vendredi 26 juin, suscité mon intérêt. Ni les yayad incontrôlés, ni l’insolence primaire que sue son verbiage inculte, ni l’attitude pète-sec sur laquelle plane l’ombre désobligeante de Sweet Micky,  ni les mercenaires zentelektyel à sa solde, ni les sorties intempestives des zélotes aux vues simplistes et misérabilistes.
Mais vendredi dernier, quand faisant allusion aux milliers de Dominicains d’origine haïtienne, dénationalisés par la décision TC-168,  aux Haïtiens sans papiers ni existence légale, aux braceros vendus pour de l’argent comptant par le dictateur Baby Doc—défunt—et son Ministre des Affaires Sociales, feu Hubert Deronceray…quand, se référant à ces fils et filles d’Haïti, le président en a parlé comme si ces derniers étaient  d’une humanité inachevée, des bêtes de somme qui auraient dû être habitués aux humiliations et dégradations par ci et par là, et que les Dominicains leur auraient fait en les croquant beaucoup d’honneur…quand ce président-chanteur ou chanteur-président, en compagnie d’abrutis comme Chris Brown et Lil Wayne en a parlé en ces termes, l’indifférence que le quinquagénaire-qui-ne-sait-pas-qu’il est vieux m’avait toujours inspiré se mua en dégout.
En fait, comme le chanteur Sweet Micky avait prédit dans sa composition Ou La La, « pwason te fè dlo konfyans, men se dlo ki bouyil. »  Quelle déception ! Avant de parler des Dominicains xénophobes, anti-haïtiens, et racistes, peut-être qu’il faut jeter un regard vrai sur nous autres Haïtiens, sur nos dirigeants et nos Zelites sans âme ni conscience. C’est une chose d’avoir émigré de son propre chef, d’être un rescapé de la misère ou un réfugié politique, c’est une autre chose que de savoir au fond de soi que le pays d’où l’on vient n’est pas un pays. Il y a environ un an et demie, quand les juges dominicains ont pris la décision de dénationaliser les Haïtiens en transit depuis 1929 sur leur territoire, une amie me demanda à brule-pourpoint : « where is the Haitian leadership ? » Je l’ai regardée longuement, puis j’ai changé de sujet. La vérité était insupportable.
Par Pascale Doresca
3 juillet 2015

Monday, July 13, 2015

Grèce :Les liaisons dangereuses entre oligarques et politiques

Outre la question de la dette qui provoque
 le mécontentement.                                 ,
                                    
Le premier ministre grec Alexis Tsipras l’a de nouveau affirmé lors de son discours au Parlement européen, mercredi : il promet, si les créanciers lui en donnent la possibilité, de devenir le grand réformateur de la Grèce. Et notamment de « s’attaquer de manière systématique à la structure oligarchique » de l’économie grecque et « aux cartels » qui se partageraient depuis 30 ans le lucratif gâteau des contrats publics. « Ils contrôlent les médias et ils obtiennent des banques des prêts importants, contrairement aux entrepreneurs classiques. Nous devons limiter leurs activités effrénées », déclarait-il en mars au magazine allemand Spiegel.

En Grèce, l’économie est une histoire de familles. D’abord, celles des centaines de milliers de petites et moyennes entreprises, qui tiennent notamment le commerce de détail. Et il y a aussi quelques grandes familles, une dizaine, propriétaires de grands groupes, qui se décomposent souvent d’après le même schéma. D’un côté, des entreprises, souvent leaders dans leur domaine, qui représentent « le coeur de métier » du groupe. De l’autre, des sociétés juridiquement indépendantes — cela a son importance — centrées sur les médias.

La famille Bobolas domine le marché de la construction, du traitement des déchets ou de la gestion des autoroutes par le biais d’une dizaine d’entreprises regroupées sous l’enseigne Ellaktor SA, aujourd’hui gérée par Leonidas Bobolas, fils aîné du patriarche George Bobolas. Fotis Bobolas, le petit frère, est, quant à lui, président du conseil d’administration des éditions Pegasus, propriétaire de cinq quotidiens — dont le journalEthnos —, d’une quinzaine de magazines et d’une dizaine de sites Internet. La famille Bobolas est aussi, et surtout, actionnaire majoritaire de la principale chaîne de télé privée du pays, Mega.

Dans tous les domaines

La famille crétoise Vardinoyannis maîtrise le marché stratégique du pétrole, avec ses raffineries de Corinthe et ses participations dans les entreprises de distribution de carburant (Shell, Coral SA, Avin Oil, etc.). Elle est aussi actionnaire de la chaîne de télévision privée Star et de plusieurs radios et magazines. La famille Alafouzos, des armateurs originaires de Santorin, est propriétaire du Groupe Skai, du nom d’une influente antenne privée. À son catalogue, notamment, le principal quotidien grecKathimerini. D’autres familles, les Latsis (transport maritime, développement de biens immobiliers, etc.), les Melissanidis (pétrole, loterie…) ou Marinakis (transport maritime, propriétaire du principal club de foot grec l’Olympiakos) sont aussi de très importants acteurs économiques en Grèce.

On trouve des industriels propriétaires de médias dans d’autres pays, mais la Grèce possède quelques spécificités. « En Grèce, nous avons un mot fort — diaploki — qui résume à lui seul les relations incestueuses entre quelques grosses entreprises, les médias, les banques et le monde politique », explique Pavlos Eleftheriadis, professeur d’économie à l’Université d’Oxford et porte-parole aux Affaires européennes du parti centriste To Potami. Un ambassadeur américain avait résumé le phénomène dans une dépêche diplomatique de 2006 révélée par WikiLeaks : « Les relations sont plus compliquées et incestueuses que celles entre les dieux, les demi-dieux et les hommes dans les mythes grecs. »

Première conséquence visible pour l’universitaire : « Les journalistes de ces antennes sont dans une forme totale d’autocensure. » Lors des législatives de fin janvier, ce juriste a été candidat pour son parti. « J’ai vraiment vécu de l’intérieur comment lediaploki se mettait en place », témoigne-t-il. En Grèce, les électeurs doivent choisir dans une liste nominative le nom d’une personnalité en cochant devant, par un système de croix. « Il est donc important d’être connu du public, et cela passe par la télé, signale-t-il, affirmant avoir refusé de rentrer dans le jeu. Or, pour accéder à la télé, cela n’est pas gratuit ! Il faut passer une sorte de contrat tacite, évidemment totalement secret, de renvoi d’ascenseur avec l’entrepreneur qui ouvre l’accès à ses antennes. »

Les marchés publics

Le renvoi d’ascenseur pendant plus de trente ans en Grèce a facilité l’accès aux marchés publics. « Les appels d’offres ont longtemps été de pure façade, affirme M. Eleftheriadis. Un ministre pouvait intervenir directement dans les comités techniques d’attribution et favoriser ainsi l’entreprise de son choix. »

Pour le journaliste d’investigation Nikolas Leontopoulos, coauteur en 2012 d’une série d’articles sur l’oligarchie en Grèce, ces pratiques ont atteint leur apogée en amont des Jeux olympiques de 2004. « Il fallait alors construire les installations olympiques, des autoroutes, un aéroport : une manne dantesque à l’échelle de la Grèce. » Des milliards d’euros d’investissements, qui ont largement participé à creuser la dette publique, pleuvent sur le pays. « Chacun voulait un morceau du gâteau. Les entreprises grecques, bien sûr, mais aussi les grands groupes européens. C’est là que le schéma du consortium mêlant intérêts grecs et européens est apparu au grand jour », explique le journaliste. En soit, rien de répréhensible, non ? « Sauf que le vrai boulot des oligarques dans ces arrangements, c’est de servir d’intermédiaire entre les entreprises étrangères et le système politique en place qui attribue les marchés », soutient M. Leontopoulos.

En janvier 2005, Costas Karamanlis, premier ministre conservateur entre 2004 et 2009, promet de faire adopter une loi interdisant au propriétaire d’une entreprise susceptible de participer à un marché public de posséder directement, lui ou toute personne de sa famille — et c’est un point de détail crucial — une entreprise médiatique. « La bataille pour que cette loi, dite de l’actionnaire majoritaire, ne voie pas le jour, a été féroce. Les médias se sont déchaînés, dénonçant une loi monstrueuse », se rappelle Nikolas Leontopoulos. Après avoir épuisé l’ensemble des recours en Grèce et tenté en vain de faire pression sur le gouvernement pour qu’il renonce à son projet, les oligarques se sont tournés vers Bruxelles. « Ils ont argué du fait que l’on ne pouvait pas interdire à un membre de leur famille d’avoir ses propres affaires, indépendantes, y compris dans le monde des médias. Que cela limitait la liberté d’entreprise. »

La Commission européenne tranchera en effet en faveur des oligarques. « Ils ont menacé [Costas] Karamanlis de ne plus lui verser les fonds structurels auxquels la Grèce avait droit, et le premier ministre s’est rétracté dans l’instant en vidant la loi de son sens. Un vrai chantage, qui, pour moi, prouve l’hypocrisie de l’Europe quant à l’oligarchie grecque qu’elle protège. » Des propos que nuance le constitutionnaliste grec Nikos Alivizatos. « Cette disposition sur les parents proches violait effectivement les directives européennes. Et la Cour européenne de justice a d’ailleurs confirmé en 2008 la décision de la Commission de 2004. »

Aujourd’hui, l’État est au bord de la faillite et n’est plus en mesure de financer le moindre investissement public. « La manne s’est tarie, mais le nouveau marché porteur pour les oligarques est celui des privatisations », soutient Nikolas Leontopoulos. Pour renflouer les caisses de l’État, en effet, les créanciers de la Grèce lui ont imposé la privatisation de nombreux actifs publics, entreprises, patrimoine immobilier, infrastructures. « Et là, nous observons de nouveau à l’oeuvre les mêmes mécanismes de collusion suspecte entre politiques, médias et oligarques — grecs et européens —, ce que j’appelle le triangle du pouvoir. »

L’ancien aéroport

Nikolas Leontopoulos s’est particulièrement intéressé aux conditions d’attribution des 620 hectares — deux fois la surface de Central Park et une marina grande comme trois fois celle de Monaco — de l’ancien aéroport d’Athènes Elliniko, désaffecté depuis 2004. En mars 2014, après des années de rebondissements, ce marché gigantesque a finalement été attribué à un consortium comprenant d’une part la grecque Lamda Development de la famille Latsis, le groupe chi- nois Fosun et la société Al Maabar, filiale de Mubadala Development, un fonds souverain d’Abou Dhabi.

« On peut se poser des questions : comment se retrouve-t-on avec un seul candidat ? Comment a-t-on cédé ce joyau à ce prix ridiculement sous-estimé de 915 millions d’euros ? » La Chambre technique de Grèce (TEE) avait en effet estimé la valeur d’Elliniko à 3 milliards d’euros. Dans le doute, la Cour d’audit grecque a bloqué la procédure en septembre 2014. Elle a cependant rendu son avis en février 2015 en estimant valide l’ensemble du marché. Les travaux devraient commencer en 2016.

Les Grecs ont porté Alexis Tsipras au pouvoir en partie parce qu’ils estiment qu’il est le seul à pouvoir mener une opération avec les mains propres en Grèce. C’est fort de cet argument que le premier ministre essaie de convaincre ses créanciers de lui laisser une chance de changer la Grèce. Un discours que les Européens ont déjà entendu des dizaines de fois par le passé et qu’ils ont, aujourd’hui, bien du mal à croire.

Saturday, July 11, 2015

Rebondissement du scandale sexuel de Bill Cosby

Par: Herve Gilbert herve.gilbert@gmail.com
Bill Cosby
Au cours de la semaine dernière, l’affaire de Bill Cosby a rebondi quand le site de Pacer.gov a publié ce qui serait des aveux de Bill Cosby… En effet, la vedette de Bill Cosby Show aurait avoué, selon cette même source, avoir donné des Quaaludes… au moins à une femme au cours d’une déposition datée de 2005.

Durant cette déposition officielle effectuée sous serment lors d’un jugement en  2005, et qui a été mise en ligne lundi dernier par les autorités américaines via le site pacer.gov; l’ancienne vedette de “Bill Cosby Show” aurait avoué avoir donné du Quaalude, un sédatif et hypnotique puissant, à au moins une jeune femme en 1976 avant d’abuser d’elle. (Il faut rappeler que le sexe sans le consentement de l’une des parties, est appelé viol).  

Depuis le rebondissement de cette affaire, les réalités d’une culture du viol de Bill Cosby semblent de plus en plus évidentes et moins contradictoires. Cependant les grands médias  utilisent un langage tendant à minimiser cette vérité qui dérange et qui a été tout simplement  ignorée depuis dix ans, alors que ces médias faisaient usage de titres comme "Sex Bombshell de Cosby” pour éviter, semble-t-il, d’utiliser  le mot «viol».  Ces  nouvelles semblent toutefois refléter une réalité cuisante.  Et l’opinion publique semble changer vis a vis de Cosby accusé d’abus sexuels et même de viols contre des femmes depuis l'année dernière et surtout après que plusieurs d’elles, soit une trentaine, -- ont surgi sur la scène pour accuser l’humoriste de les avoir droguées aussi au cours de ces incidents. Certaines pour la plupart  auraient été des mineures au moment de ces présumés abus. 

Quel sera le dénouement pour cette vedette déchue  de la télévision américaine? L'icône de la comédie, maintenant agé de 77 ans,  sera t-il jugé par le tribunal de l'opinion publique, ou plutôt par une cour de justice.?

Selon plusieurs sources, les avocats de Bill Cosby auraient essayé de bloquer la parution de sa déposition faite en 2005 dont la loi n'interdit pas la publication. En ce qui concerne les autres faits d'agressions sexuelles, Bill Cosby et ses avocats n'ont pas hésité à entamer  un bras de fer judiciaire avec certaines accusatrices pour diffamation ou tentative d'extorsion. Quant à la justice américaine, elle reste pour l'instant en spectatrice.

Avec la divulgation présentée comme des aveux de Bill Cosby,  les présumées victimes sont un peu soulagées, leurs accusations pouvant  enfin trouver un écho favorable.

Bill Cosby lors d'un récente performance en 2014
Première retombée :  Jill Scott, la célèbre chanteuse qui l'avait défendu avec force, se dit "complètement dégoûtée". "J'ai soutenu un homme que je respectais et aimais. Je me suis trompée, ça fait mal", a-t-elle confié sur Twitter. Le témoignage de Bill Cosby lui permet maintenant donc de prendre position, avec amertume…
D'autre organisations se bousculent pour se distancier de l'humoriste après que ces documents judiciaires appuyant ces allégations contre le comédien ont été divulgués. Plus récemment, Walt Disney World s'est débarassé d'une statue de bronze de l'humoriste à Hollywood Studios, Orlando.

Il n'est que d'attendre car cette histoire ne semble pas vouloir s'épuiser de si tôt... On est innocent jusqu'à preuve du contraire. Cependant si ces allégations sont prouvées, Bill Cosby deviendrait peut-être le champion des "Kadejak" (cas de Jacques) de toute l'histoire des Etats-Unis.


Par: Herve Gilbert herve.gilbert@gmail.com

Autres informations y relatives en vidéo
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Tuesday, July 7, 2015

Témoignage d'une française ayant séjourné en République Dominicaine

Carte de la République Domincaine
La République dominicaine est l’un des rares pays au monde à mentionner sur la carte d’identité (cédula) de ses ressortissants leur couleur de peau. Et ce par une lettre : un « B » pour les Blancs, un « N » pour les Noirs et un « I » pour les métis. Officiellement, il y a 75 % de métis, 23 % de Noirs et 2 % de Blancs. Cette recherche de classification se retrouve souvent, comme par exemple sur la facture d’un hôtel de Santiago :
  

Les Dominicains sont un peuple torturé. Je l’ignorais avant de partir. Je ne savais pas qu’on pouvait être aussi complexé sous des abords aussi légers. Il faut gratter un peu pour connaître la vraie République dominicaine. Qu'est-ce qui m’a fait arriver là-bas ? dans cette île, séparée en deux, avec deux peuples qui se haïssent, qui ont connu l’esclavage et qui en sont issus. J’avais l’impression que ces Dominicains expiaient tous d’une manière ou d’une autre les souffrances de leurs ancêtres. Je pensais aller là-bas pour découvrir ce à quoi pouvait ressembler une si belle entente entre les hommes. J’étais partie à la rencontre d’une minorité sympathique dans un pays insouciant, j’ai rencontré un peuple au bord de la névrose dans une ambiance d’apartheid.

J’ai beaucoup travaillé pour essayer de comprendre le fond de l’âme dominicaine. Ce qui suit est le résultat de mes tâtonnements dans ce domaine.  

Des apparences trompeuses

Les premiers entretiens, qui s’apparentaient plutôt à des séances de conversations pour étranger qu’à des entretiens car je ne parlais pas encore bien espagnol, confirmaient la bonne réputation du pays : « Nous, on ne fait pas de différence entre les gens selon la couleur de leur peau », m’ont dit un couple de riches Dominicains blancs (les seuls !) qui, curieux de savoir ce que je faisais là, m’ont interpellée dans la rue. Même chose pour Rosanna, 19 ans, secrétaire à la chambre de commerce franco-dominicain et métis claire, elle : « Moi, je n'ai pas de préférence quant à la couleur de peau dans mes relations sociales. Je traite tout le monde pareil. Comme tout le monde ici, d'ailleurs. Nous les Dominicains pensons que la couleur de peau ne qualifie pas la personne. Il n'y a pas de racisme parce que la culture dominicaine provient d'un mélange de trois cultures, de trois races ». Le père de Tito, lui, affirmait qu’ « ici, il n’y a plus de racisme ». Et il poursuivait : « Je n'aime pas trop les Noirs, enfin les Haïtiens ». Est-ce à dire qu’il y avait du racisme « avant » ? Et quid des Haïtiens ? C'était déjà plus étrange, et il était d’autant plus difficile à comprendre qu’il n’avait plus de dents.

Pour Xiomara, 25 ans, secrétaire au siège d’un syndicat de transporteurs routiers à Jimaní, « Le seul problème, c'est Haïti. Mais je ne dirais pas pour autant qu'il y a du racisme, car les structures sociales d'avant ont disparu. Il y a très peu de racisme, à part chez les plus riches. Mais ils sont isolés ». Cette affirmation revenait souvent : seuls les riches sont racistes… qu’en penser ?

 Autre phénomène étrange : à la question « de quelle couleur êtes-vous ? », 95 % de mes interlocuteurs (tous métis ou noirs) se décrivaient comme « indio ». « Indio » est un terme qui signifie « indien » et qui fait allusion aux Taïnos et aux Indiens des Caraïbes en général… qui ont tous été exterminés. Ce qui explique le mystérieux « I » sur les cartes d’identité. Mais pourquoi cette étrange appellation ?


José Francisco Peña Gómez est  connu  comme l'une
 des personnalités politiques les plus éminents du 20e
  siècle en Dominicanie. Il était le chef du parti PRD,  
un candidat malheureux en 3 fois à la présidence et
l'ancien maire de Santo Dominguo.                             

Et puis un jour, j’ai poussé à tout hasard la porte de la chambre de commerce franco-dominicaine à Saint-Domingue. Je suis tombée sur Génésis, une Franco-dominicaine qui travaillait là depuis plusieurs mois et qui connaissait bien la France comme la République dominicaine. Elle avait presque mon âge et parlait français : une source en or ! A ma question : « y-a-t-il du racisme en République dominicaine ? », sa réponse fut sans appel : « On t'a vraiment dit qu'il n'y a pas de racisme en République dominicaine ? C'est complètement faux. Pour certaines choses, en effet, les Dominicains sont plus ouverts que les Français. Bon. Mais sinon, ils sont très racistes ! Si tu es étranger, tu fais ce que tu veux, mais les Dominicains entre eux louchent sur la couleur de la peau. Il y a des boîtes où on ne te laisse pas entrer si tu n'es pas blanc. Même moi, j’ai eu des problèmes avec ça. J'ai du montrer ma carte d’identité française pour entrer ! C'est toujours mieux d'être blanc. Et il n'y a pas que la couleur de peau qui compte, il y a aussi l'argent que tu as ! Il y a certains endroits où on te regarde de travers si tu n'as pas la voiture de l'année. Les gens sont très matérialistes. Tout tient à l'apparence. Ce sont de bonnes bases pour le racisme ! ».

Le voile de conformisme que tous revêtaient jusque-là commençait à tomber, mais tout n’était pas encore très clair dans ma tête. Je sentais que je touchais à un sujet sensible, et beaucoup plus complexe que prévu.

J’ai poursuivi quelque temps ce qui commençait à ressembler à une véritable enquête. Les réponses continuaient d’être évasives, mais ma perception de leur sens caché s’affinait à mesure que mon niveau d’espagnol progressait. J’ai senti que j’approchais du but le jour où Pablo, le cousin de Tito, m’a mise en contact avec Elvis, prof d'histoire dans le secondaire à Villa Jaragua. Il m’a affirmé qu’« en République dominicaine, il y a toujours eu du racisme. C'est le pays le plus raciste au monde. Et c'est aussi le pays le plus métis au monde ». Mais il ne m’a pas donné plus d’explications.


Pablo Santana Baez, lors d’une interaction avec les enfants
C'est Pablo Santana Baez, le psychologue rencontré au siège de World Vision à Jimaní, ainsi que ses collègues Adela Matos et Miguel Hebron, qui a rendu soudain clairs les propos de Génésis. Voilà leur explication : « être Noir en République dominicaine, c'est d'abord un problème. Les métis, ceux qui ont du sang blanc (c'est-à-dire espagnol ou européen) et du sang noir (c'est-à-dire africain), ne se considèrent pas comme Noirs, ni comme métis, mais comme Blancs. Si tu leur demandes quelle est leur couleur de peau, ils te répondront "indio", avec les variantes; "indio clair, indio foncé"... Sache qu'un "indio foncé", en général, c'est un Noir. Mais ne t'avise pas de lui dire qu'il est noir, il le prendrait mal. Le mot "negro" [traduction de "noir" en espagnol], ici, ne désigne que les Haïtiens. Pour les Dominicains, c'est une insulte. Pour désigner la couleur de peau noire, c'est plutôt le terme "moreno" qui va être employé, si on veut être compréhensible. Mais jamais "negro", même si c'est le terme exact. Le Dominicain a très peu de sang indien, en général il est moitié d'origine espagnole, moitié d'origine africaine. L’apport génétique des Indiens dans la société dominicaine actuelle a donc été très faible. Bon, c'est vrai que le pourcentage varie selon les gens. Mais dire de quelqu'un qu'il est un "indio" est une aberration. Les Indiens de l'île sont un peuple disparu, un mirage, un fantasme pour les Dominicains actuels. »

Pourtant, tout le monde continue de se forger de toutes pièces une identité usurpée, ceci afin d'éviter d'assumer la couleur de peau noire et surtout les origines africaines.

Le diktat blanc
Si les Dominicains rejettent cet aspect noir, alors même qu’il est partie intégrante de leur identité, c'est parce qu’il a une connotation très négative. En effet, pour tout le monde, le modèle, c'est le blanc. Le Blanc. Le blanc de peau qu’on ne croise que très rarement en République dominicaine, mais qui tient pourtant les rênes du pays : le pouvoir politique, économique, religieux et militaire est aujourd'hui presque exclusivement entre les mains de Blancs.

Pedro Santana né à Hinche(Haïti)
fut le premier président de la     
République dominicaine             
Le blanc est exagérément valorisé, il symbolise à lui seul la richesse, la réussite, et la beauté.  Aux yeux de la plupart des Dominicains, ce qui est blanc est bon, positif et généralement, « meilleur ». Ils font preuve d’une xénophilie sans égal, excessive, à l’égard des Blancs et des « clairs ». Pour le noir, c'est le contraire. Comme me l’expliquait une des rares Dominicaines à ne pas adhérer à la schizophrénie ambiante : « ce n'est pas parce qu'une infime partie de la population est blanche qu'elle ne peut pas contrôler le pays et se sentir supérieure aux autres. Les autres, les métis justement, ne voient que leur côté blanc. Ils ne veulent pas entendre parler de leur sang noir. C'est comme un tabou, le fait d'être noir. Très peu de gens en sont fiers. On a hérité des schémas mentaux de l'esclavage. Ils sont présents chez tout le monde ».


En témoigne une affiche repérée dans les bureaux du MUDHA à Saint-Domingue :

Ces expressions sont réellement utilisées dans la vie courante. «  C'est impossible de s’assumer en tant que noir quand on t’apprend ce genre de choses », a résumé une employée du MUDHA en me montrant cette affiche. Et le tabou du Noir est tellement fort que dans le guide publié par l’office de tourisme dominicain, on trouve pleins d’informations sur les Taïnos, sur Christophe Colomb… mais rien, absolument rien, sur la partie esclavage de l’histoire dominicaine. Impossible de comprendre, pour le lecteur, pourquoi les Dominicains sont si foncés.

Comment comprendre un tel comportement ? Cela c'est éclairci au cours des entretiens, et ce car j’ai eu la chance de tomber, souvent par hasard, sur plusieurs personnes qui travaillaient sur la question. Ou qui avaient une honnêteté et un niveau d’instruction suffisants pour me donner une réponse objective. De plus, ces gens ont tous fait beaucoup d’efforts pour me répondre. C'étaient les entretiens les plus intéressants et les plus fournis. Il s’agit vraiment de chance car sur les 33 témoignages recueillis, seuls une poignée m’ont permis de comprendre le fond de la question, tous les autres étant évasifs ou se perdant en généralités.

Voici donc une synthèse de leurs explications, que j’ai organisées sous forme de questions/réponses. Y sont repris Francisco Rafael Guzman, professeur de sociologie à la UASD (une université de Saint-Domingue), Rocio et Tati Perez, sa mère, toutes deux professeurs de lettres à Neiba, Brigido Trinidad, biologiste à Villa Jaragua, Rafael Almanzar, personnalité artistique et religieuse (vaudou) de la ville de Santiago, Américo « Catuxo » Badillo Vega, directeur de la branche éducation du centre Oné Respé à Santiago, Jorge Puello, professeur de danse dans un bateye près de Saint-Domingue, Ana Maria (j’ai oublié de noter son nom de famille), directrice des activités sportives au même endroit, et Rafael Lluberes, directeur du centre Colibri et d’UJEDO, organisme oeuvrant en matière de santé, d’éducation, de culture et d’environnement, dans ce même bateye, et Sirana, cadre au MUDHA1 à Saint-Domingue (dont je n’ai cette fois pas compris le nom)  

Pouvez-vous me parler du racisme ?

Les Dominicains rejettent cet aspect noir, alors même
 qu’il est partie intégrante de leur identité.               
Eh bien le racisme, c'est une forme de relation entre les personnes qui prend très fortement en compte le phénotype et/ou la culture. C'est un phénomène parfois réel, parfois imaginaire. En République dominicaine, il est réel, et très fort. Il se présente sous forme d’antihaïtianisme. C'est un racisme physique qui prend comme prétexte un racisme politique.

Nous allons commencer par un exemple. Tu as remarqué que les gens non blancs font beaucoup d’efforts pour paraître blanc (cheveux, peau, mariages) ? c'est plus qu’une question de mode. Ici, des « bons » cheveux [pelo bueno], ce sont des cheveux raides, clairs de préférence. Une blanche avec des cheveux lisses est considérée d’emblée comme une belle femme. Si elle se fait friser les cheveux, on va la prendre pour une folle, mais elle continuera d’être blanche. Les « mauvais cheveux » [pelo malo], en revanche, ce sont les cheveux crépus et noirs, les plus répandus dans ce pays. Si une métisse aux cheveux crépus s’aventure à ne pas défriser ses cheveux, elle sera considérée comme une rebelle, quelqu'un qui défie l’ordre social et qui devra assumer son acte. Une des femmes de notre échantillon [lors d’une étude de Catuxo] qui avait tenté l’expérience nous a conté : ‘un homme m’a vue arriver et m’a dit : ‘on dirait que tu n’as pas de mari… tu vas voir les coups qu’il va te donner !’’. Socialement parlant, la texture du cheveu fait vraiment la différence. Le fait de défriser des cheveux crépus revient à les dissimuler pour « ne pas être noire », ou l’être moins, ou pour faire comprendre qu’on ne veut pas l’être. Il y a une volonté de prendre de la distance avec ce qu’on est. Les non-blancs acceptent donc de se reconnaître dans la négation. C'est typiquement une attitude de soumission, en l’occurrence à l’ordre social dominant. En effet, les gens considérés comme noirs n’ont jamais été que méprisés, rejetés, exclus, dépréciés dans la société dominicaine. Accepter d’être noir, c'est reconnaître qu’on est inférieur. Alors qui veut être noir ? 

Autre exemple, quand un enfant naît plus foncé que ses parents, il y a un très fort désenchantement, surtout si c'est une fille. Beaucoup de parents interdisent à leurs enfants, et notamment aux filles, de fréquenter des gens plus noirs qu’eux. On parle d’ « améliorer de la race » [mejorar la raza], quand il s’agit de se marier : il faut se marier avec plus clair que soi.

Il existe donc ce racisme d’autocensure, aliénant, dont la population a largement intériorisé les stéréotypes.  

D’où vient un tel phénomène ?
Toute société esclavagiste a été raciste. A partir du moment où des Noirs africains ont été déportés ici et où l'esclavage est apparu sur l'île, le racisme a été institutionnalisé et utilisé pour justifier leur discrimination. Et puis la guerre d’indépendance a été menée non pas contre le gouvernement d’Haïti, mais contre « les Noirs », le peuple noir. On avait une situation de lutte sociale binaire dont les schémas sont restés vivaces. Encore aujourd'hui, dans les manuels scolaires dominicains, il y a seulement un chapitre sur la composition de la société et les Noirs sont toujours abordés d’un point de vue négatif. Cela donne lieu à une confusion entre nature et condition : entre être esclave et devenir esclave.

Au temps de la colonisation, ils occupaient la place la plus basse. Leur mélange avec les Blancs s'est fait de manière forcée. Mais il n’a pas été complet. Tout en haut de l'échelle sociale, les Blancs sont restés entre eux. Ce qui explique la situation actuelle: les très riches sont tous des Blancs. Ils veulent rester une junte homogène. Il y a bien des leaders noirs, mais ils n'arrivent pas à crever le plafond de verre pour accéder à ce niveau social.

Et le racisme est une arme politique très forte. Il l’a surtout été sous Trujillo, le « généralissime »…
Trujillo, le « généralissime »

Trujillo était un dictateur au pouvoir en République dominicaine entre 1930 et 1961. Il est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire. C'était un despote total, les Dominicains vivaient dans la terreur avec lui et il les a beaucoup influencés. Il a mis en place un véritable racisme d’Etat. Pour lui, Haïti était l’ennemi de toujours, la menace qui planait au-dessus de l’identité dominicaine. Il était d’origine haïtienne, mais mettait des crèmes blanchissantes pour que cela ne se voie pas. Les stéréotypes racistes étaient très présents dans l’idéologie dictatoriale, et ont inondé la société dominicaine. Ils sont toujours très prégnants aujourd'hui. Ces stéréotypes n’étaient pas seulement dirigés contre les Haïtiens, mais aussi contre les Dominicains. Ils visaient à reformuler les notions du nationalisme dominicain en en faisant un bastion à protéger des envahisseurs haïtiens, assimilés aux noirs en général. Dans la pratique, on en est venu à rechercher l’unité nationale à travers la négation du noir. Aujourd'hui, on parle encore d’une « invasion pacifique » haïtienne. Mais que serait notre économie sans cette « invasion » ! Il y a eu un avant et un après Trujillo. Avant Trujillo, la ligne de conduite par rapport à Haïti, c'était le nationalisme. Après, c'était le racisme pur et simple.

Les Haïtiens étaient nombreux dans notre pays avant son arrivée, au point que la gourde circulait dans certaines régions. Les trujillistes ont commencé par revisiter l’histoire dominicaine. Les manuels scolaires ont été falsifiés pour présenter Haïti comme un ennemi dangereux. Puis le vaudou a été interdit et ses pratiquants, pourchassés. Il y a même eu des lois favorisant l’immigration européenne aux dépens de l’immigration africaine, 



Source :JEAN MATHURIN / TRIBUNE DE LIBRE OPINION 

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