Michaëlle Jean, Secrétaire générale de l'OIF |
Par Max Dorismond
Permettez que j’introduise ma réflexion par cette citation du poète
grec Sophocle, écrite il y a de cela plus de 2500 ans : « Il est impossible de connaître l’âme, les sentiments
et la pensée de quiconque si on ne l’a pas vu à l’œuvre dans l’exercice du
pouvoir. Le pouvoir transmue l’homme ».
En effet, quel ne fut mon étonnement, en lisant le journal « Le Monde Afrique »,
du 8 décembre 2017, de découvrir que l’économiste togolais Kako Nubukpo,
directeur de la francophonie économique et numérique au sein de « l’Organisation Internationale de la
Francophonie » (OIF), a été officiellement suspendu de ses fonctions
par Michaëlle Jean, la
Secrétaire générale.
Kako Nubukpo |
Pour quel crime ? Il a osé se prononcer sur le franc CFA « Franc de la Communauté Financière Africaine »
sur des tribunes, dans des articles et dans un livre éclairant « Sortir l’Afrique de la servilité
volontaire : à qui profite le FCFA ? », écrit avec trois
autres spécialistes de la question : Martial Ze Belinga, Bruno Tinel et
Demba Moussa Dembele.
Dans quelques articles, j’avais traité succinctement le cas de l’Afrique
encore sous le contrôle des anciens colonisateurs. Ce fut un regard naturel d’un
afro-descendant qui se souvient encore de ces dieux tombés. Dans « La France n'entend pas lâcher
l'Afrique face aux assauts des Chinois sur le continent » (Part
1) et (Part 2),
j’avais soulevé la question du Franc CFA, une monnaie de singe, (1 Euro = 656
FCFA), que la France a créée de toutes pièces pour exercer sa tutelle sur les
politiques économiques de ses anciens serfs.
L’idée derrière ce contrôle tentaculaire origine de l’indépendance
haïtienne. Se souvenant de cet accident de l’histoire, l’Europe, se remémore
encore la perte de cette perle au début du XIXe siècle. Face au déficit de sa
balance commerciale, de 1800 à 1803, pour se maintenir à flot, la France a été
obligée de liquider la Louisiane au profit des Américains pour une bouchée de
pain.
Instruite de cette mésaventure, l’Élysée, ne voulant prendre aucune
chance lors de l’émancipation de ses anciennes colonies au début des années
soixante, exigea à 15 de ses 20 protectorats d’utiliser le FCFA et de déposer
leur réserve monétaire à la Banque centrale de France. Ce qui permit à cette
dernière de faire une ponction de 500 milliards d’euros chaque année sur le dos
de ces malheureuses contrées, qui s’enfoncent de plus en plus dans une misère
sans nom. Le contrôle devait être strict dès le début. Sinon, cela aurait été
la pauvreté assurée pour l’hexagone. Cette appréhension est si évidente aujourd’hui
que les caricaturistes ont placé cette phrase dans la bouche du Président
Russe, Vladimir Poutine : « Si
l’Afrique avait le contrôle de son économie, ce serait les Européens qui viendraient
se réfugier chez elle, et non l’inverse ».
Et l’ironie dans cette cynique décision, tous les anciens protectorats
français ne subissent pas cette même cure d’amaigrissement. C’est notamment le
cas de certains États nord-africains, tels que l’Algérie, le Maroc et la
Tunisie qui, depuis leur indépendance, possèdent leur propre monnaie. Hors
d’Afrique, on a le Vietnam et la Syrie qui volent de leurs propres ailes.
Ceci étant dit, connaissant très bien l’état de la situation pour
l’avoir vécue dans sa chair, Madame Jean avait
une occasion en or pour manifester son indépendance en résistant aux
objurgations pour le congédiement de son économiste Kako Nubukpo. L’Afrique, un
continent pauvre avec un sous-sol riche, qui fait vivre des pays riches au sous-sol
pauvre, ne verra pas la lumière de sitôt au bout du tunnel, si les gens en
position de pouvoir ne manifeste pas plus de courage. Bien sûr, Michaëlle
Jean n’a pas l’autorité des grands barons du monde. Elle ne peut changer l’ordre
des choses d’un coup de baguette magique, mais de son strapontin, elle pourrait
tout de même aider à déconstruire le réalisme merveilleux, si rentable dans la
tête de l’ancien colon et de ses descendants. En chevauchant les avantages de
la démocratie, elle pourrait inviter le pouvoir en place, les politiciens en
réserve de la République, les présidents africains dans la francophonie, à un
peu de patience. En s’inspirant des philosophes des siècles passés, les Alexis
de Tocqueville, les Jean-Jacques Rousseau, les Montesquieu, les John Locke etc…
elle aurait ralenti les ardeurs de ces présidents de doublure, de ces jusqu’au-boutistes
en les portant à réfléchir sur les limites du pouvoir d’État et les droits de
l’individu dans la société civile. Avec la réceptivité de la jeunesse curieuse
d’aujourd’hui, on peut élever très haut le flambeau de la réflexion et réaliser
des miracles. Car n’oublions jamais que c’est une goutte de rosée qui crée
toujours les ruisseaux, et les ruisseaux…les rivières… et les rivières les
fleuves jusqu‘à la mer.
Or, le FCFA est un cancer pour l’Afrique. Toutes les tribunes, depuis
des lustres, ne cessent de le dénoncer. En licenciant l’économiste, les
intéressés n’ont pas eu la main heureuse pour autant. Ils viennent d’augmenter
en visibilité le mouvement des protestataires qui n’en demandaient pas mieux.
L’esprit colonial est là pour diviser et régner. C’est un axiome. Se sont-ils
servis de Michaëlle à titre
d’emblème pour faire la sale besogne ? Inexpérimentée ou aveuglée, elle a
mordu à l’hameçon. Toutefois, l’Afrique est au début d’une certaine mutation.
Sa population s’accroit à vue d’œil et dépassera la Chine d’ici 2027. Donc, utiliser
une étrangère pour museler la dissidence est une nouvelle technique pour ne pas
trop effaroucher la jeunesse contestataire.
En claquant les doigts, comme autrefois, ils auraient effacé l’auteur, Nubukpo, de la face de la terre, à
l’instar des présidents rébarbatifs dégommés à partir de 1958, pour avoir osé
résister. En effet, depuis cette date et jusqu’à nos jours, 89 coups d’état et
22 meurtres de présidents de la francophonie ont jalonné les routes du FCFA.
C’est un tableau teinté d’abus et de sang. À leurs yeux, la Secrétaire générale
est le symbole le plus propre par excellence pour admonester vertement
l’écrivain, puisque son pays d’origine a déjà goûté à cette médecine de cheval
en tant qu’ancienne colonie française. En la forçant à avoir la tête de
l’écrivain, ils apportent, pour les naïfs, la preuve que les souvenirs du passé
n’étaient pas trop désagréables à ses yeux.
Effet collatéral de l’application des FCFA
Fatou Diome |
Face au déferlement ahurissant des réfugiés de la mer sur le monde et
surtout sur l’Europe, depuis le début du XXIe siècle, les langues se délient. La
contestation de la jeunesse africaine ne laisse personne insensible. Les
intellectuels, les Panafricanistes ne chôment plus. L’intraitable polémiste Kemi Seba, dans un geste symbolique, brûla un
billet de 5000 FCFA sur la Place des
Martyrs à Cotonou, au Bénin. Il a été arrêté et détenu une journée sous l’ordre
du Président Macky Sall à Dakar, au Sénégal, pour la même raison. L’increvable Fatou Diome, française par naturalisation,
auteure de plusieurs ouvrages, critique sévèrement les frontières de l’espace
Schengen de l’Europe qui se protègent contre la horde des réfugiés arabes et
africains. Dans une mise en garde cinglante, lors d’une émission télévisée,
démontrant la futilité de ces barrières artificielles, quand une vie misérable
ne vaut plus la peine d’être vécue, elle prononça ces mots d’une terrible
lucidité : « Arrêtez
l'hypocrisie, sinon on sera riche ensemble ou on va se noyer
tous ensemble ».
C’est un mouvement irréversible qui ne s’arrêtera point. La visite du
Président Français Emmanuel Macron, fin
novembre 2017, à Burkina Faso et dans d’autres capitales africaines, fut particulièrement
émouvante. 60% des questions pertinentes de la jeunesse burkinabe au Président
Macron tournaient autour des FCFA. Le journal « Le Monde Afrique » soutient que : « Le contexte mondial a vraiment changé. De
nos jours, la France n’a plus les moyens de « punir » un pays, comme
elle l’a fait avec la Guinée ou le Mali. Les pays africains ont de nouveaux
partenaires et des alliés sur lesquels ils peuvent compter ».
Position de l’ancienne
Gouverneure du Canada, aujourd’hui Secrétaire générale de l’OIF.
Il n’est pas difficile
de s’imaginer l’inconfort de la situation de Mme Jean dans cet imbroglio. Femme
noire, d’origine Haïtienne, bien imbue de la galère des anciennes colonies, qui
doivent suer sang et eau pour payer une rançon éternelle à l’ancien maître,
elle se trouve cependant obligée de pactiser avec plusieurs des présidents
africains qui avaient voté pour elle, même quand elle sait qu’ils ne sont en
réalité que des marionnettes manipulées par la France. Oui, elle doit
sauvegarder sa réélection et conjurer le mauvais sort quand un Alassane
Ouattara, le Président ivoirien, ou
encore un Emmanuel Macron, le Président de la France, brandissent peu
diplomatiquement les noms d’éventuels candidats à son poste en 2018.
La Secrétaire Générale peut-elle se ressaisir et nous éblouir par une
action d’éclat, en choisissant la démission de son poste plutôt que de brimer
l’Afrique ? Son économiste peut bien se résigner à son sort en
faisant sienne la célèbre citation de Sekou Touré : « Mieux vaut être un nègre pauvre et libre que
d’être riche et esclave en même temps ».
En posant ce geste d’éclat, naturellement, elle contribuerait
puissamment à l’essor du Panafricanisme
1
et servirait un retentissant camouflet aux puissances maléfiques, dans ce
contexte vicié où l’argent demeure la
seule prérogative et l’unique boussole des potentats. La mémoire Nègre, éternellement
reconnaissante, aurait, une fois pour
toutes, inscrit son nom en lettres d’airain au frontispice du Musée de
l’Histoire des Afro-descendants. Et nous, Haïtiens, avec le souvenir d’avoir
déjà façonné la conscience de l’homme occidental, nous aurions ajouté au
palmarès celle de l’homme africain.
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