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Tuesday, November 2, 2021

Mérès, loin des entourloupes du panier à crabes

Mérès Wèche

Par Leslie Péan, 27 octobre 2021

« Tout compte fait, Haïti est peuplé de vivants-morts et de morts-vivants qui n’entendent pas lâcher-prise dans leurs attaches, même au-delà de la tombe ». Dans ce texte intitulé « Les Saints ont peur : l’analogie de la tragédie haïtienne », inspiré de la toile du radeau de la Méduse de Géricault, Mérès Wèche avait fait, il y a deux ans, avec une pointe d’humour, l’histoire d’un rendez-vous avec Lucifer que s’est donné la société haïtienne depuis 1957. À travers l’art, la culture, la peinture, l’écriture, la langue créole, le sport, la mode, la musique, etc., le combat est mené de mille et une façons pour l’émergence d’une autre ligne de pensée permettant de combattre l’assujettissement de la majorité.  La vassalité de la multitude. « Un appel au réveil à la conscience du peuple haïtien », comme l’exprime Joseph Léandre dans son ouvrage intitulé Encre de Rage.

Utilisant la radio, l’internet et les réseaux sociaux, Mérès Wèche s’était investi à fond dans cette mouvance de libération. En tant qu’Haïtien, mais aussi et surtout en tant que citoyen du monde. Un combat aux multiples rebondissements qui valident le côté positif de sa démarche. En s’appuyant sur les traités internationaux signés par Haïti. La lutte pour les droits humains donne une nouvelle vie à celle menée pour les luttes démocratiques. J’en ai fait personnellement l’expérience il y a une décennie lors de ma participation à ses côtés à l’émission Ki moun ou ye ? de Radio Caraïbes animée par Serge Pierre-Louis. C’était autour de la célébration de Livres en folie 2011 où je signais Le Prince noir de Lillian Russell, ouvrage co-écrit avec Kettly Mars. On ne peut que regretter que Mérès soit parti de sitôt et qu’il ne soit pas le témoin des résultats de sa méthode consistant à partir de l’ancien pour arriver au nouveau. Représentant le peuple de la diaspora, son attitude est restée la même, jusqu’à son dernier jour. Quoi qu’on en pense !

Ce ne seront plus des ouï-dire, à un moment où le Covid fait tomber sur nos rêves cette camarde dont nous avons tant parlé ces derniers mois. Un sujet d’actualité, donc. Suite à la disparition au début du mois de Février 2021 du peintre et journaliste Wébert Lahens et à l’occasion de la mort de Franck Louissaint, peintre hyperréaliste haïtien, Mérès Wèche lui avait consacré de jolis mots. Il disait, citant Malraux, que Louissaint venait « d'emprunter cet autre court chemin de l'homme à l'homme qu'est la mort. » Et il ajoutait, en désaccord avec l'auteur de La Condition humaine: « La mort, tend-t-elle, ces derniers jours, à supplanter l'art en Haïti, pour devenir ce raccourci de l'humain à l'humain […] ? ». Le monde artistique et pictural se trouve donc en pleine détresse avec la mort de Mérès Wèche dans le sillage de celles de Franck Louissaint et de Wébert Lahens.

Henri Piquion a jeté un éclairage particulier sur la vie professionnelle de Mérès Wèche  en retraçant son parcours montréalais, sinon canadien. Un parcours réalisé en dépit des pratiques de l’entourloupe qui tiennent lieu de politique. Entourloupe que Wèche qualifiait justement de « panier à crabes  où s’entredéchirent toutes sortes de phratries sociales, politiques, littéraires et artistiques ». Délaissant cet espace surfacturé comme celui de la galerie d’art DiaspoArt de la rue Beaubien, où il avait mouillé son bateau d’abord, il leva les voiles pour jeter l’ancre au 333-335 de la rue Emmery dans le Quartier latin, un coin plus clément, entre l’UQAM et le Cegep du Vieux-Montréal.  Plus tard, au café Thélem, Mérès devait rendre au centuple ce qu’il  avait appris en écoutant ses aînés. Attentivement. Il y a séjourné en gardant  sur lui  l’empreinte durable de l’expérience de ses prédécesseurs.

Après 1986, il met le Cap sur ce vieux port de la Caraïbe où la liste d’attente est interminable. Pour mettre en pratique de nouvelles directives avec un accent particulier, mais sans complaintes exagérées dans ce sentier devenu parcours du combattant. Entretemps, il ne cesse de produire des textes sur des sujets variés : Le songe d'une nuit de carnage  (2011) Le plus long jour de chasteté (2013); Alexandre Dumas, monsieur le général  (2014) ; Débat Français-Créole, une querelle de ménage ; Frankétienne s'est échappé (2018). Des pistes de réflexion indépendantes et des propositions rigoureusesIl ne s’est pas servi de l’âge de la retraite comme prétexte pour démissionner et se taire. 

La séduction chez Mérès le libertin a causé bien des scissions dans des cœurs et dans des couples. Sa passion pour la beauté n’était pas que théorique. Évidente résonance des thèses de Giambattista Vico sur la complexité du monde réel et la nécessité de trouver les mots justes pour parler d’un vécu. Mérès cultivait un sens élevé des mots, l’amour des mots, l’amour de la Grand'Anse, particulièrement de Beaumont, sa terre natale. Bref, l’amour tout court.

Mérès était tout ça et plus encore. On notera à cet égard sa manière d’aborder le réel face à une opposition réduite à se contenter d’offensives diplomatiques de parade. Aux prises avec ce qu’il considérait comme un cas d’école, il trouvait ces options trop légères. Un constat fait par bien d’autres qui plaident pour des offensives d’un autre genre, sans s’écharper sur les détails des mesures transitoires. Il avait compris que le mal est plus profond.


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