« Chantoutou, j’ai mis ta pomme dans ta valise. Avant de la manger, tiens-la dans ta main, tourne-la, envoie-la en l’air pour que les p’tits amis la voient. Ok Chantoutou ». C’est une scène dans la comédie « Ti Sintanise » de Maurice Sixto, soulignant à l’encre rouge le bovarysme1 dans le comportement de tout un peuple, de tout un gang de « Péteurs de tête2 », qui entretient, avec la folie des grandeurs, des connivences délétères devant une sorte de miroir inversé.
Composant avec un snobisme de mauvais aloi, untel se cache dans la chambre pour manger sa « Cassave à Mamba » ou s’étale sur la galerie pour déguster, avec fierté, sa céréale transformée, de marque « Corn Flakes », avec vue sur le quartier, ignorant que la première est une fibre naturelle très utile, dénuée de produits chimiques et de saloperies ajoutées.
Voilà pour pleurer au lieu d’en rire! Haïti, je crois, demeure le seul pays où le voisin doit être le sosie de son vis-à-vis pour se sentir à hauteur d’homme. La concurrence est vive entre concitadins. Le désir de se montrer, de se faire valoir est tellement singulier que les premiers Arabes débarqués à Port-au-Prince ont pu faire fructifier leurs maigres économies en exploitant ce travers enfantin, en nous vendant des « miroirs aux alouettes », achetés dans les bas-fonds de Brooklyn ou de Paris. C’est un reflet de notre identité, sans aucun idéal d’authenticité, touchée par un mal psychique assigné à une sous-culture qui dévalorise notre ascension. Dans les années 30, Jean Price-Mars l’avait déjà souligné en le classant comme « le bovarysme collectif de l’élite haïtienne ».
Aujourd’hui, c’est encore
pire, si vous trouvez un Haïtien dont le fils n’étudie pas à l’étranger,
envoyez-le chez un psy, car il y a problème en la demeure. C’est la mode du
moment : les fonctionnaires, les politiciens, le petit marchand du coin, même les
chômeurs! Tout le monde le fait. Fais-le donc! En conséquence, le besoin
crucial d’argent devient une course à relais dont le perdant est connu
d’avance : c’est Haïti où la prédation est érigée en système.
Oubliez la concurrence dans les bâtisses, les châteaux, les voitures de grand luxe. Les concessionnaires automobiles ne rechignent point d’ouvrir des succursales de marque Rolls-Royce ou Lamborghini dans le pays où les rues et les routes sont des pistes dédiées au safari africain. Il n’est pas loin le jour où vous verrez, en exposition, immobile dans certaines entrées de chez nous, la voiture de l’heure, la coqueluche de la modernité, la Tesla3 de Elon Musk3, même sans électricité dans le coin. La nation « la plus pauvre des Amériques », expression prisée de toutes les télévisions du monde, surprend vraiment les visiteurs. À les entendre, le premier venu croirait atterrir sur l’île aux macaques.
Face à ce désir fou de jouer aux matamores, de s’exhiber, des esprits tordus et malhonnêtes ont vite fait de repérer la potentialité de tirer leurs marrons du feu en surfant sur l’ignorance de toute une île, prête à vendre son âme dans la forme ultime du déni et dans l’aliénation raciale et culturelle. C’est ainsi que la drogue, cet élixir des héroïnomanes accrocs, a pu trouver une base opérationnelle sans concession pour son expansion. D’année en année, malgré la présence soutenue de la « Drug Enforcement Administration » (DEA), et les quelques arrestations spectaculaires, les contrebandiers s’y sont installés à demeure et Kiskeya4 est devenue leur usine à blanchir l’argent sale.
Profitant de la faiblesse morale et culturelle de nos frères qui rêvent toujours de richesses vites faites, les bandits se sont organisés en « Syndicat du Crime » pour acheter la nation dans sa globalité : individus, policiers, juges, institutions, gouvernements, églises, pasteurs, oppositions, parlements…amenez-en !
Comme la Constitution du pays leur a offert, sur un plateau d’or, une faille magistrale pour se payer l’île, avec son « gouvernement tournant » à chaque cinq ans, le « Syndicat » en prend le contrôle absolu, place ses hommes de paille, arrose l’opposition de « Bidols5 » pour contrebalancer la donne, au rythme de ce refrain chantonné en chœur : « Haïti, ce yon paradis… — Ce ladan’l pou’n mouri ».
Ainsi, tous « les fanfans qui ont bien su leurs leçons seront récompensés » à chaque cinq ans. Les portes tournantes du pouvoir dont le Syndicat a la clé seront ouvertes aux plus « obéissants ». Les futés ou les hésitants seront châtiés. Le plus bel exemple fut appliqué dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021.
Selon une enquête approfondie du New York Times6 du 21 août 2021, toute la sécurité de la présidence mangeait allègrement dans les râteliers du Syndicat. Il soutient que « les responsables américains et des Nations Unies affirment que le commerce (de la drogue) prospère grâce à un éventail de politiciens, d'hommes d'affaires et de membres des forces de l'ordre qui abusent de leur pouvoir ».
À titre d’avertissement, le
7 juillet fut un message sonore pour tous les « abrutis » qui pensent
doubler cette mafia. Elle ne badine pas. Que les faux braves aillent se faire voir
ailleurs. Que les moralistes prennent leurs jambes à leur cou. Si tu n’aimes
pas la purée…alors…!
Néanmoins la valse des « valises diplomatiques » se poursuit à la p’tite semaine. Les voyages gouvernementaux sans agenda et sans but se multiplient à l’infini. Plusieurs millions de dollars changent de main sous l’œil médusé des surveillants internationaux. Avec des techniques vieilles comme le monde, qui leur ont facilité la tâche, les fortunes sortent ou rentrent dans l’île en chantant, via les transferts bancaires et les transactions en ligne, les cartes diplomatiques, les mules et autres artifices pour tromper les douaniers trop prompts. Haïti est connu comme le meilleur « Dry Cleaning » de la Caraïbe.
À titre d’exemple, ne vous étonnez jamais de constater que notre coin de terre est le seul au monde à accepter toute une flopée de Consuls Honoraires, supérieure à son ratio par nombre d’habitants. Qui sont-ils, ces gentils requins? Ce sont généralement des commerçants haïtiens en transition de classe, fous de titres, qui, par snobisme, se prennent pour dieu selon le reflet de leur propre miroir.
Plusieurs de ces nominations ont été obtenues moyennant paiements. Certains de ces pays complaisants ne savent même pas si Haïti se trouve sur Mars ou sur la Lune. Quelques-uns de ces diplomates de pacotille ont préféré participer au jeu du « Pwenn fè pa7 ». C’est une tradition florissante. Divers autres, auréolés de ces nominations, forts de leur pseudo-protection, ne paient pas une cenne d’impôt. Les économies vite engrangées sur le dos du peuple devraient se mettre à l’abri, le plus tôt possible, hors du pays où le soleil réchauffe parfois, un peu trop rapidement, les esprits de certains associés aux longues dents. En ce sens, plusieurs de ces nominés avaient trouvé leur réelle vocation en étant des blanchisseurs avérés.
Pour ce faire, les espèces rares sont utilisées pour ne pas éveiller les soupçons. Les grosses coupures, à l’exemple des billets de 500Eur ou de 1000 dollars américains, plus malléables, peuvent être enfouies allègrement dans les poches d’un veston. Par exemple, 400 billets de 500 Eur, équivalant à 200 000,00 Eur en petites coupures, peuvent être cachés facilement dans une pochette de cigarettes vide. Il en est de même pour 400 billets de 1000,00 $ US, l’équivalent de 4oo 000 Bidols5. Dans ce cas, ce n’est pas un terrain de jeu pour enfants sages. C’est la mafia de haut niveau.
Dans cette perspective où le syndrome colonial nous laisse encore avec des séquelles non traitées, où des filous avec le vent en poupe, tout en étant les maîtres de céans, exploitent les travers de notre faiblesse identitaire, voyez-vous un avenir pour cette nation, Haïti aura-t-elle une chance de s’en sortir ?
Il n’y a aucune raison de
désespérer. Le mal est une tare contre-nature. Un héros de la race peut surgir
de manière inattendue un de ces quatre. Les génies n’ont pas d’âge ni de date
de péremption. Par conséquent, le salut d’Haïti est encore possible. Espérons-le,
si nos « Péteurs de tête2 » de frères peuvent
arrêter leur numéro et revenir sur terre en cessant de surfer sur un miroir à
deux faces qui exacerbe les divisions !
Max Dorismond
NOTE
1
– Bovarysme : comportement qui consiste à fuir dans le rêve
l’insatisfaction éprouvée
dans la vie. (Larousse)
2- Péteur de tête : des individus qui vivent
dans l’illusion, en se donnant des rôles.
3- La Tesla de Elon Musk : Voiture
entièrement électrique, se conduisant tout seul à l’aide d’un ordinateur. Elon
Musk est son concepteur.
4- Kiskeya :
Ancien nom d’Haïti en langue Caraïbe (Wikipédia)
5– Bidol: un nominatif comique du « dollar $$ » dans le
langage populaire haïtien.
6 - https://www.nytimes.com/2021/08/21/world/americas/haiti-president- assassination-drugs.html (The New-York
Time)
7
- Pwenn fè pa : expression créole signifiant :
sans pitié, pas de quartier
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