Par
Max Dorismond
La langue française, pour la plupart des ex-colonisés, est indiscutablement un butin de guerre. Ceci étant dit, l’ancien maître avait-il intérêt à tout léguer, à tout dévoiler sur les coquins secrets de son patrimoine linguistique ? Je crois que non. Par contre, le hasard qui fait si bien les choses a fini par laisser derrière lui, comme dans le conte du « Petit Poucet » de Charles Perreault, quelques indices pour nous permettre de remonter le fil de l’histoire aux fins de découvrir quelques mignons petits mystères que nos petits cachotiers de colons avaient intérêt à garder sous le paillis pour des raisons historiques ou infâmantes.
En
regardant de plus près, la littérature nous revient avec certaines expressions
qui ont traversé le temps avec leur cortège de souvenirs pour être servis
aujourd’hui sous quelques légers
maquillages au gré de la modernité.
Puce de l'homme |
Entrons
dans l’univers des insectes pour mieux saisir l’insidieux parcours de notre
sujet. Le mot « puce » ne nous est pas du tout étranger. Une cohorte
d’expressions a fleuri autour de ces quatre lettres qui définissent en réalité
un insecte suceur de sang, un insecte dérangeant dont la démangeaison ne laisse
personne indifférent, quelque soient l’époque et les circonstances. Il
cristallise les angoisses et les fantasmes humains. Aujourd’hui, on le conçoit
avec une certaine connotation romantique et érotique, comme dans ma puce, ma pucelle, dépuceler, dépucelage, épouiller, mon pouilleux ou des locutions: avoir
la puce à l’oreille, remuer les puces à quelqu’un, Le Marché aux puces 1-
etc »… Il ne raconte pas la même histoire qu’aux siècles
antérieurs. Par exemple, du Moyen-Age 2- jusqu’au XVIIIe, plusieurs auteurs connus et inconnus en parlaient,
tels La Fontaine, dans « L’homme et
la puce », Shakespeare, dans la pièce « Henri IV ». En 1891, Paul Verlaine, dans « Chanson pour elle », fut l’un des
derniers poètes « à être encore
émoustillés en observant une femme s’épucer 3-» :
« Lorsque tu cherches tes puces / C’est très rigolo. /
Que de ruses, que d’astuces ! / J’aime ce tableau / C’est alliciant en
diable… ».
La chercheuse de puce par Nicolas Lancret Huile sur toile (1720-1730 ) |
Il
est notoire que l’hygiène corporelle, en cette période, laissait à désirer.
Pour l’anecdote, les gens pouvaient passer tout l’hiver sans se baigner, sans
se laver, si bien que des dizaines et des dizaines de rites et formules
employés nous parviennent et s’utilisent encore, mais dans un sens idyllique ou
figuré. Citons, entre autres, le « bouquet
de la mariée » porté encore aujourd’hui. C’est un vestige hérité de
l’hygiène du Moyen-Age. Le mois d’avril était le temps de l’ablution générale,
autrement dit, le temps du seul et unique bain de l’année. Lors de cette
baignade collective, qui se déroulait souvent dans une sorte de gros baril, toute la famille utilisait la
même eau chaude par ordre hiérarchique. L’eau devenait tellement sale qu’il
arrivait à certains de jeter l’eau avec le dernier baigneur qui était, le plus
souvent, le bébé de la maison. C’est de là qu’origine l’expression très prisée
aujourd’hui en d’autres circonstances : « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Arrivé au
mois de mai, le mois habituel des mariages, l’heureuse élue devait porter un
bouquet devant elle pour détourner l’odeur insupportable émanant de son corps.
Chasse de puce joyeuse dans la lumière de bougie (Par Gerrit Van Honthorst |
Retournons
à nos insectes. Le XVe
siècle inaugure la découverte de l’Amérique par les Conquistadores européens.
S’en suit au XVIe et au
XVIIe la sauvage
colonisation. Et le cinéma, qui exhibe ces conquérants de l’époque sous leurs
lourds habits d’apparat multicolores, haranguant leurs guerriers casqués, à l’assaut
de l’or des autochtones… ne fut que romance. Ils étaient tous des pouilleux.
Lors de cette épopée, héroïque pour les conquérants, tragique pour les natifs,
les poux, les puces, les morpions étaient parties prenantes de la caravane. En
Europe, ces bestioles ne répugnaient pas à grand monde. Se gratter en public
n’était pas inconvenant. En tous les cas, pas avant la fin du XVIIIe siècle, au moment où la
« civilisation des mœurs »
avait atteint son paroxysme et où ce comportement de primates était discrédité.
Les indiens, les esclaves importés, à part les « engagés ou 36 mois »,
connaissaient-ils l’existence de ces bestioles suceuses ? L’histoire est
muette là-dessus. Nous ne pourrons nous avancer sur ce terrain pour le moment.
La femme à la puce (1638) Huile sur toile de Georges de la Tour |
Dans
l’Europe du XIVe ou du XVe siècle, pucelle et puceau étaient synonymes de
virginité des jeunes gens des deux sexes, parce que les puces étaient à demeure
sur ces jouvenceaux. Pour perdre ce qualificatif, il fallait procéder au
dépucelage au moment choisi. C’est un processus érotique qui se tenait
évidemment dans l’intimité, dans une position dénommée aujourd’hui le 69.
C’était un rite de passage, où le couple procédait à un épouillage érotique
commun avant de passer à l’acte. Exit l’érotisme, c’était aussi un geste
social, un signe de tendresse ou de déférence. « Dans le lit, au coin du feu, les maîtresses épouillent leurs amants
avec application ; les servantes épouillent leurs maîtres ; les
filles épouillent leurs mères et les belles-mères leurs futurs gendres 3- ».
Durant cette période, ce geste
épousait la tendance de l’époque et intégrait les mœurs courantes, au point où
les amants, pour magnifier cette pratique, conservaient dans un écrin en cristal,
or ou diamant, selon la fortune du couple, la première puce qui les piquât, en
guise de souvenir impérissable. Enchassée
dans un bijou de cristal, cette puce chanceuse était portée au cou comme
une relique. Pour l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, ce lien affectif que
cette société d’hier partageait avec ces parasites échappe aujourd’hui à notre
entendement. Par exemple, dans son livre « Montaillou, village occitan », il analyse les gestes de
sociabilité, où le curé se fait épouiller par sa « dame d’œuvres » en plein soleil… Nous devons au scientifique Robert Boyle une nomenclature de ces
insectes suceurs : « …les puces
se trouvent indifféremment sur tout le corps, les poux dans quelques
froncissures (plis) (ndlr) de
chemise, les cirons sous l’épiderme, les morpions au pénis et sous les
aisselles 4- ».
Max Dorismond
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
11-
Remuer la puce à quelqu’un : Autrefois c’est épouillé quelqu’un, lui
enlever ses puces. Aujourd’hui, c’est taper, battre, secouer un enfant, un
individu… Marché aux puces :
Zone commerciale qui fait référence à des
vêtements infestés de puces en vente à partir du XIXe siècle. (Hugo Dumas, La presse du 12-07-2017) –
Aujourd’hui : zone commerciale où l’on vend de tout, du neuf comme du
vieux. Sorte de foire commerciale. Avoir la Puce à l’oreille : « Cette locution, autrefois, a désigné pendant
des siècles, le tourment et l’agacement
amoureux. Aujourd’hui, elle signifie : être au courant de… »
22-
On appelle Moyen Âge, (Ve au XIIIe siècle) ou époque médiévale la longue période
d'environ 1000 ans qui, en Europe, sépare
la fin de l'Empire romain d'Occident (476 ap. J.-C.) de la découverte de
l'Amérique par Christophe Colomb en 1492(ou de la chute du royaume musulman de
Grenade en Espagne, la même année)
33-
« La
Puce : De la vermine aux démangeaisons érotiques. Camille le Doze » Les Éditions Arkhê, 2010 (France).
(page 170)(page 86)
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