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Eddy Lévèque (1978) |
À notre entrée à l’École Frère Paulin de Jérémie en 1946,
notre premier professeur s’appelait Séjour Cajoux. Cet homme de
belle taille, au port altier et à la prestance d’un officier de
l’Armée n’avait pas la moindre tendance à l’autoritarisme et il nous aimait
comme son propre fils Paul. Cet homme au physique imposant était l’exemple
parfait du bon père de famille devenu éducateur par amour du métier.
Photographe à temps partiel, il avait son studio à l’entrée de sa résidence du
bas de la Grand-rue, mais il photographiait gracieusement ses élèves à l’école
même. C’est ainsi qu’en nous prévoyant une amitié éternelle, il a, un jour,
photographié les trois Eddy de sa classe : Eddy Lévêque, Eddy
Julien et Eddy
Cavé. Les deux premiers ont effectué un parcours rectiligne et sont
allés droit vers le but qu’ils visaient. Eddy Lévêque voulait être médecin et
il s’est spécialisé aux États-Unis en physiatrie et réhabilitation, tandis
qu’Eddy Julien, qui avait toujours eu la vocation, a mis sa vie au service
de sa foi et a opté pour la
prêtrise.
Quant au troisième larron, l’auteur de ces
lignes, il avait caressé le rêve d’être professeur de philosophie,
mais il s’est, par la force des choses, contenté de traverser les
portes qui s’ouvraient devant lui après la perte d’une bataille : la grève
des étudiants de 1960-1961. Il a ainsi fait son droit et œuvré tour à tour dans
les domaines de la banque commerciale, de la banque centrale et des
statistiques économiques avant de se recycler au Canada dans la traduction
économique et juridique. Le voici aujourd’hui, devenu par défaut historiographe
et gardien de la mémoire collective de sa ville, en train de dire
aux contemporains et à la postérité qui était Eddy Lévêque. Ce, après leur
avoir rappelé qui étaient les condisciples Eddy Julien, Jean-Claude
Samedy, Serge
Picard, Jean-Claude
Fignolé, Frédéric (Dak) Cadet et Joseph Dieufène Azor.
Par un de
ces déroutants caprices du destin, le condisciple Jean-Claude Chassagne, qui
est omniprésent dans nos souvenirs d’enfance, est actuellement en
train d’organiser à Atlanta les funérailles de son épouse née Frédérique (Didi)
Jean. Le professeur Séjour avait bien raison de nous photographier
tous, car ces amitiés nées dès la classe enfantine dont il avait la charge
étaient appelées à survivre aux épreuves combinées de la distance, du
passage des ans, du déracinement et de l’exil. À preuve cette photo
des trois Eddy prise à New York au mois de juin 2010, lors du lancement de mon
premier livre De
mémoire de Jérémien: Ma vie, ma ville, mon village.
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Eddy Julien, Eddy Cavé et Eddy Lévêque (New York 2010) |
Eddy Lévêque était un personnage fascinant qui, sous des dehors de bonhomie et de simplicité, dissimulait un modèle d’humanisme, de militant des bonnes causes et de travailleur de l’ombre. C’était aussi un lutteur infatigable qui avait horreur des projecteurs et faisait tout pour passer inaperçu. Donc, une sorte de militant clandestin, un bénévole presque anonyme qui, toujours sur le qui-vive, volait sans préavis au secours des populations dévastées par des cataclysmes naturels, des inondations, des ouragans, etc. Tout le contraire de l’ami commun et condisciple Serge Picard qui faisait beaucoup de bruit dans les médias.
Sa carrière de bénévole des secours d’urgence a commencé dès les lendemains du qui a dévasté presque toute la Grand’Anse en octobre 1954. Nous avions alors 14 ans et, dès l’été de nos 15 ans, nous allions faire partie des brigades de jeunes mobilisés dans les opérations de distribution des rations alimentaires apportées par un bateau américain du nom de Saïpan.
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Jean-Claude Chassagne, Père Wismick Jean-Charles, Eugène Joassaint,Eddy Julien et Dak Cadet (Long Island 2010) |
La disparition de son père, décédé à 36 ans à
l’époque, le place en quelque sorte dans un rôle d’assistant-père d’une famille
de six enfants. Il s’affirme aussi comme le pôle d’attraction du petit groupe
de camarades de promotion qui s’orienteront en majorité vers la médecine,
soit Didier Cédras, Jean-Claude
Samedy, René Hérard, Frédéric Cadet et Serge Picard. Sa
débrouillardise légendaire et sa personnalité de leader datent sans doute de
cette époque.
En revenant d’un après-midi de football à Sou Planton
avec Didier Cédras et Serge Pierre, Eddy fait la connaissance d’Ordéa Azor et
perd pour ainsi dire la tête. C’est le coup de foudre et, surtout, la naissance
d’un grand amour qui se perpétuera même au-delà de sa
mort. L’âme sœur le suivra à Port-au-Prince durant ses études de médecine, puis
pendant ses deux années de résidence, la première à Croix-des-Bouquets, la
seconde au Centre de santé du Portail Léogâne. À cette étape de sa
carrière, il aura un patron exemplaire en la personne
du Dr Hénoch Titus, réputé pour ses idées socialistes et sa
vision hautement humanitaire de la pratique de la profession.
Après avoir réussi ses examens d’équivalence aux
États-Unis, Eddy s’installe à New York où il commence à travailler en 1969 au
très réputé Kings County Hospital Center de Brooklyn. Combinant harmonieusement
vie de famille, travail et engagement social. Il se spécialise alors en
physiatrie et en réhabilitation, tout en contribuant activement à l’éducation
de ses trois enfants Gregory, Ordith et Bernard. C’est pendant cette tranche de
sa vie passée à New York qu’il aura comme patient l’ancien président
en exil Daniel Fignolé avec qui il développera une relation de grande
confiance.
Autour des 90 ans de l'hôpital Saint-Antoine de Jérémie
Lorsqu’en avril
1986, soit deux mois après le départ de Jean=Claude Duvalier pour l’exil, Daniel
Fignolé revient au pays, c’est un homme terriblement diminué par 29 années
d’un douloureux exil que les foules mobilisées par son ancien parti politique,
le MOP, ovationnent dans les rues de Port-au-Prince. Sa santé chancelle et les
deux hommes forts du pays, Henri Namphy et William Régala, font discrètement
tout ce qui est en leur pouvoir pour essayer de l’aider à remonter
la pente. Le médecin qu’ils retiendront pour accompagner le mourant à
New York et tenter de sauver sa vie sera nul autre que notre ami Eddy
Lévêque.
Tokay s’acquitta avec
honnêteté, compétence et patriotisme de cette délicate mission, mais le mal
était déjà fait. Selon une rumeur assez vraisemblable, le patient collabora
très peu avec ses médecins après avoir découvert certaines irrégularités
commises dans la gestion des fonds du Parti après son retour en Haïti. Dans les
derniers jours du mois d’août suivant, Eddy revenait au
pays avec la dépouille et la famille de l’ancien président pour les
funérailles nationales. Il s’était acquitté de sa délicate et importante
mission avec une telle discrétion qu’en dehors des cercles proches du pouvoir,
de la famille et du Parti, très peu de gens le
surent.
Comme ce fut le cas pour
le président Estimé, mort en exil en juillet 1953, le cercueil de Daniel Fignolé fut d’abord exposé au
Palais législatif où des milliers de sympathisants défilèrent pour rendre un
dernier hommage à ce leader populaire tant redouté des défenseurs du statu quo.
Par pure coïncidence, j’étais en vacances à Port-au-Prince cette semaine-là
avec mon épouse Monique et c’est sur place que j’ai appris le rôle que
l’ineffable Tokay avait joué au chevet de l’illustre
Professeur.
La lune de miel du
Conseil militaire avec la population fut de courte durée et, devant les signes
évidents de l’échec de cette première tentative de transition démocratique,
Eddy ne tardera pas à retourner aux États-Unis. Au détour de la
cinquantaine, il a réussi sa carrière professionnelle et sa vie familiale.
À New York, où il s’est véritablement épanoui, il a
constitué un réseau solide d’amitiés et de relations
professionnelles qui l’aideront énormément dans ses œuvres de bienfaisance. En
outre, il est à 8 heures d’auto de Montréal, où se sont installés sa mère,
Madame Ernest Lévêque, ses deux frères Ernso et Jean-Robert, et ses trois sœurs
Gertha, Marie-Marthe et Joëlle. Libéré de tout souci de ce côté, il
a toute la latitude nécessaire pour se donner pleinement à son idéal de
jeunesse et de boyscout, qui tient dans un seul mot : SERVIR.
Survient alors
l’événement totalement inattendu qui marque un tournant radical
dans sa vie : le tremblement de terre du 12 janvier 2010. En
apprenant l’ampleur des dégâts et des besoins, Eddy se met en mode Panique et
prend la tête d’une vaste et audacieuse opération de secours. En quelques
jours, il monte une équipe multidisciplinaire internationale de
bénévoles et prend l’avion avec eux jusqu’aux Bahamas. C’est de là
qu’ils se rendront directement à Jérémie pour réaliser une opération
humanitaire sans précédent dans les annales de la région.
Parallèlement à cette
gigantesque opération de solidarité et de bienfaisance, les frères Jean-Arthur,
Roger et Gary Rouzier mettaient au service de la population le traversier
Trois Rivières qui transporta à Jérémie des centaines de victimes forcées de
quitter la Capitale en ruines pour rentrer dans leurs
patelins. Autant d’actes de solidarité agissante qu’il ne nous est
pas permis d’oublier.
En plus d’être l’aboutissement d’un audacieux
projet d’aide humanitaire, cette opération a marqué la naissance d’une
organisation dynamique et appelée à grandir et à prospérer si Haïti doit
survivre : From here to Haiti (FHTH). Cette organisation caritative à but
non lucratif a été créée sur le tas en vue de répondre aux besoins de
réparation d’édifices publics tels que des écoles, des églises, des
orphelinats, des établissements de santé, etc. Elle contribue ainsi à créer des
emplois locaux et à stimuler l'autosuffisance des populations locales
concernées.
Au cours des cinq dernières années, l’Organisation a mené à terme un grand nombre de projets de réparation d’écoles, d’églises, d’établissement de santé et autres dans des régions carrément abandonnées par les pouvoirs publics. Il suffit de visiter son site Web pour se renseigner sur l’originalité de sa vision, l’efficacité de son mode de fonctionnement et les services qu’elle rend à la nation. À elle seule, l’existence de cette organisation constitue un élément important de l’héritage moral et matériel qu’Eddy nous a laissé.
L’explication facile, simple, simpliste même qui vient à l’esprit quand on observe les personnages de ce genre, c’est qu’ils sont faits d’une étoffe peu commune. Pour avoir côtoyé et observé Tokay depuis notre plus tendre enfance, je ne saurais honnêtement me contenter d’une explication aussi réductrice de ses mérites et de ses réalisations. Il y a certainement beaucoup plus que cela dans le parcours carrément atypique de ce citoyen peu ordinaire.
Comme les deux autres Tokay du trio, Eddy Lévêque n’a jamais été un premier de classe, un bolide qui récoltait toutes les médailles et alimentait tous les espoirs. C’étaient plutôt Jean-Claude Chassagne et Jean Dimanche qui récoltaient ces honneurs au primaire, chez les Frères de l’Instruction chrétienne. C’étaient aussi Jean-Claude Samedy et Jean-Claude Fignolé qui remportaient cette palme au Collège Saint-Louis. Mais aucun des trois Tokay.
Dans le jeune âge, Eddy Lévêque était, comme les autres condisciples et moi, un enfant qui allait à l’école parce qu’il le fallait et à qui il arrivait de temps à autre de somnoler ou de rêvasser en pleine classe. Dans mon cas à moi, cela ne m’a pas empêché de faire toutes mes classes et même de décrocher divers titres de compétence. Toutefois, je n’ai jamais été cette espèce de « Sésame ouvre-toi » auquel on a recours pour sauver un ex-chef d’État qui se meurt, ni le leader né capable de prendre la tête d’une brigade aéroportée de secours d’urgence après un cataclysme naturel de grande envergure.
Le moins qu’on puisse dire d’Eddy Lévêque, c’est qu’il était spécial, hors du commun. Les conversations que j’ai eues avec ses proches ces deniers jours m’ont aidé à replacer dans leur vrai contexte les nombreux souvenirs que j’ai gardés de lui. À mieux percer les secrets de sa vie intérieure afin de mieux apprécier les leçons de choses et de vie qu’il nous a laissés.
Pour son jeune frère Ernso, le grand secret d’Eddy résidait dans le fait qu’il n’a jamais connu ce qu’est le stress. Jamais pressé, jamais préoccupé par quoi que ce soit. S’il arrive en retard à une activité quelconque où il est attendu, il ne voit même pas la nécessité de s’excuser, car il n’a rien fait de mal. Avec un tempérament comme celui-ci, il est certainement beaucoup plus facile de s’éloigner des exigences du moment pour concevoir, imaginer et construire mentalement un tas de choses. En effet, Eddy était « un gars véritablement cool » qui ne dramatisait rien et prenait le temps qu’il fallait pour remplir sa mission au jour le jour.
De son côté, Jean-Robert, que nous appelions Blan Lévèk, a expliqué dans son éloge funèbre que son frère se savait omniscient et ne cessait de dire aux plus jeunes : « Ou pa konn anyen. Se mwen kap di w. » Et il avait raison.
Confirmant le
côté « solutionneur de problèmes » de son frère aîné, Gertha m’a
raconté qu’il était en visite chez elle
à Laval, l’an dernier, quand son téléphone a sonné. C’était un appel au secours
en provenance d’Haïti au sujet d’une amie commune qui se mourait à
Port-au-Prince. On cherchait désespérément un lit d’hôpital pour elle et on n’en trouvait nulle part. Visiblement
soucieux, Eddy s’écarte un peu des amis réunis dans le salon et appelle une
bonne dizaine de personnes vivant en Haïti. Le lit une fois trouvé, on lui dit qu’il n’y a personne pour aller le
chercher et l’apporter chez la mourante.
Il reprend son téléphone, place
une autre série d’appels et trouve sur-le-champ
un chauffeur qui va prendre possession du lit et le transporter à l’adresse
indiquée.
Les gens présents dans la salle à ce moment-là ont encore de la difficulté à croire qu’Eddy Lévêque était, à plus de 3 000 km de distance, la seule personne capable de régler un tel problème en un tournemain. Mais, ça c’était lui : l’équivalent haïtien du « Sésame, ouvre-toi » du conte Ali Baba et les Quarante Voleurs.
Guy Cupidon se souvient qu’Eddy avait reçu à un moment donné, grâce à ses contacts dans le milieu médical américain, un don en nature évalué à des dizaines de milliers de dollars qu’il destinait à l’Hôpital Saint-Antoine de Jérémie. Il s’agissait d’un stock de fournitures et d’appareils médicaux flambants neufs qui avait été entreposé à Miami chez le Dr Rodrigue Dossous et qui ne pouvait être expédié à Jérémie en raison du coût très élevé du transport. Après avoir discuté du problème avec Eddy et Rodrigue, Guy sollicita un certain nombre d’amis jérémiens, réunit les fonds nécessaires et s’occupa, avec l’aide de Rodrigue et de deux travailleurs mexicains engagés pour la circonstance, de vider l’entrepôt, de remplir deux immenses containers et d’embarquer la marchandise.
Il est douloureux de mentionner ici qu’après l’arrivée des conteneurs en Haïti, il fallut neuf mois de démarches pour pouvoir les dédouaner, parce que le gouvernement exigeait le paiement d’une facture de près de 5 000 dollars US de droits de douane.
En dehors du
cercle familial, l’une des personnes à avoir le mieux connu mon Tokay était
Rodrigue Dossous. Nés tous les deux à l’Anse d’Hainault le même jour et dans
des maisons situées l’une en face de l’autre,
ils ont passé ensemble leur tendre enfance et ont été séparés, une
première fois, lorsqu’Eddy est entré à l’école primaire à Jérémie. Ils se
retrouveront néanmoins chaque année pendant les vacances d’été jusqu’à leur
entrée au secondaire. Leurs rencontres s’espacent quand Rodrigue étudie chez
les Frères du Sacré-Cœur, à Port-au-Prince, pour entrer dans les ordres, tandis
qu’Eddy poursuit son secondaire à Jérémie, puis à Port-au-Prince.
Après un début de
carrière comme professeur dans sa congrégation, Rodrigue entre à la Faculté de
médecine de Port-au-Prince l’année où Eddy commence son internat. Leur amitié
repart alors de plus belle, se nourrissant d’une passion commune pour l’étude
et la pratique de la profession choisie. Mais les temps sont durs et
l’émigration s’impose presque pour un nombre croissant de professionnels. Dans
un intervalle de moins de dix ans, Eddy s’établit aux États-Unis pendant que
Rodrigue termine sa médecine, crée une famille avec Adeline Dubreuil et opte dans
un premier temps pour le Venezuela, puis pour la Floride.
Toutes les conditions d’une parfaite symbiose
sont alors réunies. Leur vision similaire du militantisme social et leurs
réflexes de missionnaires aidant, ils s’engageront à fond dans l’action
communautaire pour Haïti et deviendront graduellement, selon les propres mots
des Lévêque, deux frères jumeaux. On trouvera sur ce même parcours (photo
ci-dessous) des camarades de promotion comme le médecin Jean-Claude
Samedy, décédé le mois dernier en Argentine, et le prêtre Eddy Julien,
fauché en 2016 à Jérémie au terme d’un long calvaire, ainsi que le dentiste
Pierre Michel (Pèpè) Smith. Beaucoup plus jeunes que nous autres, Pèpè et
l’écrivain Max Dorismond s’initièrent aux vertus du scoutisme sous la direction des
Chefs de troupe Jean-Claude Samedy et Eddy Lévêque.
À mes questions sur les motivations, les secrets et la philosophie d’Eddy Lévêque en matière de coopération au développement économique de son pays, de protection de l’environnement et de soins médicaux, Rodrigue m’a répondu sans la moindre hésitation : « Eddy a été toute sa vie un vrai scout et il n’a jamais dévié de l’idéal du scoutisme. D’abord, la devise ‘’ Toujours prêt’’ était devenue pour lui un vrai réflexe : être prêt à aider les autres, à faire face aux situations les plus périlleuses et à toujours agir avec courage, détermination, vigilance et disponibilité. Ensuite, le scout est l’ami de tous et un frère pour les autres scouts. Il est bon citoyen, place l’honneur et l’éthique au haut de ses principes de vie, en plus de travailler à son développement physique, émotionnel, social et spirituel.
Enfin, dans sa
soif insatiable de connaissances, il ne s’est jamais enfermé exclusivement dans
la médecine. Il lisait continuellement, en particulier des livres d’histoire.
Un de ses titres préférés était Written in Blood, de l’ancien colonel américain
Robert Heinl. Il aimait beaucoup les livres également de son ami Eddy Cavé [rires]
et les recommandait continuellement à ses autres amis… »
Dans mes
souvenirs personnels, mon Tokay apparaît aussi comme un grand lecteur de romans
de cap et d’épée et nous en avons dévoré des dizaines et des dizaines quand
nous étions au secondaire. Nous lisions de tout : Michel Zévaco, Alexandre
Dumas, Jean Brierre, Victor Hugo, Alphonse Daudet, les grands romanciers
russes, les romantiques du 19e siècle…
Rodrigue a évoqué récemment avec moi le souvenir d’une conversation qu’il a eue avec Eddy en 1952, après leur réussite aux examens du certificat d’études primaires. Il m’a raconté qu’en se parlant de balcon à balcon, comme ils le faisaient souvent, Eddy lui a dit ce matin-là : « M aprann ou pral fè frè, men pa bliye qu’il est écrit qu’il y plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de repentance. Intrigué par la profondeur de l’idée et le réalisme du propos, je ne pus m’empêcher de murmurer en mon for intérieur : « Sa a, se pa koze ti moun ! »
En quelques minutes de recherches, je me rendis compte que la phrase venait telle quelle du Chapitre 5, Verset 17 de l’Évangile de Saint-Luc et qu’Eddy en avait déjà fait sa boussole. J’avais également 12 ans cet été-là et j’étais alors certainement incapable de formuler un jugement d’une telle profondeur. Mais au-delà de la question de la source du propos, il y a celle de son application pratique : que pouvait signifier une telle remarque dans l’esprit d’un gamin de cet âge ? Cela signifiait-il qu’il avait déjà réfléchi lui aussi sur le sujet et fait un choix différent ?
Si l’on s’en
tient exclusivement à la lettre du propos, je conviens que cela pouvait bien vouloir dire : « Si c’est ce que tu
veux, vas-y. Quant à moi, je choisis la voie des pécheurs et j’aurai amplement
le temps de me repentir… » Mais ce serait très mal connaître Eddy Lévêque
que de lui prêter de pareilles idées. En optant pour la laïcité, il ne rejetait
nullement les préceptes de la morale et du catholicisme pour décider de se
livrer corps et âme dans le péché. Dans son esprit, il allait avancer dans la
voie des justes et il mettrait un jour au service de l’humanité les bienfaits
de la profession qu’il aura choisie. Son engagement dans l’action humanitaire
et les réalisations de son organisation From Here to Haiti découlent en ligne directe
de ce choix, comme le montre le projet réalisé à Chambellan en 2019 et cité
comme exemple dans les rapports annuels de celle-ci.
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De haut en bas: de g à d .Première rangée: Léo Joseph,Serge Légagneur, Yves Bijou,Serge Cabane, Gérard Caïdor, Rony Apollon, Hector Fourcand. 2è rangée : Fred Sansarick,Daniel Sansaricq, Pierre-Marie Jean-Baptiste |
Wilner Jean-Baptiste. 3è rangée : Guy Félix,Eddy Cavé, Locker Bourdeau, Jean Dimanche, Jean Arthur Rouzier, Ernest Pierre, Gérard Chassagne, Eddy Vincent. 4è rangée: Raymond René, Maurice Bontemps, Serge Picard, Jean Gérard Desgraff, Ripert Clermond, Frédérick Cadet, Fred Vilaire, Archange Fontaine, Freddy Marcel. 5è rangée: Eddy Lévèque, Serge Bontemps, Jacques René, Charlie Roumer, Yves Bontemps, Francis Besson, Yves Sévère, Pierre Fils |
Que son âme repose en paix!
N.B:En guise d’hommage au professeur Séjour Cajoux, je reproduis ici une photo prise vers 1950 où il apparaît au premier plan, entouré, de gauche à droite, de : Clervius Clerville, Toussaint Léonidas, Ivan Philoctète, Emmanuel (Timan) Legagneur, Frère Zéphirin.En arrière-plan : Bido Desroches et Frère Martin (La photo est- une courtoisie de la veuve du Pr Yvan.)
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