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Le dédoublement de notre Jojo national |
Par Max Dorismond
À relire certains de mes articles sur la
corruption ambiante de mon pays, je ne suis pas du tout étonné, aujourd’hui, de
la tournure des évènements, devant l’étalage médiatique décrivant la casse du
siècle en Haïti, dans le décor feutré de Petro Caribe. C’était écrit dans le
ciel, Jovenel serait sacrifié au moment venu. Je l’avais bien prédit dans le
texte : De Zéro à héros, le dilemme d'un président.
Comme un refoulement d’égoût, son incartade,
avec une fraude spectaculaire réalisée sur mesure pour ses deux compagnies qui
ont surfé sur deux contrats identiques, différenciés simplement par leur nom
respectif, a été mise en évidence pour une raison bien déterminée par le
dernier Rapport de la Cour des Comptes : la chute bruyante du roi.
À décortiquer l’exposé d’une telle
ignominie, instinctivement nous grimpons dans les rideaux, nous cassons nos
chaînes, nous réclamons des cordes pour pendre le pauvre Jojo.
Attention! Notre Jojo national
n’est pas le principal et unique voleur. Avec ostentation et flash de
projection, on nous l’offre en pâture, pour apaiser nos courroux. Ne jouons pas
le jeu des coquins. Ne tombons pas dans le panneau pour oublier les principaux
maîtres chanteurs. La marmite est remplie de filous jusqu’à ras bord.
Le cas de Jovenel était devenu encombrant. La
fronde sur les réseaux sociaux n’est pas à dédaigner. Elle n’a pas les moyens
de forcer l’État à la cohérence, mais sa persistance dérange. L’heure du
sacrifice avait sonné. Je vous avais bien écrit que les Ambassades possèdent le
dossier de tout le monde, dans mon texte très bien documenté : L'International
possède la liste des Petro Caribeurs. À titre d’exemple, le
volteface d’Haïti sur le vote contre Maduro (Vénézuela) en est une preuve. Tous
les dirigeants d’Haïti, indistinctement, sont tenus par la barbichette.
Dans l’article, De Zéro à héros, le dilemme d’un président, je vous avais noté le
plan qui consistait à aller chercher dans l’arrière pays un petit inconnu qui
fera « l’affaire ». Et bien, le
voici, l’agneau si doux, sur l’autel de la démagogie. Si nous parvenons,
nous, de la populace, à descendre Jovenel de son piédestal, « l’affaire
serait ketchup ». Les millionnaires seraient aux anges dans leur calcul. Le
bateau ivre retournera à son port d’attache, confiant, le cœur léger. Entretemps
les années s’écouleront et la prescription leur dira adieu. On passera l’éponge
et l’arnaque du siècle ne sera qu’un chatouillement d’aisselles.
C’est bien beau de pointer les 39 000
000,00GHT du contrat encaissé deux fois par notre Jo, pour le même service. Comme
Webert Sicot1, dixit Nemours Jn-Baptiste, il a touché deux fois. Mais ce montant divisé par 60,00GHT pour
1,00$ ne représente que 650 000,00$, une pincée de sel. Et pourtant les 4,3
milliards ont été dérobés. Ne les laissons pas nous berner. N’écoutons pas les
sanglots de leurs violons. Pour réussir un tel exploit, Jovenel a reçu l’aval
de plusieurs barons haut placés. Tous les services indistinctement, tous les
ministères qui devraient donner leur aval du double projet avaient bien joué la
partition. Avant que la BMPAD délivre les deux chèques, au nom de AGRITRANS et de
BETEX de Jovenel Moïse, tous les circuits institutionnels étaient consentants.
Que personne ne vienne nous dire le contraire.
Énumérons les coupables, la liste est très longue : Tout moun té
jwenn! Aucun n’avait refusé leur tranche de gâteau. La liste des corrompus en
réserve de la république est constante et ne se désemplit point.
La sortie spectaculaire d’aujourd’hui n’est
que de la poudre aux yeux pour mieux nous endormir. Leur but premier, c’est de
ne jamais avoir un procès Petro Caribe aux fesses. Une fois Jovenel sacrifié,
ce sera la sainte paix. Le peuple heureux dansera dans les rues. Le roi du
carnaval des « gouillades2 » lascives sera sur son char pour
faire danser les naïfs avec des refrains grivois à faire pleurer les anges. Et
le cirque recommence; c’est la banalisation du mal absolu. Aussi, vont-ils
puiser dans la longue liste des candidats potentiels, un homme lige, un autre
Alibaba, pour le nommer à titre de bouclier jusqu’à la prochaine pression. Ce
dernier ne peut refuser sous peine de passer sous le tordeur. Son dossier est
déjà long comme un bras. Tout comme Jovenel, il n’aura pas deux choix. Son
curriculum vitae est déjà imprimé.
Ce sera ainsi à chaque scandale, à chaque Katiouboumbe3. Il y aura toujours
un magouilleur dédié à mettre en selle : un premier ministre, un ministre,
un directeur, un juge, un parlementaire acquis d’avance au jeu du « pwenn fè pa4 »
pour perpétuer la couardise et permettre au temps de faire son œuvre de sape en
oblitérant les mémoires, comme par enchantement. Analyser le cursus de chaque
acteur connu, passé ou présent et vous m’en direz tant. Ce n’est pas pour le
plaisir de leurs beaux yeux qu’on remarque le retour de 3 ou 5 de ces messires
à chaque nouveau cabinet. Incompétents ou pas, rendement ou pas, ils sont leurs
assurances « Tout risque ».
C’est une toile d’araignée gigantesque
établie par des « intelligents » pour maintenir le peuple dans son
enfer. Les divers gangs « bien arrosés » veillent au grain. Les récalcitrants
trop sérieux ou trop bruyants, seront expédiés ad patres avec une balle au front, comme le malheureux Robert Marcelo
ou le révérend Père Simoly. Les parlementaires grassement rétribués rassurent
en faisant semblant de jouer aux fauteurs de trouble. Si la chaleur du foyer
s’intensifie, ils iront jusqu’à démissionner pour permettre à l’heureux élu de
gouverner par décret. Et la vie continue.
Toutefois, jusqu’à présent, le mot « démissionner »
s’avère être une onomatopée pour conforter les pauvres d’esprit. Dans ces gouvernements
qui cumulent échec après échec, avez-vous un jour, déjà entendu parler de
démission : démission d’un ministre ou d’un directeur? Jamais! Les
gras-durs n’abandonnent pas facilement leurs privilèges. « Pito yo lèd, yo
là!5 »
Alors, dans 50 ou 100 ans, les 4,3
milliards de Petro Caribe
ne seront qu’un vague souvenir teinté de rose que les adolescents d’aujourd’hui
auront à conter à leurs petits-petits enfants avant de s’endormir :
Cric-crac. Il était une fois…
Max Dorismond
NOTE
1-
Webert
Sicot : Maëstro du célèbre groupe musical Cadence Rampa durant les années 50-60.
2-
Geste lascif
à connotation sexuelle au cour d’une danse
3-
Katioubumbe :
mot ou expression créole désignant un scandale, un esclandre…
4-
Pwen
fè pa : traduction créole de l’expression (guerrière) « pas de
quartier »
5-
Pito
yo lèd yo là : Expression créole qui peut se rapprocher de
l’expression « se résigner à tout prix »