Dr. Frantz Bazile 19 avril 1947 - 2 octobre 2017 |
Par Eddy Cavé.
Ottawa,
ce 9 novembre 2017
N’étant pas un
catholique pratiquant, Fanfan n’avait pas voulu de funérailles traditionnelles
et la famille a respecté ce choix. C’est donc la formule, très moderne, de la
célébration de la vie qui va permettre de réunir pour un dernier hommage les
membres de la famille et ses nombreux amis, collègues, patients et
connaissances.
Soucieux ou triste à cet âge? Je ne sais! |
Une célébration
de la vie de Fanfan.
Quelle meilleure occasion pour les
sœurs, oncles et tantes qui l’ont bercé pendant son enfance à Jérémie
et l’ont encadré avec amour jusqu’à ce qu’il commence à voler de ses propres ailes!
Pour ses sœurs Marie-Évy, Renée, Andrée et Michelle qui se remettent à peine du départ de Paule, ainsi
que pour les autres membres de la famille immédiate et élargie! Pour les
conjointes avec lesquelles il a partagé des tranches successives de sa vie
d’adulte et pour ses six enfants brusquement orphelins!
Quelle meilleure
occasion pour les vieux amis de la période allant de ses premières années à
l’école Frère Paulin de Jérémie
à son départ à la retraite à Miami au terme d’une fructueuse carrière de
gynécologue!
Quelle meilleure
occasion enfin pour les patients et collègues qui ont connu et apprécié cet
attentionné disciple d’Esculape dont le diagnostic était sûr, les traitements
efficaces, la disponibilité complète! Sans parler de son entregent ni des
qualités de cœur qui le rendaient si attachant!
En réalité,
Fanfan appartenait à cette catégorie d’âmes d’élite qui contribuent à illuminer
la vie de ceux et celles que la nature met sur leur passage et dont le départ laisse
l’entourage dans une sorte de désarroi. Rien de mieux que cette célébration de
sa vie pour perpétuer sa mémoire et donner à tous ceux et celles qui l’ont
pratiqué l’occasion d’exprimer leurs sentiments à son endroit, d’aller réconforter
la famille et de l’aider à faire son deuil.
Je serai par la
pensée seulement à Miami ce jour-là, mais je suis déjà en train de vivre
intensément avec la famille et les amis cette grandiose célébration de la vie
de Fanfan.
Me Alphonse Bazile (1960) |
À la réflexion,
je me rends compte qu’il m’est impossible de parler de Fanfan sans penser à son
père, l’avocat Alphonse Bazile, et à sa mère Madeleine, née Pasquier, qui me
vouaient tous les deux une grande affection. Un couple admirable qui a élevé
ses enfants dans la tradition des valeurs morales les plus élevées, la
valorisation de l’instruction, l’amour du travail, la solidarité avec les moins
nantis, le respect de l’autorité parentale, etc. J’ai retrouvé dans mes tiroirs
l’ébauche d’un article que j’avais titré « Alphonse
Bazile, un authentique produit du terroir bouffé jérémien par les siens »
et que je n’ai malheureusement jamais pu
terminer. Dans mon jeune âge, Mèt Alphonse,
qui faisait déjà la promotion des coopératives dans la Grand'Anse,
avait habité dans mon quartier et c’est avec admiration que j’entrais dans son
cabinet chaque fois que je le pouvais.
Dans mon
imaginaire d’enfant, les cartes géographiques qui ornaient les murs du cabinet
apparaissaient comme d’impressionnants trophées de guerre. Je devais découvrir
longtemps après que les petits drapeaux plantés çà et là indiquaient
l’implantation de ses coopératives dans la Grand’Anse. À l’âge adulte, nous
sommes alors devenus de bons amis, en plus d’être politiquement et idéologiquement
très proches l’un de l’autre. J’étais en voyage d’études à l’étranger à
l’époque de sa disparition, et j’ai tout naturellement reporté sur Fanfan et les
autres membres de la famille l’affection que j’avais pour lui.
Entre Marie-Thérèse Beauboeuf et Mamaille Acide (à Jérémie) |
Durant un court
séjour chez le couple Jeanine et Pierre Gilles à Gary, dans l’Indiana durant
l’été 1977, je m’étais fait un devoir d’aller à Chicago pour revoir Madeleine et m’informer des nouvelles
de la famille. Fanfan
avait déjà terminé sa médecine en Belgique et pratiquait à Chicago. Il était de
service à l’hôpital le jour de ma visite, mais j’avais eu le bonheur de revoir
les jeune filles.
J’avais aussi profité
de l’occasion pour visiter avec Branly Ogé le cercle des vieilles amies jérémiennes
reconstitué à Chicago : Chérisna Gauthier, Simérine Ogé et sa fille Renée
Pardeau, Germaine Justin et son fils Éric. Quarante ans plus tard, je garde encore de ces
rencontres un émouvant souvenir. Simérine m’avait alors comblé de cadeaux.
A Bruxelles avec Eddy Maurice et deux autres étudiants belges |
Pour revenir à
Fanfan, mon cadet de sept ans, je le revois encore arrivant en courant de
l’école l’après-midi, les souliers recouverts de poussière après avoir joué au
foot sur le chemin du retour avec les
copains de son âge. La famille habitant à l’étage du cabinet de la rue
Monseigneur Beaugé, Fanfan passait
embrasser rapidement Papa Alphonse au rez-de-chaussée, nous serrait rapidement
la main et escaladait l’escalier. Un garçonnet affectueux, studieux, aux yeux
pétillants d’intelligence et déjà appelé à un bel avenir.
Fanfan a
entretenu jusqu’à la fin de sa vie l’affection qu’il vouait déjà à l’époque
aux « grandes personnes du
quartier », les amies de ses parents, qui dans une ville comme Jérémie
contribuent à maintenir les enfants dans le droit chemin. Je le vois encore, en
pantalon court, traversant la rue pour aller jouer aux dominos avec les enfants
du quartier sur la longue galerie commune de Mme Ernest Lévêque, 101 ans aujourd’hui
à Montréal, de Macula, de Germaine
Justin. J’étais déjà un jeune adulte au début des années 1960 et je les
observais à partir de la galerie de Mamaille. Je vois dans la photo qui précède
un bel hommage à la vie de quartier qui existait à Jérémie dans les années 1950-1960.
Séduisant et séducteur |
Parti de Jérémie
en 1965, j’ai souvent parlé à Fanfan au téléphone, mais je ne l’ai revu en
chair et en os qu’en 2004 à Jérémie durant une mémorable semaine de la Saint-Louis.
Je l’ai alors
retrouvé tel que je l’imaginais à partir de mes conversations avec les amis
communs, dont Solon
Balthazar qui garda avec lui un contact constant : calme, attentif,
attentionné, chaleureux sous des dehors d’homme réservé, mais surtout généreux, très sensible au dénuement de la
population. Et pardessus tout, très réaliste dans l’évaluation des perspectives
économiques et politiques du pays. L’avenir devait lui donner raison.
Nous sommes allés
à la plage à plusieurs reprises avec sa compagne Jennifer
mais nous n’avons pu réaliser un projet
qui nous accrochait tous : rentrer à Port-au-Prince par la route côtière passant par Dame-Marie, Anse d’Hainault, Tiburon,
Port-à-Piment, Les Cayes. Par suite du décès d’un membre de la famille, j’avais
dû prendre le premier vol disponible vers Port-au-Prince et différer cette
belle aventure. L’occasion ne s’est jamais plus présentée par la suite, et cette
route semble être délaissée aujourd’hui.
Après ces retrouvailles
à Jérémie,
notre amitié s’est considérablement renforcée. Et nous avons gardé un contact
téléphonique assez constant. Nous avions tant d’affinités, tant de souvenirs à
partager, une vision commune de tant de choses…Chacun de mes voyages en Floride
était une occasion d’interminables
conversations, de longs soupers au restaurant et d’échanges mutuellement
enrichissants. J’ai peine à croire que je ne le reverrai plus.
À une soirée de retrouvailles à Miami avec le Père Le Thiez (au centre), le couple Landry Jacob et Guy Cayemitte en 2009 |
Comme beaucoup de
Jérémiens de notre génération, Fanfan est resté toute sa vie très fidèle aux
amitiés de son enfance, comme en témoignent les photos prises avec les anciens
condisciples du primaire et du secondaire. De la petite collection de photos
recueillies des membres de la famille et du site de Haïti Connexion Network,
j’ai retenu quelques-unes qui sont d’agréables souvenirs de ses amitiés et de
sa contribution comme premier
président du conseil d'administration de la Saint-Antoine Hospital Fund (STAHF)
de Miami.
Dans les conversations
relatives à la personnalité de Fanfan et à l’homme qu’il a été, un des
deux mots qui reviennent le plus souvent
est « générosité ». Tous ceux et celles qui l’ont connu dans le
quotidien, dans le milieu de travail, dans les activités humanitaires ou
caritatives s’accordent à dire que le Dr
Frantz Bazile était un homme d’une générosité sans bornes. Les organisateurs
et les habitués des collectes de fonds des associations de soutien à l’Hôpital
de Jérémie, Jean-Marie
Florestal en tête, ne cessent jamais de le dire : PLUS GÉNÉREUX QUE
CELA, TU MEURS!
Entre Cheney Despeine et Guiton Dorimain à Jérémie |
Un autre trait de
caractère peu connu en dehors du cercle des proches : Fanfan était un
pince-sans-rire et un comédien de grand talent. Je le connaissais assez bien
pour m’en douter, mais j’en ai eu la preuve en visionnant sur You Tube un discours
qu’il fit en 2012 à la première soirée
annuelle de la STAHF. Ce soir-là, il fit rire aux éclats une assistance
accrochée à ses lèvres et vendue à la cause. Il commença par s’excuser de de devoir parler
créole, la seule langue qu’il dominait. Vous voyez l’astuce. Les mains dans les
poches, il fit sans papier une performance extraordinaire en créole sans jamais
prononcer un seul mot anglais ni une seule phrase française. Un véritable
exploit à mon sens pour quelqu’un qui avait quitté le pays depuis sa jeune
vingtaine.
Ce soir-là,
Fanfan raconta à l’auditoire, amusé au possible, qu’il jouait depuis plus de 20
ans à la loterie le vendredi soir dans l’espoir de gagner un jour le gros lot
et de pouvoir ainsi reconstruire l’Hôpital
Saint-Antoine de Jérémie. Que c’est après avoir perdu tout espoir de
réussir tout seul qu’il joignit ses efforts à ceux de Jean-Marie
Florestal, de Marc-Antoine
Gauthier et des autres amis du groupe pour mettre l’organisation sur pieds
avec eux la STAHF dont nous avons déjà parlé. Naturellement, personne ne le
crut, mais le message était passé. Fanfan,
ou terib!
Avec Pierre-Michel Smith et Alix Cédras |
Outre sa
généreuse contribution au succès de cette activité de financement, Frantz a
posé ce soir-là un geste dont la portée sociale et politique n’a jamais été à
mes yeux suffisamment soulignée. Nous sommes alors en 2012 et le créole n’a pas
encore reçu les lettres de noblesse que lui apportera, deux ans plus tard, la
création de l’Académie du créole haïtien. Et voici qu’un médecin formé en
Europe et spécialisé aux États-Unis se présente devant un auditoire de lettrés
pour prononcer un discours en créole. Chapo ba Fanfan ! Mwen renmen w plis pou sa
ankò !
Avec son beau-frère et ami d'enfance Marc-Antoine |
Voilà donc, comme
il l’était, l’ami Fanfan. Bon vivant, généreux, courageux, renversant des
barrières sans faire de vagues ni de déclarations tapageuses, prêchant toujours
par l’exemple. Sa sœur Michèle
m’a raconté qu’il était toujours deuxième à l’école des Frères et que leur mère
ne cessait de lui demander pourquoi il ne remportait jamais la première place.
Il finit par lui avouer qu’il ne voulait absolument pas se pavaner dans les
rues avec la médaille que le cher frère épinglait chaque dimanche à la chemise
des premiers de classe. Devant
l’insistance de Madeleine, il avait répondu : « Si tu ne me crois pas, je
te l’apporterai dimanche prochain, cette médaille dont je ne veux pas.»
Avec les six enfants qu'il laisse dans le deuil |
Le dimanche
prochain, le voyant arriver sans la médaille, Madeleine l’accueillit en
disant : « Anhan, kot meday la?
» Il la sortit alors de sa poche, précisant qu’il ne courait jamais après
les honneurs. Ce trait de caractère,
Fanfan l’a conservé toute sa vie. Et
c’est sans doute ce penchant pour la simplicité et l’humilité qui l’animait
quand il a prononcé en créole son superbe discours dans « un pays où les gens
écrivent une langue qu’ils ne parlent pas et parlent une langue qu’ils
n’écrivent pas ».
Fanfan, toi qui as
fui les honneurs toute ta vie, tu peux aujourd’hui les récolter en toute
quiétude.
Que ton âme
repose en paix!
Et que la
célébration commence!
Eddy Cavé
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