Est-ce la descente aux enfers du Dr Yves Jean-Bart alias Dadou ?

Le Dr Yves Jean-Bart s'exprimant lors du congrès de la Fifa au Brésil en 2014

Par Hervé Gilbert

En pleine crise du coronavirus préoccupant l’esprit , une nouvelle est tombée le 30 avril dernier d’un journal britannique “The Guardian”,comme une massue. Ce journal faisait état d’une enquête apparemment extensive laissant croire: “que le président de la Fédération haïtienne de football, Dr Yves Jean-Bart connu aussi sous le pseudonyme “Dadou”, serait accusé d’abus sexuels sur de jeunes joueuses féminines au centre  de formation et d'entraînement de FIFA  situé à la Croix-des-Bouquets “.

Deux jours après, le 2 mai, un autre organe de Presse de renom “ “the New York Post” enflammait davantage l’opinion publique, et titrait : “que Yves Jean-Bart alias Dadou, président de longue date de l'instance dirigeante de l'équipe nationale du football haïtien est mis en cause d'avoir abusé sexuellement  plusieurs mineures au complexe technique d'entraînement du pays”.

Le centre  de formation Goal de la Fifa à Croix-des-Bouquets

Dans cet exposé-choc du Journal  “The Guardian”, deux journalistes, Romain Molina et Alex Cizmic   qui ont participé à cette investigation, ont déclaré, selon une publication de AyiboPost , détenir de plus amples détails en vidéos pour appuyer le bien-fondé de  leur information. 

L’enquête porte aussi la signature d’Ed Aarons, auteur du livre à paraître en juin cette année : « Made in Africa: l’histoire des joueurs africains dans le football anglais ». Et AyiboPost a en outre fait mention d’un entretien à ce sujet avec la docteure Mélanie Lang, directrice adjointe du Centre pour la Protection et la sauvegarde des enfants dans le sport et maître de conférences en protection de l’enfance dans le sport au département des sciences sociales à l’Université Edge Hill en Grande-Bretagne.

Pour donner suite à cette “bombshell” (nouvelle-choc) venant de deux organes de presse reconnus, nous nous sommes mis à la recherche d’autres informations complémentaires. Nous avons repéré une autre publication cette fois-ci en provenance d’Italie, d’un journal  italien « Gazetta Italia » qui publiait en grande manchette « Abusi Sessuali e Aborti Nel Centro Federale » pour faire mention des abus sexuels au centre FIFA Goal de la Fédération haïtienne de football. Les retombées de ce scandale se sont multipliées à plusieurs niveaux et sont devenues virales dans tous les médias sociaux tandis que l’article du Guardian a été publié en partie ou en totalité par la presse nationale et internationale. 

Nous avons visualisé l’une des vidéos accompagnant  l’enquête du Guardian. Cette particulière vidéo nous montre Dadou lors d’une interview avec une jeune joueuse adoptant une posture,  aux yeux de certains, non professionnelle, laissant même à désirer: sa main droite caressant de manière intermittente l’épaule de la jeune fille apparaissant à la fois apeurée et même gênée. 

Tout de suite, on s’est dit  qu’on n’est pas en Haïti,  le pays des “voye monte”, que le NYP et “The Guardian” ainsi que “Gazetta italia” ne prendraient pas le risque de publier de telles accusations dans leurs colonnes sans mener au préalable des enquêtes y relatives.

Quoi de plus naturel de partir à la recherche d’informations supplémentaires en provenance d’Haïti? Tout en  sachant cependant que dans ce pays, il y a la pérennité d’une culture d’impunité, bénéficiant surtout les personnages puissants et proches des pouvoirs établis. D’autant qu’il y existe une presse «mi-figue mi raisin»!.  On a fini par vite comprendre que de tels cas ne seraient pas soulevés par les médias locaux avec une telle vigueur, certains de la presse se faisant  parfois complices des forfaits allégués plus hauts. Parfois même ces sortes d’assertions sont traitées dans la partisanerie et de façon sentimentale, la recherche de la vérité étant perdue dans des démarches  non respectueuses des faits et de la dignité des gens. 

Tout ceci pour dire que rechercher des informations supplémentaires en Haiti  s’est avéré peu productif.

Le sentiment de honte, comme le sentiment de culpabilité, implique parfois la douleur. En Haïti, l’on fait tout pour instiller la « honte » dans l’âme des victimes, alors que les délinquants sont traités avec compassion et indulgence. Les victimes d’abus sexuels partout à travers le monde sont généralement traumatisées et gardent de telles cicatrices pendant longtemps durant leur existence.  Il existe chez les victimes d’abus sexuels une honte liée à l’indignité sociale et aussi à la problématique de l’honneur ou tout court  à la perte de la dignité humaine. 

Haïti de nos jours, avec l’instabilité politique et la corruption à grande échelle qui y règne, connaît également des trafics illicites d’enfants ces derniers temps…Haïti est  classée comme un carrefour de trafic  d’organes humains selon plusieurs reportages. Dans la conjoncture du pays, l’on ne verra pas des enquêtes exhaustives sur les inconduites sexuelles dans la presse haïtienne pour les mêmes raisons que la corruption sert aussi à entretenir certains médias et à payer certains journalistes.

Depuis la nuit des temps, le pouvoir et la sexualité s’entremêlent  un peu à travers le monde. Même aux États-Unis ces actes font aussi l’objet d’actualité mais sont des fois vite réprimées, et pour cause.  Les abus et l’exploitation sexuels ne datent pas non plus d’aujourd’hui en Haïti.  Depuis l’époque de la dictature, ces cas se répètent, se répercutent “dans des salles vides” pour refaire surface un certain temps après. Ti Manno du “DP Express”, de regrettée mémoire, dans une de ses chansons hits des années 80, chantait “ Korije, se pou nou Korije”. Cette chanson qui était comme un leitmotiv durant cette époque  en Haïti n’a pas réussi jusqu’ici à sensibiliser les âmes dures. Certains patrons en Haïti exigent de ses mains-d'oeuvre de sexe féminin une soumission totale, et leur offrent des cadeaux inappropriés et n’acceptent pas un « non » comme réponse à leurs avances sexuelles. Et avec la précarité d’un système judiciaire, on peut facilement acheter une conscience en graissant la patte.

Dans un pays où la justice n’existe presque pas, un criminel peut se retrouver en toute liberté et mettre en déroute ses accusateurs.En Haïti, le silence est le seul roi, c’est l’aboutissement d’une capitulation obligée face à un système judiciaire « injuste », « bancal »,  « corrompu » et « ineffectif ». Les victimes sexuelles ont souvent honte de dire ce qui leur est arrivé, craignant des représailles de la part de leurs agresseurs qui, en général, occupent le devant de la scène ou jouissent des positions dominantes dans la société. Ces victimes craignent d’être à nouveau traumatisées…

Yves Jean-Bart a été réélu six fois à

la tête de la fédération du football.

Est-ce la descente aux enfers de Yves Jean-Bart ? Une icône du sport en Haïti ! Qui de notre génération ne se souvient pas de Dadou ? Jeune adolescent, je me rappelle avoir vu ce jeune médecin obtenant son diplôme  de la faculté de médecine en 1973, à l’auditorium adventiste à côté du Rex Théâtre à Port-au-Prince. Parmi ces diplômés (de cette promotion de Rosalvo Bobo) il y avait Louis J Auguste, Serge Jabouin, Yves Defay, Ludner Confident, Bernard Beauboeuf, Wilfrid Gabriel, mon frère Carl Gilbert, l’un de nos grands chirurgiens encore en pratique aux États-Unis.

Durant cette même époque, Yves Jean-Bart faisait aussi partie de trois brillants chroniqueurs sportifs de l’époque: il s’agissait de Yves Jean Bart (Dadou), Dr Grégoire Eugène Jr (alias Grégy) et Jean-Claude Sanon. Ce trio représentait pendant longtemps les vrais professionnels du journalisme sportif dans le pays. C’était aussi l’époque d’or dans le domaine sportif, la sélection haïtienne de football participait pour la première fois à la coupe du Monde. C’étaient bien eux, lors du Mondial de Munich en 1974, qui nous retransmettaient le match de notre onze “nationaux’ en Allemagne. Je me rappelle aussi  être à l’écoute de mon petit récepteur de l’époque, vivant avec désarroi  l'écrasante victoire de l’équipe polonaise sur Haïti, la voix de Dadou qui criait “Fly de Plantin et but de Lato”…

Depuis, Dadou est resté un promoteur inconditionnel du foot en Haïti, devenant par la suite le président de la fédération haïtienne de football en 6 fois. Il a contribué activement à l’émergence du football féminin depuis l'époque des Tigresses et des Amazones, où il  existait de fameuses joueuses comme Guerina Faubert, Gracita; les soeurs Marie-Antoinette, Jacqueline et Elsie Gauthier etc...qui ont fait  de bonnes figures  en Haïti et à l’étranger en maintes occasions. Dadou jusqu'à nos jours reste une figure emblématique du sport en Haïti.

Maintenant  il y a des allégations d’abus sexuels sur les mineures portées contre lui, cet homme que j’avais vu devenir médecin qui, comme tous les autres de sa classe,  avait adopté probablement ce dicton: Primum non Nocere (tout d’abord, ne pas nuire). Tout en condamnant avec rigueur de telles atrocités, de tels actes  d’immoralité, de tels actes de viol présumément perpétrés surtout sur les mineures à qui il doit sa protection, nous souhaitons voir Dadou s’écarter de sa fonction de président dans le plus bref délai, afin de faciliter une enquête judiciaire indépendante de ces allégations qui malheureusement sont en train de défrayer la chronique de l’actualité. Le fera-t-il? On n’en est pas certain, vu l'agressivité qu’il a déployée au cours de sa conférence de presse pour nier ces allégations ce mercredi 6 mai 2020, menaçant d’intenter des procès contre les auteurs du Guardian ou autres responsables de la publication de l’article le concernant. Il a droit à se défendre, vu la présomption d’innocence attribuée à tout accusé dans un système judiciaire digne de ce nom. Mais Dadou peut-il mener à bon port la FHF pendant qu’il se bat pour sauvegarder sa réputation? C’est la grande question qu’on doit se poser.

N'est-ce pas le cas de se demander également: est-ce la descente aux enfers du sport en Haïti et en même temps ce qui adviendra de ces jeunes étoiles montantes du foot haïtien?

Herve Gilbert