Par Max Dorismond
Dans des livres percutants, dans
des textes pertinents sur les réseaux sociaux, on s’évertue à dépeindre, à
dénoncer la situation d’Haïti sous toutes ses coutures avec l’espoir de dessiller
les yeux des gouvernants pour une meilleure gestion, gage de lendemains
chantants. Mais c’est peine perdue. Le vide ne retourne même pas son écho. Et
le pays s’enfonce allègrement dans le gouffre béant, sans espoir de rédemption,
au point de se demander s’il n’est pas mieux de se résigner, de laisser fondre
la neige, ou se rabattre sur la dernière strophe de « La Mort du loup » d’Alfred de Vigny et se répéter en son for
intérieur :
« Gémir,
pleurer, prier, est également lâche.
Fais
énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie
où le sort a voulu t’appeler,
Les dirigeants haïtiens doivent se mettre à l'ouvrage |
Avant d’aller plus loin dans ma
réflexion, permettez que je vous résume l’objet de ce sketch, puisque certains
risquent de ne pas pouvoir ouvrir la vidéo attachée qui provient de l’interface
« WhatsApps 1 ».
Voilà ! Plusieurs des
nominés avaient beaucoup de difficultés à débiter le serment d’office. Mais,
particulièrement pour l’un d’entre eux, ce fut une montagne à gravir, tant il avait
de la misère à prononcer les simples vocables : « Je Jure ». Ces mots culbutaient sur
sa langue et se bousculaient entre ses dents, s’entrechoquant pour sortir en une
cascade de « Je ju, Je zu, Je gu, Ji
gu, Ji go, Je su, Jezus ». Une éternité pour le pauvre hère. Entretemps,
toujours dans la vidéo, on aperçoit en filigrane le visage de Jésus-Christ, un Jésus
interrogateur, qui finit par se demander, en créole : « Ou kwè sé mwen ? » - « Est-ce qu’il m’appelle ? ». Métaphore
pléthorique, certes ! , mais ravageur pour un pays dont plusieurs de ses
fils ont déjà acquis leur lettre de noblesse sous d’autres cieux.
La vidéo de la prestation de serment
L’humour est une arme dissuasive
contre l’intolérance et l’obscurantisme. Dans le cas présent, Il s’agit d’identifier et de
dénoncer un échec éducationnel et institutionnel majeur sur lequel Daniel G.
Rouzier s’est penché, cette semaine, dans un texte éclairant, « L'appel de détresse du pays en
dehors ». Je vous invite à le lire. L’humour a toute sa raison d’être
dans l’ambiance démocratique courante. Comme le maringouin qui empêche de
dormir, il ne faut laisser aucun répit à nos gouvernants. Les tenir éveillés
devrait être la mission des humoristes pour obtenir même un semblant de
changement dans l’éducation des laissés pour compte, dans l’éducation de
l’arrière-pays, toujours négligée. Le grand Voltaire, qui avait introduit le mot
« humour 2 » dans la langue
française, en avait usé à satiété pour mettre à genoux le clergé autoritaire et
abuseur de son époque. Pour lui, l'ironie a une
vertu pédagogique, en démontrant l'absurdité des croyances nées de
l'obscurantisme, de la dictature des religions, et les dangers du fanatisme…
À la prochaine joute, les
candidats arrivent avec des slogans rassembleurs, les uns plus vides que les
autres, tels, par exemple, le fameux « Terre-Eau-Soleil-Bras »
de Jovenel Moïse, un slogan de marketing à faire rougir les idiots. Entretemps,
toutes les places sont déjà occupées par des ignares, des incompétents, des
analphabètes, des corrompus jusqu’à l’os et les réserves de la république en
débordent encore. Plus de 5 millions piaffent déjà dans les antichambres
électorales, attendant leur tour pour ronger l’os jusqu’à la moelle. Rien n’a
été entrepris pour corriger ce nivellement par le bas, cet analphabétisme galopant
et opérant dans un cercle vicieux. On a introduit un créole comme langue
officielle, mais c’est un créole « dent
surette » qui empêche de faire le lien avec l’autre langue. Un créole,
qui, s’il était bien pensé, bien enseigné et en harmonie avec sa racine à 95%
francophone, aurait évité ce cirque national lors de la prestation des CASEC.
Durant les années 60 et 70, l’élite
savante du pays a été exilée manu militari. Les crétins restants avaient formé,
à leur tour, de plus en plus d’autres crétins pour contribuer, selon le terme
de Leslie F. Manigat, « à la
médiocratie triomphante par le poids du nombre ».
Comment peut-on penser
développement avec une armée de nigauds ? À les écouter, ils sont tous
diplômés des grandes Universités d’outre-mer. Les faux diplômes foisonnent et
tapissent les bureaux et Haïti s’enfonce de plus en plus. Un jour viendra où
certaines Universités étrangères auront, soit à reprendre, soit à diminuer la
valeur de certains parchemins face à ce constat d’échec collectif. C’est à
perdre son latin ...
Faire la guerre, verser du sang
n’est pas du tout la solution. C’est ajouter d’autres drames à la somme des
malheurs qui submergent ce pays, déjà aux abois. En l’occurrence, la moquerie
est une forme d’esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à s’en
détacher. Elle s’accompagne d’un jugement. Les humoristes, dans l’ensemble,
demeurent des acteurs majeurs du débat public et identitaire. La dérision, bien
plus qu’elle en a l’air, est une forme de contre-pouvoir. Servez-vous en !
C’est votre combat. Il faut remonter à l’envers du statu quo. Ça a trop duré.
En attendant, « si vous avez l'impression que vous êtes trop petit pour pouvoir
changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique ... et vous
verrez lequel des deux empêchera l'autre de dormir ». (Le Dalaï Lama)
Par conséquent, frères
malheureux, je me permets, avant toute chose, de vous laisser avec ce précieux
conseil : Réunissez-vous et exigez la réouverture de la Constitution du
pays. Exigez des lois autorisant l’élection d’un gouvernement rééligible sans
limite du temps de sa gouvernance. Les joutes électorales se chargeront de
départager le bon grain de l’ivraie. Diminuez le pouvoir de coercition des
Parlementaires sur l’Exécutif pour éviter le chantage et l’introduction
d’idiots patentés à la tête des institutions étatiques. Introduisez un maximum de balises pour
l’acceptation des candidats à tous les postes électifs. C’est la seule façon de
garder quelques sous dans la caisse. Sinon, vous êtes tous condamnés à nourrir
toutes les banques étrangères à chaque cinq ans. Car, comme je l’ai déjà
souligné, « Haïti est le seul pays
où la plupart des hommes politiques, et certains fonctionnaires, sont plus
riches que ses hommes d’affaires ».
Max
Dorismond
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