Mondialisation.ca, 20 janvier 2018
« L’occident mentait à l’homme noir, à l’homme jaune, à l’homme
blanc. Il mentait au moins depuis 4 siècles, à tous les colonisés de la terre.»
( René
Dépestre, Mémoire du Néo libertinage: Alléluia Pour Une Femme
Jardin)
Haïti : entre l'ostracisme et le racisme |
La fondation d’Haïti comme état libre du colonialisme et de
l’esclavagisme a été perçue comme une menace pour l’occident. Ainsi, la
nouvelle république devait être punie, ce qui fut unanimement accepté comme
axiome politique par les anciennes puissances coloniales.
Les hostilités
commencèrent de très tôt.
Thomas Jefferson |
Thomas Jefferson, le troisième président américain faisait de
l’indépendance d’Haïti un sujet personnel qu’il jurait de détruire par tous les
moyens. À ses yeux, la nation naissante était une impertinence, une vague
tumultueuse au milieu d’un océan colonial si tranquille. Ainsi, George Logan,
sénateur de l’état de Pennsylvanie, introduisit une loi réclamant un embargo
commercial contre Haïti, spécialement au niveau des armes. La loi fut approuvée
en 1806 sous la présidence de Thomas Jefferson. Et, les États-Unis attendirent
jusqu’en 1962 pour reconnaître Haïti comme un état souverain à part entière. Ceci,
en pleine guerre civile, sous l’administration d’Abraham Lincoln.
En 1825, la France imposa une indemnité à Haïti, via une
ordonnance, pour reconnaître son indépendance au prix de 150 millions de
franc-or, ce qui équivaut aujourd’hui à 22 milliards de dollars américains.
Haïti a mis 125 ans, soit en jusqu’en 1952, pour éponger finalement cette dette
insupportable, ce qui a considérablement perturbé son développement économique
et le progrès social.
Charles X avait pris soin d’accompagner « l’ordonnance par une
Armada de 14 bâtiments de guerre armés de 528 canons.» Les États-Unis n’avaient
pas protégé Haïti contre l’agression française. Il faut le noter: en dépit de
l’application de la doctrine de Monroe dans l’hémisphère dès 1823, « l’Amérique
aux Américains», formulée par John Quincy Adams, ministre des affaires
étrangères du président Monroe, les nègres d’Haïti étaient toujours seuls.
Je dois rappeler aussi qu’en 1826, Simon Bolivar a évité tout
simplement d’inviter Haïti à prendre part au congrès panaméricain, quoi
qu’Haïti fût le père du panaméricanisme à partir de l’aide militaire,
financière et vivrière qu’Alexandre Pétion avait données à Miranda et à
Bolivar, en échange de la libération de tous ceux qui croupissaient dans
l’esclavage dans les pays andins.
Fabre Geffrard |
En 1861, le général espagnol du nom de Rubalcava _ sous
l’accusation qu’Haïti troublait l’ordre public en République Dominicaine, alors
sous protectorat espagnol, en armant et finançant les mouvements
indépendantistes dans ce pays pour saper le régime établi_ allait insulter
toute une nation. À la tête d’une flotte de plusieurs navires de guerre,
l’Espagne imposa une indemnité de 200 piastres à Haïti et le salut de 21 coups
de canon au drapeau espagnol. Fabre Geffrard, président de l’époque, a
failli; et, l’âme haïtienne fut humiliée encore une fois. La doctrine de Monroe
était déjà en place dans l’hémisphère. Les États-Unis n’avaient levé le petit
doigt pour prendre la défense de la première république nègre.
En 1872, Vineta et Gazella, deux navires Allemands se
présentèrent dans la rade de Port-au-Prince pour exiger le paiement de 15.000
dollars aux deux ressortissants du Kaiser, en l’occurrence Dickmann et
Stapenhort, prétextant qu’ils avaient perdu du commerce sous les gouvernements
antérieurs. Le capitaine de la flotte, Bastch, réclama 3.000 livres sterling du
gouvernement haïtien et saisit deux bateaux de guerre haïtiens qui mouillaient
dans la rade. Nissage Saget, président d’alors, paya la somme réclamée. Les
navires furent restitués, mais avec leurs drapeaux souillés de matière fécale.
Vingt-cinq ans après avoir volé les 3.000 livres sterling, soit
en 1897, les Allemands faisaient des leurs à nouveau. Cette fois-ci, Guillaume
II a voulu donner une leçon aux « nègres qui parlent français.» Le nommé
Luders, un ressortissant allemand, après avoir roué de coups des policiers
haïtiens, au cours d’une altercation qui ne lui concernait même pas, fut arrêté
et jugé pour passer trois mois en prison. Il alla en appel. Le juge de la cour
d’appel a ajouté neuf mois à la durée de la première condamnation. Finalement
gracié par le président de la république, il rentra chez lui en Allemagne.
Arrivé là-bas, il fit un vacarme autour de l’affaire jusqu’à retenir
l’attention du roi Guillaume II. Ce dernier s’empressa d’envoyer deux navires
de guerre allemands dans les ports de Port-au-Prince avec l’ordre formel de
mettre à genoux les nègres d’Haïti. Thiel, le commandant de l’expédition,
présenta un ultimatum exigeant 20.000 dollars comme dédommagement à Luders, des
excuses publiques au gouvernement allemand, une salutation de 21 coups de canon
au drapeau de ce pays, l’annulation de la condamnation de Luders _ tout ceci
dans une période de quatre heures d’horloge.
T |
Tirésias Simon Sam |
En 1889, les États-Unis voulaient s’emparer du Môle Saint
Nicolas pour en faire un dépôt de charbon. Benjamin Harrison, président
américain, envoya l’amiral Gherardi dans les eaux haïtiennes avec 2000 hommes,
et 100 canons pointés vers la capitale. Anténor Firmin, le grand, ministre des
affaires étrangères, s’était battu avec rage et intelligence pour repousser
cette demande, non sans l’aide de l’ambassadeur d’Haïti à Washington, Mr
Hannibal Price. C’était de courte durée, mais la tension était de haute
intensité.
1915, après quatre ans de turpitude politique au cours de
laquelle six présidents séjournèrent au palais national, les marines américains
débarquèrent dans le pays. Ils entrèrent en possession de la réserve d’or
nationale et l’emporta à New York. Puis, ils occupèrent le pays. Ils y
restèrent pendant 19 ans, tout en prenant soin de favoriser la République
Dominicaine dans le tracé de la frontière en 1929. L’occupation états-unienne
de 1915 a fait plus de 50.000 morts dans le pays, surtout dans le milieu paysan
qui fut particulièrement hostile à la présence de l’armée étrangère sur le sol
national, conformément à l’idéal dessalinien. Le massacre de Marche-à-Terre
resta très vif dans la mémoire collective des habitants de la zone pendant des
décennies. Sans oublier les méfaits de la SHADA (Société Haïtiano-Américaine de
Développement Agricole) mise sur pied le 30 juillet 1941 sous le règne du
moribond Elie Lescot. Cette piètre initiative affamait plus d’un, car elle
consistait à remplacer des plantations de nourriture par la production du
caoutchouc.
Charlemagne Péralte, opposé à l'occupation d'Haïti, fut exécuté. |
L’occupation américaine n’était pas bénéficiaire à Haïti. Au
contraire, le contrôle de nos douanes et l’ensemble des recettes publiques
furent utilisés pour éteindre des arriérées de dette aux États-Unis et à la
France.
Rafael Trujillo |
Au mois de mars 1983, le Center for Disease Control (CDC) classa
Haïti abusivement dans une équation de «4 H» qui serait responsable de la
maladie du SIDA aux États-Unis. Il a fallu une grande manifestation populaire
d’haïtiens ayant bloqué le pont de Brooklyn, New York pendant des heures pour
dissuader les dirigeants américains à enlever Haïti de cette liste de
stigmatisation.
En 1994, les «Blancs Américains» débarquèrent encore sous la
rubrique de restaurer la démocratie après 3 ans d’un coup d’état féroce qui
avait fait plus de 5000 cadavres.
29 février 2004 Les américains débarquent |
Récemment, en plein 21ème siècle, la déclaration du premier
citoyen du pays étoilé, Donald Trump, vint
empirer les choses pour Haïti. Trump a propulsé Haïti dans les médias
internationaux, mais tristement. Il attribue l’épithète «shithole» (trou de merde)
à la terre de Dessalines. Nous devons faire face à cette nouvelle vague de
calomnies, comme toujours depuis plus de 200 ans! On a un groupe qui s’accapare
du pouvoir politique dans le pays depuis 2010; cependant, il n’a aucun sens de
l’histoire, voire sa mission au profit de la république. Les propos orduriers
de Trump sont de nature à donner feu vert aux institutions et aux groupes
d’extrême droite de discriminer, lyncher des Haïtiens sans sourciller.
Haïtiens, des serpents sont entrain de siffler sur nos têtes. À de nous de leur
opposer une farouche résistance!
Joël Léon
Joël Léon |
Illustrations : HCC
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