Marie Vieux Chauvet 16 sept. 1916 - 19 juin 1973 |
Par Mérès Weche
C’est vieux déjà, le départ de Marie Chauvet, par ce triste
matin de 1973. Dans les lieux du souvenir où se retrouvent nos célèbres
écrivains, poètes, peintres et musiciens, je ne saurais ne pas m’entretenir
avec eux, comme j’ai pu le faire avec un étranger comme Jean de La Fontaine,
qui ne m´a pas privé de ses prescriptions morales. Avant lui, Tiga m’avait
accompagné pendant de bonnes heures dans cette solitude accablante de mon
atelier qu’il me fallait prendre par les couilles si je voulais avoir raison d´elle,
la cruelle. En fait, il faut arriver à convertir cette maudite solitude en
opportunités de création ; état d’esprit fait de tempérance et d’amour. En ces
temps de réclusion, beaucoup d’entre-nous sont pris de colère et même de folie
; il m´a fallu m´adresser à Marie Chauvet pour en savoir plus de ces êtres
confus, ondoyants et divers, nés de M. Virus et de son épouse Corona.
Marie Vieux Chauvet , auteure de la danse sur le volcan
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C’est avec prodigalité que Marie Vieux Chauvet m´a donné le nom
de chaque enfant de ce couple, ainsi que les sentiments contradictoires qui les
animent. Vivant à Jacomel, et se nommant respectivement Belle Amour, Colère et
Folie, ces progénitures de la famille Virus-Corona, m´a-t-elle dit, ont entre
eux une longue histoire. Jérémy, un poète de La Grand-Anse, épris de Belle Amour,
un soir de carnaval national, se voit dans la pénible obligation de ne pas
s’aventurer dans La Voldrogue en crue, par ce temps de confinement, pour aller
leur apporter des feuilles médicinales en cette fête du 1er mai. Douleur atroce
pour ce cœur aimant. Cloîtré dans une solitude amère à la Cité des Poètes,
Jérémy voit se défiler dans ses souvenirsː La Gosseline qui lui souhaitait la
bienvenue ; Morné, qui faisait du karaté, et qui prenait une pause pour le
saluer, tandis que la ravissante Belle Amour, cette éblouissante beauté de
Jacomel, lui avait capté le cœur en la voyant pour la première fois au Bel-Air.
Un vrai coup de foudre.
Marie Vieux Chauvet, auteure de :
Amour, colère , folie
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Belle Amour, poursuit Marie Chauvet, vit à la rue Baranquilla
avec ses deux sœurs, Colère et Folie, dans une grande maison gingerbread, comme
sait les peindre Éric Girault, avec leurs toits effilés en forme de flèche ; de
vrais emblèmes du patrimoine architectural de Jacomel. Dans son reclus en
Grand-Anse, songeur, Jérémy revoit ces mascottes, révélatrices de nos bonheurs
et misèresː ces bons vieux temps de la Perle des Antilles, ces grandeurs
qu’enviait toute la Caraïbe, et aussi cette décadence de notre fierté de
peuple, à l’origine de toutes les libertés et jurisprudences nègres
postcoloniales. Ces mascottes que sont des rats musqués, des dindons de la
farce, des rusés renards, des chiens huants, des tigres altérés de sang, tous
en papier mâché, défilent le long de la rue Baranquilla, pour nous rappeler que
l’artiste nous regarde faire aujourd’hui, bon an mal an, et qu’il peut nous
reproduire, dans notre fragilité de “papier“, laissant aux générations futures
le soin de nous juger dans nos moindres faits et gestes.
Colère, me dit Marie Chauvet, par ses sentiments d’offense, de
jalousie et d’agression, a mis sa sœur Belle Amour dans tous ses états, pour
avoir charmé Jérémy qui, dans sa frivolité, s’est envoyé en l’air avec elle.
Marie Chauvet en profite pour me rappeler ces gens en “uniforme“ qui, un beau
matin, s’étaient installés dans une propriété, pour finalement y voler, en toute
impunité, et les terres, et les cœurs.
Folie, me dit-elle, en voyant sa sœur Belle Amour se faire
évincer par son autre sœur Colère, s´est fondue dans une affection mentale
grave, jusqu’à être échappée au contrôle de la raison. Confinée toute seule dans
sa chambre, elle se prive de tout contact avec ses proches. Jéremy, pour sa
part, conscient de son acte déraisonnable et excessif, est parti en Grand-Anse
voir sa Tante Atémise pour l’aider à guérir Folie de cette malheureuse démence.
Mérès Weche
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