Par Max Dorismond
J’ai éclaté d’un fou
rire à fendre un plafond de verre, après
avoir déroulé le document de 656 pages de la Commission au nom redondant :
Rapport
de la Commission Sénatoriale Spéciale d'Enquête sur le Fonds Petro Caribe de
septembre 2008 à septembre 2016 .
Des titres qui annoncent la rigolade, l’insouciance
et le refus de l’esprit sérieux, sans obligation de résultat. De prime abord, aucun
résumé n’accompagne ce très long rapport pour faciliter la compréhension du
simple lecteur. Quel non-initié va se taper ces 656 pages à titre de lecture ?
Ah ! Sacrée Haïti Thomas ! Vous possédez de ces spécificités romantiques
et poétiques pour endormir le monde tout en chantant « Au clair de la lune, mon ami Petro ».
Depuis quand avez-vous
entendu, ou vu dans ce pays, qu’on mettait la main au collet de l’élite à cols blancs, ou qu’on passait des
menottes aux nobles bourgeois. Pour
une très rare fois, un Ministre « inintelligent »
a été pris en flagrant délit dans une affaire de kit scolaire. Où est-il ? Derrière
les barreaux ! Cherchez-en encore !
Il est bruit, ces jours derniers, que « les documents, relatifs à la surfacturation de ces kits, dans laquelle
est présumée impliqué cet ancien Ministre des Affaires Sociales et du Travail,
(MAST), ont disparu du bureau de l’Assistante Directrice Administrative de la
boîte, dans la semaine du 8 novembre 2017. J’ai bien
dit, cette semaine. Alors que l’affaire des kits scolaires plane dans l’air
depuis le mois de septembre. Les pièces justificatives compromettantes n’ont
jamais été confiées à la police. Sapristi ! Alors, qui dit mieux !
Haïti est une nation de Noirs sans noirs où tout le monde est blanc comme neige
au soleil. Surprenant paradoxe !
Youri Latortue Président du Sénat |
Tout d’abord, la formation de cette Commission
ne fut pas de tout repos. Elle a longuement souffert durant sa gestation. La
première mouture était instituée par le Président du Sénat, Youri Latortue. Comme dans un entonnoir, tous
les Sénateurs voulaient s’y engouffrer pour figurer parmi les signataires. L’intérêt
était palpable. Était-ce par patriotisme ? Était-ce dans le sincère dessein
d’évaluer les programmes auxquels était destiné le pognon, (les deux milliards
de Chavez) ?
Voyons-donc ! La jarre était énorme. Beaucoup
de ce fric en circulation s’était volatilisé. Les acteurs, des deux côtés de la
barrière, savent pertinemment qu’ils sont bien emmitouflés dans les vapeurs
paradisiaques des pays qui lavent plus
blanc que blanc. Et pour cause, certains
de nos sympathiques sénateurs rêvent déjà de se convertir en aventuriers à la
recherche de « l’Arche d’Argent »
égarée dans les flots bleus des méandres internationaux.
Ainsi est arrivé le moment fatidique pour les intelligents aux doigts croches de venir dire bonjour à Tonton Sénat. C’est
aussi simple que cela. Et lorsqu’on va voir Tonton Sénat, on ne peut ouvrir la porte et rentrer aussi facilement.
C’est impossible, car nos deux
bras sont supposés être remplis de cadeaux. Donc, ce sera plus commode de
toucher la sonnerie avec le coude. C’est toujours le temps des fêtes avant Noël
chez ces sympathiques personnages.
En Haïti, chers Frères, tout est une question
de clans et de mafias. C’est sur ces entités que reposent les rouages du
fonctionnement de la machine gouvernementale. Un jour, en 2013, en vacances
là-bas, j’ai été invité à une réunion d’un parti politique, dans un grand hôtel
de Port-au-Prince. À mon grand étonnement, parmi les participants présents
figuraient plusieurs membres haut placés du gouvernement Martelly, quelques cadres
de Lavalass, du RNDP, de Pitit-Dessalines,
de LAPEH de Jude Célestin. Des représentants d’autres petits partis de
l’opposition complétaient la liste. Cette assemblée hétéroclite me laissa
perplexe et anxieux.
Face à mon étonnement et à mes nombreuses
interrogations, mon hôte me fit savoir qu’il voulait justement me surprendre
avec cette autre facette cachée d’Haïti que j’ignorais totalement. Il me fit la
déclaration suivante :
Ces bruiteurs sont prêts à offrir leur service à qui le désire, pourvu que l'argent soit de la partie. |
Un cynique refrain et des codes initiatiques. Une
ribambelle de formules non écrites, mais circonscrites dans la constitution
clanique et appliquées à la lettre par la meute. La solidarité en fait foi. La
protection de son frère est un devoir. Tout ceci pour conclure que cette nation
est condamnée à s’enfoncer au plus profond de l’abîme. Ses élites les mieux
préparées contribuent fondamentalement à sa disparition programmée. Mon hôte
m’a écarquillé les yeux avec d’autres facéties haïtiennes adaptées à l’ère des
banques virtuelles du nouveau siècle. On y reviendra.
Revenons à notre Commission Sénatoriale. Tout
cela pour vous signifier que plus le rapport est volumineux (656 pages), plus
le risque est élevé pour les contrevenants, dans un pays normal, de finir leurs
jours en prison. Mais heureusement pour ces délinquants, Haïti est un pays
anormal. Pour répéter le loustic : Haïti, se yon kote. Plus le rapport est
épais, plus il n’intéresse personne. Par conséquent, il est destiné à accroître
la filière 13, c’est-à-dire, alimenter les poubelles. D’ailleurs, les présumés interpellés le savent assez bien.
C’est de la bouillie pour les chats. De la pression technique pure et simple
pour les forcer à cracher une partie des fonds volatilisés.
Le ciel d'Haïti était recouvert de dollars verts |
Donc, de 2008 à 2016, le ciel d’Haïti était
recouvert de dollars verts, tel un bol de faïence qui réfléchissait la lumière
du soleil au point d’aveugler les esprits des gouvernants qui ne se souviennent
de rien aujourd’hui. Huit années se sont déjà écoulées sans un mot sur les
malversations et, aujourd’hui, les contrôleurs officiels de la nation se
réveillent pour s’enquérir des sorties d’argent qui dorment à poings fermés,
comme un nourrisson, dans les paradis fiscaux, dans les banques étrangères, sous des prête-noms, sans aucune crainte
d’être retracées. Qui va faire un tour sur la liste des Panama-Papers pour
découvrir les noms des sociétés haïtiennes offshore, cachées dans cet état à
fiscalité privilégiée ? Personne !
Dans un pays où le pire criminel, assassin, kidnappeur,
vendeur de drogue est arrêté le matin, accusé par un juge et enfermé en prison
à midi, se voit déloger, libérer dans la même soirée, par un autre juge compatissant, arrivé en
limousine noire blindée qui l’invite à prendre un verre à l’Hôtel Oasis. Vous
vous attendiez à quoi !
Les contrevenants crachent une par tie du butin. |
Cette Commission ne demeure en soi qu’une
petite leçon pour certains égoïstes têtus d’un clan adverse aveuglés par un
amoncellement de billets verts, à éparpiller et à consommer sans partage. Pour
plusieurs, parmi le commun des mortels, elle n’est que du gâteau pour les cocus
contents qui rêvent toujours en couleur. Personne ne l’ignore. À part les
imbéciles heureux qui verront, dans la démarche des Sénateurs, un geste patriotique
destiné à fouetter la conscience collective. Comme la Commission sur le blackout,
la bible de 656 pages sera un simple accident de parcours, aussitôt toutes les
convoitises assouvies. Et puis, règnera demain un long silence qui ajoutera
quelques pointillés à notre mémoire pour perpétuer, comme d’habitude, le
traditionnel détournements de fonds publics. Cependant, il faut avoir une
certaine empathie pour quelques innocents qui vont en pâtir, par effet
collatéral. Pauvres, ils le resteront, mais leurs noms seront entachés à jamais
dans cette lutte à finir, où les pots d’airain, dans leurs féroces
confrontations, laisseront répercuter leurs ondes jusqu’à nos oreilles.
Max Dorismond
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