Il faut réclamer la somme volée par la France à tous les instants
Par Max Dorismond
Psitt ! Avez-vous entendu
parler de la dette de l’indépendance, deux semaines après l’esclandre du New York
Times ? Non, shutt ! ne parle pas
trop fort, c’est fini, kaput… !
Les mots au pluriel, tels que réparations, réclamations, donnent la frousse et viennent troubler le sommeil des anciens colonisateurs. En fait, les articles du New York Times sur les détails croustillants et les effets pervers du couteau enfoncé par la France dans la gorge des Haïtiens fraîchement libérés, pour se faire payer la perte de l’île en 1804 pour 150 millions de francs or ou 26 milliards de dollars d’aujourd’hui, ne laissent personne indifférent.
Ce fut le branle-bas dans les chancelleries étrangères sur les révélations troublantes de cette arnaque historique menée en 1825, à la pointe des canons et de menaces. C’est un sujet épineux que les anciens colonisateurs fuient comme la peste, car il ne faut pas réveiller les escroqueries presque oubliées, les génocides sans le nom.
Les USA qui venaient de fêter les 155 ans de la libération des esclaves n’ont encore versé un centime aux descendants des Nègres qui ont construit l’Amérique. Les Japonais ont été dédommagés pour la méprise lors de la seconde Grande Guerre. Les Allemands en ont fait de même pour les Juifs après l’holocauste.
Personne ne veut confronter cette réalité, en réveillant ce sombre épisode savamment camouflé, un crime contre l’humanité qu’on essaie de colmater tant bien que mal pour ne pas faire face à ses responsabilités. Car, en indemnisant un premier négro, un second viendra réclamer sa part de l’ultime rêve. Ainsi, le « Jamais deux sans trois » retrouvera automatiquement ses titres de noblesse et l’Occident en général devra passer à la caisse pour rembourser ses dettes aux descendants des insoumis qui l’avaient enrichi gratuitement en lui permettant de vivre dans l’opulence au-dessus de ses moyens.
Pour tuer dans l’œuf ce désir jugé inaccessible et non avenu pour le bien-être des Caucasiens, les ambassadeurs de mauvaise volonté de l’International se mettent à cogiter. Dans leur stratégie à divisibilité variable, les prestidigitateurs de la diplomatie offrent leur service à La France. Ils choisissent de vider à blanc le cerveau des Haïtiens en effeuillant un faux sujet brûlant d’actualité pour combler la présidence inexistante au pays avec un nom à la fois adulé et honni, une appellation qui va transmuer l’alchimie de la situation : Jean-Bertrand Aristide.
C’est un « personnage à balance », adepte du paiement récriminatoire, le premier à lancer la fronde de cette « réclamation-restitution-réparation ». Il peut équilibrer ou déséquilibrer l’île à sa guise, avec des discours tonitruants, chargés de symboles et de sous-entendus à défriser les perruques des commissaires. C’est un élément charismatique, un certain dieu, pour la moitié du pays, et presqu’un démon pour l’autre. Ils vont l’agiter tel un épouvantail à moineaux pour détourner l’esprit des Haïtiens de cette dette colossale qui grossit à chaque seconde, à chaque heure, alarmant l’horloge de la mémoire. Il faut « créer une affaire dans l’affaire1 » pour rendre la sauce méconnaissable, selon le théorème de Charles Pasqua.
En réalité, l’International a frappé la bête en plein cœur et Haïti tombe dans le panneau. Plusieurs diplomates en service au pays viennent faire leur tour chez Aristide et puis s’en vont. Ces présences qui détonnent dans le décor suffisent pour emballer les rumeurs.
Aristide, qui fut deux fois président d’Haïti, ne peut opter pour un troisième mandat dixit la Constitution. Mais les serviteurs de mauvais augure n’en ont cure de ce charabia : ce sont eux les vrais maîtres du jeu. Leur déclaration bidon vaut son pesant d’or. Un dollar à droite, un visa à gauche, l’affaire est dans le sac. Ils ébruitent un faux secret, selon lequel Titide sera nommé Gouverneur d’Haïti. Un titre fallacieux et farfelu du 18e siècle, « à faire rire les oiseaux », déterré et brandi dans les médias comme un miroir aux alouettes. En agitant le spectre de l’avènement du p’tit prêtre, qui les avait énervés et surpris dans les années 2000, raras2, tambours sortent des houmfors3 et la rue se remplit, le temps de crier « ciseaux ». Ses partisans occupent le pavé, drapeaux et majorettes multicolores, c’est la réjouissance, la farandole assurée. Manifestations de joie, alcool, clairin4, tafia, tout est là pour faire danser les macaques.
À l’envers du décor, les provinces s’enhardissent, des pneus brûlent déjà. Les anti-Aristide érigent des barricades. Caoutchoucs, Kalachnikov, machettes, rage et colère dessinent leur vision du moment. Avec des lueurs rougeâtres dans les yeux, ils jurent de confronter l’ex-abbé. Ils veulent le pendre haut et court s’il retourne au pouvoir…
Une semaine plus tard, on se perd en conjectures. Les jours passent et se ressemblent sans aucune consécration. On oublie tout et on revient au point de départ !
Adieu réclamations à la France, adieu réparations. L’international se frotte les mains d’aise en riant des enculés. Encore une fois, le chromosome de la division spectrale a joué son rôle. Les chancelleries sablent le champagne. Elles rigolent à bouche en veux-tu. L’Hexagone vient d’enterrer la jarre à Euros comme en 2004 après avoir eu la peau du prêtre-président.
Les « Transitionistes » ou les « Ti Transit » qui, selon le jeu de mots de feu Jovenel, avaient préparé les jarres vides pour les remplir d’euros, se sont cassé la margoulette. Adieu belle vie, adieu châteaux et Lamborghini en Dominicanie ou à Miami. Adieu cortège de maîtresses. Ariel doit attendre les chiches oboles de l’International pour satisfaire ces Apaches. Le vrai perdant, c’est Haïti, mais on y reviendra encore et encore.
Le Quai d’Orsay peut, pour le moment, dormir du sommeil du juste. Dans ses pérégrinations actuelles, il se sent soulagé. Avec le rejet du Mali, la prise de conscience de la jeunesse africaine, les effets pervers de la guerre en Ukraine, il n’avait pas besoin de ce regain de réclamation à donner le tournis au président Macron.
-NOTE—
1 — Le théorème de Pasqua est devenu un classique des scandales politiques, consistant à rendre illisible une affaire en créant des dossiers dans le dossier. « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien. » Pasqua fut ministre de l’intérieur sous Chirac.
2 — Le
Rara est l’une des grandes fêtes culturelles haïtiennes
3 —
Houmfor : sanctuaire de Damballah dans le Vaudou haïtien
4
— Clairin : C’est une eau-de-vie extraite de la canne à sucre en Haïti