Par Max Dorismond
Plusieurs
poèmes de l’époque chantaient ces actes intimes, ces doux grattages en public
sous les épais habits de l’époque. Plusieurs livres en parlaient. L’élite
n’était pas à l’abri. Même Louis XIV, « dont le Journal de Santé, tenu
par ses médecins, nous apprend qu’il était troublé par les punaises 5- ».
Selon le pasteur protestant Christian Lesser, « Il n’est point d’homme, depuis le Roi,
jusqu’au dernier de ses sujets, qui soit à l’abri de leurs insultes 5- ».
En réalité, ces insectes nuisibles n’étaient pas l’apanage du peuple. Les
femmes de la haute société qui portaient des manteaux « en fourrures d’animaux carnivores »,
accompagnées d’un petit chien, ne reflétaient pas simplement un signe de
coquetterie, mais de préférence, une technique pour se protéger contre les
vermines qui s’attaquent au revers de la fourrure ou se collent au petit chien,
véritable piège à puces. « Le
parasitologue Jean-Claude Beaucornu signale que leur abondance était telle que
pendant la restauration de White Hall en 1962, on aurait trouvé, dans des
vêtements datant du règne d’Henri VIII, (Angleterre 1491-1547), des centaines
de puces mortes 6- ». En 1668, Étienne Cormus
était payé 24 florins mensuellement pour « fumiger, parfumer, purifier
passants et maisons 7- ».
Aussi,
plusieurs peintures ou tableaux célèbres du XVII et XVIIIe siècle témoignent de la virulence de ces insectes
piqueurs et du romantisme qui y a été accolé. On retrouve la « Chercheuse de puces » du peintre
français Nicolas Lancret, La « Servante
à la puce » de Georges de la Tour, la « Chasse aux puces » de Gerrit Van Honthorst, s’il ne faut citer
que ceux-là. En effet, « Il semble
que la chasse aux puces soit un jeu amoureux de l’époque moderne »,
selon l’auteure Camille le Doz…3- Pas plus tard, qu’hier, au XIXe siècle, c’était malséant
de chercher des puces en public, mais dans l’intimité, on ne dédaignait point
cette tendre caresse. Et les amoureux s’en délectaient à cœur joie. Plusieurs
poètes ont légué leurs odes à la puce. Nous pouvons citer, à preuve, le poème
de Claude d’Esternod, « Le
Paranymphe de la vieille qui fit un bon office (1619)». L ‘auteur
relate les souvenirs de l’intimité d’une maîtresse âgée lors de ses ébats
amoureux évoquant les puces à témoins : « Puisses-tu vieille Cibelle / Vivre toujours comme immortelle / Que la
puce mal à propos /Le morpion, ni la punaise, / Ne viennent point troubler ton
aise, / Ta pasture, ni ton repos 8- »
Ce qui suit va sans nul doute nous
laisser avec une pensée pour les premiers Américains, en l’occurrence les
indiens, au contact des premiers aventuriers qui y débarquèrent. L’histoire
rapporte que ces derniers furent victimes de mauvais traitements, du travail
harassant auquel ils n’étaient pas habitués, de maladies importées par les
Européens sans en décliner la totalité. Or, cet insecte hématophage fut porteur
« de l’agent vecteur du bacille de
la peste bubonique ». Cette peste décima l’Europe du VIe jusqu’au VIIIe siècle 9-. Ensuite, elle refit son apparition
en 1347 pour ravager le continent qui a perdu un quart de sa population, soit
de 25 à 40 millions de personnes, pendant 5 ans, de 1347 à 1352. Cette époque
fut connue sous le vocable de la « mort
noire ou la peste noire ». Par des contrecoups sporadiques, cette
peste frappa ce continent pour s’affaiblir seulement au XVIIe siècle 10-.
Christophe Colomb, dans son récit à
propos des indiens d’Amérique, décrivait cette peuplade comme étant des
saints-hommes. « Ils sont très doux
et ignorants de ce qu’est le mal. Ce sont les meilleurs gens du monde et les
plus paisibles…11- ».
Colomb effectue son premier voyage de retour en Espagne en laissant une
garnison en bons termes avec les autochtones. À son retour à St-Domingue, en
novembre 1493, ce fut la consternation. Les 39 membres de son fortin furent
décimés. Si, et encore si les indiens avaient découvert que ces éléments
avaient contaminé leurs femmes et leurs filles avec ces insectes hématophages, ne
serait-ce pas, entre autres, une des causes de ce carnage exécuté par ces
« hommes si paisibles » ? Là encore, l’histoire a
souligné d’autres raisons pertinentes. Nous ne saurons avancer dans ce
labyrinthe pour le moment. Car, avec les « SI », nous pourrions
converser avec les martiens. Toutefois, dans la chaleur tropicale, la
croissance de ces bestioles s’avère plus virulente. L’auteur de l’ouvrage « Hortus sanitatis », Joannes de
Cuba, (1491) l’a confirmé en ces termes : « La pulce est moult piquante et poignante, memement au temps deste (été)
et au temps de pluye 12- ».
Malgré
la somme de livres existants consacrés à ce sujet, il y eut un voile épais sur
ces épisodes que l’Europe obséquieuse ne voudrait pas révéler. C’est ce qui
explique l’absence de ces ouvrages chez les ex-colonisés. Les bons petits Frères de l’Instruction Chrétienne ne s’empressaient pas de les
entretenir du ravage de ces bestioles dans leur société d’origine. Pourtant,
objet encore brûlant, les écrivains ne désarment point. Michel Braudau, en
1982, nous a gratifiés du livre, le
« Fantôme d’une puce » et Camille
Le Doze, en 2010, nous arrive avec « La
Puce : De la vermine aux démangeaisons érotiques ».
Dans
la réalité, les autochtones ne furent pas seulement tributaires de la langue.
Les prédateurs avaient aussi des puces, des morpions, des punaises et d’autres
vermines en partage. Les natifs furent victimes d’une kyrielle de maladies
innommables. Est-ce que ces derniers et les esclaves importés d’Afrique, à part
ceux importés d’Europe (Les Engagés), en
avaient aussi, bien avant ce choc des civilisations? Aucun bouquin connu
n’en a fait mention. Je n’ai pas poussé mes recherches assez loin pour répondre
à cette interrogation. Cependant nous n’allons pas non plus infirmer
l’histoire. L’hygiène laissait à désirer partout, sur tous les continents, à
cette époque. Chacun possédait ses petites bibittes et ses simples bobos,
connus sous d’autres noms, évidemment. Toutefois, j’ai retracé dans un écrit de
l’historien Jacques Casimir, « Le
chemin des origines », une référence des autorités coloniales de
l’époque, sorte d’appel au secours pour prévenir ou stopper les infections dans
les Caraïbes. Elle se lit comme suit : « Les Antilles françaises des Amériques : Guadeloupe, Martinique,
Saint-Domingue(Haïti), étaient devenues les déversoirs de toute la racaille de
la société française, si bien qu’en 1713, Charles de Corbon Comte de Blénac,
gouverneur Général des Antilles françaises et de la Martinique et Jean-Jacques
Mithon de Senneville, premier intendant de Saint-Domingue, supplient le
Ministre de la Marine « de n’envoyer aucune fille comme à l’ordinaire des
mauvais lieux de Paris ; elles apportent un corps aussi corrompu que leurs
mœurs. Elles ne servent qu’à infecter les colonies et ne sont nullement propres
à la génération 14- » ».
J’ai lu
l’ouvrage du Dr. JBR. Pouppé Desportes : « Histoire des maladies de Saint Domingue (1742) 13- ». Il a séjourné au Cap-Haïtien
durant quatorze ans. Le mot puce n’y figure pas plus. Par contre, des maladies
fulgurantes qui tuent en l’espace de vingt-quatre heures furent répertoriées. Des
maladies aux noms bizarres, aux effets dévastateurs pour la plupart, au point
de souligner que notre existence aujourd’hui s’avère être le résultat de la
sélection naturelle. C’est-à-dire, les plus forts seulement étaient parvenus à
survivre dans l’enfer décrit. La chaleur tropicale était impardonnable. Le
nouveau monde ne fut pas un itinéraire parsemé de roses écarlates.
Voilà !
Ce fut pour moi, une manière de partager avec vous ces quelques souvenirs
coquins sur cette langue qui n’est pas nôtre et que les petits amis de nos
ancêtres n’avaient pas jugé nécessaires de leur révéler.
Max
Dorismond
1- Remuer la puce à
quelqu’un : Autrefois
c’est épouillé quelqu’un, lui enlever ses puces. Aujourd’hui, c’est taper,
battre, secouer un enfant, un individu…
Marché aux puces : Zone
commerciale qui fait référence à des vêtements infestés de puces en vente à
partir du XIXe siècle.
(Hugo Dumas, La Presse du 12-07-2017) – Aujourd’hui : zone commerciale où
l’on vend de tout, du neuf comme du vieux. Sorte de foire commerciale. Avoir la Puce à l’oreille : « Cette locution, autrefois, a désigné pendant
des siècles, le tourment et l’agacement
amoureux. Aujourd’hui, elle signifie : être au courant de… »
2- On appelle Moyen
Âge, (Ve au XIIIe siècle) ou époque
médiévale la longue période d'environ 1000 ans qui, en Europe, sépare
la fin de l'Empire romain d'Occident (476 ap. J.-C.) de la découverte de
l'Amérique par Christophe Colomb en 1492(ou de la chute du royaume musulman de
Grenade en Espagne, la même année)
3- « La Puce : De la vermine aux
démangeaisons érotiques. Camille
le Doze » Les Éditions Arkhê, 2010 (France). (page 170)(page 86)
5- Théologies des insectes ou Démonstration
des perfections de Dieu dans ce qui concerne les insectes. Christian Lesser – 1742, page 214
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