Par Max Dorismond
Lorsqu’on annonce un changement de gouvernement, chez-nous, comme des
chiens fous, nos congénères se cherchent, se démènent et se découvrent pour ne
pas rater, pour rien au monde, le prochain train. C’est le pire scénario qui
puisse s’opérer sous leurs yeux s’ils ne peuvent obtenir un billet
pour le nirvana. Qu’il pleuve ou qu’il tonne, quel que soit leur passé ou l’épaisseur de leur dossier criminel dans la mémoire collective, il leur
faut trouver le bon passeport, quitte à danser un dernier « konpa1 », direct avec le diable.
En pastichant Voltaire, j’ajouterai que « La politique est l’unique
moyen pour des hommes sans principes de diriger des hommes sans mémoire ».
Me Claudy Gassant Ancien Commissaire du gouvernement de P-au-P |
Accompagnés d’officiers de justice, de police cagoulée munie d’armes de guerre, de huissiers, d’arpenteurs, de juges et d’un unique mandat de saisie en bonne et relative forme, les mafiosi font main basse sur plus de 200 terrains, en construction ou non, dans les zones de Tabarre, Frères, Trois-Mains, Caradeux, jusqu’à Vivy-Mitchel. Cette soudaine attaque, selon Me Gassant, ne dévoile que la première partie du plan des escrocs. Le second qui consiste à saisir des maisons est à venir. Même si vous habitez votre immeuble depuis 50 ans, vous n’êtes à l’abri nulle part. Votre unique espoir d’y échapper, c’est de prier pour qu’aucun « chef » ne daigne poser un œil admiratif sur votre demeure. D’ailleurs, un notaire véreux, un agent de la DGI, désireux de passer leur fin de semaine à « Decameron », peuvent, pour le même terrain ou la même maison, pondre des « documents légaux » 10 fois pour 10 personnes différentes, avec des sceaux officiels. C’est une véritable bouillabaisse!
Résumons
les faits. C’est un abus sans commune mesure qu’ont enduré beaucoup
d’individus dans le pays depuis plusieurs années. Mais, de novembre 2017 à
janvier 2018, la situation a empiré. Le tribunal de La
Croix-des-Missions, relevant de La Croix-des-Bouquets, après jugement, remet
une « décision légale », « un document authentique qui
altère la vérité », un permis de déguerpissement à un individu pour un
terrain supposé mal acquis par son propriétaire actuel. Le permis d’exécution
livré à La Croix-des-Missions est supposé avoir effet sur une propriété dans la
juridiction où opère le tribunal. Mais, voilà, sur le dit document, à part le
nom de cinq associés à expulser, on n’y retrouve aucun titre, aucun
département, ni ville, ni quartier, aucune description géographique et physique
du bien en question. C’est un permis d’escroquer universel sous couverture
légale où l’ambiguïté des phrases nourrit la confusion de l’esprit. Son
détenteur, soutient l’interviewé, avec une mimique inquiétante, peut aller
voler en Dominicanie, aux Antilles, n’importe où, si le cœur lui en dit. Tout
patauge dans le vague et dans une obscure incompétence déguisée.
Pieuvre quisqueyenne |
A cette étape, le comédien-acheteur rentre en scène pour de bon. Il
entame des démarches devant un juge pour faire déguerpir le vrai propriétaire
surpris. Avec tous ces documents d’une authenticité, apparemment sans faille,
un juge sérieux ne verra que du feu sans penser qu’il joue dans une scène
Hollywoodienne, une sorte de théâtre à quatre sous. La saisie est alors
consacrée.
Et le lendemain, Monsieur X se réveille et découvre
sur la clôture, protégeant son bien, l’expression fatidique que redoutent
tous les Haïtiens : « Jugement exécutoire ».
Plus de 200 propriétaires ont trouvé cette fatale inscription dessinée sur leur
façade, de novembre 2017 à aujourd’hui. Des barrières ont été brisées, des
matériaux de construction jetés à la rue, des gardiens tabassés, ou arrêtés.
Le vrai propriétaire est dans l’eau chaude. Un jugement qu’il ne
connait, ni d’Ève, ni d’Adam, vient hypothéquer son bien à son insu. C’est à
provoquer un arrêt cardiaque ou un accident vasculaire cérébral (AVC). Voilà le lot de crimes que peuvent commettre des
insignifiants sans scrupules, qui ne reculent devant rien pour financer leur
vie de pachas au détriment d’honnêtes citoyens qui ont trimé dur pour assurer
leurs vieux jours.
Haïti : le tableau de l'impunité Personne ne voit rien, personne ne dit rien, personne n'entend rien... |
Exténuée par la répétition de ces écritures prémonitoires sur leur mur,
esquintée par cet acharnement débridé de chenapans à cravate, lassée de voir l’effort
de toute une vie s’envoler sous la signature de louches fonctionnaires, la
population de Vivy-Mitchel et ses environs est sortie dans la rue pour crier
son désarroi, interpeler la présidence, étaler ses frustrations suite à des
actes d’une époque supposée révolue. Et les menaces pleuvent sous le trop plein
de rage des propriétaires inquiets d’une éventuelle spoliation. Toutefois, ce
vacarme n’ébranle nullement les bandits qui ont la force du pouvoir occulte de
leur bord.
Quels sont les recours de la victime? En fait, si ce dernier, sous
l’effet de l’émotion, va aller en « Référé » comme ils disent
là-bas, une sorte de recours en Appel, il va se faire manger tout rond. Cette
tentative, selon Me Gassant, est la pire des options, car le juge officiant, se
contenterait de poser trois ou quatre questions. C’est tout!
Avec les documents « brassés à faux bétons »,
le parfum du dollar vert enivre déjà, puisque le « Référé »
est une sorte de consolidation de la décision légale déjà obtenue. Par contre,
le temps pour Monsieur X de chercher dans quelle instance où le jugement a été
prononcé, la Pieuvre, accompagnée de ses acolytes, va se présenter
en « Référé » à sa place. Tous les officiels, arpenteur,
notaire… etc, s’apprêtent à prononcer le serment d’office : « Je
le jure », devant le nouveau Juge et c’est le Ite Misa Es.
En conséquence, les coupe-jarrets heureux piaffent de bonheur, la distribution
du magot peut commencer.
En fin de compte, si Monsieur X n’a aucune accointance pour intercéder
en sa faveur au plus haut niveau, s’il n’a pas les moyens de négocier avec les
chenapans qui n’attendent que ce moment de grâce, il n’a qu’à aller à l’église
et prier Grann Sainte-Anne pour lui trouver une tente où se loger en
attendant d’acheter des billets pour le Chili. Car des policiers encagoulés et leurs
acolytes ont déjà tout mis à la rue. Mieux vaut en rire que d’en pleurer dans
notre « Haïti chez-rire ».
Pour en avoir le cœur net, vous qui espérez revoir le soleil et la mer
bleue d’Haïti Thomas, vous qui êtes tannés du froid ou de la grosse canicule de
la Floride, vous qui souhaitez saluer au lever du jour le voisin d’à côté dans
la langue de Dessalines, veuillez écouter la vidéo ci-jointe en son entier avant
d’investir vos billes qui, en apparence, devraient être bénéfiques à toute
l’île. Les détenteurs du pouvoir dans ce paradis spécial n’entendent pas à
rire. Que le petit peuple crêve, cela ne leur dresse pas un poil sur les bras.
LE POINT 2 Fevrier 2018 Claudy Gassant
Chers
Amis, voici la nation qui brûle du désir de voir débarquer sa diaspora avec un
carnaval de billets verts à donner le vertige aux vauriens. À part les beaux
discours enrobés de sucre rose, les souhaits très intéressés et hypocritement
chaleureux, ont-ils levé le petit doigt pour garantir la sécurité, les intérêts
du potentiel investisseur? Je dirais que non! L’expression « le bien-être
des autres » est absente de leur programme.
Maison de commerce des Sansaricq (au milieu), convertie en caserne des macoutes en 1966 à Jérémie. |
Le vol des terres est un sport national depuis l’indépendance. Les
Français vaincus ont obtenu 40 milliards en dollars d’aujourd’hui à titre
d’indemnité sous le beau paravent d’un remboursement pour biens perdus.
Sous Duvalier, avec le « permis de tuer »
octroyé aux Tontons Macoutes, aucun bien n’était à l’abri. La
spoliation et l’usurpation avaient une île. Et tous les macoutes étaient logés
à bonne enseigne. Juste à Jérémie, nous pouvons citer en exemple de
riches demeures volées : celles des Desquiron, des Sansaricq, des Guilbaud, des Drouin, des
Villedrouin et les multitudes de terrains que possédaient ces victimes éventrés pour leurs biens
immobiliers. Aujourd’hui, l’alibi du séisme est très utile pour promouvoir ce
marché de dupes, vu qu’aucun cadastre ne semble devoir refaire surface,
certains coquins en profitent pour spolier les vrais propriétaires comme au
temps des macoutes. Néanmoins, Haïti est le seul coin du globe où certains
prient chaque jour l’arrivée d’une prochaine catastrophe, pour vite s’enrichir.
Sous le fallacieux prétexte d’une spoliation antérieure, sans base
sérieuse de réclamation, sinon des faux titres, plusieurs revendiquent la propriété
de certains actifs. Il n’en demeure pas moins que le laisser faire du
gouvernement se révèle suspect, tant que ce soit des gens en autorité qui
exaspèrent les citoyens, là où terrains et maisons dégagent une valeur
monétaire appréciable. C’est un casse-tête pour tout « dirigeant
sérieux », si cette expression fait partie du vocabulaire de celui
présentement en place. Il est impératif pour l’avenir d’Haïti, si on espère une
reprise de confiance, d’abroger ce « Permis d’Escroquer »
laissé sans entraves entre les mains de ces chevaliers de la corruption, cette mafia d’État qui opère à
visière levée en l’absence de toute impunité.
Max Dorismond
Note – 1 : Kompa : rythme national haïtien, un peu chaloupé et simple à
danser en se balançant.
Note – 2 : L’hésitation de
l’interviewé est naturel, car dans ce pays, la vie ne vaut rien. Tout est
prétexte pour t’envoyer ad patres. C’est pourquoi, il tourne en rond et
s’exprime avec circonspection.
Note – 3 : « Mafrendeng » expression dans le langage haïtien désignant un
malfaiteur, une personne malhonnête. L’expression est composée du mot français
« mal » et du mot anglais
« Friend », qu’on peut
traduire littéralement par « mauvais
amis », mais en réalité on s’entend pour définir un être malfaisant.
Note – 4 : Le mot Mandataire est synonyme
de « Met Dam ». En Haïti,
selon Me Gassant, Mandataire est une profession. Tout le monde se dit
mandataire. Dans la conjoncture haïtienne, les professions se créent en criant
ciseau. Demande-leur le diplôme de Mandataire, le « Met Dam » va te le donner, signé d’une quelconque Université.
C’est ça Haïti. « Dégagé pa péché ».
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