Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, September 25, 2015

Science & Vaudou - De Mackandal à Max Beauvoir

Par Aroll Exama, Ph. D. aexama@hotmail.com
Science & Vaudou
De Mackandal à Max Beauvoir
12 septembre 2015, la mort de Max Beauvoir, chef suprême du vaudou haïtien est relayée d’une page facebook à l’autre. Ce hougan, unique en son genre, intéresse plus que la communauté des vaudouisants. L’homme est avant tout un scientifique qui a fait les grandes écoles occidentales. Diplomé en chimie au City College de New York, il poursuivra des études graduées de biochimie à la très renommée La Sorbonne pour couronner le tout avec un doctorat en Biologie. Décidément, ce fils d’Haïti avait tout ce qu’il faut pour briller dans les plus hautes sphères de l’élite scientifique mondiale tout en gardant Haïti dans sa mire. En effet, en 1973, on le retrouve en Haïti expérimentant la synthèse d’hydrocortisone à partir des plantes. Trois ans, plus tard, soit en 1976, il dépose déjà un brevet pour un procédé de production d’hécogénine à partir du sisal (notre pite nationale, connu également sous le nom de jute). La volonté de valoriser les ressources naturelles (médicinales) d’Haïti est évidente. C’est alors qu’il reçoit l’appel du vaudou. Son aventure scientifique avec toutes les retombées dont pouvaient rêver les plantes médicinales d’Haïti allait-elle s’arrêter là ?

L'Ati Max Beauvoir
Plus qu’une curiosité, cette question traduisait mes intérêts d’ordre pratique. En effet, ma femme (infirmière) et moi (docteur en sciences) sommes bien au fait des effets indésirables des médicaments de synthèse au point de chercher à les éviter dans la mesure du possible.

Généralement, nous suivons la démarche médicale typique jusqu’à la confirmation d’un diagnostic clair. Après quoi, nous cherchons d’abord une solution naturelle, du côté des plantes médicinales. Régulièrement, j’arpente les petits magasins haïtiens de Montréal à la recherche d’assorossi, de simen contra etc. J’ai acheté récemment le livre de Marilise Neptune Rouzier sur les plantes médicinales d’Haïti. Cependant, pour en tirer le maximum d’effets sur la santé, certaines données pratiques d’ordre clinique dont la posologie font défaut. Les révélations sur le parcours académique de Max Beauvoir  et sa longue carrière à titre de chef suprême du vaudou m’ont fait rêver un moment. Enfin, me suis-je dit, je vais trouver les informations que je cherchais depuis longtemps sur les plantes médicinales d’Haïti.

C’est là que ma quête a commencé. J’ai interrogé plusieurs sources fiables. En guise de réponse, c’est une autre question qui m’est venue à l’esprit : Que s’est-il passé de Makandal à Max Beauvoir ? Pour ceux qui ne le savent pas, Makandal était le plus impressionnant  des chefs vaudouisants de la période prérévolutionnaire. Son objectif était de renverser le régime blanc esclavagiste et faire des Noirs les nouveaux maîtres de Saint-Domingue (qui reprendra son nom indien d’Haïti à l’indépendance). Pour y parvenir en défiant la machine de répression coloniale, son arme de choix était le poison et pas n’importe lequel. Aux plantes médicinales d’Haïti (c’est la dose qui fait le poison), il combina de l’arsenic et d’autres drogues qu’il achetait auprès des pharmaciens et médecins français eux-mêmes. L’histoire ne dit pas s’il avait découvert la tétrodotoxine, le poison (une toxine) utilisé dans le processus de zombification.

François Mackandal
Fort de cet arsenal, Makandal fonda une école d’empoisonnement  dont il recrutait les disciples parmi les esclaves et aussi des Noirs libres. C’est donc en toute logique (bien que ces soit paradoxal pour un prêtre musulman) que, même après sa mort, son nom fut identifié à presque toutes les formes de fétichisme, d’empoisonnement et de sorcellerie au point où les prêtres vaudou, les fidèles et les talismans seront appelés makandal (Carolyn Fick, 2014). Bookman n’a donc pas été le premier Imam (prêtre musulman) à avoir utilisé le vaudou comme couverture pour ses activités révolutionnaires. Sous le manteau du vaudou, l’industrie de l’empoisonnement, contrôlée par un petit groupe de sociétés secrètes encore actives aujourd’hui, fera basculer le rapport de force. La peur changera de camp. Bookman, Toussaint, Dessalines hériteront d’assez de confiance pour lancer la révolution. On connaît la suite. Les esclaves triompheront de l’armée de Napoléon pour donner naissance à un nouveau pays : Haïti.

211 ans plus tard, peut-on dire que les plantes médicinales d’Haïti ont trouvé une vocation autre que d’éliminer l’occupant à part une utilisation marginale pour la santé et bien sûr la zombification des Haïtiens? La majorité des références que j’ai consultées ignorent l’existence d’un quelconque antidote connu de la tétrodotoxine. Pourtant, les prêtres vaudou maîtrisent cet antidote depuis longtemps dans le processus de zombification. Les opportunités sont sans limite pour ce qui pourrait être qualifié de l’anesthésiant le plus puissant au monde. Dans un pays pauvre et en manque de visibilité (pour des bonnes choses), est-ce déraisonnable de penser qu’un biochimiste hougan du calibre de Max Beauvoir ait pu travailler dans ce sens d’autant plus qu’il était la référence de ceux qui voulaient percer le mystère des zombies ?

              Wade Davis
Quand Wade Davis, un scientifique de l’Université Harvard s’était rendu en Haïti pour chercher une explication au phénomène des zombies, c’est à Max Beauvoir que Bill Clinton l’avait référé. Dans son livre The Serpent and the Rainbow (le serpent et l’arc-en-ciel), Davis raconte comment, avec l’aide de Max et de sa sœur, il a réussi à résoudre l’énigme des zombies. Davis explique que ces personnes, mortes en apparence mais qui ressuscitent quelque temps plus tard ont en fait été empoisonnées par une société secrète en guise de punition pour un crime qu’elles ont commis. Ce poison, la tétrodotoxine, est prélevé dans le poisson-globe, un plat gastronomique au Japon s’il est préparé correctement. Dosé avec précision, le poison provoque une paralysie du corps et réduit la respiration à un niveau si bas que même les médecins s’y laissent prendre et pensent que le patient est mort. Lorsque les effets du poison se dissipent, la société secrète, avec la complicité des gardiens du cimetière, réveille la personne que l’on désigne désormais zombie.

Considérant que : 1) Max Beauvoir voulait valoriser les plantes et autres ressources médicinales d’Haïti (c’est pour cela qu’il était retourné en Haïti) et 2) Il avait les capacités scientifiques et logistiques pour mener à terme une recherche d’envergure dans le contexte d’Haïti (en trois ans seulement, il a complété un projet et déposé un brevet), l’abandon instantané et définitif de son projet scientifique sur la valorisation des plantes et autres ressources médicinales d’Haïti pose des questions pour le moins troublantes :
-      
Avait-il peur lui-même des sociétés secrètes qui terrorisent la population haïtienne à coups d’empoisonnement  et de zombification ?
-      
Avait-il une entente de non concurrence ou de collaboration avec ces sociétés ?
-      Son sacre comme Ati (Chef suprême national du vaudou) serait-il la récompense pour cette longue collaboration ?
Ces questions sont troublantes, je l’admets, mais elles méritent réponse de  la part de ceux qui veulent vendre le vaudou à toute une nation si ce n’est au monde entier.


L’auteur est Conseiller en Recherche & Technologie au Gouvernement du Canada 
Dr. Aroll Exama

Thursday, September 24, 2015

Obama et le pape François, deux hommes exceptionnels du 21è siècle


Le pape François est arrivé mercredi matin à la Maison-Blanche où il a été accueilli, sous un ciel bleu éclatant, par le président américain Barack Obama et sa femme Michelle à sa descente de voiture.
Plus de 10 000 personnes étaient rassemblées sur les pelouses de la Maison-Blanche pour assister à la cérémonie d’accueil du souverain pontife qui devait, comme M. Obama, prendre la parole après avoir écouté les hymnes du Vatican et des États-Unis.
En accueillant le pape dans les jardins de la Maison Blanche devant plusieurs milliers de personnes, le président Obama a salué son rôle crucial dans le rapprochement engagé entre les États-Unis et Cuba mais aussi dans la mobilisation internationale pour lutter contre le réchauffement climatique.
M. Obama, qui ne cache pas son admiration pour ce jésuite argentin, dont il a loué la clairvoyance et l’humilité, compte sur son soutien pour ces deux chantiers-clés — Cuba et le climat — à moins de 500 jours de la fin de son second mandat à la présidence des États-Unis.

Dans un discours prononcé sous un ciel bleu, sur les pelouses de la Maison Blanche, M. Obama a rendu hommage au «message d’espoir» porté par le premier pape argentin de l’histoire, «source d’inspiration pour tant de gens à travers le monde».
«Comme fils d’une famille d’immigrés, je suis heureux d’être un hôte en ce pays, qui a été en grande partie bâti par de semblables familles», lui a répondu le pape dans son discours en anglais, en allusion à la controverse politique sur l’immigration hispanique aux Etats-Unis.
Quant à la lutte contre le réchauffement climatique, priorité de l’administration Obama, François a également insisté sur l’urgence d’un combat «qui ne peut être laissé à la génération future».
Sur la scène internationale, «nous vous remercions pour (...) votre appel aux nations à résister aux sirènes de la guerre et à résoudre les différends par la voie diplomatique», a lancé M. Obama.
Evoquant le «soutien précieux» du souverain pontife dans la rapprochement  historique engagé depuis fin 2014 entre Washington et La Havane, le président a souligné qu’il était porteur d’une «meilleure vie pour le peuple cubain».
La capitale fédérale américaine —happée depuis des mois déjà par les joutes de la présidentielle 2016— n’a plus d’yeux ces jours-ci que pour ce pape, le premier venant des Amériques, au ton singulier, qui entame une visite de six jours aux États-Unis.
C’est la première fois de sa vie que Jorge Bergoglio est aux États-Unis.
Une foule immense — quelque 11 000 invités — était présente sur les pelouses de la Maison Blanche pour accueillir, en grande pompe, «l’homme le plus populaire dans le monde aujourd’hui», selon les termes du vice-président Joe Biden.
Dès 5h00, le métro de Washington était bondé.
«C’est l’occasion d’une vie», s’est exclamée Katherine Gorman, 47 ans, qui s’est levée à 2h00 avec sa fille et ses deux petites-filles dans l’espoir d’apercevoir le pape.
M. Obama et François doivent se retrouver ensuite dans le Bureau ovale pour leur deuxième tête-à-tête, après celui du printemps 2014 au Vatican.
Il s’agit seulement de la troisième visite d’un pape à la Maison Blanche: Jimmy Carter avait reçu Jean-Paul II en 1979 et George W. Bush avait accueilli Benoît XVI en 2008.
Fait rare, M. Obama, qui est de confession protestante, a accueilli lui-même mardi sur une base militaire le pape argentin, qui se déplace à Washington dans une Fiat 500 qui fait sensation.
La Maison Blanche assure que cette visite n’a aucune visée politique: «l’objectif de cette rencontre est de donner aux deux hommes l’occasion d’échanger sur leurs valeurs communes», a affirmé le porte-parole de M. Obama, Josh Earnest.
Reste que — politiquement — cette visite papale tombe à pic.
Lorsqu’il s’exprimera jeudi devant le Congrès, une première dans l’histoire des États-Unis, François devrait aussi plaider pour le rapprochement américano-cubain et pour le climat.
Deux sujets sur lesquels nombre d’adversaires républicains de M. Obama ne décolèrent pas.

Les prises de position du souverain pontife lui valent aussi de très vives inimitiés chez les conservateurs et dans les milieux économiques libéraux. Le fait qu’il arrive tout juste de Cuba, où il a évité de critiquer le président Raul Castro, ne fait qu’irriter un peu plus ceux qui jugent que ce pape est un marxiste déguisé ou un traître à la foi catholique, qui serait trop souple sur la doctrine.
Dans l’avion qui l’emmenait à Washington mardi, le pape a promis de ne «pas mentionner» devant le Congrès la sensible question de la levée de l’embargo économique des États-Unis contre Cuba. «Le désir du Saint-Siège est qu’il y ait un accord satisfaisant pour les deux parties», a-t-il expliqué.
Cette fin de l’embargo est réclamée par la Maison Blanche mais la plupart des républicains s’y opposent.
Dans les jours qui suivent, le pape doit aussi rencontrer des immigrés, des sans-logis, des détenus.
Il doit également présider à New York une cérémonie oecuménique sur le site du World Trade Center, contre le terrorisme et pour le respect entre religions.
Une autre cérémonie à Philadelphie avec la communauté hispanique exaltera les valeurs fondatrices de l’Amérique comme la liberté religieuse.
À Philadelphie, il doit présider ce week-end la fin d’une rencontre mondiale des familles catholiques, en présence d’un million et demi de personnes.
Lors de sa rencontre au Vatican avec le pape, Barack Obama avait raconté avoir été touché par sa «compassion» à l’égard «des pauvres, des exclus, des oubliés».

Et lors d’un discours sur la lutte contre la pauvreté prononcé en décembre 2013, le président américain avait — fait rare — cité une «exhortation» publiée quelques semaines plus tôt par le souverain pontife.
Source de référence: AFP

D'autre photos de cette historique visite
 



Saturday, September 19, 2015

Vaudou : les grandes visions de Max Beauvoir

Max Beauvoir s'est éteint le 12 septembre 2015. Haïti Connexion Culture publie cette interview qu'il avait accordée au Journal le Nouvelliste en juillet 2008. Dominique Domerçant y faisait le point avec Max Beauvoir fraîchement intronisé Ati national.

Max Beauvoir
Le Nouvelliste (LN): « Ati national », un titre nouvellement proposé dans notre société par la communauté des vaudouisants, quelles en sont vos responsabilités qui vous sont imposées par ce poste ? 

Max Beauvoir (MB): Le titre « Ati » fait référence aux traditions de « Legba », « Legba Atibon », « Loko Atibon, Loko Atisou » et de « Ati Danyi Boloko » qui signifient le grand arbre de la forêt qui protège les petits arbres qui sont au-dessus de lui contre les rigueurs du soleil et des intempéries etc. Le nom « Ati » est aussi l'un des autres noms d'Haïti, qui serait basé sur le fleuve Artibonite (Atibonit, sans la lettre «r»). Fleuve qui sépare géographiquement le pays en deux parties (le haut Artibonite et le bas Artibonite). Le poste d'Ati place l'individu dans une position d'intermédiaire entre le monde des humains et le monde des esprits, et c'est pourquoi la traduction du mot «Ati» tout comme le mot « Wanken » signifie dans le vaudou ''chef suprême'' ou guide spirituel de la nation.

LN : En quelques mots, faites nous une présentation du rôle d'un houngan ou d'une mambo, en tant qu'acteur religieux et social ? 

MB : le houngan est avant tout un prêtre vaudou, une personnalité religieuse qui a la responsabilité sociale, culturelle et religieuse. On le retrouve à différents niveaux dans sa communauté. Depuis la cueillette des feuilles des plantes destinées à la conception et à la préparation des traitements pour les personnes souffrantes. Il a un rôle de psychologue ou de conseiller dans sa communauté, fort souvent disponible lors des problèmes entre les membres d'une même famille, assurer l'arbitrage dans le cadre des conflits entre les individus d'un même quartier et entre les habitants de différentes sociétés. Sans pour autant négliger son rôle de prêtre pratiquant les multiples rituels associés à chacun des Lwa, 401 au total. Ces esprits ou Lwa qui, dans l'ensemble, représentent ce que le monde occidental appelle Dieu. Cependant, dans la religion vaudou ces 401 Lwa représentent les 401 aspects de Dieu.

 L.N. : Comment avez-vous parcouru les étapes menant à votre initiation ? 

M.B.: L'initiation en elle-même a été relativement facile. J'ai suivi le rituel. En somme, j'avais accepté de le faire. Donc, il ne s'agissait pas de se rebeller. Bien que pendant cette période d'initiation on soit sans cesse brimé. 

LN : Nous savons, en plus de votre premier voyage en Afrique qui a duré 45 jours, que vous avez effectué plusieurs autres périples sur le continent américain. En quoi le vaudou haïtien diffère t-il des autres pratiques religieuses se rattachant aux cultures et aux cultes brésiliens et afro-américains ? 

Max Beauvoir s'est éteint le 12 Septembre 2015
MB : Je me suis rendu en plusieurs occasions en Afrique pour visiter les nombreux sites mystiques (les Hounfor) du Dahomey, du Togo, du Nigeria, du Ghana et du Sénégal. Ces travaux s'effectuaient autour des études comparatives du vaudou haïtien et du vodou africain. J'ai assisté à des cérémonies au Brésil et j'ai beaucoup entendu sur le vaudou qui se pratique à Cuba. J'ai vu le vaudou tel qu'il se pratique au Togo, à Allada, à Ouidah, à Porto-Novo et aussi au Bénin. Au cour de mes voyages au Togo, je n'ai eu l'occasion de voir les Mahi, je n'ai les ai pas vus chez les Yoruba, chez les Nago. Pour moi, le vaudou haïtien est pratiquement très différent des autres vaudous qui se pratiquent dans d'autres pays. En observant les rites pratiqués dans les autres pays, on se trouve face aux Orisha, aux lwa, aux Vodoun, aux esprits de façon générale. On reconnaît ces noms qui font partie aussi du vaudou haïtien. On a tendance à les assimiler immédiatement, à penser que tout est du pareil au même, que le vaudou haïtien est pratiqué de la même manière à Cuba, au Brésil ou en Afrique. Mais les structures sont radicalement autres. Au Brésil ou à Cuba, les rites sont divisés entre maisons, entre casas, comme en Afrique. Le nom des dieux n'est pas tout à fait identique. Parfois, d'une maison à l'autre, certains dieux disparaissent. La tradition du vaudou haïtien est une construction unique qui recouvre la culture et l'esprit du peuple haïtien. Le vaudou haïtien est composé d'esprits indiens, d'esprits africains et désprits haïtiens, de manière à ce que chacun trouve sa place, d'une manière spirituellement démocratique. En Haïti il y a une fabrication haïtienne du vaudou. Bien que le mot vaudou soit un mot africain qui signifie le grand esprit de Dieu, cette culture traduit pour nous une réalité profondément haïtienne. Notre approche est haïtienne, nos structures font une place à tous les esprits qui constituent la nation haïtienne, dans sa dimension historique. Il fallait éliminer d'autres esprits qui étaient amenés par nos ancêtres africains. Mais il s'agissait simplement de rassembler 401 divinités. Tout ceci a été pensé pour constituer un corps de croyance unique. Tous les Haïtiens qui forment ce que l'on peut appeler l'ethnie haïtienne possèdent leurs esprits dans le panthéon. En un mot, on est Haïtien cela veut dire qu'on est vodouisant ! 

L.N. : Parlez-nous de l'éventuelle contribution de vos connaissances scientifiques en tant que chimiste dans l'univers des lwa ? 

MB : En suivant mon premier cours de biologie à City Collège de New York (CCNY), mes premières expériences avec le microscope m'ont permis, à partir de l'étude des cellules, d'observer le trou brillant au-dessus de la cellule qu'on appelle « organelle ». Je suis ainsi parti de ces démarches pour initier manifestement ma carrière de chercheur avisé et ouvert à toutes les formes de connaissances techniques, scientifiques et mystiques. Je crois que les gens de science se limitent à tout ce qu'on peut voir, toucher, manier, tout ce qui est matériel. Cependant, la vie n'est pas seulement matérielle, elle contient plus que cela. J'ai compris que le côté matériel des choses coexistait avec le plan immatériel qui ne connaît pas de frontières. En conclusion, face à ce plan, il ne suffit pas seulement d'agir ou de réagir, il faut se plonger dans ce bain spirituel tout en se laissant porter comme par les vagues de la mer. Ainsi, on comprend que les lois cartésiennes ne sont pas toujours les meilleures. 

LN : Nous entendons souvent parler de ces nombreuses sociétés secrètes qui se manifestent souvent la nuit, et qui portent la marque de « vaudou dur », un vaudou de combat, dites nous ce que vous savez sur le « Bizango » ? 

MB : En parlant de Bizango particulièrement, nous faisons référence ainsi à l'archipel des Bizango que l'on trouve au sud du Sénégal; cette population est très connue pour ses qualités guerrières exprimées jusqu'à aujourd'hui. Nous avons toujours baigné dans un océan où les forces technologiques nous dépassent. Entre 1791 et 1804, il fallait affronter les plus grandes forces militaires de l'époque en particulier, l'Angleterre, l'Espagne... La France, c'était la plus grande armée du monde ; en face nous avons eu les bâtons et les pioches... Nous utilisions les forces spirituelles. Les esprits ne peuvent pas mourir et c'est dans ce contexte que les Bizangos ont contribué fortement dans les démarches devant aboutir à l'Indépendance du pays. 

L.N. : Comment aborder la question de la mort dans le vaudou ou même chez le peuple haïtien en général ? 

M.B. : La mort dans le vaudou est très frappante. Les Bizango, eux aussi, nous parlent aussi de la mort. Nous devons l'accepter dès le jour de notre naissance. C'est une conséquence naturelle du fait de vivre et d'exister. Contrairement aux chrétiens, nous n'imaginons pas nous asseoir à la droite ou à la gauche de quiconque qui va nous juger éternellement et est capable de nous brûler dans les enfers. Nous, en tant que vaudouisants, ne sommes pas d'accord avec cette vision à propos de la mort. La mort constitue un passage obligé de tout être vivant, de l'individu, de l'animal ou de la plante. Nos ancêtres sont morts et nous leur sommes reconnaissant d'avoir laissé cette tradition qui s'appelle vaudou. Nous estimons que c'est grâce au vaudou que nous parvenons à exister. Nous célébrons ainsi la mémoire de nos ancêtres. 

LN : Des crânes, çà et là, que nous retrouvons souvent dans les péristyles, avec quel sentiment aborder ces objets qui participent à la fois à la décoration des temples et à l'invocation des esprits ? 

MB : Il y a des gens qui pensent que la présence de ces crânes rend l'environnement macabre. Pour moi, ce n'est pas plus macabre que d'élever un personnage en l'albâtre sur une croix en bois, il n'y a pas de différence. En l'albâtre ou en vrai os humain, c'est l'équivalent. Ces crânes représentent aussi, de temps à autres, nos ancêtres. Leur présence dans les péristyles ,une fois de plus, traduit une marque de respect pour la mémoire de ceux-là qui nous ont laissé cette terre en héritage. 

LN : Revenons encore autour des raprochements entre ces deux champs: mystique et scientifique ? 

MB : Les domaines scientifiques dans lesquels je me suis plongé, c'était la biologie, la physique et la chimie. Pour arriver à ce niveau de connaissance, comme celui de l'anatomie, par exemple, combien de cadavres ont été dépecés par lamelles, centimètre par centimètre, rien que pour établir le chemin que prenait telle veine à travers le corps humain. On en appelle à la médecine légale qui n'opère que par autopsie, pratique qui consiste à découper des morts. Imaginez, si un Houngan se mettait à dépecer les cadavres, si un seul Houngan se mettait à dépecer un seul cadavre sur le territoire d'Haïti, le tollé! Je trouve cela absurde. Pourquoi le médecin a-t-il des droits que le Houngan n'a pas ? 

L.N. : Qu'en est-il des grands chantiers et de la vision de l'Ati national, sept mois après votre intronisation ? 

M.B.:Unifier la communauté des vodouisants, structurer le secteur en vue de le rendre plus fort et plus actif, plus dynamique, pour une meilleure reconnaissance dans la société. En plus d'avoir à rencontrer plusieurs membres du corps législatif haïtien, nos démarches se poursuivent dans le cadre de propositions de lois en faveur des vaudouisants, y compris notamment la loi électorale. Comment est-ce que l'Etat haïtien s'arrange à banaliser l'état civil, où le jeune Haïtien éprouve toutes sortes de difficultés pour se faire inscrire en tant que citoyen. Une fois de plus, la communauté des vodouisants revendique une place dans le conseil électoral provisoire ou permanent (CEP) et bien plus encore comme étant une religion officiellement reconnue par l'Etat mais trahi toujours par les dirigeants politiques. Sur le plan administratif, nous travaillons en vue de faire voter des « Ati » dans toutes les régions en Haïti. Ces « Ati » vont constituer le grand conseil national du vaudou. Et ainsi, chacun de ces « Ati » va structurer ses propres régions jusque dans les sections communales. A ce moment, ils auront un vaudou très bien structuré. 

LN: D'où viennent les moyens indispensables pour aboutir à des résultats, compte tenu de la réalité socio-économique du pays ? 

MB: Je ne suis pas seul dans ce combat, je fais parti d'une équipe avant tout, et j'ai été choisi par un grand regroupement constitué de près de 30 à 40 associations de vodouïsants telles que: (Zantray, Konavo, Brav, etc.) et j'ai aussi avec moi Euvonie Georges Auguste comme secrétaire général, Anténor Guerrier responsable des finances et Mackandal comme porte-parole. Tous font partie d'un comité composé de 16 membres pour le sécrétariat général. Ma grande satisfaction avant tout, c'est que ce sont les vaudouïsants qui contribuent avec le peu de moyens dont il disposent à l'avancement de nos projets aussi grands et exigeants qu'ils puissent être. A ne pas sous estimer que les vaudouïsants contribuent depuis toujours au développement de notre pays. Dans le secteur de la santé par exemple, ils participent jusqu'à aujourd'hui activement à l'amélioration et au bien-être de nombreux citoyens vivant dans les endroits les plus réculés. En dépit des "dechoukay" et de toutes les autres formes de persécution et de discrimination dont sont victimes ces Haïtiens authentiques dans leurs croyances et pratiques culturelles de "nos frères et soeurs vaudouïsants", le vaudou est plus que jamais puissant ! 

LN: Comment voyez-vous les autres religions par rapport au vaudou, en raison des divergences existant dans les croyances fort souvent qui se terminent par des confrontations ? 

MB: J'exprime avant tout un très grand respect pour toutes les religions. Je suis pour, avant tout, la cohésion sociale; je suis très favorable à ce que catholiques, protestants, témoins de Jéhovah, baptistes, etc., tous les adeptes se donnent la main en tant que frères et soeurs pour enfin bâtir et sauver l'Haïti que nous avons reçue en héritage. Je crois fortement que tous les haïtiens doivent travailler inlassablement pour atteindre ce noble objectif. 

Source : Le Nouvelliste

De retour au pays en 1974, Max Beauvoir s'est initié la même année au vaudou. Peu de temps après, il effectuera de nombreux travaux dans le domaine médical, spécialement dans la médecine traditionnelle; au point que de prestigieuses institutions internationales, telles que l'UNESCO, ont consenti des investissements en vue de favoriser une série de voyages de recherches au bénéfice de ce dernier et de la science en particulier.


Max Beauvoir a été élevé au rang « d'Ati national », chef suprême du vaudou haïtien le 7 mars 2008 par la Confédération nationale des vaudouisants haïtiens (CNVH). Cette cérémonie s'était tenue en présence des représentants de partis politiques, d'églises chrétiennes et autres cultes, des membres du gouvernement. Hougans, mambos, initiés et autres serviteurs des dieux vaudou venus des différentes régions du pays ont pris part à cette cérémonie organisée au Lambi Night-Club, à Mariani.

Monday, September 14, 2015

Anne-Marie Desvarieux est décédée, une grande perte pour Haïti

Par Herve Gilbert 
Anne-Marie Desvarieux
Anne-Marie Desvarieux, la directrice de l’Ecole Ménagère de Port-au-Prince est morte à l’àge de 52 ans. Psychologue de formation, Anne-Marie Desvarieux  a pris les rennes de cette prestigieuse institution vieille de 60 ans, pour perpétuer l'héritage de sa maman Anne-Marie Pierre-Paul Desvarieux, la fondatrice, dont elle est la deuxième génération. De nombreux chefs haïtiens, même ceux vivants dans la diaspora lui doivent leurs premières recettes de cuisine.  

Fondée en 1954 à Saint-Marc pour s'établir définitivement à Turgeau, Port-au-Prince vers 1978, la Maison Ménagère d'Anne-Marie Desvarieux compte aujourd’hui prés de 20,000 diplômées qui se sont dotées à la fois d’un métier pour l'avenir et d'un outil d’indépendance.  De génération en génération, la maison Anne-Marie Desvarieux a bâti un empire d’art culinaire et de haute couture à Port-au-Prince. Personne n’est sorti  de cette maison sans connaître ses dix doigts. Elle est l'une des mères de la haute couture créole.

Perfectionniste, exigeante, directe, joviale, respectueuse, honnête, ponctuelle, combattante… ce sont les qualitatifs de Madame Desvarieux. Une dame qui a passé toute sa vie à former les jeunes haïtiens en cuisine-pâtisserie, haute couture et mannequinat.

En effet, ce grand esprit s’est en allé le jeudi 10 septembre 2015, loin de sa terre natale,  à l’âge de 52 ans. Ses proches affirment qu’elle était malade mais elle cachait sa souffrance au public et vivait chaque seconde de sa vie de façon harmonieuse.

Durant son enfance, Anne-Marie Desvarieux n’a jamais aimé la cuisine et la mode comme profession, elle a préféré étudier la psychologie en France. Sa défunte mère, Anne-Marie Pierre-Paul Desvarieux, l’encourageait à apprendre le métier puisqu’elle était l’héritière légitime de la Maison Ménagère. 
Anne Marie Pierre Paul Desvarieux

Par amour pour sa mère, elle a finalement développé des aptitudes dans le domaine et la remplace à la tête de l’une des plus anciennes et plus prestigieuses écoles professionnelles en Haïti.  Au départ, l’institution portait le nom de ‘’École Elie Dubois’’  qui se situait à Saint-Marc, puis à l’avenue Boyer, ruelle Waag, avenue N, et depuis 1978 elle se trouve au numéro 118 Turgeau.

De grands chefs et stylistes haïtiens doivent leur savoir-faire à la Maison Ménagère Anne-Marie Desvarieux. L’école offre une porte de sortie aux jeunes qui n’ont pas eu la possibilité d’intégrer une université, et réalise le rêve de ceux qui aiment la mode et la cuisine.

D’un autre côté, madame Desvarieux était une bonne amie et une bonne conseillère. En 2013, elle a fait appel à l’équipe de Mag Haiti pour la conception de deux spots publicitaires; elle a exigé plus d’une vingtaine de correction, considérée comme des détails négligeables. Nous étions énervés mais elle a fini par nous faire comprendre qu’elle avait un concept prédéfini, qu’on ne pouvait pas remplacer totalement l’idée principale.

Par la suite, elle a encore fait appel à notre production en novembre 2014, pour faire la promotion du Restaurant Le Shannah (qui porte le nom de sa fille et qui permet aux étudiants en cuisine-pâtisserie de pratiquer). Satisfaite de notre performance, elle nous a proposé d’ouvrir une nouvelle section sur Mag Haiti, dénommée Gourmet, dans laquelle elle dévoilait une recette chaque semaine.

Le mois prochain, l’école va célébrer son 61e anniversaire sans la présence physique de madame Anne-Marie Desvarieux, c’est triste. Mais au fond, elle a accomplie sa mission, elle a transmis son savoir-faire et ses secrets à des milliers jeunes qui brillent actuellement sur le marché.

Sources de référence : Mag HaïtiLe Nouvelliste

Quelques photos souvenirs de l'Ecole  Ménagère - 
Une courtoisie de Mag Haïti et BPW International



Sunday, September 13, 2015

Décès du chef suprême du vaudou haïtien Max Beauvoir

François Max Gesner Beauvoir
Le « houngan asogwe », François Max Gesner Beauvoir, plus connu sous le nom de Max Beauvoir, élevé au rang « d’Ati national » (chef suprême du vaudou haïtien), le vendredi 7 mars 2008 par la Confédération nationale des vaudouisants haïtiens (CNVH), est passé de vie à trépas ce samedi 12 septembre 2015…

Il naquit à Port-au-Prince, Haiti, le 25 août 1936…
Beauvoir est un diplômé de « City College de New York », en 1958, avec une spécialisation en chimie. Il a poursuivi ses études à la Sorbonne (France), de 1959 à 1962, où il obtint un diplôme en biochimie.

En 1965, à Cornell Medical Center, il supervisa une équipe de spécialiste dans la synthèse des stéroïdes métaboliques. Cela l’amena à obtenir un emploi dans une grande société d’ingénierie au nord du New Jersey (USA) et plus tard à une certaine période comme ingénieur chez « Digital Equipment Company » dans l’Etat du Massachusetts (USA). Son intérêt pour les stéroïdes le poussa à expérimenter  "hydrocortisone synthétisé à partir de plantes". Cependant, la mort subite de son père l’obligea à faire un come-back sur Haïti, en Janvier 1973 et il devint un prêtre-vaudou.

En 1974, il fonda « Le Péristyle de Mariani », dans la zone de Carrefour, au Sud de Port-au-Prince et par ricochet un « oufò » dans sa maison familiale (qui a également servi comme clinique populaire pour les habitants nécessiteux de la région). Il avait une relation difficile avec la famille Duvalier au pouvoir, à cette époque.

Max Beauvoir(au centre) lors d’un rituel devant
  le symbole  Vèvè                                                              
Pendant cette période, il fonda également avec un groupe de chercheurs,le « Groupe d’Etudes et de Recherches Traditionnelles » (GERT) et plus tard, en 1986, il créa le « Bode Nasyonal » pour contrer les effets de l’épisode post-Duvalier: dechoukaj, violence et tout le reste… qui avait surtout ciblé deux groupes d’individus: Les vaudouisants et les troupes paramilitaires « Tontons Macoutes », appelés ironiquement au départ du régime politique en place, « Les Volontaires de la Sécurité Nationale » (V.S.N)].

En 1996, Max Beauvoir ne s’arrêta pas en si bon chemin, il fonda « Le Temple de Yehwe » à Washington, DC, une organisation à but non lucratif pour la promotion, l’éducation et la culture de la religion afro-américaine, en l’occurrence, le Vaudou . En 1997, il est directement impliqué dans la création de la KOSANBA, un groupe de réflexion à l’Université de Santa Barbara en Californie (USA).

Kiskeya, l'île mystérieuse - Max Beauvoir

Entretien avec Ati  Max Beauvoir qui présente lapryè Ginen et le grand recueil sacré ou répertoire des chansons du vaudou haïtien.                                                                     

En 2005, il lança la « Federasyon Nasyonal Vodou Ayisyen », qu’il rebaptisa plus tard en 2008, en « Konfederasyon Nasyonal Vodou Ayisyen »; où il fut proclamé « chef suprême » ou « Ati Nasyonal » de l’organisation.

Signalons que ce qui porta les vaudouisants à créer ce mouvement, est une tentative pour organiser la défense du vaudou dans le pays (Haiti) contre la diffamation et la discrimination.

La mort de Max Beauvoir est une perte inestimable pour la culture haitienne…La date des funérailles de l’ « Ati National », sera annoncée ultérieurement.

Paix à son âme !

Source de référence :Andy Limontas/CANAL+HAITI





Saturday, September 12, 2015

Le phénomène Duvalier, aberration de l'histoire ou conséquence d'un certain passé...

Par Teddy Thomas teddythomas@msn.com
Bébé Doc & Papa Doc
Duvalier a-t-il été fort ou les Haïtiens ont-ils été faibles face à Duvalier ? On s'étonne encore qu'un seul individu ait pu si longtemps garder le pouvoir après une élection controversée, pour ensuite passer la main à son fils mineur, à la grande consternation du peuple haïtien dans sa majorité et du monde en général. Force est de le reconnaître : si ce petit bonhomme de tyran a pu tenir aussi longtemps le pays sous sa férule, c'est qu'il a bénéficié non seulement de la coopération d'un nombre suffisant de personnes acquises à sa cause, mais aussi de circonstances regrettables qu'il a su efficacement faire jouer en sa faveur. On sait qu'il a lui-même provoqué certaines conjonctures afin de les exploiter, mais il y eut aussi et surtout les malaises sociaux qui avaient existé avant lui et n'attendaient qu'un individu assez cynique et assez matois pour les mettre à contribution.

Selon les révélations d'une personne de son entourage, François Duvaler s'est plaint, vers la fin de sa vie, qu'en le combattant dès le début, ses adversaires ne lui avaient pas laissé une chance de réaliser de ce qu'il comptait faire pour le pays. Pour ceux qui penseraient lui accorder sur ce point le bénéfice du doute, il reste encore à se demander comment un médecin de carrière, qui se disait homme de science, n'a pas compris à temps que son soi-disant remède causait plus de tort que le mal qu'il prétendait guérir. On se serait alors dit qu'il avait peut-être voulu les changements promis au cours de sa campagne électorale, mais qu'il avait échoué dans son projet. Comment expliquer, d'autre part, que le duvaliérisme ait pu résister à plus d'une dizaine d'invasions armées et de complots de tous genres, fomentés non seulement par des adversaires politiques, mais aussi par des ex-partisans désappointés ? D'aucuns y voient encore un phénomène qui relève du paradoxe. 

Des voix s'élèvent partout pour clamer, à juste titre, l'importance du devoir de mémoire comme moyen de veiller à ce qu'un tel malheur ne se reproduise plus jamais dans notre pays. Tous ceux qui ont vécu cette époque bouleversante ont été touchés, à différents degrés, par la tragédie historique du duvaliérisme. Nous avons été très nombreux à perdre des parents ou des proches. Certains ont personnellement été torturés physiquement ou moralement, ou même échappé miraculeusement à la mort. Il serait difficile de demander à ces compatriotes d'examiner le phénomène Duvalier de manière objective. Toutefois, si nous voulons éviter la répétition de cette horrible période de notre histoire, le devoir de mémoire devra s'accompagner d'un devoir d'analyse et de réflexion. Nos jeunes, sur qui repose la responsabilité de l'avenir du pays, auront besoin des éléments d'évaluation que les aînés, témoins de ce triste passé, ont encore la possibilité de leur transmettre pour qu'ils puissent mieux comprendre et gérer à leur tour les problèmes d'Haïti. Aucune solution ne peut seule répondre à toutes les questions et, même s'il est évident que le niveau d'instruction de la population a un besoin pressant d'être relevé, et que d'autres aspects de la vie nationale réclament une attention tout aussi urgente, il est impératif, pour arriver à des solutions durables, d'aller plus loin que ces premières évidences et de porter le remède au coeur du mal, à la menace endémique d'une nouvelle explosion causée par nos malaises sociaux.

La question cruciale n'est pas seulement de savoir ce qui s'est passé. Elle nous oblige à nous demander comment tout cela a pu arriver et, par-dessus tout, comment nous prémunir contre toute répétition future de ce malheur.

Le dictateur et ses partisans

L'histoire de l'humanité fournit plusieurs exemples de tyrannies qui se sont implantées dans un certain contexte à cause de ses antécédents particuliers. Le phénomène Duvalier s'inscrit dans un contentieux collectif de longue date. Tel fut le cas, au cours du siècle dernier, en ce qui concerne l'Allemagne d'Hitler, le massacre d'Arméniens par les Turcs, les tueries en Bosnie, au Cambodge, au Rwanda et ailleurs, et même les attaques menées de nos jours contre des innocents par des fanatiques religieux. Ces derniers s'adjugent un droit de vie et de mort sur les infidèles, comme le faisaient les macoutes envers les camoquins. Ce type de contentieux collectif peut couver longtemps avant que son éclatement ne soit provoqué par un événement ou un personnage détonateur, souvent incarné par un démagogue profitant d'un mécontentement généralisé ou de revendications ethniques, nationales ou autres pour fouetter les passions au service de ses ambitions personnelles. En Haïti, vers la fin des années cinquante, François Duvalier fut le détonateur et démagogue qui attendait depuis longtemps son heure. 

François Duvalier croyait fermement en sa mission et ne tolérait pas la contradiction ni la remise en cause de ses idées. Il était dominé par un appétit morbide du pouvoir. Une fois parvenu à la tête du pays, il consacra le plus clair de son temps et de son attention à se prouver à lui-même et au monde qu'il était capable de s'y maintenir. Tout effort déployé contre lui renforçait sa détermination et son complexe messianique, au point que l'essentiel de son programme politique consista finalement à défendre son fauteuil et à faire mordre la poussière à ses ennemis réels ou supposés. Il disait devoir son élection aux quatre cinquièmes d'Haïtiens de l'arrière-pays, mais n'hésita pas à ordonner des massacres de paysans à l'occasion de ses interventions contre la guérilla rurale. Quiconque appartenait au cinquième d'Haïtiens habitant dans les villes était considéré comme un corruptible ou un ambitieux convoitant la présidence, et ne pouvait trouver grâce à ses yeux qu'en se rangeant inconditionnellement sous sa bannière. Duvalier se disait un doctrinaire qui avait passé les 25 premières années de son âge adulte à préparer sa présidence. Il commença par se présenter aux élections comme le véritable héritier de Dumarsais Estimé, comptant ainsi bénéficier du capital politique accumulé par ce dernier grâce aux réformes de son gouvernement. « Je suis le drapeau haïtien », disait-il en plagiant presque mot à mot un autre modèle non déclaré, l'ancien président turc Mustapha Kemal. « Vouloir me détruire, c'est vouloir détruire Haïti elle-même. C'est par moi qu'elle respire, c'est par elle que j'existe. » 

Une asilée politique, descendant de l'avion qui l'avait emmenée en exil pendant les premières années du régime Duvalier, déclarait à la presse étrangère qu'Haïti était dirigée par un fou. C'était peut-être à demi vrai. Et dans ce cas, l'autre moitié de la vérité, qui ne devait se révéler que plus tard, était que cet homme commandait à des bandes de fanatiques qu'il pouvait, du haut de son balcon, lancer d'un geste contre le reste du pays. Survoltés à la moindre alerte, ses partisans étaient prêts à mettre le territoire à feu et à sang plutôt que de perdre ce qu'ils considéraient comme leurs acquis. Je me trouvais par hasard dans un lieu où j'entendis l'un des suppôts du régime, connu pour sa brutalité, louer les conquêtes du duvaliérisme en disant à l'un de ses amis : « Yo pa t dwe kite nèg grangou pran pouvwa. Nou p ap janm lage l. (Ils n’auraient pas dû laisser ceux qui ont faim prendre le pouvoir. Nous ne le lâcherons jamais.) » Chaque fois qu'il faisait face à une menace ennemie, Duvalier soufflait sur les braises pour raviver les rancoeurs de ceux qui s'étaient sentis historiquement lésés ou, comme il l'avait écrit auparavant en parlant de lui-même, "exilés dans leur propre pays".

Duvalier et ses partisans ont, dans un premier temps, porté en exergue les revendications de 1946, inspirées des réformes jugées nécessaires par nombre d'Haïtiens. La mentalité de l'époque avait longtemps été dominée par la négation des valeurs intrinsèques de notre peuple et la vénération de tout ce qui se rapprochait de l'ancien maître européen. Elle se reflétait dans une anecdote, racontée par un témoin des années 40. Peu de temps après le départ de l'occupant américain, l'un de nos gouvernements avait mis en place une administration dominée par des Haïtiens au teint clair. Lors d'une réception offerte alors au palais national, après avoir écouté les discours patriotiques à la gloire des héros de notre Indépendance, un invité étranger jeta un coup d'oeil autour de la grande salle pour demander : « Mais où est donc passée cette République noire ? »

Le duvaliérisme s'est emparé de l'étendard du noirisme, qui était lui-même une réponse à l'idéologie mulâtriste renforcée par la première occupation américaine. En fait, bien avant les revendications de 1946, le noirisme commençait à préparer la voie au duvaliérisme. Au nom d'une prétendue représentativité des plus capables, opposée à la représentativité du plus grand nombre, le Parti libéral et le Parti national s'étaient longtemps disputé le droit de diriger le pays. Ce clivage s'inscrivait dans la ligne du complot que certains pensaient ourdi par Pétion contre Dessalines et même, auparavant, de la guerre entre Rigaud et Tousaint. Pourtant, à regarder de près, le noirisme et le mulâtrisme sont tous deux des impostures. Le noiriste revendique le pouvoir au nom des masses, vis-à-vis desquelles il nourrit sournoisement un sentiment de supériorité en raison de ce qu'il considère son éducation et de son positionnement social. De son côté, le mulâtre se pense supérieur au noir à cause de son semi-héritage racial, alors qu'il se sait bel et bien méprisé en tant que nègre par le raciste blanc. On associe souvent le duvaliérisme au noirisme et à la violence macoute. Mais il faut sortir du cadre de ce phénomène et jeter un coup d'oeil en amont, non pour chercher une justification, mais pour déceler les causes ou identifier les leviers qui ont rendu possible cette énorme manipulation qui ne devait pas tarder à tourner au macabre. 


François Duvalier s'efforçait d'entretenir une relation directe avec la paysannerie, dont il n'a pourtant guère amélioré les conditions de vie. Tout en infiltrant les structures administratives où il remplaça d'anciens employés par ses propres partisans, il établit des réseaux de renseignement parallèles dans les campagnes à travers sa police secrète et des houngans. Il fit jouer les croyances religieuses du peuple dans le sens de ses intérêts politiques et viola le caractère spirituel du Vodou en y implantant un réseau d'espionnage. On aurait pu tout de même attendre d'un ancien adepte du mouvement indigéniste, devenu chef d'État, une relation plus progressiste et autrement dynamique avec la religion populaire. Duvalier se définissait comme un « médecin de campagne porté au pouvoir par l'arrière-pays... ». S'adressant aux paysans dans un discours relayé par toutes les stations de radio du territoire, on l'entendait leur dire un jour : « Mwen se nou, nou se mwen. Si nou tande nenpòt bagay, nou pa bezwen tann lòd mwen. Desann vin okipe Pòtoprens. (Je suis vous, vous êtes moi. Au moindre signe de danger (pour le gouvernement), n'attendez pas mes ordres ; venez occuper Port-au-Prince.) » Il avait en effet des yeux et des oreilles un peu partout et, conformément au fascisme le plus pur, il voulait faire surveiller tout le monde par tout le monde. La consigne permanente, dans les campagnes, était de signaler immédiatement la présence ou le passage de tout "visage inconnu". C'est ainsi que malgré la précarité du dispositif de surveillance navale et aérienne, Duvalier était averti assez vite pour intervenir contre toute présence clandestine d'adversaires en n'importe quel point du territoire.

Duvalier et l'armée
Afin d'affaiblir les institutions nationales et de régner sans partage, François Duvalier commença par s'en prendre à l'armée, qui avait appuyé son accession au fauteuil présidentiel. Pour lui, la reconnaissance en politique était une lâcheté. La logique du moment était que l'armée pouvait trop facilement défaire ce qu'elle venait de faire et le risque le plus imminent pour Duvalier était d'être déchu du pouvoir par ses alliés en kaki de la veille. D'ailleurs, il se disait dans le grand public que ce serait chose faite dans les prochains mois. François Duvalier passa le reste de sa vie au palais, dans la hantise d'être renversé par les "hommes d'en face", comme il appelait les occupants du Grand-Quartier Général des FAd'H, situé vis-à-vis de la présidence sur la place des Héros de l'Indépendance. Il clamait que son gouvernement ne connaîtrait pas un dix mai. Cette date renvoyait au 10 mai 1950, où Duvalier, présent au palais en qualité de ministre du gouvernement Estimé, assista en personne à l'arrestation de son mentor par le colonel Paul Magloire, dont il fit par la suite son ennemi juré. 

Dès son arrivée au pouvoir, Duvalier promut des militaires de son propre sérail pour remplacer l'ancienne hiérarchie. Il avait, pour se les attacher, profité du mécontentement latent des officiers noirs, causé par la lenteur de leur avancement ou par le fait d'avoir souvent subi des passe-droits en raison de leur appartenance sociale ou de leur couleur. Pourtant, l'un des paradoxes de cette institution, avant Duvalier, était que les militaires noirs qui s'étaient associés à l'élite au teint clair par le mariage ou par d'autres liens bénéficiaient socialement des traitements de faveur plutôt réservés à leurs confrères mulâtres. Duvalier remplaça la maison militaire, traditionnellement chargée de la garde rapprochée du chef d'État, mais relevant du Grand Quartier Général de l'Armée, par sa propre Garde Présidentielle, placée sous son commandement direct. Cette garde prétorienne avait, entre autres, comme mission de servir de bouclier, avec les Volontaires de la Sécurité Nationale, contre toute éventuelle attaque venant d'autres organisations militaires. Ses effectifs furent multipliés et lourdement armés, et ses membres bénéficièrent d'un traitement préférentiel, jusqu'au jour où Duvalier crut y découvrir des conspirateurs. Il fusilla ainsi dix-neuf de ses officiers les plus proches, l'année même où il célébrait l'an X de la Révolution duvaliériste. Celle-ci mangea ses propres fils, mettant à exécution un avertissement qu'avait maintes fois répété le tyran. Ce fut l'une des purges les plus spectaculaires, souvent opérées par le dictateur dans le but de déstabiliser l'armée. D'institution nationale, Duvalier convertit progressivement l'armée d'Haïti en un corps au service de son pouvoir personnel.

Causes de divisions sociales et faillite des classes dominantes
L'analyse de la problématique sociale et des rapports de classe en Haïti doit remonter au moins à la période coloniale. C'est là que se trouvent les exemples typiques de comportements reproduits tout au long de notre histoire. Dans ce contexte, nous entendrons par classes dominantes ou élites non seulement les catégories possédantes, mais aussi les principaux acteurs de la scène politique, ainsi que les personnes considérées comme appartenant à une prétendue haute société, de même que les dits intellectuels s'étant prêtés à l'infériorisation des masses, en prônant la suprématie des valeurs élitistes empruntées à la civilisation blanche. Une norme était établie, selon laquelle les producteurs des nécessités vitales de la nation étaient subordonnés à la minorité qui ne produisait rien de concret. Nous observons ainsi, d'une part, une oligarchie de profiteurs à courte vue, qui consomme beaucoup sans presque rien apporter en retour qui soit utile au gros de la nation. D'autre part, une majorité de démunis, formant une classe qui existe en soi, mais dont la vocation forcée est de faire vivre les autres. Ce cadre existentiel entraîne la déshumanisation de ceux qui produisent l'indispensable, sans bénéficier en retour d'une juste rémunération ni de l'accès aux biens et services nécessaires à des conditions de vie humainement acceptables. La division arbitraire et injuste du travail sous prétexte de fausses compétences ou de supériorité innée fut, comme au temps de l'esclavage, le substrat d'une idéologie favorable aux privilégiés qui accaparaient les fruits d'un travail souvent pénible relégué aux autres, sans travailler vraiment eux-mêmes.

Le rapport des élites haïtiennes au travail manuel a toujours été complexé. L'une des causes premières de division dans notre société semble être le déséquilibre originel dans la distribution des ressources et la répartition des rôles dans la production sociale. Dans un pays essentiellement agricole, qui, en travaillant la terre, avait produit des richesses pendant des siècles au bénéfice des puissances coloniales, le mépris du travail manuel par les élites a eu pour effet d'affaiblir les incitations et les moyens de production indispensables à notre croissance économique autonome. Cela finit par nous réduire à une inévitable dépendance, notamment alimentaire. Chacun sait que c'est par notre capacité de travail et de production que nous avions été la plus riche des colonies. Il était évident qu'une fois libres et souverains, nous pouvions et avions pour devoir de relancer l'économie sur de nouvelles bases, dans le sens de nos intérêts nationaux. Il est tout aussi évident que c'est par le travail concret qu'on produit de quoi satisfaire ses besoins essentiels. Les lettres, la vie de loisir, les intrigues politiques et les conversations de salon ne peuvent à elles seules nourrir une population. Notons que la plupart des pays aujourd'hui considérés comme développés ont commencé par consolider leur économie par le secteur agricole, appelé secteur primaire. 

Dans le cas des États-Unis, par exemple, devenus à la longue la plus grande puissance industrielle du monde, on se souviendra du rôle de l'élevage et de la production des denrées de consommation dans les premiers pas de ce pays après son accession à l'indépendance ; on ne manquera pas non plus de remarquer l'importance encore accordée à l'arme alimentaire américaine, notamment sous la forme de crédits agricoles, dans la politique actuelle de l'Oncle Sam vis-à-vis des pays pauvres. Les élites haïtiennes, à l'inverse, ont préféré emboîter le pas aux colons absentéistes et s'éloigner des terres, tout en s'attribuant les meilleurs titres de propriété. Préoccupées par le souci de se montrer les dignes héritières de l'ancêtre européen, elles ont préféré à l'agriculture ce qu'elles considéraient comme la "culture". Quelqu'un a déjà dit que l'idéologie dominante d'un pays est celle de sa classe dominante, et nombre d'exploités rêvèrent à leur tour d'échapper éventuellement à leur asservissement pour faire comme les "gwo moun". Bien qu'ayant un besoin vital de la paysannerie productrice, les élites se sont évertuées à la maintenir à un niveau de précarité matérielle et psychologique permettant de la dominer plus facilement. Quant à ce qu'elles considéraient comme leur apanage et héritage exclusif, la culture universelle, elles en interdisaient l'accès aux masses dans une forme d'obscurantisme qui coupait cette dernière de l'information mondiale et de la liberté d'expression. Cette hiérarchisation sociale aliénante entraîna un profond ressentiment souvent inexprimé, qui fournit une base à la manipulation politique utilisée par un faux sauveur comme Duvalier.

Les anciennes élites échouèrent dans ce qui aurait dû être leur rôle de locomotive économique et sociale. Duvalier a, en quelque sorte, changé la donne en portant à son paroxysme ce déficit de développement, tout en déstabilisant les bénéficiaires d'autrefois. Le peuple est du même coup resté perdant, car en chambardant l'ordre antérieur, Duvalier n'a fait que créer une nouvelle classe de privilégiés maintenant alliés des survivants de l'ancienne élite. Ensemble, ils constituent la courroie de transmission entre le pays profond, rendu exsangue, et les bureaucrates et capitalistes de la coalition occidentale appelée communauté internationale. Le peuple affaibli sert de prétexte par excellence à l'aumône étrangère, par laquelle on le gruge davantage alors que le pays est de plus en plus tenu en laisse. Les intérêts fondamentaux entre riches, moins riches et pauvres d'Haïti continuent ainsi de s'opposer et peuvent à tout moment s'entrechoquer dans une explosion peut-être plus violente que par le passé.

Le prochain volet de cette réflexion contiendra quelques idées sur la construction en commun de notre avenir et sur la cohésion sociale comme rempart politique contre les démagogues de demain.

Teddy Thomas
Le 1er septembre 2015