Par Eddy Cavé
Je tiens à associer ma voix à celle de mon ami Max Dorismond et à
celles des nombreux membres de la famille et amis de Ghislaine pour contribuer
à honorer sa mémoire et célébrer son passage parmi nous. Je tiens surtout à
souligner sa participation aux différents combats menés sur tous les fronts où
l'Haïtien et l'Haïtienne doivent
se battre sur la terre étrangère pour avoir droit à la moindre parcelle de
bonheur.
Ghislaine Rey-Charlier
était dessalinienne et
elle appartenait à la lignée des Claire Heureuse, des Sanite Belair et des
autres grandes femmes de notre
histoire. C'est ainsi qu'on l'a vue monter aux barricades dès la
création du Comité d'action féminine constitué le 8 janvier 1946, juste avant
la chute d'Elie Lescot, dans
le but « de prendre une part active à la lutte en cours et d'obtenir
l'égalité civique et politique » au pays. Quatre ans plus tard, et
surtout vingt-cinq ans après la création de la Ligue féminine d'action sociale,
la constitution haïtienne reconnaissait le droit de vote des femmes et leur
éligibilité à tous les postes électifs.
On la retrouve alors engagée à fond, aux côtés de son mari,
Etienne Charlier, dans les activités du Parti Socialiste Populaire, le PSP, qui
ne survivra pas à la dictature de François Duvalier.
Après un bref séjour en Afrique dans les premières années de la décolonisation,
elle s'installe à Montréal où elle
écrit, publie, donne des conférences, milite pour toutes les causes qui en
valent la peine : le féminisme, la promotion et la protection des droits
immigrants, la solidarité avec les réfugiés politiques de tous les pays, etc.
En 2012, j'ai eu le privilège d'animer avec elle et Raymond Chassagne,
décédé peu de temps après, une soirée littéraire consacrée à Jérémie et dont je
garde un souvenir attendrissant. C'était au centre culturel KEPKAA,
et son fils André, de passage à Montréal, était à
nos côtés. Comme à l'accoutumée, les interventions de Ghislaine étaient
toujours catégoriques, merveilleusement structurées et en tous points conformes
à l'idéal socialiste qu'elle a poursuivi jusqu'à son dernier combat contre la
mort.
Le souvenir que je garderai toujours d'elle est celui d'une
combattante qui n'a jamais considéré comme un handicap majeur la dégradation de
la santé physique après le cap des 90 ans. Ainsi, elle venait de fêter ses 93
ans quand je lui fis part d'un projet de livre d'entretiens avec un échantillon
de Jérémiens de gros
calibre, dont les médecins Simphar Bontemps et
René Charles, les poètes Raymond Chassagne
et Serge Legagneur, l'écrivain et maire des Abricots Jean-Claude Fignolé, le
professeur de culture physique Maurice Léonce et
elle-même. L'idée lui plaisait bien, mais elle avait d'autres projets auxquels
elle voulait accorder la priorité :
« Eddy, me
répondit-elle, avec sa franchise habituelle, j'ai reçu récemment un laptop en
cadeau, et mon principal objectif maintenant est d'en maîtriser l'utilisation.
La prochaine fois que je t'écris, ce sera sur mon ordinateur... Pour l'instant,
je perds encore certains fichiers, mais je sais qu'ils sont dans mon disque
dur...
« Ensuite, j'ai trois livres en
préparation que j'aimerais terminer avant d'entreprendre quoi que ce
soit d'autre: un premier livre dont je parlerai plus tard et une adaptation des
tomes 3 et 4 du livre colossal de Semexant Rouzier, le Dictionnaire
géographique et administratif universel d'Haïti. Les deux premiers tomes
sont déjà sortis, mais j'en n'en suis pas pleinement satisfaite. Si tu peux
m'aider à tout publier, ça ira plus vite. »
Maxon Charlier |
Ce jour-là, j'étais encore abasourdi par son optimisme quand
j'ai repris le volant pour rentrer à Ottawa, mon port d'attache. Par la suite,
la dégradation de la santé et la mort de son fils Maxon, qui ne s'étaient jamais vraiment
relevé des séances de tortures des bourreaux de Duvalier,
sont venues à bout de sa résilience. Et c'est avec une grande tristesse que
j'ai regardé le temps s'acharner contre elle et poursuivre implacablement son
œuvre de destruction de tout ce qui est humain.
Je salue en cette grande Jérémienne une
femme de cœur, de courage, de conviction et surtout d'une générosité sans
bornes. Dans la période de dures épreuves qui a suivi la mort de Maxon, la communauté
haïtienne de Montréal lui a donné la preuve de sa gratitude et montré aux plus
pessimistes qu'une vie de militante comme celle de Ghislaine-Charlier ne tombe
pas dans l'oubli du jour au lendemain.
Paix à son âme
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