Utilisé pour leur besoin primaire |
Si j’étais un romancier, je commencerais ce
conte fantastique de cette façon : « Flottant dans un lac de dollars
verts, où l’existence d’aucune contrainte ne vient perturber la clarté et la
douceur de l’onde, plusieurs roitelets
d’Haïti, depuis plus de huit ans, se vautraient allègrement dans la fraîcheur
des jours au rythme des tintements des calculatrices multipliant leur richesse
à l’infini à chaque « contrat bidon »,
sans le souci d’un éventuel contrôle externe. Pour eux, la terre est carrée.
Tous les chemins mènent tout droit au paradis. Avec les papiers-dollars, ils
roulent leurs cigares. Ils y griffonnent des notes d’amour à leurs nombreuses
maîtresses. Il y en a tellement qu’ils s’amusent à les assembler pour les
utiliser, pour le plaisir de la chose, comme peignoirs ou serviettes de bain et
même pour leur besoin primaire à titre de papier hygiénique. Ils ont le cœur à la fête. Leur printemps est
toujours éclatant et leurs yeux sont pétillants d’étoiles. Ils mènent la vie de
Pacha. Mais, dans la vapeur éthylique de l’exaltation de l’heure, l’un des écorcheurs se réveille soudainement dans
un état de névrose. Il vient de constater brutalement que personne ne pourra
cacher indéfiniment le soleil avec sa main. Tout dans la vie a une date de
péremption. La frontière entre l’enfer et le bonheur est parfois très mince. En
conséquence, tous les lendemains ne seront jamais éternellement chantants. La terre est en réalité très rondelette. Dans
une éventuelle courbe, un jour venu, on peut croiser l’ombre de son cercueil.
Ses brusques inquiétudes ont interpellé les autres pilleurs de nation. Ils se proposent immédiatement d’échafauder un
plan pour protéger leur arrière ».
« Trouvons,
disent-ils, un enfant de la plèbe, à titre de bouclier, comme président. Dans
la « Jarre à Chavez », faisons mine d’offrir à ce souffreteux
l’occasion et les moyens d’aider le peuple. Reconnaissante, cette masse, enthousiaste
et heureuse, le choisira au pied levé pour le placer au Palais national. Et,
pour services rendus, cet hurluberlu, sans une once d’ingratitude, se fera le
devoir de nous protéger, en cas de règlements, si des intrus nous cherchent
noise pour avoir trop bien mangé. Ainsi, de cinq ans en cinq ans, le temps
s’allongera, les années passeront, les souvenirs s’effaceront et se délaceront.
À nous la belle vie ! ».
Ça, c’est la réalité
romancée. Dans la vraie vie, ils ont facilement dégoté dans l’arrière-pays, un
jeune surdoué, un peu naïf sur les bords. Il a certes des qualités pour
l’entrepreneuriat, mais devant l’offre des maîtres chanteurs, il ne lui est
jamais venu à l’idée que, sur cette île maudite, personne n’a jamais fait cadeau du pouvoir.
C’est un écrin de diamant à hauteur de rêves et d’ambitions, objet de maintes
tentations de 99,99% de ses habitants.
Un cimetière de bagnards |
Pour comprendre la psychose des mystificateurs, il
faut constater que les corrompus de la génération post-duvaliériste ont bien
appris leur leçon. Quand on a vécu dans le nirvana du plaisir spontané, avec
Haïti à ses pieds, riche à millions, on ne peut se permettre d’aller vivre les
affres de l’exil. Quand on a connu le firmament entouré de vierges et de beaux
anges, on ne peut se permettre de redescendre aux enfers. C’est mourir à grand
feu, de chagrin, de remords, de regrets, de dégoût, de solitude en se souvenant
des cieux. D’ailleurs, c’est connu, 90% des richards duvaliéristes en exil ont
déjà rencontré Baron Samedi, assez jeunes. Or mourir en exil, c’est comme
mourir au bagne. Quand on croise parfois les quelques survivants dans les rues
des grandes métropoles occidentales, un peu hagards, fuyant les regards
inquisiteurs de leurs congénères suspicieux, on reste un peu surpris. Malgré
leur richesse mal acquise, ils inspirent une certaine pitié. Et c’est humain.
Ils ont perdu de leur superbe, de leur arrogance, de leur flegme, de leur assurance car, le ciel n’est pas du
tout bleu pour eux. D’où le serment solennel des corrompus d’aujourd’hui: Jamais plus d’exil. Nan Kiskeya poun mouri !
Dans le plan bien astiqué, le jeune prodige, choisi
des dieux, déploie des efforts incommensurables pour concevoir et développer
ses bananeraies, sans penser un instant qu’il est l’objet d’un jeu de dupes.
C’est beau, c’est merveilleux. Des
techniciens israéliens ont prêté leur service pour le drainage et l’irrigation.
Des machineries neuves et rutilantes unissent le ronronnement de leurs cylindrées
à la joie des paysans de la région qui croient apercevoir, enfin au loin, le
bout du tunnel. La presse débarque dans la plaine. Un bateau allemand attend
les containers de banane dans la rade du Cap. Les vidéos You-tube chantent la
consécration de la rédemption du Nord.
Le tout Haïti se voit déjà recouvert de plantules agricoles. Et la plupart
d’entre nous sont ravis, car l’espoir porte un nom : Jovenel Moïse.
Les spoliateurs
avaient vu juste. Leur plan se déroule comme sur du papier à musique, « en opérant, selon l’expression de L.
Trouillot, une perversion efficace de la
sensibilité populaire ». Massivement, le peuple a choisi ce jeune
président à son image. Haïti chante et danse ! La Caravane du changement
s’est mise en branle. La machinerie, toute neuve, héritée des faux projets
d’autrefois, jamais utilisée, abandonnée dans les ravins et hangars des
campagnes, est reconstituée et mise à la disposition de l’homme de l’heure.
Mais, la réalité a vite fait de rattraper le Président tout neuf.
Les caisses sont
affreusement à sec. L’International, déjà échaudé, a fermé la vanne. Le prix du
pétrole baisse. Le capitalisme frileux ne désire pas danser le tango avec les
socialistes du Sud. Le Venezuela est en quasi-faillite. Maduro, le successeur
de Chavez, est dans l’eau chaude. La Jarre de Petro Caribe résonne à vide.
Les bananes pleurent... Agritrans cherche un nouveau souffle
(Une courtoisie du Nouvelliste)
(Une courtoisie du Nouvelliste)
À tous les niveaux,
c’est la déception pour le jeune Président. Même Les
bananeraies pleurent1 leur abandon dans le nord. Ce fut une pure
perte. Les feuilles des bananiers
altières et vigoureuses d’hier, ressemblent à des pantins disloqués aux bras
branlants, suspendus le long de leur corps squelettique. Les lacs artificiels
sont desséchés.
Les bananes abandonnées |
Deux ministres haïtiens avec le maire Coderre |
En fin de compte, en
raison de la faillite économique et du tarissement de l’aide internationale, le
jeune gouvernement a dû concocter un budget qui a fait grincer des dents la diaspora. Debout, tel un seul homme, cette
dernière a offert en guise de désapprobation, un concert d’obscénités, aussi
salaces que cinglantes, au point de forcer
le régime au pouvoir à déléguer deux de ces ministres à la rescousse
pour justifier l’inexplicable.
De crise en crise,
l’affaire du contrat-blackout vient hanter Jovenel. À sa découverte, il est
tombé des nues et s’est rendu soudainement compte qu’il a été cocufié bien
avant la noce. En se mirant
dans un miroir du Palais, ce dernier réfléchit l’image d’un gros ZÉRO, bien
noir. Son entourage le convainc qu’il n’a pas rêvé. Et que c’est bien sa tête.
Pour essayer de
sauver la face et renverser la vapeur, il proposa d’électrifier Haïti par ses
propres moyens d’abord et ensuite, avec l’aide des Chinois. Ce fut en réalité,
un bluff pour provoquer le dialogue ou l’ouverture des « contrats bidons » d’électricité.
Jusqu’à présent, des Chinois de Pékin, nous avons seulement les spaghettis, la
soupe won-ton, les Dry-cleanning, le riz Jasmine et les « « Ti Chinwa - Tèt lobis – dents-bonbons2
», mais aucune électricité. De guerre lasse, devant la criante réalité, le
pauvre Jovenel, résigné, prononça son célèbre discours d’octobre dans lequel il
dénonça les cinq plaies qui rongent Haïti : « la corruption, la corruption, la
corruption, la corruption, la corruption ».
Il est presque trop
tard. Les fonds de la « Jarre à
Chavez » se trouvent déjà loin, très, très loin. Et c’est à ce moment
que le Sénat se réveille pour jouer dans l’esprit des bénéficiaires de César
avec une bruyante enquête ci-devant nommée : Commission Sénatoriale Spéciale d’Enquête sur le Fonds Petro Caribe de
septembre 2008 à septembre 2016. Jusqu’à présent, la soupe est encore
tiède, puisque les célèbres
concussionnaires, tels que cités, ont encore la part belle. Ils se ruent dans
les brancards et menacent de poursuivre les commissaires qui ont osé gribouiller
leurs noms sur les 656 pages du rapport.
C’est bien dommage
pour cette malheureuse nation, anesthésiée par des décennies d’horreur, grevée
de prédateurs jusqu’au bout des orteils.
Le peuple aux abois dort tous les soirs, le ventre creux. Sa résilience,
pour l’instant, a été poussée jusqu’à l’indifférence. Des corrompus vivent dans
une extravagance et une ostentation débridée sans crainte d’être dérangés. Le silence sonore de la justice ne
semble perturber grand monde. Haïti rêve d’un éventuel Héros pour la sortir de
cette tragédie indélébile. Elle a soif d’un rédempteur.
Monsieur le
Président, ces écorcheurs vous ont magistralement ferré comme un vulgaire
poisson. Entre leurs mains, vous n’êtes qu’un simple jeu de lego. Donc,
extrêmement fragile à résister au premier souffle de la tempête. Ils ont enculé
royalement votre gouvernement. Riches à millions, ils peuvent acheter tout le
monde, tous les juges et tous les avocats du pays, défenseurs, accusateurs et
membres du jury compris. Toutefois, votre force morale est indemne jusqu’à
présent. Il ne reste qu’une seule personne pouvant dévier la trajectoire du
destin : c’est Vous ! Réveillez-vous ! Soyez notre Héros et
mettez vos pieds par terre pour dire : Basta ! Haïti en a marre,
d’être le dindon de la farce. Dans l’antre du diable, vivotent aussi des anges.
Sachez bien vous entourer. Car, « le
monde ne sera pas seulement détruit par ceux qui font le mal, mais aussi par
ceux qui les regardent sans rien faire » (A. Einstein). Les coquins
sont ultra-puissants. Au moins un milliard cinq cent millions dorment sous
leurs oreillers. Ils peuvent vous cueillir comme une mangue. C’est une réalité
à ne pas dédaigner. Mais le sacrifice ultime en vaudra la peine. La nation a
besoin d’un guide pour sa rédemption. Il est minuit moins cinq. Soyez ce HÉROS
qui osera se retourner et dompter les loups. Délivrez-nous de ces barbares. Le
peuple vous sera d’une éternelle reconnaissance et l’histoire vous absoudra.
Max Dorismond |
Note (2) : « Ti chinwa - Tèt lobis – Dents
bonbons » : Quolibet péjoratif et taquin, désignant dans les
cours d’école, les enfants de descendants des Chinois réfugiés en Haïti dans
les années 60. En raison surtout de leurs aïeux qui secouent la tête en guise
d’approbation et rient à tout bout de champ, exposant leurs dents quand ils ne
maîtrisent pas la langue de leur nouveau pays. Écoutez aussi la célèbre
pièce de théâtre « Pèlin Têt ».
Cher Max, comment ai-je pu rater cet article qui date de six années, moi qui pensais n'avoir raté aucun. Ce texte mériterait bien un Politzer. En effet, il mérite d'être partagé largement. En fait, ce serait un beau track à déverser d'un avion sur la république toute entière. Bravo.
ReplyDelete«Lorsque j’ai lu le texte pour la première fois, j’ai été tout de suite frappé par la justesse de l’analyse et j’y ai retrouvé le punch habituel de l’auteur. À cette époque déjà, j’avais été surpris par la légèreté avec laquelle le président nouvellement élu avait déclaré sans ambages dans ce pays de conspirateurs : « Le carnaval aura lieu comme prévu. Point barre !». Cette surprise se mua en déception quand je le vis prolonger ce premier carnaval jusque dans la matinée du mercredi des cendres avec son cabinet ministériel au grand complet. » C'était déjà le signe avant-coureur d'un échec spectaculaire. Dans mon esprit du moins, Jovenel Moïse enfonça le dernier clou quand il souffla lui-même à ses adversaires et à la presse indépendante le surnom combien cocasse d’Àprès-Dieu. Dès lors, le pittoresque jeu de mots de Max apparut comme un diagnostic implacable, une condamnation vers laquelle notre enfant de cœur s’acheminait avec une innocence déconcertante.
ReplyDeleteN’ayant rien retenu de l’expérience d’un Dumarsais Estimé renversé au sommet de sa gloire, d’un Daniel Fignolé abattu en plein vol sans avoir pu tirer un seul coup de fusil, d’un Aristide fauché au tout début d’une partie de poker qui semblait gagnée d’avance, notre JoMo jouait au Don Quichote.
Avec le titre fracassant « Héros ou Zéro ! » Max Dorismond avait frappé dans le mille. Les velléités de Jovenel de prendre les rênes du pouvoir après trois ans d’une gestion chaotique ont finalement conduit à la catastrophe annoncée. Plus qu’un diagnostic serein et pittoresque, cette formule a fait de Max D. sinon un Nostradamus des temps modernes du moins le détenteur d’une intuition géniale.»
Ils l'ont tué pour le pleurer aujourd'hui. Na kite sôtt. Band de kav!
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