Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, November 24, 2017

De Zéro à Héros… Le dilemme d’un Président

Max Dorismond Mx20005@yahoo.ca

Utilisé pour leur besoin primaire
Si j’étais un romancier, je commencerais ce conte fantastique de cette façon : « Flottant dans un lac de dollars verts, où l’existence d’aucune contrainte ne vient perturber la clarté et la douceur de l’onde,  plusieurs roitelets d’Haïti, depuis plus de huit ans, se vautraient allègrement dans la fraîcheur des jours au rythme des tintements des calculatrices multipliant leur richesse à l’infini à chaque « contrat bidon », sans le souci d’un éventuel contrôle externe. Pour eux, la terre est carrée. Tous les chemins mènent tout droit au paradis. Avec les papiers-dollars, ils roulent leurs cigares. Ils y griffonnent des notes d’amour à leurs nombreuses maîtresses. Il y en a tellement qu’ils s’amusent à les assembler pour les utiliser, pour le plaisir de la chose, comme peignoirs ou serviettes de bain et même pour leur besoin primaire à titre de papier hygiénique.  Ils ont le cœur à la fête. Leur printemps est toujours éclatant et leurs yeux sont pétillants d’étoiles. Ils mènent la vie de Pacha. Mais, dans la vapeur éthylique de l’exaltation de l’heure, l’un des écorcheurs se réveille soudainement dans un état de névrose. Il vient de constater brutalement que personne ne pourra cacher indéfiniment le soleil avec sa main. Tout dans la vie a une date de péremption. La frontière entre l’enfer et le bonheur est parfois très mince. En conséquence, tous les lendemains ne seront jamais éternellement chantants.  La terre est en réalité très rondelette. Dans une éventuelle courbe, un jour venu, on peut croiser l’ombre de son cercueil. Ses brusques inquiétudes ont interpellé les autres pilleurs de nation. Ils se proposent immédiatement d’échafauder un plan pour protéger leur arrière ».

« Trouvons, disent-ils, un enfant de la plèbe, à titre de bouclier, comme président. Dans la « Jarre à Chavez », faisons mine d’offrir à ce souffreteux l’occasion et les moyens d’aider le peuple. Reconnaissante, cette masse, enthousiaste et heureuse, le choisira au pied levé pour le placer au Palais national. Et, pour services rendus, cet hurluberlu, sans une once d’ingratitude, se fera le devoir de nous protéger, en cas de règlements, si des intrus nous cherchent noise pour avoir trop bien mangé. Ainsi, de cinq ans en cinq ans, le temps s’allongera, les années passeront, les souvenirs s’effaceront et se délaceront. À nous la belle vie ! ».

Ça, c’est la réalité romancée. Dans la vraie vie, ils ont facilement dégoté dans l’arrière-pays, un jeune surdoué, un peu naïf sur les bords. Il a certes des qualités pour l’entrepreneuriat, mais devant l’offre des maîtres chanteurs, il ne lui est jamais venu à l’idée que, sur cette île maudite,  personne n’a jamais fait cadeau du pouvoir. C’est un écrin de diamant à hauteur de rêves et d’ambitions, objet de maintes tentations de 99,99% de ses habitants.

Un cimetière de bagnards
Pour comprendre la psychose des mystificateurs, il faut constater que les corrompus de la génération post-duvaliériste ont bien appris leur leçon. Quand on a vécu dans le nirvana du plaisir spontané, avec Haïti à ses pieds, riche à millions, on ne peut se permettre d’aller vivre les affres de l’exil. Quand on a connu le firmament entouré de vierges et de beaux anges, on ne peut se permettre de redescendre aux enfers. C’est mourir à grand feu, de chagrin, de remords, de regrets, de dégoût, de solitude en se souvenant des cieux. D’ailleurs, c’est connu, 90% des richards duvaliéristes en exil ont déjà rencontré Baron Samedi, assez jeunes. Or mourir en exil, c’est comme mourir au bagne. Quand on croise parfois les quelques survivants dans les rues des grandes métropoles occidentales, un peu hagards, fuyant les regards inquisiteurs de leurs congénères suspicieux, on reste un peu surpris. Malgré leur richesse mal acquise, ils inspirent une certaine pitié. Et c’est humain. Ils ont perdu de leur superbe, de leur arrogance, de leur flegme,  de leur assurance car, le ciel n’est pas du tout bleu pour eux. D’où le serment solennel des corrompus d’aujourd’hui: Jamais plus d’exil. Nan Kiskeya poun mouri !

Dans le plan bien astiqué, le jeune prodige, choisi des dieux, déploie des efforts incommensurables pour concevoir et développer ses bananeraies, sans penser un instant qu’il est l’objet d’un jeu de dupes. C’est beau,  c’est merveilleux. Des techniciens israéliens ont prêté leur service pour le drainage et l’irrigation. Des machineries neuves et rutilantes unissent le ronronnement de leurs cylindrées à la joie des paysans de la région qui croient apercevoir, enfin au loin, le bout du tunnel. La presse débarque dans la plaine. Un bateau allemand attend les containers de banane dans la rade du Cap. Les vidéos You-tube chantent la consécration de  la rédemption du Nord. Le tout Haïti se voit déjà recouvert de plantules agricoles. Et la plupart d’entre nous sont ravis, car l’espoir porte un nom : Jovenel Moïse.

Les spoliateurs avaient vu juste. Leur plan se déroule comme sur du papier à musique, « en opérant, selon l’expression de L. Trouillot, une perversion efficace de la sensibilité populaire ». Massivement, le peuple a choisi ce jeune président à son image. Haïti chante et danse ! La Caravane du changement s’est mise en branle. La machinerie, toute neuve, héritée des faux projets d’autrefois, jamais utilisée, abandonnée dans les ravins et hangars des campagnes, est reconstituée et mise à la disposition de l’homme de l’heure. Mais, la réalité a vite fait de rattraper le Président tout neuf.

Les caisses sont affreusement à sec. L’International, déjà échaudé, a fermé la vanne. Le prix du pétrole baisse. Le capitalisme frileux ne désire pas danser le tango avec les socialistes du Sud. Le Venezuela est en quasi-faillite. Maduro, le successeur de Chavez, est dans l’eau chaude. La Jarre de Petro Caribe résonne à vide.
Les bananes pleurent... Agritrans cherche un nouveau souffle
(Une courtoisie du Nouvelliste)

À tous les niveaux, c’est la déception pour le jeune Président. Même  Les bananeraies pleurent1 leur abandon dans le nord. Ce fut une pure perte. Les feuilles  des bananiers altières et vigoureuses d’hier, ressemblent à des pantins disloqués aux bras branlants, suspendus le long de leur corps squelettique. Les lacs artificiels sont desséchés.

Les bananes abandonnées 
La fonction publique est surchargée de zombis. Par exemple, dans les ambassades d’Haïti à l’étranger où devraient se loger quatre ou six employés, la liste d’appels peut contenir 70 ou même 100 salariés.  Beaucoup d’Haïtiens de la diaspora, naturalisés, surtout des femmes,  y tirent un chèque mensuel depuis vingt ou vingt-cinq ans. Le Président panique. Il a perdu le contrôle des institutions. Les sénateurs et les députés placent leurs billes en exigeant la nomination de leurs  Ministres, directeurs ou sous-directeurs. C’est, en l’occurrence, du népotisme à plein nez, moyennant le partage moitié-moitié des budgets institutionnels ou des salaires perçus.

Deux ministres haïtiens avec le maire Coderre
Dans la diplomatie, face à d’autres nations, les représentants du gouvernement sont mal vus. À preuve ou à titre d’exemple, entre mille, lors de la crise des réfugiés haïtiens à la frontière canado-américaine, deux ministres de Jovenel sont arrivés au Canada pour, souhaitaient-ils, rencontrer le gouvernement canadien et s’entretenir à propos des réfugiés. Ils ont tous deux reçu une gifle magistrale. Comme des pestiférés, aucun ministre des deux gouvernements (provincial et fédéral) ne daignait les rencontrer. La réputation de toute la camarilla est bien établie, à juste titre, dans les arcanes diplomatiques. Ils sont infréquentables. Ce fut une honte nationale, qui fit tiquer la communauté haïtienne d’outremer.  Dans la semaine de cette gaffe historique, plusieurs compatriotes rentraient au travail en rasant les murs, la queue entre les jambes. Pour faire contre mauvaise fortune bon cœur, les loustics s’amusaient à clamer que les ministres canadiens avaient peur pour leur portefeuille, car on ne sait jamais, « avec ces dwets longues ». D’autres ont même avancé qu’ils étaient venus réclamer au Canada l’argent destiné à ces démunis pour le gérer à leur place, en tant que bons gestionnaires. Pour éviter d’ulcérer, encore plus, ces éternels sans-papiers qui ne demandent qu’un sursis dans leurs continuels tourments, le Canada préféra ignorer les délégués de César en les envoyant paître dans les champs municipaux, à la rencontre du Maire de Montréal.

En fin de compte, en raison de la faillite économique et du tarissement de l’aide internationale, le jeune gouvernement a dû concocter un budget qui a fait grincer des dents  la diaspora. Debout, tel un seul homme, cette dernière a offert en guise de désapprobation, un concert d’obscénités, aussi salaces que cinglantes, au point de forcer  le régime au pouvoir à déléguer deux de ces ministres à la rescousse pour justifier l’inexplicable.

De crise en crise, l’affaire du contrat-blackout vient hanter Jovenel. À sa découverte, il est tombé des nues et s’est rendu soudainement compte qu’il a été cocufié bien avant la noce.  En se mirant dans un miroir du Palais, ce dernier réfléchit l’image d’un gros ZÉRO, bien noir. Son entourage le convainc qu’il n’a pas rêvé. Et que c’est bien sa tête.

Pour essayer de sauver la face et renverser la vapeur, il proposa d’électrifier Haïti par ses propres moyens d’abord et ensuite, avec l’aide des Chinois. Ce fut en réalité, un bluff pour provoquer le dialogue ou l’ouverture des « contrats bidons » d’électricité. Jusqu’à présent, des Chinois de Pékin, nous avons seulement les spaghettis, la soupe won-ton, les Dry-cleanning, le riz Jasmine et les « « Ti Chinwa - Tèt lobis – dents-bonbons2 », mais aucune électricité. De guerre lasse, devant la criante réalité, le pauvre Jovenel, résigné, prononça son célèbre discours d’octobre dans lequel il dénonça les cinq plaies qui rongent Haïti : « la corruption, la corruption, la corruption, la corruption, la corruption ».

Il est presque trop tard. Les fonds de la « Jarre à Chavez » se trouvent déjà loin, très, très loin. Et c’est à ce moment que le Sénat se réveille pour jouer dans l’esprit des bénéficiaires de César avec une bruyante enquête ci-devant nommée : Commission Sénatoriale Spéciale d’Enquête sur le Fonds Petro Caribe de septembre 2008 à septembre 2016. Jusqu’à présent, la soupe est encore tiède, puisque les  célèbres concussionnaires, tels que cités, ont encore la part belle. Ils se ruent dans les brancards et menacent de poursuivre les commissaires qui ont osé gribouiller leurs noms sur les 656 pages du rapport.

C’est bien dommage pour cette malheureuse nation, anesthésiée par des décennies d’horreur, grevée de prédateurs jusqu’au bout des orteils.  Le peuple aux abois dort tous les soirs, le ventre creux. Sa résilience, pour l’instant, a été poussée jusqu’à l’indifférence. Des corrompus vivent dans une extravagance et une ostentation débridée sans crainte d’être dérangés. Le silence sonore de la justice ne semble perturber grand monde. Haïti rêve d’un éventuel Héros pour la sortir de cette tragédie indélébile. Elle a soif d’un rédempteur.

Monsieur le Président, ces écorcheurs vous ont magistralement ferré comme un vulgaire poisson. Entre leurs mains, vous n’êtes qu’un simple jeu de lego. Donc, extrêmement fragile à résister au premier souffle de la tempête. Ils ont enculé royalement votre gouvernement. Riches à millions, ils peuvent acheter tout le monde, tous les juges et tous les avocats du pays, défenseurs, accusateurs et membres du jury compris. Toutefois, votre force morale est indemne jusqu’à présent. Il ne reste qu’une seule personne pouvant dévier la trajectoire du destin : c’est Vous ! Réveillez-vous ! Soyez notre Héros et mettez vos pieds par terre pour dire : Basta ! Haïti en a marre, d’être le dindon de la farce. Dans l’antre du diable, vivotent aussi des anges. Sachez bien vous entourer. Car, « le monde ne sera pas seulement détruit par ceux qui font le mal, mais aussi par ceux qui les regardent sans rien faire » (A. Einstein). Les coquins sont ultra-puissants. Au moins un milliard cinq cent millions dorment sous leurs oreillers. Ils peuvent vous cueillir comme une mangue. C’est une réalité à ne pas dédaigner. Mais le sacrifice ultime en vaudra la peine. La nation a besoin d’un guide pour sa rédemption. Il est minuit moins cinq. Soyez ce HÉROS qui osera se retourner et dompter les loups. Délivrez-nous de ces barbares. Le peuple vous sera d’une éternelle reconnaissance et l’histoire vous absoudra.

Dans le cas contraire, tous les miroirs d’Haïti et du monde seront programmés pour  vous renvoyer toujours et pour le reste de votre vie, le revers non désiré : le ZÉRO. Et votre inaction ne manquera point de faire le bonheur des libraires du dimanche qui feront de ce rapport une attraction spéciale pour les touristes dans la décoration des étales à la grande foire aux « Livres en folie », en juin 2018, avant qu’il n’aille finir ses jours, comme de coutume, au « Musée des Enquêtes Éternelles d’Haïti ».

Timeline
Max Dorismond

Note (1) : Cliquez sur ce lien bleu pour voir la bananeraie actuellement telle que montrée par une vidéo filmée par le journal Le Nouvelliste

 Note (2) : « Ti chinwa - Tèt lobis – Dents bonbons » : Quolibet péjoratif et taquin, désignant dans les cours d’école, les enfants de descendants des Chinois réfugiés en Haïti dans les années 60. En raison surtout de leurs aïeux qui secouent la tête en guise d’approbation et rient à tout bout de champ, exposant leurs dents  quand ils ne  maîtrisent pas la langue de leur nouveau pays. Écoutez aussi la célèbre pièce de théâtre «  Pèlin Têt ».

Pensée personnelle de fin de texte : Tant mieux si vous vous retrouvez dans l’article. C’est la preuve que j’ai atteint l’essentiel en joignant l’utile à l’agréable quand l’exécrable et  la disgrâce se donnent la main. (MD)

Sunday, November 19, 2017

Enquête Petro Caribe… Du dessert pour les imbéciles heureux

Par Max Dorismond

J’ai éclaté d’un fou rire à fendre un plafond de verre,  après avoir déroulé le document de 656 pages de la Commission au nom redondant : Rapport de la Commission Sénatoriale Spéciale d'Enquête sur le Fonds Petro Caribe de septembre 2008 à septembre 2016 .  Des titres qui annoncent la rigolade, l’insouciance et le refus de l’esprit sérieux, sans obligation de résultat. De prime abord, aucun résumé n’accompagne ce très long rapport pour faciliter la compréhension du simple lecteur. Quel non-initié va se taper ces 656 pages à titre de lecture ? Ah ! Sacrée Haïti Thomas ! Vous possédez de ces spécificités romantiques et poétiques pour endormir le monde tout en chantant « Au clair de la lune, mon ami Petro ».        

Depuis quand avez-vous entendu, ou vu dans ce pays, qu’on mettait la main au collet de l’élite à cols blancs, ou qu’on passait des menottes aux nobles bourgeois. Pour une très rare fois, un Ministre « inintelligent » a été pris en flagrant délit dans une affaire de kit scolaire. Où est-il ? Derrière les barreaux ! Cherchez-en encore !  Il est bruit, ces jours derniers, que « les documents, relatifs à la surfacturation de ces kits, dans laquelle est présumée impliqué cet ancien Ministre des Affaires Sociales et du Travail, (MAST), ont disparu du bureau de l’Assistante Directrice Administrative de la boîte, dans la semaine du 8 novembre 2017. J’ai bien dit, cette semaine. Alors que l’affaire des kits scolaires plane dans l’air depuis le mois de septembre. Les pièces justificatives compromettantes n’ont jamais été confiées à la police. Sapristi ! Alors, qui dit mieux ! Haïti est une nation de Noirs sans noirs où tout le monde est blanc comme neige au soleil. Surprenant paradoxe !

Chers Amis, ne nous illusionnons point, « Pa pété têt nou ». Ne nous laissons-point embobiner comme des saucissons dégénérés. Ne nous laissons point aplatir par cette brique de 656 pages tombée sur nos têtes. Ne soyons pas dupes. Regardons de plus près comment cela marche chez nous.

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Youri Latortue
Président du Sénat
Tout d’abord, la formation de cette Commission ne fut pas de tout repos. Elle a longuement souffert durant sa gestation. La première mouture était instituée par le Président du Sénat, Youri Latortue. Comme dans un entonnoir, tous les Sénateurs voulaient s’y engouffrer pour figurer parmi les signataires. L’intérêt était palpable. Était-ce par patriotisme ? Était-ce dans le sincère dessein d’évaluer les programmes auxquels était destiné le pognon, (les deux milliards de Chavez) ?

Voyons-donc ! La jarre était énorme. Beaucoup de ce fric en circulation s’était volatilisé. Les acteurs, des deux côtés de la barrière, savent pertinemment qu’ils sont bien emmitouflés dans les vapeurs paradisiaques des pays qui lavent plus blanc que blanc.  Et pour cause, certains de nos sympathiques sénateurs rêvent déjà de se convertir en aventuriers à la recherche de « l’Arche d’Argent » égarée dans les flots bleus des méandres internationaux.

Ainsi est arrivé  le moment fatidique pour les intelligents aux doigts croches de venir dire bonjour à Tonton Sénat. C’est aussi simple que cela. Et lorsqu’on va voir Tonton Sénat, on ne peut ouvrir la porte et rentrer aussi facilement. C’est impossible,  car nos deux bras sont supposés être remplis de cadeaux. Donc, ce sera plus commode de toucher la sonnerie avec le coude. C’est toujours le temps des fêtes avant Noël chez ces sympathiques personnages.

En Haïti, chers Frères, tout est une question de clans et de mafias. C’est sur ces entités que reposent les rouages du fonctionnement de la machine gouvernementale. Un jour, en 2013, en vacances là-bas, j’ai été invité à une réunion d’un parti politique, dans un grand hôtel de Port-au-Prince. À mon grand étonnement, parmi les participants présents figuraient plusieurs membres haut placés du gouvernement Martelly, quelques cadres de Lavalass, du RNDP, de Pitit-Dessalines, de LAPEH de Jude Célestin.  Des représentants d’autres petits partis de l’opposition complétaient la liste. Cette assemblée hétéroclite me laissa perplexe et anxieux.

Face à mon étonnement et à mes nombreuses interrogations, mon hôte me fit savoir qu’il voulait justement me surprendre avec cette autre facette cachée d’Haïti que j’ignorais totalement. Il me fit la déclaration suivante :

Ces bruiteurs sont prêts à offrir leur service à qui le
désire, pourvu que l'argent soit de la partie.           
« Dans ce pays, tout est question de rapport de force. Ici, les différents partis politiques sont des adversaires sur papier, pour la galerie, mais jamais dans la réalité. Ils sont tous sous le même parapluie. Ils s’entraident l’un l’autre, le moment venu. Ce nouveau parti, encore sans nom, en est la preuve. Que Martelly vienne à tomber, demain matin, où qu’il atteigne la fin de son mandat, au déclenchement des prochaines élections, ce parti devrait être en mesure de faire du bruit pour se faire valoir. Écrasé, brisé… le chaos, quoi ! Pour ce, il y a des milliers d’individus qui sont prêts à prendre la rue en son nom, moyennant un montant de 500 gourdes chacun. Ces bruiteurs professionnels sont prêts à offrir leur service à qui le désire, pourvu que l’argent soit de la partie. Ainsi, quand le pouvoir bascule et change de camp, les petits amis présents ne seront pas démunis. Ils pourront négocier deux ou trois ministères avec le nouveau locataire du Palais. Chaque clan sera en position de faire du fric. Ce n’est  une question ni de connaissances, ni de compétences, mais plutôt de relations secrètes pour assurer et garantir la richesse de chaque rentier. C’est le : « Pase pranm – Ma pase pran ou. Grate dom – ma grate do ou. Se kolonn ki bat ». De là dérive toute une conjugaison symbolique du verbe manger, l’objet premier de leur obsession : « Je mange – je mange. Tu manges – Je mange.  Il mange – Je mange. Nous mangeons – Je mange. Vous mangez – Je mange. Ils mangent – Je mange ».

Un cynique refrain et des codes initiatiques. Une ribambelle de formules non écrites, mais circonscrites dans la constitution clanique et appliquées à la lettre par la meute. La solidarité en fait foi. La protection de son frère est un devoir. Tout ceci pour conclure que cette nation est condamnée à s’enfoncer au plus profond de l’abîme. Ses élites les mieux préparées contribuent fondamentalement à sa disparition programmée. Mon hôte m’a écarquillé les yeux avec d’autres facéties haïtiennes adaptées à l’ère des banques virtuelles du nouveau siècle. On y reviendra.

Revenons à notre Commission Sénatoriale. Tout cela pour vous signifier que plus le rapport est volumineux (656 pages), plus le risque est élevé pour les contrevenants, dans un pays normal, de finir leurs jours en prison. Mais heureusement pour ces délinquants, Haïti est un pays anormal. Pour répéter le loustic : Haïti, se yon kote. Plus le rapport est épais, plus il n’intéresse personne. Par conséquent, il est destiné à accroître la filière 13, c’est-à-dire, alimenter les poubelles. D’ailleurs,  les présumés interpellés le savent assez bien. C’est de la bouillie pour les chats. De la pression technique pure et simple pour les forcer à cracher une partie des fonds volatilisés.

Le ciel d'Haïti était recouvert de dollars verts
Donc, de 2008 à 2016, le ciel d’Haïti était recouvert de dollars verts, tel un bol de faïence qui réfléchissait la lumière du soleil au point d’aveugler les esprits des gouvernants qui ne se souviennent de rien aujourd’hui. Huit années se sont déjà écoulées sans un mot sur les malversations et, aujourd’hui, les contrôleurs officiels de la nation se réveillent pour s’enquérir des sorties d’argent qui dorment à poings fermés, comme un nourrisson, dans les paradis fiscaux, dans les banques étrangères,  sous des prête-noms, sans aucune crainte d’être retracées. Qui va faire un tour sur la liste des Panama-Papers pour découvrir les noms des sociétés haïtiennes offshore, cachées dans cet état à fiscalité privilégiée ? Personne !

Dans un pays où le pire criminel, assassin, kidnappeur, vendeur de drogue est arrêté le matin, accusé par un juge et enfermé en prison à midi, se voit déloger, libérer dans la même soirée, par un autre juge compatissant, arrivé en limousine noire blindée qui l’invite à prendre un verre à l’Hôtel Oasis. Vous vous attendiez à quoi !

Les contrevenants crachent une par
tie du butin.                                  
Parions un 10 ! Tout ce vacarme, tout ce bruit n’est que du vent, sans sortir de l’ordinaire, pour inviter les intelligents aux doigts croches à passer à table et servir aux convives oubliés les « petits-pois verts » congelés dans les banques étrangères sous peine d’ingratitude seulement. L’autre clan ne peut souffrir de cette rebuffade.  On sèl dwet pa mange kalalou. D’ailleurs, si ces « grands mangeurs » n’avaient pas les yeux plus larges que leur panse, on ne serait jamais arrivé à cette Commission Spéciale. Toutefois, la table est mise. L’avertissement est lancé. Les contrevenants sont condamnés à cracher une partie du butin, s’ils veulent évoluer dans la paix du Seigneur et tabletter le célèbre rapport au « Musée des enquêtes éternelles d’Haïti », comme de coutume. Le cheval rétif ne termine jamais sa route sur la droite ligne, aussi belle soit-elle.

Cette Commission ne demeure en soi qu’une petite leçon pour certains égoïstes têtus d’un clan adverse aveuglés par un amoncellement de billets verts, à éparpiller et à consommer sans partage. Pour plusieurs, parmi le commun des mortels, elle n’est que du gâteau pour les cocus contents qui rêvent toujours en couleur. Personne ne l’ignore. À part les imbéciles heureux qui verront, dans la démarche des Sénateurs, un geste patriotique destiné à fouetter la conscience collective. Comme la Commission sur le blackout, la bible de 656 pages sera un simple accident de parcours, aussitôt toutes les convoitises assouvies. Et puis, règnera demain un long silence qui ajoutera quelques pointillés à notre mémoire pour perpétuer, comme d’habitude, le traditionnel détournements de fonds publics. Cependant, il faut avoir une certaine empathie pour quelques innocents qui vont en pâtir, par effet collatéral. Pauvres, ils le resteront, mais leurs noms seront entachés à jamais dans cette lutte à finir, où les pots d’airain, dans leurs féroces confrontations, laisseront répercuter leurs ondes jusqu’à nos oreilles.

Albums
Max Dorismond

La musique haïtienne en deuil, Boulo Valcourt est mort

Boulo Valcourt  
12 février 1946 - 17 novembre 2017

Par Herve Gilbert
Haïti Connexion Network a appris avec beaucoup de peine  ce vendredi 17 novembre, la mort du célèbre chanteur-guitariste, compositeur et interprète Boulo Valcourt dans un hôpital de New York  à l’âge de 71 ans.

Né au Cap-Haïtien le 12 février 1946, Boulo Valcourt débute dans la musique en jouant de la guitare à l’âge de 16 ans. Déjà à 17 ans, il composait des chansons pour le groupe musical les Copains, qui devait sous peu faire sa première apparition. A cette époque le genre musical dénommé “Twist” faisait la une. Les musiciens du groupe voulaient partager cette nouvelle vogue avec le public.

Guitariste haïtien au phrasé nimbé de toutes les  subtili
tés contemporaines.                                                    
Pour entamer des études en électronique et aviation, il part vivre au Canada pendant un certain temps, mais sa passion pour la musique restait  assez forte. En 1971 à New York, sous la tutelle de Herby Widmaier, directeur de Radio Haïti , il crèe Ibo Combo avec lequel, il sort ses premiers albums. En 1978, Boulo se retrouve avec le Caribbean Sextet qui fut fondé par Toto Laraque, son frère Jean Laraque et Réginald Policard. C’était le début d’une longue collaboration entre ce groupe et lui en tant que chanteur et guitariste.  

A partir de ce groupe musical, il a aussi collaboré avec d’autres grands artistes haïtiens qui jouaient un mélange de compas et d'une forte dose de jazz. Plusieurs morceaux, qui furent des airs à succès du Caribbean Sextet, comme: chat fifi, jolibwa, kòq gagè, madougou, La Pèsonn sont encore réclamés de nos jours après toutes ces années.

Boulo en compagnie de Fred Paul (au centre ) et des
musiciens cubains du groupe Haitiando.                    
Boulo Valcourt a été plusieurs fois honoré pour son travail et a reçu deux prix au festival International de troubadour de Curaçao (1986 Premier prix, 1987 deuxième prix). Pendant toute sa carrière musicale, Boulo a fait pas mal de voyages au Japon, en Afrique, et aux Etats-Unis. En 1991, il a été acclamé au Bénin par d'autres confrères artistes Béninois dans le cadre d'une soirée Média 91 dont il était l'invité spécial à Cotonou. Boulo est le premier artiste haïtien à se rendre en Afrique sur l'invitation d'un organisme d'état français. Si vous demandez à un Japonais, un Européen, ou un Africain  de vous citer un artiste haïtien, très souvent on nomme Boulo  Valcourt  ou Emeline Michel sans hésitation.  Il faut aussi noter que sa collaboration avec de grands musiciens cubains à travers le groupe Haitiando, d’où il a produit environ cinq disques lui a permis de jouir d’une certaine renommée internationale dans le monde latino-américain. 

Avec le Caribbean Sextet, Boulo a donné de nombreuses performances à New York, Montréal et Miami où il a connu un énorme succès. En 1996, il a participé avec ce groupe au festival de jazz de New-Orléans et cette expérience a été très enrichissante et lui a permis de représenter avec fierté Haïti. Le public haïtien lui doit, entre autres, la promotion du style troubadour et du jazz en Haïti et la renaissance de plusieurs de nos airs classiques oubliés dans les tiroirs du passé.

La mort de Boulo représente  une grande perte pour l’industrie de la musique en Haïti . C’est une vraie légende qui s’en va... Boulo Valcourt laisse toute une génération de musiciens dans le chagrin. Pendant toute sa carrière musicale, qu'il soit en train de jouer avec une simple guitare ou bien  qu’il évolue au sein d’un groupe musical  au grand complet, notre troubadour national reste toujours le même: un artiste talentueux doté d’une voix hors du commun qui  a suscité de fortes émotions chez  ses fans et le public haïtien en général. Ses mélodies romantiques ou rythmées captivaient les foules qui ne cessaient de lui demander à quand le prochain CD.

Boulo! c’est dommage que, dans ton vivant comme pour tant d’autres artistes haïtiens,  tu n’aies pas été reconnu à ta juste valeur dans la panégyrie musicale hatienne.

Haiti Connexion Network s’incline devant la dépouille mortelle de notre cher Boulo et présente ses sincères condoléances à sa famille, ses proches et ses milliers de fans affectés par ce deuil.

Hervé Gilbert pour Haiti Connexion Network

 "La Peson'n": Boulo Valcourt
Les paroles  sont de Syto Cavé

Boulo Valcourt : Haiti en Folie 2010


N,B: Boulot Valcourt a fondé des groupes comme « Pikliz », « Djanm », « Haitiando » avec lequel il a sorti plus de 5 disques, « Blues Boys » son premier groupe en Haïti, « Les Copains », « Les Caraïbes » son groupe au Canada , « Horizon 75 » et « Ibo Combo » sans compter  son long passage au sein de « Azor Rasin  » où il a collaboré pendant longtemps.

Timeline
Herve Gilbert

Saturday, November 18, 2017

Ce 18 novembre 2017, Jovenel Moïse remobilise les Forces armées d’Haïti.

Ce 18 novembre, à l’occasion du 214e anniversaire de la bataille de Vertières, les quelque 150 militaires formés en Equateur ont défilé dans la deuxième ville du pays, le Cap-Haïtien. Il s’agit de la première parade des Forces armées d’Haïti remobilisées par Jovenel Moïse.
Le président Jovenel Moïse dépose une gerbe de fleurs à Vertières
Le locataire du palais national a d’abord rapporté l'arrêté du 6 janvier 1995, qui avait créé une commission de restructuration des forces armées, et celui du 6 décembre 1995 portant dissolution de la force de police intérimaire et consacrant l’existence d’une seule force de police nationale sur tout le territoire de la République.

Jodel Lesage, 63 ans
Lieutenant-Général
(par intérim)
Dans un autre arrêté présidentiel, le chef de l’État a mis sur pied un commandement intérimaire pour le rétablissement des Forces armées d’Haïti composé de six membres : le commandant en chef intérimaire; l’assistant commandant en chef intérimaire; l'état-major général intérimaire ; l’inspecteur général intérimaire ; l’adjudant général intérimaire et enfin l'état-major personnel intérimaire du commandant en chef intérimaire.
Jodel Lesage est le commandant en chef intérimaire. Il va travailler avec d’autres concernés sur la formation du haut état-major de l’armée.Pour le nouveau lieutenant-général, le retour des Forces armées est une nécessité historique, parce que, a-t-il rappelé, c’est l’armée qui a engendré l’État d’Haïti

Sources combinées y compris le Nouvelliste

Un reportage en vidéo avec nos confrères de Tripotaj Lakay

 



Thursday, November 16, 2017

JEREMIE - DOSSIER ANSE D'AZUR...

LE MYSTÈRE DE L’ÉPAVE DE L'ANSE D'AZUR


Par Raoul Cédras
L’Anse d’Azur est une crique située à quatre kilomètres de la ville de Jérémie. Elle relève de la section communale de Fond-Rouge Torbeck, commune de Jérémie. Pour y arriver, quittant la ville, il faut emprunter la rue de La Source Dommage et continuer vers Nan Lundi. Sémexan Rouzier rapporte que cette section communale portait le nom de Fond-Cochon et précise qu’elle se trouvait entre Jérémie et les Abricots. L’Anse d’Azur était, en ce temps-là, l’Anse-à-Cochon, “poste militaire situé sur le bord de la mer dans la section rurale de Fond Cochon.”1 Survivance de cette époque, l’extrême pointe des falaises se dressant à quelque six cents mètres au nord-est de cette anse, porte, aujourd’hui encore, le nom de Pointe-à-Cochon. La section communale et l’anse, se sont, elles, débarrassées de cette dénomination dont elles étaient affublées et qui ne leur rendait pas justice.
Au milieu de l’anse au sable blanc, enserrée dans des parois rocheuses, une tache sombre se dessine sur le fond de la mer. C’est l’épave de l’Anse d’Azur qui intrigue depuis plus de cent ans. Des générations de Grandanselais ont nagé jusqu’à sa partie émergée et y ont grimpé. L’eau autour des restes du bateau doit avoir douze pieds de profondeur.

Les Jérémiens ont toujours eu la certitude qu’un sous-marin allemand s’était échoué à l’Anse d’Azur. Aucune précision ne pouvait cependant être donnée quant au moment et aux circonstances de cet événement. Des étrangers qui ont observé la forme allongée ou qui en ont vu des photographies parlent, eux aussi, dans leurs blogs, dans des revues spécialisées ou dans leurs échanges épistolaires, du mystérieux sous-marin. La possibilité de l’échouement d’un submersible allemand dans la zone était très élevée. En effet, des navires de guerre américains avaient coulé bon nombre de ces U-boats germaniques qui pullulaient dans les eaux de la Caraïbe durant la période de la Seconde Guerre mondiale. Ils sillonnaient cette mer pour observer, surveiller, renseigner sur les déplacements maritimes et aussi, le cas échéant, envoyer par le fond les bateaux alliés, civils et militaires, assurant le ravitaillement en marchandises, armes et matériel de guerre, des pays de l’Europe en conflit avec l’Allemagne. Cette présence s’intensifia dans nos eaux territoriales après la déclaration de guerre d’Haïti aux puissances de l’Axe à la suite de l’attaque de Pearl Harbour par les Japonais, le 7 décembre 1941. Des Allemands et des Italiens résidant en Haïti furent enfermés au Fort national et leurs biens séquestrés. La liste de ces ressortissants avait été établie par les gouvernements britannique et américain et remise aux autorités haïtiennes. On les estimait dangereux pour la sécurité continentale. Ces mesures prises par le gouvernement d’Elie Lescot entraînèrent des représailles. Les Allemands coulaient les navires qui passaient en vue d’Haïti ou qui s’y rendaient. Il a été rapporté que le bateau qui rapatriait les effets personnels du président Lescot, accumulés durant les années passées en poste à Washington, a été torpillé par un sous-marin allemand.

L’énigme de l’Anse d’Azur a été partiellement résolue au début de l’année 2004. Une entreprise de recherches sous-marines, munie d’équipements sophistiqués, fit des relevés en vue d’identifier ce bateau qui avait fait naître tant de spéculations, de conjectures et aussi tant de rêves. Les plongeurs visitèrent, mesurèrent, photographièrent, numérisèrent et consignèrent leurs conclusions. 2

L’épave mesure 148 pieds de long et 19,2 de large. La teneur en carbone du fer dont est faite sa coque est faible. Cet alliage était surtout employé vers la fin du XIX siècle. Ses dimensions ont permis de calculer que le navire était approximativement de 320 tonnes. La technique de construction était celle des chantiers navals anglais. Ce qui ne prouve rien quant à la nationalité du navire, les compagnies anglaises exécutaient des commandes pour la plupart des pays possédant une marine marchande ou de guerre. La constitution de la coque et de l’armature était typique d’une petite canonnière de la fin du XIX siècle. Il est évident que la coque simple de ce bateau ne pourrait pas supporter la pression à laquelle un sous-marin en plongée est généralement soumis. A la lumière de ces données, on peut déjà avancer que l’épave de l’Anse d’Azur n’est pas un sous-marin, et que sa présence est antérieure à la Seconde Guerre mondiale.

Le raport contient d’autres données techniques intéressantes. L’hélice du bateau a quatre pales, ce qui assurait une vitesse de déplacement plus grande. À l’époque, les hélices à quatre pales étaient montées sur les gros transatlantiques ou sur les bateaux de guerre ou des navires pouvant être utilisés à des fins militaires. Le bateau était équipé d’un moteur à vapeur de 3 cylindres, de marque Christiansen, mesurant verticalement huit pieds et fixé directement sur la quille à l’aide de boulons en bronze. Sa faible puissance, relativement au tonnage, permet de conclure que le bateau était pourvu d’un système complémentaire de propulsion fait de mâts et de voiles, comme le possédaient beaucoup de canonnières de l’époque. Le moteur est relié directement à l’arbre de transmission, détail indiquant que le navire a été construit avant 1895. En effet, après cette date, des engrenages de réduction étaient ajoutés au système. Situé au centre du bateau, le moteur est partiellement détérioré, ayant été vandalisé et soulagé d’éléments constitutifs. En réalité, c’est sur sa partie supérieure, émergeant de presque deux pieds à marée basse, que des générations successives d’hommes et de femmes de la Grand-Anse et d’ailleurs se tenaient debout, après avoir nagé quelques brasses pour arriver à l’épave.

La position du bateau est une autre source d’éléments importants. Il s’est échoué la proue vers le large et la poupe vers le rivage. En d’autres mots, il est entré dans l’anse en marche arrière. Sa position perpendiculaire à la rive permet de déterminer les circonstances de l’échouement. Il fut volontaire. Le navire a été conduit dans l’anse à cette fin. L’expérience a montré que, quand les mauvaises conditions du temps causent la perte d’un bateau, il échoue parallèlement au rivage. Tel fut le cas pour Le Croyant et Valencia, deux épaves de la baie de Jérémie.

Le rapport de l’entreprise de recherches sous-marines a confirmé ce que certains soupçonnaient déjà. Il ne pouvait s’agir d’un sous-marin. En effet, les U-boats de la Seconde Guerre mondiale mesurant généralement trente pieds de haut, il est évident que s’il s’agissait de l’un d’eux, la structure existante dépasserait la surface de l’eau d’une vingtaine de pieds, la profondeur où elle repose mesurant dix pieds. Quelle déconvenue pour ceux qui ont pensé avoir, un jour, investi la passerelle d’un sous-marin allemand.

Au cours de ces recherches, aucun élément n’a permis l’identification complète de l’épave gisant par dix pieds d’eau au fond de la petite baie de l’Anse d’Azur. C’est Sémexan Rouzier qui a fourni une piste déterminante. Il note que “pendant l’insurrection de Miragoâne, en 1883, un petit vapeur au service du gouvernement, après un choc qu’il eut devant l’Anse-à-Cochon avec un des grands vapeurs de la Compagnie anglaise du Royal Mail, venant de Kingston à Port-au-Prince, eût le temps d’aller s’échouer à l’Anse-à-Cochon, après avoir perdu trois hommes de son équipage. On voit encore sur le rivage la carcasse de ce petit vapeur.” 1

Rouzier précise, en parlant de la section rurale de Fond-Cochon, que “c’est là que le steamer Montrouis, au service du gouvernement, est allé s’échouer après sa collision avec le steamer de la Malle Royale anglaise, en 1883, lors de l’insurrection de Jérémie.”1 Selon lui, l’épave de l’Anse d’Azur serait un bateau du gouvernement, le Montrouis, qui aurait coulé après une collision avec un navire à vapeur anglais.

D’autres faits montrent que Rouzier s’est trompé sur un point. En effet, Gustave Vigoureux rend compte de la visite à Jérémie, “d’une délégation envoyée le 27 juin 1883 par le président Salomon, composée des citoyens suivants : C. Fouchard, F.D. Légitime, M. Moreau et N. Conille, accompagnée de monsieur Boulanger, chancelier de la légation de France à Port-au-Prince.” Il ajoute que le “ s/s Montrouis mis à sa disposition avait arboré le pavillon français.”3

Le Montrouis n’avait donc pas coulé. On peut cependant objecter que Semexan Rouzier avait signalé l’année 1883 comme date de l’échouement qui aurait pu se produire après ce 27 juin 1883. Mais, le s/s Montrouis est encore présent à Jérémie le 25 janvier 1884, lors de la visite du président Louis Etienne Félicité Lysius Salomon dans cette ville, après la signature du traité de paix entre les représentants du gouvernement et la délégation représentant le Comité révolutionnaire de Jérémie.3 Il n’y a plus de doute, le Montrouis n’a pas coulé en 1883 comme l’a affirmé Semexan Rouzier, puisqu’en 1884, ce bateau était à Jérémie pour accompagner le président Salomon.

Finalement, c’est Gustave Vigoureux qui révèle l’identité de l’épave de l’Anse d’Azur. Sous la conduite de Boyer Bazelais, les Libéraux, dont “ la suprême ambition était de soumettre la réalité aux méandres de leurs rêves”,4 occupèrent la ville de Miragoâne le 27 mars 1883. Deux mois plus tard, le 23 mai, Jérémie se soulève et adhère au mouvement. Vigoureux, relatant le fil de ces événements, écrit que “quelques semaines auparavant, le “Renaud”, petit vapeur du “Service accéléré” qui contribuait avec le “Bois de Chêne” et la “Sentinelle” à établir un blocus effectif devant Miragoâne, fut expédié dans le sud, mais arrivé au large de Jérémie, il fit collision avec un steamer du Royal-Mail et en fut gravement endommagé. Le capitaine vira de bord et vint à toute vapeur s’échouer à l’Anse-à-Cochon, pour ne pas couler à pic dans le canal. On en débarqua une pièce de dix et quelques munitions.”3

Ce texte se réfère au même accident mentionné par Semexan Rouzier, sauf que le nom du bateau n’est plus le Montrouis mais le Renaud et que la date du naufrage est plus ou moins connue. Vigoureux précise que le fait s’est produit quelques semaines avant le 23 mai, ce qui situe l’incident à la fin d’avril ou au début de mai 1883.

Le “Service accéléré” étant une entreprise privée, comment justifier la présence d’un de ses bateaux dans une situation de guerre ? Le colonel d’artillerie Bien-Aimé Rivière, bénéficiant d’une subvention du gouvernement du président Fabre Nicolas Geffrard, fonda en 1863 la Ligne du Service Accéléré des bateaux à vapeur d’Haïti. Sa compagnie avait, au début de ses opérations, cinq bateaux à vapeur et desservait le nord jusqu’au Cap et le sud jusqu’à Jacmel. Au Fort-l’Islet, concédé par l’État, s’effectuaient, dans les ateliers installés par la compagnie, les réparations des navires en panne.5 Il est intéressant de noter que, dans l’accord passé avec l’État haïtien, le Service accéléré s’était engagé à prendre à sa charge les réparations des navires de guerre et à mettre, au besoin, ses propres bateaux à la disposition du gouvernement. C’est ce qui explique que, pendant une période de notre histoire, on a signalé la participation à des opérations militaires de bateaux du Service accéléré, transportant des troupes ou contribuant au siège de villes établi par divers gouvernements.
Serait-ce le Renaud, un steamer du Service accéléré qui serait à l’Anse d’Azur ? Gustave Vigoureux n’avait pas tout à fait raison car Renaud n’était pas le nom exact du bateau qui a sombré après sa collision avec le vaisseau de la Malle Royale anglaise en avril ou mai 1883.

Emmanuel Chancy, dans sa chronique des événements de Miragoâne, reproduit le Bulletin émis le 31 mars 1883 par le quartier général des Libéraux occupant la ville.6 Ce document fait état du premier combat sévère entre les insurgés et les troupes gouvernementales envoyées par le président Salomon. Dans ce bulletin, parmi les bateaux du gouvernement qui patrouillaient la rade de Miragoâne, il est mentionné le steamer Reynaud.

Ce nom est confirmé par Léon Laroche qui raconte “ qu’une attaque simultanée par mer et par terre fut combinée le samedi 31 mars. De grand matin, les navires du gouvernement, l’Egalité et le Reynaud, apparurent à la pointe ouest de la baie, longèrent de près la côte et vinrent s’embosser dans une sinuosité du rivage, à quelque distance de la ville. Ils avaient, pendant la nuit du 30, débarqué des forces relativement considérables, tandis que les avant-postes des assaillants du côté du couchant s’étaient avancés à un tiers de lieue de Deronceray.” Plus loin, il mentionne encore que “le Reynaud et l’Egalité concentrent leurs boulets sur cette hauteur ; les pièces des exilés bien servies et mieux pointées ripostent avec vigueur et les obligent à gagner le large.”7

On peut désormais affirmer qu’à l’Anse d’Azur se trouve l’épave du Reynaud, bateau à vapeur du Service accéléré mis à la disposition du gouvernement du président Salomon pour combattre l’insurrection des Libéraux. Il alla s’échouer sur cette plage en avril ou mai 1883, après sa collision avec un steamer de la Malle Royale anglaise.

A moins que d’autres témoignages ou d’autres recherches donnent une version différente des faits qui viennent d’être établis, le voile est levé sur les interrogations, les inconnues, les doutes et les questions concernant l’épave de l’Anse d’Azur. C’est peut-être dommage car c’est avec un regard différent que les Jérémiens verront désormais ce site dépouillé de son secret qui a entretenu, dans l’esprit de toutes les générations de la ville, des légendes, des rêves d’aventures et des mystères.

Auteur : Raoul Cédras


Bibliographie
1. Semexan Rouzier
Dictionnaire géographique et administratif universel d’Haïti illustré Tome 1 Paris, Imprimerie Breveté Charles Blot – 1927
2. Jeremie Wreck, Post-Mortem Analysis of Existing Wreckage Located on the Beach close to Jeremie, Southwest Coast of Haiti – 2004
3. Gustave Vigoureux
L’Année terrible ou 1883 à Jérémie Jérémie. Imp. du “Centenaire” – P. Petit, Directeur – 1909
4. Jean Price Mars
Jean Pierre Boyer Bazelais et le drame de Miragoâne Imprimerie de l’État – Rue Hammerton Killick – Port-au-Prince, Haïti 1948
5.Georges Corvington
Port-au-Prince au cours des ans. Tome 2 – 1804-1915 Les Editions du CIDIHCA – 2007
6. Emmanuel Chancy
Pour l’Histoire – 27 mars 1883 Port-au-Prince, Imp. de la Jeunesse, 1890.
7. Léon Laroche
Haïti, une page d’histoire Paris, Arthur Rousseau, Editeur, 14 Rue Soufflot et Rue Toullier 13 – 1885

Wednesday, November 15, 2017

Célébrons la vie de l’ami Fanfan Bazile!

Dr. Frantz Bazile
19 avril 1947 - 2 octobre 2017
Par Eddy Cavé.

Ottawa, ce 9 novembre 2017

N’étant pas un catholique pratiquant, Fanfan n’avait pas voulu de funérailles traditionnelles et la famille a respecté ce choix. C’est donc la formule, très moderne, de la célébration de la vie qui va permettre de réunir pour un dernier hommage les membres de la famille et ses nombreux amis, collègues, patients et connaissances.

Soucieux ou triste à cet âge?
Je ne sais!
Une célébration de la vie de Fanfan.  Quelle meilleure occasion pour les sœurs, oncles et tantes qui l’ont bercé pendant son enfance à Jérémie et l’ont encadré avec amour jusqu’à ce qu’il commence à voler de ses propres ailes! Pour ses sœurs Marie-Évy, Renée, Andrée et Michelle qui  se remettent à peine du départ de Paule, ainsi que pour les autres membres de la famille immédiate et élargie! Pour les conjointes avec lesquelles il a partagé des tranches successives de sa vie d’adulte et pour ses six enfants brusquement orphelins!

Quelle meilleure occasion pour les vieux amis de la période allant de ses premières années à l’école Frère Paulin de Jérémie à son départ à la retraite à Miami au terme d’une fructueuse carrière de gynécologue!

Quelle meilleure occasion enfin pour les patients et collègues qui ont connu et apprécié cet attentionné disciple d’Esculape dont le diagnostic était sûr, les traitements efficaces, la disponibilité complète! Sans parler de son entregent ni des qualités de cœur qui le rendaient si attachant!

En réalité, Fanfan appartenait à cette catégorie d’âmes d’élite qui contribuent à illuminer la vie de ceux et celles que la nature met sur leur passage et dont le départ laisse l’entourage dans une sorte de désarroi. Rien de mieux que cette célébration de sa vie pour perpétuer sa mémoire et donner à tous ceux et celles qui l’ont pratiqué l’occasion d’exprimer leurs sentiments à son endroit, d’aller réconforter la famille et de l’aider à faire son deuil.

Je serai par la pensée seulement à Miami ce jour-là, mais je suis déjà en train de vivre intensément avec la famille et les amis cette grandiose célébration de la vie de Fanfan.

Me Alphonse Bazile (1960)
À la réflexion, je me rends compte qu’il m’est impossible de parler de Fanfan sans penser à son père, l’avocat Alphonse Bazile, et à sa mère Madeleine, née Pasquier, qui me vouaient tous les deux une grande affection. Un couple admirable qui a élevé ses enfants dans la tradition des valeurs morales les plus élevées, la valorisation de l’instruction, l’amour du travail, la solidarité avec les moins nantis, le respect de l’autorité parentale, etc. J’ai retrouvé dans mes tiroirs l’ébauche d’un article que j’avais titré « Alphonse Bazile, un authentique produit du terroir bouffé jérémien par les siens »  et que je n’ai malheureusement jamais pu terminer. Dans mon jeune âge, Mèt Alphonse, qui faisait déjà la promotion des coopératives dans la Grand'Anse, avait habité dans mon quartier et c’est avec admiration que j’entrais dans son cabinet chaque fois que je le pouvais.

Dans mon imaginaire d’enfant, les cartes géographiques qui ornaient les murs du cabinet apparaissaient comme d’impressionnants trophées de guerre. Je devais découvrir longtemps après que les petits drapeaux plantés çà et là indiquaient l’implantation de ses coopératives dans la Grand’Anse. À l’âge adulte, nous sommes alors devenus de bons amis, en plus d’être politiquement et idéologiquement très proches l’un de l’autre. J’étais en voyage d’études à l’étranger à l’époque de sa disparition, et j’ai tout naturellement reporté sur Fanfan et les autres membres de la famille l’affection que j’avais pour lui.

Entre Marie-Thérèse Beauboeuf et Mamaille Acide
(à Jérémie)                                                          
Durant un court séjour chez le couple Jeanine et Pierre Gilles à Gary, dans l’Indiana durant l’été 1977, je m’étais fait un devoir d’aller à Chicago  pour  revoir Madeleine et m’informer des nouvelles de la famille. Fanfan avait déjà terminé sa médecine en Belgique et pratiquait à Chicago. Il était de service à l’hôpital le jour de ma visite, mais j’avais eu le bonheur de revoir les jeune filles.

J’avais aussi profité de l’occasion pour visiter avec Branly Ogé le cercle des vieilles amies jérémiennes reconstitué à Chicago : Chérisna Gauthier, Simérine Ogé et sa fille Renée Pardeau, Germaine Justin et son fils Éric.  Quarante ans plus tard, je garde encore de ces rencontres un émouvant souvenir. Simérine m’avait alors comblé de cadeaux.

A Bruxelles avec Eddy Maurice et deux autres étudiants belges
Pour revenir à Fanfan, mon cadet de sept ans, je le revois encore arrivant en courant de l’école l’après-midi, les souliers recouverts de poussière après avoir joué au foot sur le chemin du retour  avec les copains de son âge. La famille habitant à l’étage du cabinet de la rue Monseigneur Beaugé,  Fanfan passait embrasser rapidement Papa Alphonse au rez-de-chaussée, nous serrait rapidement la main et escaladait l’escalier. Un garçonnet affectueux, studieux, aux yeux pétillants d’intelligence et déjà appelé à un bel avenir.

Fanfan a entretenu jusqu’à la fin de sa vie l’affection qu’il vouait déjà à l’époque aux  « grandes personnes du quartier », les amies de ses parents, qui dans une ville comme Jérémie contribuent à maintenir les enfants dans le droit chemin. Je le vois encore, en pantalon court, traversant la rue pour aller jouer aux dominos avec les enfants du quartier sur la longue galerie commune de Mme Ernest Lévêque, 101 ans aujourd’hui  à Montréal, de Macula, de Germaine Justin. J’étais déjà un jeune adulte au début des années 1960 et je les observais à partir de la galerie de Mamaille. Je vois dans la photo qui précède un bel hommage à la vie de quartier qui existait à Jérémie  dans les années 1950-1960.

Séduisant et séducteur
Parti de Jérémie en 1965, j’ai souvent parlé à Fanfan au téléphone, mais je ne l’ai revu en chair et en os qu’en 2004 à Jérémie durant une mémorable semaine de la  Saint-Louis.

Je l’ai alors retrouvé tel que je l’imaginais à partir de mes conversations avec les amis communs, dont Solon Balthazar qui garda avec lui un contact constant : calme, attentif, attentionné, chaleureux sous des dehors d’homme réservé, mais surtout  généreux, très sensible au dénuement de la population. Et pardessus tout, très réaliste dans l’évaluation des perspectives économiques et politiques du pays. L’avenir devait lui donner raison. 

Nous sommes allés à la plage à plusieurs reprises avec sa compagne Jennifer mais  nous n’avons pu réaliser un projet qui nous accrochait tous : rentrer à Port-au-Prince par la route côtière  passant par  Dame-Marie, Anse d’Hainault, Tiburon, Port-à-Piment, Les Cayes. Par suite du décès d’un membre de la famille, j’avais dû prendre le premier vol disponible vers Port-au-Prince et différer cette belle aventure. L’occasion ne s’est jamais plus présentée par la suite, et cette route semble être délaissée aujourd’hui.

Après ces retrouvailles à Jérémie, notre amitié s’est considérablement renforcée. Et nous avons gardé un contact téléphonique assez constant. Nous avions tant d’affinités, tant de souvenirs à partager, une vision commune de tant de choses…Chacun de mes voyages en Floride  était une occasion d’interminables conversations, de longs soupers au restaurant et d’échanges mutuellement enrichissants. J’ai peine à croire que je ne le reverrai plus.

À une soirée de retrouvailles à Miami avec le Père Le Thiez
(au centre), le couple Landry Jacob et Guy Cayemitte en 2009
Comme beaucoup de Jérémiens de notre génération, Fanfan est resté toute sa vie très fidèle aux amitiés de son enfance, comme en témoignent les photos prises avec les anciens condisciples du primaire et du secondaire. De la petite collection de photos recueillies des membres de la famille et du site de Haïti Connexion Network, j’ai retenu quelques-unes qui sont d’agréables souvenirs de ses amitiés et de sa contribution comme premier président du conseil d'administration de la Saint-Antoine Hospital Fund  (STAHF) de Miami.

Dans les conversations relatives à la personnalité de Fanfan et à l’homme qu’il a été, un des deux  mots qui reviennent le plus souvent est « générosité ». Tous ceux et celles qui l’ont connu dans le quotidien, dans le milieu de travail, dans les activités humanitaires ou caritatives s’accordent à dire que le Dr Frantz Bazile était un homme d’une générosité sans bornes. Les organisateurs et les habitués des collectes de fonds des associations de soutien à l’Hôpital de Jérémie, Jean-Marie Florestal en tête, ne cessent jamais de le dire : PLUS GÉNÉREUX QUE CELA, TU MEURS!

Entre Cheney Despeine et Guiton Dorimain à Jérémie
Un autre trait de caractère peu connu en dehors du cercle des proches : Fanfan était un pince-sans-rire et un comédien de grand talent. Je le connaissais assez bien pour m’en douter, mais j’en ai eu la preuve en visionnant sur You Tube un discours qu’il fit en 2012 à la première soirée annuelle de la STAHF. Ce soir-là, il fit rire aux éclats une assistance accrochée à ses lèvres et vendue à la cause.  Il commença par s’excuser de de devoir parler créole, la seule langue qu’il dominait. Vous voyez l’astuce. Les mains dans les poches, il fit sans papier une performance extraordinaire en créole sans jamais prononcer un seul mot anglais ni une seule phrase française. Un véritable exploit à mon sens pour quelqu’un qui avait quitté le pays depuis sa jeune vingtaine.

Ce soir-là, Fanfan raconta à l’auditoire, amusé au possible, qu’il jouait depuis plus de 20 ans à la loterie le vendredi soir dans l’espoir de gagner un jour le gros lot et de pouvoir ainsi reconstruire l’Hôpital Saint-Antoine de Jérémie. Que c’est après avoir perdu tout espoir de réussir tout seul qu’il joignit ses efforts à ceux de Jean-Marie Florestal, de Marc-Antoine Gauthier et des autres amis du groupe pour mettre l’organisation sur pieds avec eux la STAHF dont nous avons déjà parlé. Naturellement, personne ne le crut, mais le message était passé. Fanfan, ou terib!

Avec Pierre-Michel Smith et Alix Cédras
Outre sa généreuse contribution au succès de cette activité de financement, Frantz a posé ce soir-là un geste dont la portée sociale et politique n’a jamais été à mes yeux suffisamment soulignée. Nous sommes alors en 2012 et le créole n’a pas encore reçu les lettres de noblesse que lui apportera, deux ans plus tard, la création de l’Académie du créole haïtien. Et voici qu’un médecin formé en Europe et spécialisé aux États-Unis se présente devant un auditoire de lettrés pour prononcer un discours en créole.  Chapo ba Fanfan ! Mwen renmen w plis pou sa ankò !

Avec son beau-frère et ami d'enfance Marc-Antoine
Voilà donc, comme il l’était, l’ami Fanfan. Bon vivant, généreux, courageux, renversant des barrières sans faire de vagues ni de déclarations tapageuses, prêchant toujours par l’exemple. Sa sœur Michèle m’a raconté qu’il était toujours deuxième à l’école des Frères et que leur mère ne cessait de lui demander pourquoi il ne remportait jamais la première place. Il finit par lui avouer qu’il ne voulait absolument pas se pavaner dans les rues avec la médaille que le cher frère épinglait chaque dimanche à la chemise des premiers de classe.  Devant l’insistance de Madeleine, il avait répondu : « Si tu ne me crois pas, je te l’apporterai dimanche prochain, cette médaille dont je ne veux pas.»

Avec les six enfants qu'il laisse dans le deuil
Le dimanche prochain, le voyant arriver sans la médaille, Madeleine l’accueillit en disant : « Anhan, kot meday la? » Il la sortit alors de sa poche, précisant qu’il ne courait jamais après les honneurs.  Ce trait de caractère, Fanfan l’a conservé toute sa vie.  Et c’est sans doute ce penchant pour la simplicité et l’humilité qui l’animait quand il a prononcé en créole son superbe discours dans « un pays où les gens écrivent une langue qu’ils ne parlent pas et parlent une langue qu’ils n’écrivent pas ».

Fanfan, toi qui as fui les honneurs toute ta vie, tu peux aujourd’hui les récolter en toute quiétude.

Que ton âme repose en paix!
Et que la célébration commence!
Eddy Cavé