Chers amis
internautes,
Au début de ce
mois, j’ai effectué un voyage d’agrément dans notre pays pour voir mes
deux petites jumelles de 4 ans. Pour débuter les vacances, on a
passé un excellent weekend au Club Indigo. C’était un samedi matin, après
le petit déjeuner, nous avons fait le tour de la station balnéaire, et j’ai été
étonnée de voir que les clients étaient peu nombreux. Les membres de la
MINUSTHA que les Haïtiens appelaient les Touristas n’étaient plus sur les
plages. Les chiffres d’affaires ne doivent pas être très
alléchants. Les clients étaient en majorité quelques membres de la
diaspora et quelques expatriés. Très peu de touristes ! Ce n’était
pas la foule… Ceci dit, la MINUSTHA serait entrée dans sa coquille car
ses membres ne fréquentent plus les plages ni les boites haïtiennes.
Même si leurs bottent nous dérangent a vue d’œil mais leur dollar
dérange-t-il ? Les touristas auraient bien pu augmenter
l’emploi dans le secteur service car plus ils sont présents plus la demande
pour la main d’œuvre augmente. Dans un système économique, les décisions
de produire, d'échanger et d'allouer des biens et services sont
déterminées par l'offre et de la demande établie par le libre jeu du
marché. Il fut un temps où le marché était bien là avec la présence des
Touristas. Bien évidemment, mieux vaut que les Haïtiens s’enfuient en
République Dominicaine plutôt que viser les perdiem des touristas en leur
offrant de «l’Entertainment ». Un Hard Rock Café Haïti aurait
été amplement suffisant. Bref, cela ne m’étonnerait pas qu’ils se la
coulent douce en RD de préférence là où les touristas seraient les bienvenues,
et là où la main d’œuvre haïtienne est plus en demande en dépit des
conflits.
Le pays est-il en Chantier ?
Des images d'Haiti par E.G (Cliquez pour agrandir la photo) |
Le
gouvernement avance qu’Haïti est en chantier, en effet, j’ai noté quelques
bâtiments en construction, en l’occurrence des édifices publics et des
routes. Cependant il n’existe aucun plan de reconstruction en instance
d’exécution. Les travaux sont au ralenti, et d’après des renseignements obtenus
auprès d’un employé du gouvernement, le parlement n’aurait jusqu’à présent pas
voté le budget pouvant permettre le décaissement des fonds pour les travaux de
construction. Aucune loi n’a été votée malgré leur soumission,
c’est le cas de la loi sur le Fond National pour l’Education et la loi
électorale.
Les Fonds de
PetroCaribe alimentent en majeure partie le budget de l’Etat pour les travaux
de construction en plus des projets de la BID. Autrement, Haïti ne reçoit
pas d’assistance financière depuis la fermeture du CIRH. Sans les fonds
Petrocaribe, Haïti aurait des difficultés à poursuivre ses projets de
reconstruction. Il n’y a aucune garantie d’activités économiques dans le
long terme en absence des fonds petrocaribe. Martelly et Lamothe ont commis
l’erreur de miser sur les fonds PetroCaribe sans une forte mobilisation de
ressources parallèlement. Pour survivre, Haïti devra trouver des moyens
de diversifier ses sources économiques pour éviter une dépendance totale soit
du fond Petrocaribe ou de l’extérieur.
Les Programme Sociaux en Haïti :
Image d'Haïti (Photo E.G) |
Nous avons
remarqué qu’Haïti investit des fonds dans différents programmes sociaux, ce qui
est un phénomène nouveau puisqu’avec les fonds de la Banque Mondiale et du FMI,
les programmes sociaux n’étaient pas permis, on peut constater que le pays
dispose de beaucoup plus de flexibilités pour investir dans le social
avec les Fonds Petrocaribe mais il demeure une absence de transparence totale
dans les activités de l’Etat. La corruption bat son plein! C’est la
réalité de notre pays. Espérons que la stabilité du Vénézuela reviendra
afin d’éviter une coupure totale de l’aide Vénézuélienne qui alimente en grande
majorité l’économie Haïtienne. Haïti doit trouver des moyens de
productions et de génération de ses ressources économiques propres, autrement
ces programmes sociaux ne seraient que des initiatives ad hoc qui ne
pourront faire l’objet d’un programme à long terme.
Quels sont les progrès visibles :
Vue d'une agglomération à Port-au-Prince ( Photo E.G) |
J’ai noté
quelques réalisations telles que la construction de centres sportifs à travers
le pays, beaucoup d’aménagements ont été réalisés à Pétion-Ville, Jacmel et
d’autres villes de provinces selon les témoignages de mes proches, cependant vu
que j’étais seulement à Port-au-Prince et Montrouis, mon rapport sera limité à
la Capitale et la situation de l’Ile à Vache. S’agissant des
aménagements à Pétion-Ville, l’émergence de complexes hôteliers et de
supermarchés modernes auraient pu rendre Pétion-Ville attrayante, cependant
nous qui avons vécu dans des pays structurés et qui pouvons faire la différence
entre des structures urbaines et rurales, ces améliorations sont à peine
visibles. Je regrette de dire qu’aucun changement ne peut se
réaliser à Port-au-Prince ou dans les grandes villes sans une déconcentration
majeure et sérieuse. A Pétion-ville, on se heurte à une foule dans les rues à
toutes les heures. A quoi bon reconstruire les trottoirs si c’est pour
être envahi par des vendeurs de rues qui sabotent tous les efforts. La
surpopulation tue les grandes villes qui sont exposées à tous les risques
environnementaux. C’est une situation catastrophique ! Une
copine de l’Ethiopie qui était en Haïti a eu à me dire que Pétion-ville
ressemble à une petite ville de l’Ethiopie et non pas sa capitale Addis avec
son imposante Hotel Sheraton. Les habitants de Jalousie qui de plus en
plus prennent davantage d’expansion sur les mornes polluent la ville. On
sous-estime le risque que courent les résidents des mornes telles que Jalousie
et autres en cas de catastrophes naturelles. En absence d’arbres dans les
mornes avec des constructions sommaires et précaires, les résidents deviennent
vulnérables aux effets du danger que représentent ces constructions illégales
et anarchiques. On devrait alors se demander qui dirige le pays, est-ce
le peuple ou l’Etat? Ces actions irresponsables des gouvernements successifs,
sont-elles irrémédiables à jamais au détriment des normes
d’urbanisation ? Le parc de la Place Boyer nouvellement rénové
est occupé quasi quotidiennement par des chômeurs à vie. Malheureusement,
la bidonvilisation n’a jamais été stoppée ni contrôlée car elle constitue une
garantie de manœuvres politiques des politiciens apatrides successifs. Il
faudrait un gant de fer pour prendre des décisions musclées pour mettre en œuvre
un plan coriace favorisant l’urbanisme à tout prix. Comment pouvons-nous
espérer un changement dans ces conditions?
Quid de la Reconstruction du Centre-Ville ?
Prise de vue à Delmas ( Photo Emmanuelle Gilles) |
Depuis que le
gouvernement de Préval avait déclaré le centre-Ville d’utilité publique, un
plan de reconstruction avait été établi mais les commerçants se sont plaints de
cette mesure argumentant que leur propriété avait été saisie de façon
arbitraire. Le gouvernement de Martelly a levé cette mesure d’utilité
publique tout en invitant les propriétaires à participer librement à la
reconstruction du centre-ville. Depuis la levée de la mesure, les
commerçants se sont concentrés sur Pétion-ville qui n’a pas un espace adéquat
ou structures pour un grand marché économique comme ils le prétendent. Pétion-ville
est petite avec très peu d’espace pour garer. Tout est coincé. On
parle de magasins, mais en fait, il n’y a que des petites boutiques invisibles
et de petites entreprises. On ne voit rien de l’extérieur, ce n’est pas
comme marcher sur Madison Ave à New York ou on peut faire la lèche
vitrine. Mais c’est là où se concentre le nouveau centre-ville.
D’après ce que j’ai appris de certaines sources, les commerçants n’avaient
aucune intention de reconstruire le centre-ville après le séisme car ils
entendaient vendre leur propriété à des investisseurs potentiels pour des
millions. Ils avaient voulu récupérer leur terre à cette fin et non pour
participer à une quelconque reconstruction du centre-ville. De toute
manière, pour inciter les commerçants à réinvestir au centre-ville, l’Etat
devrait d’abord faire sa part, développer les infrastructures (route, eau,
électricité) afin de créer des incitations pour attirer l’investissement
interne ou externe. L’Etat Haïtien n’a rien offert et s’attend à ce que
les commerçants réinvestissent au centre-ville sans leur aide. En
résumé, le Centre-Ville est abandonné à son sort et Pétion-ville ainsi que les
quartiers avoisinants, Frères, Delmas et tous les coins du pays sont devenus de
véritables marchés de rues incontrôlables. Grosso modo, les changements
ne seront jamais visibles car cette eternelle bidonvilisation des villes ne
favorise pas le changement de l’image d’Haïti. Haïti ne saurait être
ouvert aux affaires dans ces conditions.
Les Conflits à l’Ile à Vache :
Bref les
conflits de l’Ile à Vache sont très complexes. La constitution stipule
que « L'expropriation pour cause d'utilité publique peut avoir lieu
moyennant le paiement ou la consignation ordonnée par justice aux ordres de qui
de droit, d'une juste et préalable indemnité fixée à dire d'expert. Si le
projet initial est abandonné, l'expropriation est annulée et l'immeuble ne
pouvant être l'objet d'aucune autre spéculation, doit être restitué à son
propriétaire originaire, sans aucun remboursement pour le petit propriétaire.
La mesure d'expropriation est effective à partir de la mise en œuvre du
projet. » Voilà ce que stipule la constitution.
Dans les
années 1957, toute l’ile appartenait à l’Etat, Louis Déjoie avait acheté une
petite partie des terres qu’il avait distribuées à quelques Habitants de
l’Ile. Duvalier de son coté, en réalisant les astuces de Louis Déjoie,
avaient aussi acheté des terres qu’il distribua aux habitants qui se
plaignaient de n’avoir pas bénéficié de la largesse de Déjoie. C’est
ainsi que près de 800 personnes sont propriétaires sur l’ile sur les 15,000
habitants. Ceux qui ne sont pas propriétaires se sont servis des terres
de l’Etat pour l’agriculture de subsistance donc pour leur survie. Les 15,000
habitants de l’ile ne sont donc pas tous des propriétaires.
En déclarant
l’ile d’utilité publique, l’Etat Haïtien n’a pas violé les lois car la
constitution lui confère ce droit cependant l’état n’a pas respecté les clauses
de la constitution qui stipulent que le paiement et une indemnité fixée par des
experts devraient être effectués. Il arrive aussi que selon l’article
39, «les habitants des sections communales ont un droit de préemption pour
l'exploitation des terres du domaine privé de l'Etat situées dans leur localité. »
Le
gouvernement a commis des erreurs capitales dans le dossier.
Premièrement, Il ne s’était jamais préoccupé de l’ile ! Les
habitants de l’ile étaient quasiment livrés à eux-mêmes pendant deux
siècles. Deuxièmement, les habitants de la ville n’ont pas été
consultés ni avisés au préalable car Ils avaient aussi leur mot à dire dans les
négociations. La déclaration d’utilité publique au prime abord couvrait toute
l’ile sans tenir compte des besoins de ceux qui ont habité l’ile toute leur
vie. La mesure n’épargnait pas des investisseurs locaux déjà sur place
qui se sont sentis menacés. C’est le cas de cette famille Haïtienne et leur
beau-fils Américain qui avaient investi sur l’ile avec chacun leur
« share » dans Akaba Bay Resort. Ils avaient également
développé un « master plan » pour le développement touristique de
l’Ile à Vache. Martelly était au courant de ce masterplan.
Apres l’élection de ce dernier, son avocat Gary Lissade aurait fait
pression sur les propriétaires de Abaka Bay resort que le président convoitait
personnellement. L’Américain au nom de Dietricht aurait écrit une lettre
ouverte à Martelly et Lamothe et je cite un des passages :
“I am appalled at the way you are
today treating my former neighbors, the inhabitants of Ile a Vache. My
vision had been to attract tourism and investors to the island, but only in
complete transparency, cooperation, fair dealing, and respect for the island’s
residents. Instead, you and your officials are lying to the island’s
people, expropriating them from their land, unilaterally bulldozing their
forest, land and homes, and then terrorizing and brutalizing them with
heavily-armed militarized police when they protest. I had seen the Ile a
Vache project as a way to give back to Haiti, not to take from her yet again”.
L’approche du
président était arbitraire tout comme les diverses arrestations qui ne sont pas
justifiées. L’idée de rendre l’Ile à Vache un lieu touristique n’était
pas celle du gouvernement Martelly et de Lamothe mais plutôt des actionnaires
d’Akaba Bay qui avaient soumis à Martelly un plan de développement touristique
pour l’ile. Selon l’investisseur Américain, Martelly et Lamothe auraient
décidé de s’accaparer du projet pour en faire leur pour leurs intérêts
personnels et non pour le développement économique du pays comme ils
l’entendent.
Les
manifestations successives qui s’en ont suivi étaient justifiées car l’Etat ne
pouvait pas déclarer l’ile d’utilité publique sans un plan qui incorporait un
développement communautaire au profit de ceux dont les terres seraient
passibles sous cette mesure. Ce plan devrait prendre en compte des
infrastructures qui à la fois rehausseraient l’ile et les conditions de vie des
Habitants c’est-à-dire, logements, école publique et eau potable avec des
possibilités d’emploi. Les habitants bénéficieraient d’un programme
de perfectionnement de la main d’œuvre, ce qui l’aiderait à participer
dans les projets de l’ile.
Récemment des
amis ont été a Ile a Vache et m’ont fait un compte rendu que l’ile est plutôt
calme et qu’il n’y a plus de manifestations. Les habitants ont repris
leurs activités journalières et on ignore toutefois si le plan du gouvernement
a été modifié pour tenir compte des revendications des résidents. Il n’y
a toujours pas de transparence sur le projet de l’Ile à Vache. Nul n’est
au courant du profil des investisseurs et de la source de financement de
l’aéroport prévu! Certains jurent que Martelly et Lamothe ainsi que la
Ministre du Tourisme ont de gros intérêts personnels dans le projet, mais il
reste à voir s’il s’agit vraiment de leurs intérêts ou de développement
économique.
Le
gouvernement a déclaré que «Le projet de l'Ile-à-Vache est une lutte contre la
pauvreté et les inégalités sociales à travers les investissements et la
création de richesse». J’en conviens que c’est même une nécessité et
notre pays a besoin de plusieurs sources de revenus pour alimenter notre budget
national, est ce pourquoi nous devrions nous rassurer que le projet
bénéficierait le pays et non les poches des membres du pouvoir. De ce
fait, Laurent Lamothe et Michel Martelly ne devraient pas être des actionnaires
dans ce projet ni non plus réclamer des pots de vin et leur pourcentage au
niveau des potentiels investisseurs. Les Haïtiens doivent être donc
vigilants, par là je ne me réfère pas à des politiciens véreux qui profitent de
cette situation pour déstabiliser et boycotter mais ceux qui sont véritablement
concernés par le développement de notre pays.
Lorsqu’un
Président déclare que les caisses publiques sont vides, on devrait
réfléchir ? Qui alimente le trésor public ? Quel est le pourcentage
des recettes publiques et des impôts alimentant le trésor public
mensuellement? Ou vont les impôts, et les recettes douanières? Sur quoi
repose le budget de l’Etat ?
Programme d’Education gratuite : (PSUGO)
Le programme d’éducation gratuite est une initiative qui
devrait être appuyée par tous les Haïtiens désireux de voir un changement au
niveau de ce secteur important. C’est un des plus grands défis qu’un
gouvernement ait tenté depuis des décennies. L’accès à l’éducation pour
tous a toujours été une préoccupation majeure pour moi, et c’est l’un des
objectifs du millénaire auxquels s’engagent les pays en voie de développement.
Je me suis dit que finalement ce projet contribuera à éliminer
l’existence de deux mondes dans un même pays, une situation désastreuse qui
pénalise et isole tout un peuple depuis plus de deux siècles. En d’autres
termes, c’est en grande partie l’origine de ce grand fossé entre la masse
populaire et les nantis. Le programme d’éducation du gouvernement
revêt toute son importance, cependant, vu la célérité avec laquelle ce
programme a été mis sur pied, les structures ne sont pas adéquates pour
garantir son succès. Beaucoup de failles ont été enregistrées. Dans
la liste des écoles ayant reçu des subventions de l’Etat, Des Directeurs
d’écoles aussi bien que des députés ont falsifiées des écoles inexistantes pour
lesquelles ils percevaient des fonds. C’est une preuve que la corruption
gangrène notre société a un point tel que même nos législateurs ne font pas
l’exception. C’est le paradoxe de la corruption institutionnalisée !
En Haïti la corruption est systémique car sa fréquence est telle qu’elle
constitue plutôt la régie plutôt que l’exception, et c’est à cause de ces
impasses encouragées par un système judiciaire faible et défaillant que le
changement d’Haïti ne peut être espéré.
Conclusion :
Après le départ de Duvalier, c’était évident pour tous
que nos problèmes relèvent d’un système défaillant mis en place pendant des
décennies par des gouvernements incompétents. L’arrivée au pouvoir d’un
gouvernement démocratiquement élu en 1990 était l’occasion idéale pour créer ce
nouvel Etat qui nous tient à cœur, malheureusement, l’Etat s’est effondré
davantage pour devenir dysfonctionnel quasi en permanence. Certains
décrets de lois créés par le gouvernement de transition ont pu aider à
renforcer le fonctionnement de l’Etat cependant La corruption est considérée
comme une négation de l’Etat même en tant qu’institution. Tous ceux
qui lèvent leur voix contre l’actuel gouvernement et qui s’attendent à un
changement drastique, se leurre car aucun changement n’est possible sans des
réformes institutionnelles en profondeur au sein d’un système décomposé et
putréfié. L’institutionnalisation de l’État moderne repose sur l’exigence
de règles formelles reconnues par la loi et applicable selon la loi par tous.
Avec un parlement opportuniste et incompétent au service unique de ses intérêts
politiques, des gouvernements successifs qui abusent de leurs pouvoirs, et
d’une société quasiment en déchéance morale. En dépit d’une
constitution et des lois, l’Etat demeure l’otage du peuple et le peuple
l’otage de l’Etat. On ne peut rien espérer !
Par: Emmanuelle Gilles manugi28@yahoo.fr
Une adaptation de Herve Gilbert