La toiture de la cathédrale et la corbeille de Ti Amélie emportées par le cyclone Matthew. |
Le vent souffle fort sur la ville.
L´on se reporte à toutes les prévisions d´Antoine Langommier, comme quoi
Jérémie serait menacée. Il y a, en plus, cet “Ave Maria“ de Pierre-Paul,
pèlerin venu du Nord qui draine des centaines de gens à sa suiteː dévots et
dévotes subtilisés au Père Péron, qui jure par tous les Saints de le faire
déguerpir de la ville. Le vent redouble de puissance, ce vent du Nord qui porte
déjà un nomː Hazel, enfantant, sans écographie météorologique, de terribles de
vents à ailes qui se déferlent sur la ville. Il est déjà identifié par les plus
anciens de la cité ; ce n’est pas un simple hourvari qui s’annonce, c’est un
cyclone.
Mon père, arrivé une fois à cheval
de Beaumont, avait failli se laisser emporter par La Voldrogue en crue ; un
passeur le prenait en charge avec l’animal, et le voilà hors danger jusqu’à son
arrivée chez sa sœur Iphosia, au Carré-Marché où mon frère aîné et moi étions
en “correspondance“. Correspondance ǃ … Terme fétiche pour désigner la
transition, souvent malheureuse, entre la campagne et la ville. Nous autres,
mon grand frère et moi, heureux, la bonne Tante Iphosia, dite Man-Fo, nous
plaçait dans du coton jusqu’à ce que notre mère, sa belle-sœur, vînt s’établir
en ville.
Nous vivons désormais avec elle
dans une de ces résidences en arrière de chez Yvonne Auguste. Les deux proches
voisines, ma mère et Madame Avenan, mère de Jean et d’Antoine, s’entendent à
merveille. En l’absence de maman qui est partie faire des emplettes au marché,
Séréel - le cuisinier à ciel ouvert, qui parle comme une commère - , ayant
exercé de la pression sur nous, tout-petits, s’est emparé de force de la grande
chaudière en aluminium dont maman a grand besoin pour faire sa gargote de
bouillon. À son retour, elle pique une de ces crises qui alerte tout le monde
au marché. Séréel se fait sermonner, et la chaudière est revenue presque toute
seule à la maison.
Vue aérienne de Jérémie |
Le vent redouble de puissance, et
déjà on parle de la mer qui se déchaîne, de l’embouchure-Grand-Anse à proximité
de Versailles, jusqu’à La Pointe dans le voisinage de la Loge; de grosses
vagues délogent les riverains du Bord-de-Mer, en frappant fort sur les vestiges
de “Le Croyant”, ce bateau qui échoua sous
Salomon, quand le phare, d’ordinaire en permanence sur le wharf, fut déplacé
vers le clocher de Sainte-Hélène. “À toutes fins utiles“, nous dit Placide
David.
“Ces rafales de vent qui emportent
tout à leur passage, Jérémie ne les avait connues qu´en 1935“, nous conte Tante
Iphosia qui est passée nous voir à la rue Mgr. Beaugé. De chez nous étant, je
pouvais lorgner, jusqu'au fond vers le Sud, la maison de Fritz Allen, proche
des Chevallier, de Boss Anthénor, d´Elda Pierre, de la librairie Honoré et de
chez Georges Clérié, converti plus tard en Titi. De l’autre côté, au Nord de la
rue Mgr. Beaugé, mon regard et ma narine, après avoir salué l´étal à
“fritailles“ de Clermosante, et balayé toute cette zone en amont du “Gros-lycée“,
finissait sa course chez Yèyèl où de gros Matous de la Place allaient danser le
“foubibouk“, la nuit, quand tous les chats sont gris. Neuf mois plus tard, la
ville sera peuplée de petits bâtards qui se prennent aujourd’hui pour des
Mulâtres.
Hazel déploie davantage ses ailes.
Ses avortons aussi, qui sont des hourvaris et des suettes. Le grenier de chez
ma marraine, Madame Titi, prenant la poudre d’escampette, vient chercher asile
jusque dans la cour de cette résidence où habite encore Madame Avenan, la bonne
amie à ma mère.
Dans cette rangée de maisons
bordant au Sud le Carré-Marché, il y avait, côte à côte, les résidences de
Pierre Lataillade dit Sonsite - le tapeur des têtes chauves -, celles de Tante
Iphosia, de Madame Georges Colas, d´Anotte la quincaillère, de Clarifond
Sémexant- le boucher de la ville, qui fut le beau-père de Maurice Léonce -, et à l’extrême pointe, vers Ti-Amélie, la boutique-résidence
de Georges Clérié. De l’autre côté du Carré-Marché, au Nord, se coinçaient d’un
bout à l’autre le Soleil-Levant d´Antoine Jean, puis la maison de Zette
Vincent, formant un “carré-parfait“ avec celles de Madame Navial, de Pierre
Sansaricq et de Gès Perrault au “carrefour-prison“. Inoubliable “carré-parfait“
au Carré-Marchéǃ …
Pour comble de sacrilège, Hazel
vient de priver l’église Saint-Louis de son bonnet. Quant à la Dame-Marie, elle
est anéantie à plate couture ; ville- vierge violée au grand jour sur le lit de
sa propre “mer“ Laye.
Bienheureux Milo Jérôme qui ouvrit
largement sa porte aux sinistrés que nous fûmes; un humaniste, je m´en
souviens, comme jamais Jérémie n’en a eus. N´en déplaise à Nono Lavaud, fils
chéri de Nadan-Zouzoute à Nan-Goudron, qui fut un Mécène compréhensif.
Mérès Weche
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