Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Tuesday, June 30, 2020

Quand tout un quartier de Jérémie dit adieu à Julio Gauthier

Par Branly Ogé
Pétionville, le 30 juin 2020
Julio Gauthier (1949-2020)
La mort a cette particularité qu'elle nous porte à remuer le passé afin d'y puiser les moments heureux qui ont jalonné notre vie. Et celle de l’inoubliable  Julio Gauthier ne fait pas exception à la règle. Ainsi, son départ pour l'Orient éternel m'a fait revivre en boucle certaines images que je croyais enfouies à jamais dans les méandres de mon passé et qui pourtant n'attendaient qu’un moment opportun pour refaire surface.

Fidèle au précédent aphorisme, je ne puis m’empêcher, dans le souci de redonner vie à la rue Mgr Beaugé et de partager quelques épisodes de la vie de Ti Jules, de remonter le fil du temps et du souvenir en logeant par la pensée les files de maisons qui bordaient notre rue. Je vais ainsi entreprendre le difficile exercice de ressusciter le souvenir des visages familiers qui ont bercé notre enfance et notre adolescence dans le quartier.

Ce faisant, je vais vus prendre par la main, à la manière d’un guide touristique qui aurait conservé son regard d’enfant et d’adolescent, pour parcourir avec vous les lieux de la mémoire des années 1960 et 1970 à Jérémie. Je vais donc, en l'espace de ces quelques lignes, vous prêter un pan de ma mémoire et utiliser ma personne, comme on le faisait à l'époque en revenant de Port-au-Prince ou à la veille d'un départ, pour évoquer le souvenir des riverains d'alors, dire bonjour aux vieux copains que le destin a éparpillés aux quatre vents.

Du coup, je vais m'arrêter virtuellement devant des maisons de mon ancienne rue et restituer, pas seulement le souvenir de toutes ces personnes disparues au fil du temps, mais aussi celui de tant d'autres égarées dans les dédales de la mémoire.

Orientée direction nord-sud, la rue Mgr Beaugé part de chez Yèyèl, côté nord-ouest, et finit sa course aux portes de l’ancienne la résidence de Fritz Allen et à la façade de l'école Frère Paulin.

Et c'est par un soir de décembre que, grâce aux soins attentifs de “Grann Danm”*, j’ai vu le jour, au numéro 50 de cette rue. J'étais encore à cette adresse quand, sept ans plus tard, Tante Chérisena, Marcus, Ti Jules, Nephta, Yannick et Ti Corinne investiront la maison de Mme Mathias. Si mes souvenirs sont exacts, à l'époque, Nephta était coiffé à la "Jean-cheveux-cirés", et ses chemises d'uniformes, repassées avec soin, étaient protégées par une bavette. Marcus et Ti Jules fréquentaient l'école nationale Noréline Marc, et leur sœur Yannick, l'école maternelle Catherine Flon.

Le décor étant planté, avec votre consentement, et surtout avec votre complicité, une complicité mêlée de tendresse, je vais, à pas mesurés et aussi à pas feutrés (par souci de ne point déranger les riverains qui nous ont précédés dans l'au-delà), retracer à la fois le plan des maisons de la rue Mgr Beaugé d'alors, ainsi que les couloirs de ce qui reste de notre mémoire, sélective par nature.

Le numéro 50 se trouvant du côté ouest de la rue, je vais, face à l'aurore, debout sur le perron de la maison de mes parents, le visage légèrement caressé par la brise matinale, descendre l'escalier, tourner à gauche, m'arrêter un instant sur le pas de certaines maisons de cette rue de mon enfance. J'en profiterai aussi pour saluer la mémoire des anciens locataires et propriétaires, leur annoncer le décès de Ti Jules, dire un dernier adieu à ceux d'entre eux qui nous ont précédés dans l'au-delà et leur proposer de former un comité d'accueil pour Julio.

En passant, je ferai également un clin d'œil à certains êtres chers du quartier et de l'époque partis pour le "peyi san chapo".

Le principe étant admis, effectuons, donc, à l'instant, notre visite dans les méandres du passé et du souvenir.

Adossée notre demeure, se trouvait celle que Grann Tinise, Mme Bassonor Pasquier, partageait avec ses filles Muriel, Odette, Marie-Marthe, Madeleine et la famille de cette dernière, Me Alphonse Bazile et leurs six enfants, Fanfan, Marie-Évie, Michèle, Paule, Andrée et Renée. Tout de suite après, il y avait les maisons de Mme Jules et des Viel.

À titre de rappel, chapeau style colonial vissé sur la tête, le juge Léonce Viel chaussait ses étriers et enfourchait majestueusement son cheval à chaque fois qu'il se devait se rendre à la campagne.

Après avoir dépassé l'appartement de Carélia, la mère d'Emilio Balthazar, nous nous arrêtons nous faisons quelques arrêts pour saluer Mande Chena, Gérard Beausoleil, Tante Clermosante, Boss Seremy et Léane. Philosophe à sa façon, Boss Seremy portait toujours des costumes kaki gris et aimait déclarer "bonbon timoun renmen, se ladan li lajan l fini".

Tout au bas de la rue, une fois saluée Tante Yaya, la mère de Rostand Gaubert, je traverse la rue pour dire un p'tit bonjour à Tante Aline Pierre-Louis, Tante Sephora, Yves César. Cela fait, pénétrons dans le "Gwo Lise" pour saluer Boss Ben, "Ti Ben pitit Boss Ben", Magella, Tante Liliane Jean et ses cinq filles.

Remontant la rue en direction sud, on rencontrait tour à tour, Mme Italien et sa famille, Tante Louise et Jules Duverneau, le parrain de Ti Jules, et la maison de Boss Cyriaque, éternellement vêtu de son costume de kaki beige.

Maintenant, nous voilà chez les époux Latendresse, et un salut spécial à deux de leurs enfants, le bouillant Manno, qui n'avait pas son pareil pour confectionner des cerfs-volants, ainsi que Nuella, sa sœur jumelle. Ils passeront mon bonjour à leurs ainés Jean et Jeanine.

Poursuivant la remontée vers "Sou Kare", visitons dans l'ordre, Me Louis Charles, le couple Albert et Yolande Charles, Sergent Lafleur, Tante Youyoute et famille, M.et Mme Bénier, Ti Fauché, la famille Civil,Mme Fauché, Grann Edmond, la famille Benoît Alcindor, Enone et sa famille, Léa et Fritz Laplanche, Mme Jean-Baptiste, Mme Clervius et famille, y compris Yves, Melle Eddie Saint-Louis, Me Émile Alexis; Me Barnave Gilbert, un éducateur-avocat reconnu de la Grand’Anse, Antoine Jean et famille.

Revenu sur le côté ouest de la rue, un rapide salut aux époux et enfants Mignon, Madeleine et Bébie Defay, Ti Mouton, Michel Roumer et leurs sœurs, Doudouille et le reste de la famille Brierre, Mme Mercius, "Tante Genn", Igénia Roland, la famille Verdiney, Mme David, "Tante Lolo" ( Laurence Jean-Denis), Tante Ultivia et Tètè, la famille Clément Laroque, Mme Luccéus, Walnès Benjamin, Grann Julie, Boss Thomas et famille, la famille Wèche, M. et Mme Erilus Gilbert, Boss Tima, Tante Estée, Yolande Pintro, Felix Pintro, Lilas Biron, Frankie, Jean-Antoine et Jean-Wilson Charles. Et nous voilà maintenant revenus à notre point de départ. 

Notre visite terminée, je ne saurais clore cette promenade dans la mémoire sans dire une courte prière pour les nombreux disparus qui nous ont encadrés et influencés durant notre prime jeunesse. Des figures telles que Fanfan, Jean-Claude Fignolé, Claude C. Pierre, Bobisson, Blanc Picard, Gisèle Mayas, Marthe Lubin, Chanlatte "Brimborion", Alix Félix, Tante Rénise, Tante Zulma, Tante Mamaille, Tante Odette (Bwa Dette), Mme Abner, Gè, Mme Siméon, Me Félix, Macula Félix, 'Granny" (Mme Ernest Lévêque), Boss Raymond Hilaire, Mme Ti Louis Moreau, Marraine Anna, député Son Étienne, Malou, Anotte, Tato Léonidas, Ti Mèt, Tonton Ivan, Manassé, Jean Pompée, Tante Yvonne Antoine, Tante Yvonne Auguste, Tante Émélène, Gérard C. Noël, Dr. Louis Laurent, Louinès Dégraff, Georges Chéry…

À Ti Jules et à vous tous, ces êtres chers appelés auprès du Père, c'est avec le cœur lourd, et aussi la certitude que vous avez marqué ma vie et laissé votre empreinte sur la ville de Jérémie, que je vous dis :
Reposez en Paix, très chers Amis,
Que la terre vous soit encore légère!


Branly Ogé



Note
*Grann Danm était la  matrone la plus connue et la plus vénérée de Jérémie sur la période allant des années 1930  aux années 1970. Elle a ainsi fait plusieurs milliers d'accouchements dans la région. Elle était à Jérémie l'équivalent de la matrone Madantizo qui, selon le documentaliste Arnold Antonin, a effectué plus de 20000 accouchements dans les environs de Jacmel.  Sure de son expérience et de sa technique, elle contredisait souvent les médecins et elle avait raison.

Monday, June 29, 2020

Il était une fois, Tante Tico


Par Mérès Weche
Madame Ludovic Chérubin
Pour le commun des mortels, Tante Tico, la mère à Paula, Jeanine, Carl, Yanick et Carole Chérubin, s´appelait Madame Dodo, et peu de gens, à Jérémie, savaient que son mari, cet ancien militaire, de commerce agréable, avait pour prénom Ludovic. De ce point de vue, connaitre le nom de jeune fille d´une mariée à l´époque, c´était un véritable casse-tête pour ceux et celles qui n’étaient pas de sa génération ou de sa famille rapprochée. Ce n´est donc pas évident que plus d´un à Jérémie savaient que Madame Titi, ma grande cousine et marraine s´appelait Germaine, et il en est de même pour mon autre grande cousine, Madame Lucien Lestage, qui avait pour prénom Reine. Tante Tico, qui vient tout juste de partir, se nommait Clorisse. Les deux premières furent d´ascendance Weche, et elle, Tante Tico, qui s´en est allée, presque en même temps que mon autre grande cousine, Christiane Papillon, dite Toutoune, étaient toutes deux de souche Étienne, comme ma mère.
Tante Tico
dans sa prime jeunesse
Chez Tante Tico, à l´entrée de Madan Kodo, nous les enfants de sa chère cousine Lafilia Moïse, étions traités comme les siens propres, et reçus à n´importe quelle heure du jour et de la nuit. Tante Tico, c´était la bonté personnalisée, car les soins qu´elle nous prodiguait en l´absence de notre mère reflétaient une douceur toute maternelle. Tous les enfants de ses cousines et cousins, venus de Beaumont ou de Corail, recevaient la même attention, et elle a transmis aux siens, quatre filles et un garçon, ce même sentiment d´appartenance familiale, qui me vaut d´avoir été, en première loge, touché par Paula de son brusque départ. Il n´y a pas longtemps, j’avais reçu un appel téléphonique de Carl qui me signifiait sa grande joie de notre dernière rencontre à Roseaux, et d’avoir fait le voyage ensemble pour rentrer à Port-au-Prince. Aux obsèques de Dodo, dans la capitale haïtienne, époux et père remarquable, j´avais payé de ma présence, mais fâcheusement, le confinement dû au covid 19, m´a empêché d´être parmi la stricte assistance recommandée en pareil cas, lors des récentes funérailles de Tante Tico, en l´église catholique St-Bartholomew de Miramar, dans l´État de Florida, aux États-Unis d´Amérique.
Tante Tico est partie, l´âme tranquille, pour avoir pratiqué dans sa vie la grande loi de l´Amour, édictée par l´Homme de Nazareth, qu´elle a suivi religieusement toute sa vie. Que cette grande âme dont elle était dotée l´introduise tout droit dans l´éternité bienheureuse ǃ
Mérès Weche

Sunday, June 28, 2020

CE N’EST QU’UN AU REVOIR, JULIO!


Julio Gauthier, 1949-2020

Par: Eddy Cavé

Des nombreux fils que la ville de Jérémie a propulsés sur la terre étrangère à partir des années 1970, Julio Gauthier a été sans nul doute l’un des plus attachants, des plus enthousiastes et des plus entreprenants. Pour l’avoir suivi depuis son plus jeune âge à Jérémie dans les années 1950, puis au Canada pendant près de 50 ans, je suis en mesure de faire cette affirmation avec la certitude de ne pas me tromper. À Jérémie dans les années 1950, je m’amusais souvent à l’observer à la dérobée, gesticulant sur les galeries de la Source ou de la rue Mgr Beaugé, dansant sur la piste de Versailles Club, s’amusant sur les plages de la région, etc. Je l’ai vu ensuite à l’œuvre à Montréal et à Laval dans les circonstances les plus variées.  

Partout où il passe, Julio s’affirme avec un naturel surprenant, s’impose par sa disponibilité et son entregent et devient indispensable. Impossible d’assister à un enterrement ou à une activité récréative où il se trouve sans entendre quelqu’un l’interpeller  à un moment donné : Julio! Julio!
Je n’oublierai jamais cette soirée-bénéfice organisée à Montréal au profit de Jérémie à l’occasion de la Saint-Louis 1990. Son frère aîné Cécil était alors le président de l’association organisatrice de l’événement et Julio, ancien footballeur, y était une sorte de demi-volant couvrant l’intégralité du terrain. Je suis debout au bar pour acheter une consommation quand je vois une jeune Québécoise s’approcher du caissier en disant : « Monsieur, je viens d’oublier un très beau collier de perles dans une des toilettes. Est-ce que vous pourriez faire une annonce au micro en ce sens pour m’aider à le retrouver? »  Julio est alors le premier nom qui vient à l’esprit du caissier. On l’appelle au comptoir. Il avait déjà le collier dans une de ses poches : « Madame, lui explique-t-il avec son panache habituel, on ne perd pas d’objets de valeur dans les activités des organisations jérémiennes. »

La dame n’en croit pas ses yeux ni ses oreilles. Pendant qu’elle se perd en remerciements, Julio est appelé à la porte pour régler un problème de carte d’entrée et disparaît. Eh bien, Julio Gauthier, c’était cela. Un milieu de terrain qui monte à l’attaque au besoin, sait à quel moment replier et qui, par d’habiles passes, aide les attaquants à marquer des buts. C’est ce joueur infatigable qui est parti beaucoup trop tôt et que nous pleurons aujourd’hui. S’il était dans l’état-major d’un parti politique, ses collègues diraient de lui qu’il n’aura pas de remplaçant, mais seulement des successeurs.

Ti-Jules, mon jeune frère, nous voilà en dix ans au cœur d’une deuxième catastrophe qui dépeuple littéralement notre petit monde. Cette période de dures épreuves a commencé avec le séisme de 2010 dans le sillage duquel nous avons perdu  Hary Balmir, Willy Verrier, Lyse Pierre Cavé, Michel Lapierre, Marie-Thérèse Alcindor et tant d’autres amis d’enfance. Puis, il y a eu l’hécatombe de 2017 qui a en quelque sorte décapité l’intelligentsia de la Grand’Anse  en fauchant tour à tour Ghislaine Charlier, Claude C. Pierre, Serge Legagneur,  Jean-Claude Fignolé, Eddie Saint-Louis, notre compositeur et chanteur de charme Malou Clédanor,  Robert (Bobisson)  Large, Frantz  Bazile.

Dans le contexte de la COVID 19, nous sommes frappés par une nouvelle vague de décès dont un grand nombre n’a rien à voir avec la pandémie. Dans le petit cercle des proches, nous avons perdu coup sur coup Carlier Guillard, David Étienne, Antonio Benjamin, les médecins Ronald Verrier et Adeline Verly, née Jocelyn. Nous n’étions pas encore remis du choc de ces départs soudains que nous apprenions ceux des patriarches , Kedler Auguste, Mme Ludovic Chérubin, Antoine Jean à Jérémie et de Marcel Duval à Chicago.

Et Julio, ce digne fils du tribun Félix Philantrope et de la belle et tendre Chérisna Gauthier, a tiré sa révérence cette semaine sans crier gare, figeant d’émotion les nombreux amis qui ont appris son  décès en même temps que sa maladie. Julio était à la fois un bon vivant et un stoïque. Il était probablement stoïque par choix, par tempérament et par formation. Mais peut-être qu’il l’était aussi à cause précisément de son fol amour pour la vie en général. Et sans doute aussi pour la sienne qu’il ne voulait pas empoisonner avec les visites, les appels téléphoniques et les conversations macabres d’amis et de proches désireux de passer un dernier moment avec lui… Il a ainsi terminé son passage parmi nous dans le silence des aigles, en compagnie de Jocelyne et de ses trois garçons Jean-Marc, Jimmy et  Hendrik.

Enthousiaste,  toujours prêt à aider les autres, il a laissé sa marque dans tous les secteurs de la vie de la métropole du Québec où il a mis les pieds. Qu’il s’agisse du milieu de travail où il a fait une carrière complète, de la sphère communautaire de la diaspora haïtienne où il a milité pendant longtemps, du milieu de la politique municipale où il a assisté et accompagné Jocelyne dans ses fonctions de conseillère municipale à Laval, Julio laisse des souvenirs qui dureront longtemps : ceux d’un ami chaleureux, d’un militant lucide, d’un professionnel dynamique, passionné et doué d’un sens peu commun de l’organisation.

Que son âme repose en paix!

Eddy Cavé


Avec la disparition d'Antoine Jean, un pan de la ville de Jérémie s'effondre

Par: Herve Gilbert

Antoine Jean (1920-2020)

La nouvelle du décès d’Antoine Jean a frappé comme un coup de tonnerre, se répandant dès la matinée du mercredi 24 juin sur le Net. Très vite relayée sur les réseaux sociaux, elle a glacé d’émotion tous ceux et celles qui avaient eu la chance de croiser cet homme, de près ou de loin.


Disparu le jour même où il devait célébrer son centième anniversaire, Antoine Jean laisse derrière lui une profonde tristesse qui unit les Jérémiens de toutes générations. Il est permis de dire, sans détour, qu’un pilier de la Grand’Anse s’est effondré.


Qui, de Jérémie ou de la Grand’Anse, pourrait ne pas garder en mémoire cet entrepreneur audacieux, venu de La Croix-des-Bouquets, qui a fait de cette terre qui ne l’avait pas vu naître le théâtre d’une vie accomplie et généreuse ?

Antoine Jean (1960)
Mon père, feu Barnave Gilbert me confiait un jour : « Cet homme d’affaires, arrivé à Jérémie sans titre ni privilège, avait commencé comme simple tailleur dans la ville. Mais, au fil du temps, il y a inscrit son nom en lettres d’or par ses œuvres et ses actions à travers la région, bien qu’il ne fût pas un natif natal. À l’étonnement de beaucoup, Antoine Jean a apporté à Jérémie tout ce qui manquait de neuf et de renouveau. Ce n’est donc pas un hasard s’il demeure un potomitan dans la mémoire collective de tant de générations de Jérémiens. »

Évoquons l’une des œuvres emblématiques d’Antoine Jean : le Versailles Night Club, situé à l’entrée de la ville, véritable oasis de charme et d’animation. Niché sur le flanc du littoral, où les vagues de l’embouchure de la Grande Anse se mêlent à celles de la mer, ce lieu offrait un décor enchanteur et une piste de danse envoûtante. Pendant de nombreuses années, Versailles fut le lieu de rencontre et de divertissement des Jérémiens. Dans ce cadre idyllique, ma génération et celle qui l’a précédée se rassemblaient pour des cocktails dansants ou des soirées festives, en quête de convivialité et de moments inoubliables. À cette époque, on comptait aussi le Stella Night Club du côté de Bordes, mais le « Versailles d’Antoine Jean » était l’adresse de prédilection où presque toutes les couches sociales de Jérémie se retrouvaient pour célébrer, danser, se marier et se remémorer.

Les musiciens des Fantaisistes de Jérémie posant
sur la toiture de l'entrée princiapale de Versailles.
 
Combien d’entre nous y ont murmuré leurs premiers mots d’amour, échangé leur premier baiser, vécu des instants magiques et inoubliables sous la brise fraîche et frémissante de la mer, alors que le bruissement des vagues ajoutait une touche romantique au décor ? Versailles représentait tout ce qu’il y avait de plus beau et de plus enviable de l’époque. Et qui ne se souvient pas des douces mélodies de la chanson À Versailles ce soir, interprétée par
Malou, berçant nos cœurs et nos souvenirs ?

Antoine Jean ne s’arrêta pas là. Il fonda les Fantaisistes de Jérémie, l’un des ensembles musicaux les plus prolifiques de la ville. Bien que ce groupe ait connu un franc succès à Jérémie et à Port-au-Prince, il finit par disparaître, non sans avoir laissé un héritage durable et offert de précieux moments de joie à une génération entière de Jérémiens.




Les Fantaisistes de Jérémie (1967) (De la gauche vers la droite) Fito,Gwo Ben,Malou, Renel Azor 
allias  oroseau,Gogo Jacob.Second plan:Louperou, Ti Miguel et Antoine Jean (de la gauche vers la droite).

Parmi les autres réalisations notables d’Antoine Jean figure le Bazar Soleil Levant, initialement situé à l’angle des rues Eugène Magron et Monseigneur Guilloux, puis relocalisé plus tard sur la place du marché, en face de l’épicerie de Béliard Mignon. Ce véritable « centre commercial » offrait aux habitants un lieu où se restaurer et faire leurs achats variés. Plus tard, le Bazar Soleil Levant fut converti en institution bancaire, avec Antoine Jean parmi ses principaux actionnaires.

Surnommé « Tatane », Antoine Jean se distinguait par une générosité citoyenne sans limite. Il participait activement aux activités caritatives, sportives et communautaires, s’efforçant de contribuer à la revitalisation de Jérémie. Croyant fermement dans le potentiel de la jeunesse, il soutenait sans relâche le mouvement sportif de la ville, malgré le départ massif de jeunes et de moins jeunes en quête de meilleures opportunités à l’étranger.

Antoine, toutefois, demeura à Jérémie, partageant les fruits de sa réussite personnelle jusqu’à sa mort, telle une étoile scintillante. Homme de vision et de fécondité intellectuelle, il grava son existence dans la mémoire de Jérémie en lettres d’or, se tenant toujours au-dessus des dissensions, même après les événements dramatiques des « Vêpres de Jérémie » survenus à partir de 1964.  

Il est impossible d’ignorer l’incursion d’Antoine Jean dans le domaine de l’hôtellerie. En fondant 《l’Hôtel La Cabane à Bordes, il créa un lieu offrant une vue magnifique sur la baie de Jérémie. J’ai eu l’occasion de séjourner à La Cabane avec ma famille en 2019, lors de la fête de la Saint Louis, saint patron de la ville. Par une heureuse coïncidence, j’ai également assisté le 23 août de cette même année à une cérémonie au Cascade Night Club à Carrefour Bac, un autre établissement au charme distinct rappelant celui de Versailles. Au cours de cette soirée, une plaque d’honneur fut remise à Antoine Jean, ainsi qu’à Maurice Léonce, autre figure marquante de Jérémie. Voici un extrait de cet hommage. 

Remise de plaque d'honneur à Antoine Jean et Maurice Léonce 

Comme mentionné précédemment, Jérémie vient de perdre un pilier de son identité. Antoine, tu as accompli ta mission avec éclat. Tu as partagé avec Jérémie — la cité des poètes — la richesse de ton esprit, ta générosité et ta créativité. Nous te disons un merci retentissant pour tout ce que tu as apporté. Qui saura désormais marcher dans tes pas ?

Antoine Jean, ta mémoire perdurera encore longtemps à travers les générations.

Adieu, Tatane !


Herve Gilbert

Orlando 28 juin 2020

Antoine Jean, l'Immortel

 Un hommage de Dr Pierre Michel Smith à l'illustre Antoine Jean
Antoine Jean
24 juin 1920 -24 juin 2020

Un autre Hazel secoue la Grande-Anse. L'homme de Versailles s'est effacé. Il est parti, éteint, parti pour toujours. Les gens s’appellent, s’interpellent autour du départ de cette figure rassurante et crédible. L’atmosphère pesante morbide. Une réalité qui surprend tout le monde. Je veux en quelques mots saluer la réussite personnelle de cet homme d'engagement et d'action.

Ma vraie rencontre avec Antoine eut lieu il y a environ 30 ans, alors qu’il était venu en tant que patient à la clinique de Miami. Une relation sincère et spontanée s'est nouée dès l'instant. Je lui raconte mon entrée en amour à Versailles. Ma première idylle avec cette femme assise à ma droite dont la beauté m'a saisi. J'en étais affolé. Antoine, qui aime les ambiguïtés du cœur humain, qui aime raconter, faire raconter, étaler, fouiller, l'homme charmeur au verbe agile qui aime ces choses-là, me bombarde d'anecdotes cocasses dont Versailles est la scène. Vite je découvre en cet homme une attraction, un puits d'histoires. On prend rendez-vous chez sa nièce, puis suivent des visites à répétition chez moi en Floride. Voilà le début d'une relation de parenté, persistante, sincère, fidèle. De mutuelles affections garanties, jurées.

Je l'invite à Montréal avec l'intention de réunir quelques amis de Jérémie pour un B.B.Q. de retrouvailles et de vigueur. Seulement au bruit de sa présence au Canada les cœurs étincellent et s'enflamment. D'autres groupes veulent se partager Antoine. On décide alors d’une fête pour tous, à sa mesure, au Château Champlain de Montréal. Le tapis rouge déroulé pour le distingué visiteur. Une célébration joyeuse et optimiste, grandiose et intimiste. Le bruit de la fête diffuse comme l'éther. La radio et la télévision en font écho longtemps.

À son retour à Jérémie, Antoine n'a cessé de m'y inviter. L'occasion s'est présentée lors des funérailles du Dr Pierre Mayas, l'ancien préfet. Un défilé grandiose autour de la place Dumas. Je lui ai susurré qu'à son enterrement ce sera pareil, processionnellement la ville le conduira au cimetière. La Covid-19 en a décidé autrement.

Au cours d’entretiens interminables, il me conte tout depuis son débarquement, pauvre et nu, dans la ville des poètes, son immersion dans le milieu, ses rêves, ses réalisations. Enfin Versailles, son plus beau titre de gloire,fait après tant d’obstacles vaincus, à force de sacrifices. Aucun autre coin ne séduit aussi habilement. Il kidnappe le cœur.Ce n’était pas un ''Night club''. Ce fut un cadre de référence, une structure sociale dans laquelle les gens se situaient en tant qu’êtres humains, qu’individus, en dehors des dualités, des chicanes de classes, des étiquettes, des présupposés tenaces qui étaient une caractéristique de la ville de Jérémie. Par-delà des confessions religieuses différentes, des niveaux de culture différents, un rapport différent à la chose civile, publique, à l'école même, il érige une société plurielle où les gens dansent, s'embrassent, débattent ensemble dans le respect et la bienveillance. On y va également pour jouir de la fraîcheur de l’air, du murmure des vagues, de la tombée du crépuscule. Il a fallu de l'émotion, de l'effort, du jugement, une capacité d'adaptation aux milieux, au temps, à l'histoire de la région. Un travail sublime.

Arrivé au sommet de la montagne il continue néanmoins de grimper, donnant du travail et du pain au plus grand nombre possible d’individus. Il s’investit dans le commerce, dans l'industrie, dans la restauration, dans le domaine bancaire, touchant à tous les secteurs. Un homme qui s'est construit, s'est libéré du poids du regard arbitraire de l'autre qui a trop tendance à le déterminer.

Yo di ke mwen se moun vini, disait-il, mais Jérémie est ma vraie patrie, ma maison. C'est là que le destin m'a donné rendez-vous ; c'est là que j'ai mûri“. Antoine était content d'avoir servi la région avec ce dynamisme, cette fougue et tant de zèle.

Aujourd'hui, c'est un puits de force qui s'en va. Une volonté forte qui brise le destin. Une très haute figure de l’Haïtien.Quoique parvenu à une aisance certaine, Antoine n'a jamais négligé ces visites discrètes auprès des plus démunis, souvent à pied, dans des quartiers marqués par la misère et l'indigence, faisant un geste candide de partage.

Antoine Jean, un visionnaire, un rêveur. Bref, une étoile qui tombe.

Toute l'histoire de l'homme est faite de rêves. Les grands progrès de l'humanité se sont accomplis parce que d'autres humains ont souhaité une meilleure vie pour les autres et ont tout fait pour y parvenir.

Adieu Antoine. Partez en paix.

Vous partez, Immortel, dans le cœur de plusieurs générations de Jérémiens !

Thursday, June 25, 2020

Hommage à Madame Ludovic Chérubin

Madame Ludovic (Dodo) Chérubin
née  Clorisse François

Par:Herve Gilbert


Quand vient le temps de dire adieu à ceux qui nous sont chers, les mots nous manquent tant la douleur nous laisse sans voix. En fait, l’être cher qui s’en va, est une partie de nous-mêmes, voire une partie intégrante de notre être, une partie de nos rêves. Mille questions, à ce moment-là, nous traversent l’esprit à savoir: pourquoi, lui, pourquoi elle ?

C’est comme si nous devenions très égoïstes.Toutefois, nous devons nous faire à l’idée que nous tous ne faisons que passer, et qu’aujourd’hui, c’est la fin du voyage de « Mam Dodo ». Nous n’avons pas deux choix, nous devons obéir à la loi du destin et accepter le fait accompli, quelles que soient les circonstances. Prenons nos courages à deux mains pour cet adieu tant mérité à son égard.

En effet, je laisserai à ses enfants Paula, Jeanine, Carole , Carl et Yanique, le soin de parler de la mère prévenante, de la mère dévouée qu’elle fut, mais il revient à moi, comme à d’autres amis qui avaient fréquenté sa maison, de parler de la tendre et chaleureuse « Tico » qui nous avait accompagnés tout au long de notre vie d’adolescents et d’étudiants à Port-au-Prince, dans toutes nos démarches; cette vigilante mère qui, hier encore, nous gratifiait de ses précieux conseils. Tante Ti Co aimait la vie et ses enfants pour lesquels elle a sué sang et eau pour faire d’eux ce qu’ils sont devenus aujourd’hui … et en plus, elle était aussi une vie au service des autres.

Quand on arrivait chez elle à l’Avenue Magny à Port-au-Prince, l’accueil chaleureux et l’hospitalité qu’elle offrait étaient toujours impeccables et cela vous donnait toujours envie d’y retourner.

Je ne puis m'empêcher de songer à nos groupes d'amis réunis de manière régulière, presque chaque samedi avec son fils Carl, un ami, pour jouer soit au bésigue, soit au lido ou à l’échec, etc… J’y revois encore en mémoire le père de « Tico » affectueusement nommé « Père Tirésias » avec sa cravate au cou, quelle que soit l’heure… toujours prêt à vous remettre à l’ordre.

Accueillante, disponible et hospitalière, elle se préoccupait  non seulement de nous et de ses propres enfants, Tante Tico ou « Manm Dodo» se souciait aussi de l’autre humain et pensait que tout un chacun méritait de vivre à l’image de notre Seigneur.

Sa maison à Port-au-Prince n’était pas une pension, mais n’était pas non plus trop petite pour héberger ses proches ou ceux ayant des difficultés de logement en provenance de Jérémie. Voilà, en vérité, des exemples vivants qui ne se retrouvent pas chez tout le monde, des exemples qui nous montrent du coup, sa personnalité, son état d’âme et son coeur.

« Man n Dodo » , tu vas nous manquer au point de vouloir te faire sortir de nos rêves pour t’embrasser très fort. On ne t’oubliera pas dans nos prières. Nous savons que tu auras une pensée pour nous lorsque tu seras à la droite de Dieu.

Aujourd’hui, ce n'est qu’un au revoir. Alors, je fais appel à tout ce qui me reste de courage pour demander à la famille de ne pas faillir au moment de cette perte.

En guise de consolation et d’apaisement, nous disons, en ces moments d’indicible douleur, que « Tico » suit la route que le grand Architecte lui a tracée. Les yeux levés vers le ciel, nous garderons toujours l’espoir de vivre pas trop loin de toi, car tes conseils seront toujours présents dans nos pensées. Les belles choses que tu nous avais apprises pour faire face aux difficultés de la vie seront toujours à notre portée.

Donc, va en paix, Tico, nous t’aimons et t’admirons pour ce que tu as été pour nous, ta famille, tes enfants, tes parents et tes amis.

Au revoir Tico!

Herve Gilbert
Orlando, FL. le 26 Juin 2020

Wednesday, June 24, 2020

Emmanuel "Toto" Constant est de retour en Haïti. Le chef des escadrons de la mort est immédiatement arrêté.

Emmanuel "Toto" Constant est de retour en Haïti. Le chef des escadrons
de la mort est immédiatement arrêté par la Police haïtienne à son arrivée 


Cet article de Jacqueline Charles publié originalement en anglais par Miami Herald a été traduit en français par Haïti Connexion Culture



Le chef de l'escadron de la mort haïtien, Emmanuel "Toto" Constant, qui avait autrefois attribué au Vodou et à la CIA le mérite de l'avoir protégé, est revenu en Haïti mardi, près de 26 ans après avoir fui le pays la veille de Noël pour les États-Unis.

La fuite de Constant vers la liberté en 1994 s'est réalisée à l'aide d'un visa américain via Porto Rico, et deux mois après le retour de l'administration Clinton qui a réinstallé le président Jean-Bertrand Aristide au pouvoir avec le soutien de 20.000 soldats américains, après que les hommes armés de Constant aient joué un rôle essentiel un an plus tôt en essayant de contrer le retour.

Son vol de retour mardi s'est fait via une charte de déportation de l'Immigration et des Douanes américaines, en compagnie de 23 autres déportés. Il a atterri à 12h30.

Portant un masque facial et une veste noire sur une chemise à carreaux, il a été le premier à descendre de l'avion. Il a immédiatement été ramassé par des agents de la police nationale haïtienne, menotté et placé à l'arrière d'un pick-up de police.
 
 Toto Constant lors de son arrivée à l'Aéroport  de Port-au-Prince
le mardi 23 juin 2020.                                                
Selon la loi haïtienne, Constant, qui a été jugé et condamné par contumace en 2000 pour le meurtre d'opposants politiques dans le village de Raboteau, a droit à un nouveau procès à son retour au pays.

En compagnie de policiers et de journalistes, Constant a été accueilli à l'aéroport international Toussaint Louverture de Port-au-Prince par un proche collaborateur de l'ancien président Michel Martelly, Ronald "RoRo" Nelson, qui a observé le retour au volant de sa Jeep Wrangler. Nelson s'est ensuite rendu à la Direction centrale de la police judiciaire, où Constant a été placé dans une cellule de détention.

Au cours d'une brève visite avec ses trois avocats à l'intérieur de la cellule, Constant a été entendu demander du déodorant, de l'eau et du poisson gros sel, un plat populaire de vivaneau cuit avec du gros sel, qu'il dit en avoir envie, puisqu’il ne l’a pas mangé depuis longtemps.

"C'est un test important pour le système judiciaire haïtien", a déclaré William G. O'Neill, un avocat international spécialisé dans les droits de l'homme qui a contribué à documenter la brutalité de Constant et celle du groupe paramilitaire qu'il a fondé, le Front pour l'avancement et le progrès d'Haïti, ou FRAPH, dans les années 1990.

"Constant a déjà été condamné par contumace pour ce qui doit être considéré comme un crime contre l'humanité, lors du massacre de Raboteau. Lui et l'organisation qu'il contrôlait ont été liés à des crimes similaires", a ajouté M. O'Neill. "Il n'y a pas de prescription pour les crimes contre l'humanité, comme l'a jugé un tribunal haïtien dans l'affaire contre Jean-Claude Duvalier.

"J'espère donc que s'il y a un nouveau procès, le peuple haïtien aura son heure de gloire au tribunal, qu'il obtiendra justice et qu'il établira la vérité sur ce qui s'est passé dans cette terrible période".

Robert Maguire, qui a déjà servi de témoin expert dans un procès civil new-yorkais contre Constant, intenté par certaines de ses victimes, a également donné son accord.

Il est  relaché et déporté par le gouvernement américain après
avoir été écroué pendant 12 années aux États-Unis pour fraude.
"Il est à espérer que maintenant que le gouvernement américain a renvoyé un chef d'escadron de la mort sur la scène de ses nombreux crimes, il va pousser très fort en utilisant tous les outils de sa boîte à outils pour s'assurer que le gouvernement d'Haïti agisse de manière responsable dans un effort total pour servir la justice en Haïti", a déclaré Maguire, qui a présidé le programme d'études sur la zone haïtienne à l'Institut du service extérieur du département d'État de 2000 à 2014.  

Au cours du procès civil de New York, Maguire a témoigné, qu'en tant que dirigeant du FRAPH, Constant, 63 ans, a encouragé "les charges qui pèsent contre lui à aller violer des femmes et les mutiler en raison de problèmes politiques et il aurait pu y mettre fin s'il l'avait voulu". Constant a fini par voir l'intérieur d'une prison, mais ce n'était pas pour ses violations des droits de l'homme.    

En 2008, il a été reconnu coupable de fraude hypothécaire et de vol à New York et condamné à 37 ans de prison. Il a été libéré en avril, après avoir purgé 12 années. Depuis lors, son expulsion des États-Unis a été une source de controverse, le gouvernement haïtien ayant travaillé en coulisses pour obtenir un sursis d'expulsion, avec les représentants américains, Maxine Waters, D-Calif., et Andy Levin, D-Mich.

Mais cette semaine, le Département américain de la sécurité intérieure et l'administration Trump ont décidé de le renvoyer, en envoyant un vol le chercher lundi au centre de détention fédéral de Buffalo à Batavia, New York, où il était détenu, pour l'emmener à Alexandrie, en Louisiane, où le vol ICE Air à destination de Port-au-Prince a décollé mardi matin.

"Je suis surpris et déconcerté qu'une personne ayant des violations des droits de l'homme aussi répugnantes et avérées, et une menace potentielle pour tant d'Haïtiens, soit expulsée vers sa patrie", a déclaré Luis Moreno, un diplomate américain à la retraite qui a été une fois la cible des attachés de Constant alors qu'il était en poste à Haïti.

Constant et le FRAPH ont pris de l'importance après le coup d'Etat militaire de 1991 contre Aristide. Ils ont été liés au meurtre d'au moins 3 000 partisans d'Aristide entre 1991 et 1994 à Haïti, ainsi qu'au viol et à la torture d'autres personnes et aux attaques contre des diplomates américains et de l'ONU.

Longtemps considéré comme un fugitif selon la loi haïtienne, Constant a dit un jour que tout en dirigeant le FRAPH, il travaillait aussi pour la CIA. Son retour n'offre aucune garantie que les victimes des meurtres de Raboteau obtiendront justice - ou même un jour au tribunal.

Tous ceux qui sont liés aux meurtres continuent de vivre libres, y compris l'ancien chef paramilitaire Louis-Jodel Chamblain, dont le tristement célèbre nouveau procès de 2004 pour une condamnation pour meurtre par contumace a provoqué la fureur des observateurs des droits de l'homme et a fait trembler l'ambassade américaine.

En 2000, Chamblain a été jugé et condamné par contumace pour le meurtre d'Antoine Izmery, un homme d'affaires, ancien ministre de la justice et ardent défenseur d'Aristide. Dans le même procès, il a également été condamné pour le massacre de Raboteau.

Après un procès d'une journée et une issue rapide à son retour en Haïti après avoir évincé Aristide pour la deuxième fois, Chamblain a été déclaré non coupable par un jury de 12 hommes et femmes pour la condamnation d'Izmery. Il a qualifié le verdict de "véritable procès, juste et équitable". Les observateurs des droits de l'homme et les diplomates américains de l'époque l'ont qualifié de simulacre et d'exemple de l'échec du système judiciaire haïtien.

Aujourd'hui, Chamblain continue de marcher librement malgré le massacre de Raboteau avec l'ancien commandant du FRAPH, Jean-Robert Gabriel, qui occupe actuellement un poste élevé dans l'armée du président Jovenel Moïse ressuscité. Comme Constant et Chamblain, il a été condamné par contumace pour le massacre de 1994.