Julio Gauthier, 1949-2020
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Par: Eddy Cavé
Des nombreux fils que la ville de Jérémie a propulsés sur la terre étrangère à partir des années 1970, Julio Gauthier a été sans nul doute l’un des plus attachants, des plus enthousiastes et des plus entreprenants. Pour l’avoir suivi depuis son plus jeune âge à Jérémie dans les années 1950, puis au Canada pendant près de 50 ans, je suis en mesure de faire cette affirmation avec la certitude de ne pas me tromper. À Jérémie dans les années 1950, je m’amusais souvent à l’observer à la dérobée, gesticulant sur les galeries de la Source ou de la rue Mgr Beaugé, dansant sur la piste de Versailles Club, s’amusant sur les plages de la région, etc. Je l’ai vu ensuite à l’œuvre à Montréal et à Laval dans les circonstances les plus variées.
Partout
où il passe, Julio s’affirme avec un naturel surprenant, s’impose par sa
disponibilité et son entregent et devient indispensable. Impossible d’assister
à un enterrement ou à une activité récréative où il se trouve sans entendre
quelqu’un l’interpeller à un moment
donné : Julio! Julio!
Je
n’oublierai jamais cette soirée-bénéfice organisée à Montréal au profit de
Jérémie à l’occasion de la Saint-Louis 1990. Son frère aîné Cécil était alors
le président de l’association organisatrice de l’événement et Julio, ancien
footballeur, y était une sorte de demi-volant couvrant l’intégralité du
terrain. Je suis debout au bar pour acheter une consommation quand je vois une
jeune Québécoise s’approcher du caissier en disant : « Monsieur, je
viens d’oublier un très beau collier de perles dans une des toilettes. Est-ce
que vous pourriez faire une annonce au micro en ce sens pour m’aider à le
retrouver? » Julio est alors le
premier nom qui vient à l’esprit du caissier. On l’appelle au comptoir. Il
avait déjà le collier dans une de ses poches : « Madame, lui
explique-t-il avec son panache habituel, on ne perd pas d’objets de valeur dans
les activités des organisations jérémiennes. »
La dame n’en croit pas ses yeux ni
ses oreilles. Pendant qu’elle se perd en remerciements, Julio est appelé à la
porte pour régler un problème de carte d’entrée et disparaît. Eh bien, Julio
Gauthier, c’était cela. Un milieu de terrain qui monte à l’attaque au besoin,
sait à quel moment replier et qui, par d’habiles passes, aide les attaquants à
marquer des buts. C’est ce joueur infatigable qui est parti beaucoup trop tôt
et que nous pleurons aujourd’hui. S’il était dans l’état-major d’un parti
politique, ses collègues diraient de lui qu’il n’aura pas de remplaçant, mais
seulement des successeurs.
Ti-Jules, mon jeune frère, nous voilà en dix ans au cœur d’une deuxième catastrophe qui dépeuple littéralement notre petit monde. Cette période de dures épreuves a commencé avec le séisme de 2010 dans le sillage duquel nous avons perdu Hary Balmir, Willy Verrier, Lyse Pierre Cavé, Michel Lapierre, Marie-Thérèse Alcindor et tant d’autres amis d’enfance. Puis, il y a eu l’hécatombe de 2017 qui a en quelque sorte décapité l’intelligentsia de la Grand’Anse en fauchant tour à tour Ghislaine Charlier, Claude C. Pierre, Serge Legagneur, Jean-Claude Fignolé, Eddie Saint-Louis, notre compositeur et chanteur de charme Malou Clédanor, Robert (Bobisson) Large, Frantz Bazile.
Dans
le contexte de la COVID 19, nous sommes frappés par une nouvelle vague de décès
dont un grand nombre n’a rien à voir avec la pandémie. Dans le petit cercle des
proches, nous avons perdu coup sur coup Carlier Guillard, David Étienne, Antonio Benjamin, les
médecins Ronald Verrier et Adeline Verly, née
Jocelyn. Nous n’étions pas encore remis du choc de ces départs soudains que
nous apprenions ceux des patriarches , Kedler Auguste, Mme Ludovic Chérubin,
Antoine Jean à Jérémie et de Marcel Duval à Chicago.
Et
Julio, ce digne
fils du tribun Félix Philantrope et de la belle et tendre Chérisna Gauthier, a
tiré sa révérence cette semaine sans crier gare, figeant d’émotion les nombreux
amis qui ont appris son décès en même
temps que sa maladie. Julio était à la fois un bon vivant et un stoïque. Il
était probablement stoïque par choix, par tempérament et par formation. Mais
peut-être qu’il l’était aussi à cause précisément de son fol amour pour la vie
en général. Et sans doute aussi pour la sienne qu’il ne voulait pas empoisonner
avec les visites, les appels téléphoniques et les conversations macabres d’amis
et de proches désireux de passer un dernier moment avec lui… Il a ainsi terminé
son passage parmi nous dans le silence des aigles, en compagnie de Jocelyne et
de ses trois garçons Jean-Marc, Jimmy et
Hendrik.
Enthousiaste, toujours prêt à aider les autres, il a laissé
sa marque dans tous les secteurs de la vie de la métropole du Québec où il a
mis les pieds. Qu’il s’agisse du milieu de travail où il a fait une carrière
complète, de la sphère communautaire de la diaspora haïtienne où il a milité
pendant longtemps, du milieu de la politique municipale où il a assisté et
accompagné Jocelyne dans ses fonctions de conseillère municipale à Laval, Julio
laisse des souvenirs qui dureront longtemps : ceux d’un ami chaleureux, d’un
militant lucide, d’un professionnel dynamique, passionné et doué d’un sens peu
commun de l’organisation.
Que
son âme repose en paix!
Eddy Cavé
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