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Sunday, November 19, 2017

Enquête Petro Caribe… Du dessert pour les imbéciles heureux

Par Max Dorismond

J’ai éclaté d’un fou rire à fendre un plafond de verre,  après avoir déroulé le document de 656 pages de la Commission au nom redondant : Rapport de la Commission Sénatoriale Spéciale d'Enquête sur le Fonds Petro Caribe de septembre 2008 à septembre 2016 .  Des titres qui annoncent la rigolade, l’insouciance et le refus de l’esprit sérieux, sans obligation de résultat. De prime abord, aucun résumé n’accompagne ce très long rapport pour faciliter la compréhension du simple lecteur. Quel non-initié va se taper ces 656 pages à titre de lecture ? Ah ! Sacrée Haïti Thomas ! Vous possédez de ces spécificités romantiques et poétiques pour endormir le monde tout en chantant « Au clair de la lune, mon ami Petro ».        

Depuis quand avez-vous entendu, ou vu dans ce pays, qu’on mettait la main au collet de l’élite à cols blancs, ou qu’on passait des menottes aux nobles bourgeois. Pour une très rare fois, un Ministre « inintelligent » a été pris en flagrant délit dans une affaire de kit scolaire. Où est-il ? Derrière les barreaux ! Cherchez-en encore !  Il est bruit, ces jours derniers, que « les documents, relatifs à la surfacturation de ces kits, dans laquelle est présumée impliqué cet ancien Ministre des Affaires Sociales et du Travail, (MAST), ont disparu du bureau de l’Assistante Directrice Administrative de la boîte, dans la semaine du 8 novembre 2017. J’ai bien dit, cette semaine. Alors que l’affaire des kits scolaires plane dans l’air depuis le mois de septembre. Les pièces justificatives compromettantes n’ont jamais été confiées à la police. Sapristi ! Alors, qui dit mieux ! Haïti est une nation de Noirs sans noirs où tout le monde est blanc comme neige au soleil. Surprenant paradoxe !

Chers Amis, ne nous illusionnons point, « Pa pété têt nou ». Ne nous laissons-point embobiner comme des saucissons dégénérés. Ne nous laissons point aplatir par cette brique de 656 pages tombée sur nos têtes. Ne soyons pas dupes. Regardons de plus près comment cela marche chez nous.

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Youri Latortue
Président du Sénat
Tout d’abord, la formation de cette Commission ne fut pas de tout repos. Elle a longuement souffert durant sa gestation. La première mouture était instituée par le Président du Sénat, Youri Latortue. Comme dans un entonnoir, tous les Sénateurs voulaient s’y engouffrer pour figurer parmi les signataires. L’intérêt était palpable. Était-ce par patriotisme ? Était-ce dans le sincère dessein d’évaluer les programmes auxquels était destiné le pognon, (les deux milliards de Chavez) ?

Voyons-donc ! La jarre était énorme. Beaucoup de ce fric en circulation s’était volatilisé. Les acteurs, des deux côtés de la barrière, savent pertinemment qu’ils sont bien emmitouflés dans les vapeurs paradisiaques des pays qui lavent plus blanc que blanc.  Et pour cause, certains de nos sympathiques sénateurs rêvent déjà de se convertir en aventuriers à la recherche de « l’Arche d’Argent » égarée dans les flots bleus des méandres internationaux.

Ainsi est arrivé  le moment fatidique pour les intelligents aux doigts croches de venir dire bonjour à Tonton Sénat. C’est aussi simple que cela. Et lorsqu’on va voir Tonton Sénat, on ne peut ouvrir la porte et rentrer aussi facilement. C’est impossible,  car nos deux bras sont supposés être remplis de cadeaux. Donc, ce sera plus commode de toucher la sonnerie avec le coude. C’est toujours le temps des fêtes avant Noël chez ces sympathiques personnages.

En Haïti, chers Frères, tout est une question de clans et de mafias. C’est sur ces entités que reposent les rouages du fonctionnement de la machine gouvernementale. Un jour, en 2013, en vacances là-bas, j’ai été invité à une réunion d’un parti politique, dans un grand hôtel de Port-au-Prince. À mon grand étonnement, parmi les participants présents figuraient plusieurs membres haut placés du gouvernement Martelly, quelques cadres de Lavalass, du RNDP, de Pitit-Dessalines, de LAPEH de Jude Célestin.  Des représentants d’autres petits partis de l’opposition complétaient la liste. Cette assemblée hétéroclite me laissa perplexe et anxieux.

Face à mon étonnement et à mes nombreuses interrogations, mon hôte me fit savoir qu’il voulait justement me surprendre avec cette autre facette cachée d’Haïti que j’ignorais totalement. Il me fit la déclaration suivante :

Ces bruiteurs sont prêts à offrir leur service à qui le
désire, pourvu que l'argent soit de la partie.           
« Dans ce pays, tout est question de rapport de force. Ici, les différents partis politiques sont des adversaires sur papier, pour la galerie, mais jamais dans la réalité. Ils sont tous sous le même parapluie. Ils s’entraident l’un l’autre, le moment venu. Ce nouveau parti, encore sans nom, en est la preuve. Que Martelly vienne à tomber, demain matin, où qu’il atteigne la fin de son mandat, au déclenchement des prochaines élections, ce parti devrait être en mesure de faire du bruit pour se faire valoir. Écrasé, brisé… le chaos, quoi ! Pour ce, il y a des milliers d’individus qui sont prêts à prendre la rue en son nom, moyennant un montant de 500 gourdes chacun. Ces bruiteurs professionnels sont prêts à offrir leur service à qui le désire, pourvu que l’argent soit de la partie. Ainsi, quand le pouvoir bascule et change de camp, les petits amis présents ne seront pas démunis. Ils pourront négocier deux ou trois ministères avec le nouveau locataire du Palais. Chaque clan sera en position de faire du fric. Ce n’est  une question ni de connaissances, ni de compétences, mais plutôt de relations secrètes pour assurer et garantir la richesse de chaque rentier. C’est le : « Pase pranm – Ma pase pran ou. Grate dom – ma grate do ou. Se kolonn ki bat ». De là dérive toute une conjugaison symbolique du verbe manger, l’objet premier de leur obsession : « Je mange – je mange. Tu manges – Je mange.  Il mange – Je mange. Nous mangeons – Je mange. Vous mangez – Je mange. Ils mangent – Je mange ».

Un cynique refrain et des codes initiatiques. Une ribambelle de formules non écrites, mais circonscrites dans la constitution clanique et appliquées à la lettre par la meute. La solidarité en fait foi. La protection de son frère est un devoir. Tout ceci pour conclure que cette nation est condamnée à s’enfoncer au plus profond de l’abîme. Ses élites les mieux préparées contribuent fondamentalement à sa disparition programmée. Mon hôte m’a écarquillé les yeux avec d’autres facéties haïtiennes adaptées à l’ère des banques virtuelles du nouveau siècle. On y reviendra.

Revenons à notre Commission Sénatoriale. Tout cela pour vous signifier que plus le rapport est volumineux (656 pages), plus le risque est élevé pour les contrevenants, dans un pays normal, de finir leurs jours en prison. Mais heureusement pour ces délinquants, Haïti est un pays anormal. Pour répéter le loustic : Haïti, se yon kote. Plus le rapport est épais, plus il n’intéresse personne. Par conséquent, il est destiné à accroître la filière 13, c’est-à-dire, alimenter les poubelles. D’ailleurs,  les présumés interpellés le savent assez bien. C’est de la bouillie pour les chats. De la pression technique pure et simple pour les forcer à cracher une partie des fonds volatilisés.

Le ciel d'Haïti était recouvert de dollars verts
Donc, de 2008 à 2016, le ciel d’Haïti était recouvert de dollars verts, tel un bol de faïence qui réfléchissait la lumière du soleil au point d’aveugler les esprits des gouvernants qui ne se souviennent de rien aujourd’hui. Huit années se sont déjà écoulées sans un mot sur les malversations et, aujourd’hui, les contrôleurs officiels de la nation se réveillent pour s’enquérir des sorties d’argent qui dorment à poings fermés, comme un nourrisson, dans les paradis fiscaux, dans les banques étrangères,  sous des prête-noms, sans aucune crainte d’être retracées. Qui va faire un tour sur la liste des Panama-Papers pour découvrir les noms des sociétés haïtiennes offshore, cachées dans cet état à fiscalité privilégiée ? Personne !

Dans un pays où le pire criminel, assassin, kidnappeur, vendeur de drogue est arrêté le matin, accusé par un juge et enfermé en prison à midi, se voit déloger, libérer dans la même soirée, par un autre juge compatissant, arrivé en limousine noire blindée qui l’invite à prendre un verre à l’Hôtel Oasis. Vous vous attendiez à quoi !

Les contrevenants crachent une par
tie du butin.                                  
Parions un 10 ! Tout ce vacarme, tout ce bruit n’est que du vent, sans sortir de l’ordinaire, pour inviter les intelligents aux doigts croches à passer à table et servir aux convives oubliés les « petits-pois verts » congelés dans les banques étrangères sous peine d’ingratitude seulement. L’autre clan ne peut souffrir de cette rebuffade.  On sèl dwet pa mange kalalou. D’ailleurs, si ces « grands mangeurs » n’avaient pas les yeux plus larges que leur panse, on ne serait jamais arrivé à cette Commission Spéciale. Toutefois, la table est mise. L’avertissement est lancé. Les contrevenants sont condamnés à cracher une partie du butin, s’ils veulent évoluer dans la paix du Seigneur et tabletter le célèbre rapport au « Musée des enquêtes éternelles d’Haïti », comme de coutume. Le cheval rétif ne termine jamais sa route sur la droite ligne, aussi belle soit-elle.

Cette Commission ne demeure en soi qu’une petite leçon pour certains égoïstes têtus d’un clan adverse aveuglés par un amoncellement de billets verts, à éparpiller et à consommer sans partage. Pour plusieurs, parmi le commun des mortels, elle n’est que du gâteau pour les cocus contents qui rêvent toujours en couleur. Personne ne l’ignore. À part les imbéciles heureux qui verront, dans la démarche des Sénateurs, un geste patriotique destiné à fouetter la conscience collective. Comme la Commission sur le blackout, la bible de 656 pages sera un simple accident de parcours, aussitôt toutes les convoitises assouvies. Et puis, règnera demain un long silence qui ajoutera quelques pointillés à notre mémoire pour perpétuer, comme d’habitude, le traditionnel détournements de fonds publics. Cependant, il faut avoir une certaine empathie pour quelques innocents qui vont en pâtir, par effet collatéral. Pauvres, ils le resteront, mais leurs noms seront entachés à jamais dans cette lutte à finir, où les pots d’airain, dans leurs féroces confrontations, laisseront répercuter leurs ondes jusqu’à nos oreilles.

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Max Dorismond

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