(Deuxième de deux parties)
Joane Florvil & John Benjamin |
Par Eddy Cavé
Ottawa, le 7 janvier 2018
Dans la première partie de cet article, l’auteur a analysé les circonstances et la signification de la mort de deux compatriotes tués au Chili dans les jours qui ont suivi le spectacle de très mauvais goût donné par Michel Martelly le 16 décembre dernier au théâtre CAOPOLICAN de Santiago du Chili. Il ouvre ici une fenêtre sur l’avenir très incertain de cette diaspora en pleine croissance.
Reportages télévisés sur l’immigration récente au
Chili
Le nouveau visage du Chili |
Au cours
des dernières années, la télévision chilienne a réalisé un grand nombre
d’émissions qui exposent clairement les problèmes liés à l’immigration
haïtienne. Après plusieurs décennies
d’« inflation structurelle et galopante », le pays était sorti de la
dictature de Pinochet-en 1990 avec une
économie saine et une forte croissance économique. Il a d’abord attiré un grand nombre de travailleurs
non spécialisés des pays proches comme
le Pérou, la Colombie, la Bolivie, etc.
Puis, il a eu besoin, pour
prendre le virage technologique de la fin du 21e siècle, de nombreux
cadres techniques qu’il a trouvés en
Argentine et en Espagne.
Quand les
persécutions des opposants au régime Chavez ont commencé, les Vénézuéliens de
diverses couches sociales sont arrivés en nombre croissant. Selon les enquêtes les plus fiables,
23% des Chiliens interrogés se sont dits, en 2016, fragilisés dans leurs
emplois par la concurrence de ces
étrangers.
En même
temps, le Chili a atteint un niveau de
développement où les citoyens commencent à dédaigner les emplois peu valorisants et mal payés qui sont en
général laissés aux travailleurs étrangers. Il a ainsi dû accueillir un flux de
travailleurs non spécialisés en butte à
des problèmes d’intégration
sociale et d’acceptation par la population.
Quand, après le tremblement de terre de 2010 en Haïti et l’arrivée des
casques bleus chiliens dans notre pays, la jeunesse haïtienne découvrira les
possibilités offertes par le Chili, elle s’y jettera les yeux bandés. On
découvre maintenant que tout n’était pas
rose sur cette nouvelle terre d’accueil.
Les immigrants haïtiens à la recherche d'un emploi |
Si un grand
nombre de travailleurs étrangers
arrivent à survivre tant bien que mal dans ce pays, ce n’est certainement pas
la terre promise. Dans le reportage, encore
accessible sur YouTube, intitulé Trabajadores
extranjeros en Chile (Les travailleurs étrangers au Chili), on apprend que
la plupart [des Haïtiens] habitent à
Santiago, dans le centre-ville, dans d'anciennes maisons où ils louent un petit
espace. « Il y a des chambres où ils dorment à 12 ou 15 personnes. Ils sont en
train de reproduire ce qui s'est passé dans les années 90 avec les Péruviens
qui sont arrivés ici aussi par milliers » (Nibaldo
Mosciatti, directeur de l'information, Radio BioBio, Chili).
Selon cette même source,
beaucoup d’Haïtiens vivent dans l’illégalité, sont sous-payés et sont obligés
d’accepter des emplois que les Chiliens refusent. Ils forment aussi la catégorie des étrangers les plus
vulnérables et qui ont le plus de difficultés à se trouver un emploi.
Le reportage le plus poignant et le plus
instructif est sans doute celui sur la
location illégale de logements insalubres ou inhabitables au Chili. Ce
reportage intitulé El lucrativo negocio de arriedo illegal a
Haitianos, (Le commerce lucratif de location illégale aux Haïtiens), dénonce les conditions inhumaines dans lesquelles vivent nos
compatriotes avec un maigre espoir de pouvoir en sortir un jour. Tout aussi
inquiétant est le récent reportage révélant, sans jamais employer le terme
« ghetto », l’existence du
quartier haïtien de Estacion Central
où nos compatriotes se réunissent en nombre croissant pour partager leurs
souffrances et le mince espoir d’un avenir meilleur.
(Le
commerce lucratif de location illégale aux Haïtiens)
Il ressort des observations qui précèdent que
l’émigration massive vers le Chili avait peu de chances de combler les attentes
exagérément optimistes de nos candidats à l’exil volontaire, surtout les jeunes
universitaires. En même temps, on ne pouvait pas s’attendre aux réactions de
violence qui ont causé la mort de Joane
Florvil et de John
Benjamin.
Faut-il
perdre tout espoir ?
Tout d’abord, il n’y a pas lieu de croire que
les commentaires négatifs entendus dans les reportages visent exclusivement les
Haïtiens. Non. Ils concernent toutes les « minorités
visibles » : les Péruviens, appelés souvent Indios peruanos feos (Indiens affreux du Pérou), les Boliviens, les Colombiens, les Dominicains, etc. Dans
l’opinion publique chilienne, on estime que les immigrants venus de la Caraïbe
sont ceux qui sont le plus attachés à leurs coutumes et à leur culture et les
moins disposés à s’acculturer. Ils estiment, affirment nombre de Chiliens, que
c’est à la communauté d’accueil de s’ajuster à leurs mœurs, leurs habitudes de
plein air, leur cuisine, leurs danses. Cela crée bien des conflits dans une
société confortablement installée dans son isolement.
Ce même phénomène a été observé récemment au
Japon où un certain nombre de citoyens nés et élevés au Brésil sont retournés
s’installer en pensant pouvoir conserver les mœurs brésiliennes. Le résultat a
été catastrophique. De même, au Chili, les peuples de la Caraïbe semblent
croire dur comme fer qu’il incombe aux Chiliens de s’adapter à eux et qu’ils n’ont pas d’efforts d’acculturation
à faire. Nos compatriotes seraient donc tombés dans le même piège.
En
guise de conclusion
Givens Laguerre (au studio) |
Dr. Mompoint |
Tandis que Givens Laguerre a laissé sa marque
dans les milieux du spectacle et des affaires, le médecin haïtien de 29 ans
Emmanuel Mompoint a été désigné le médecin le plus aimé de la grande
agglomération urbaine de Maipú (un demi-million d’habitants) après seulement quatre années de pratique dans la région. Au terme de
ses études en République Dominicaine, le Dr. Mompoint a choisi de pratiquer au Chili où il estimait
avoir d’excellentes possibilités de réaliser son sacerdoce à sa satisfaction.
Dans le reportage réalisé au terme de l’enquête menée à Maipú, on le voit accueillir avec le même entregent et la même attention,
les divers patients qui se succèdent à sa salle de consultation et à son
bureau.
Jean Beauséjour le footballer étoile du Chili |
Ricardo Ade |
On notera pour conclure
que l’organisme dénommé Espas Refleksyon Haiti - Chili a
déjà commencé un excellent travail en vue de l’élimination des préjugés et de
la création d’une plus grande harmonie entre les deux peuples. À cet égard, la
contribution d’une organisation internationale plus large comme Comunidad
Sin Fronteras ne peut être
que bénéfique à tous les égards. On y retrouve la plupart des ténors haïtiens
du rapprochement entre le Chili et ses minorités de travailleurs étrangers
nouvellement arrivés. Il y a enfin le football où Haïti a déjà donné à la
sélection nationale le joueur étoile Jean
Beauséjour, de mère chilienne, et
tout récemment un fils authentique dénommé Ricardo
Ade.
A suivre...
Eddy Cavé eddycave@hotmail.com
A suivre...
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