Par Eddy Cavé
Dans
notre beau pays d’Haïti Thomas, où « l’impossible est possible et le possible, impossible » et où « les
gens marchent la tête en bas »,
l’affabulation présente un attrait
presque irrésistible pour quiconque essaie d’en raconter certaines
tranches d’histoire. Ésope et, dans son
sillage, La Fontaine y ont eu recours
pour peindre les mœurs de leur temps,
tout en divertissant leurs concitoyens. Un procédé qui permet de raconter en
badinant une présidence chaotique et menacée de toutes parts d’effondrement.
Tout portait à penser, dès proclamation des
résultats des élections de 2016, que le jeune président avait
appris les fables de La Fontaine et qu’il allait au moins en prendre les maximes comme boussole. Mais encore eût-il fallu les appliquer à la
lettre et à bon escient!
Le lièvre et la tortue
De toute évidence, une de ses premières déclarations de président
nouvellement élu s’inspirait de la maxime de la fable du lièvre et de la
tortue : « Rien ne sert de courir, il faut partir à temps.» Ainsi, Jojo n’avait pas encore prêté serment comme président
qu’il effectuait un départ en trombe dans cette course d’obstacles. Pas
seulement à temps, mais avant le
temps, en faisant cette la déclaration fracassante : « Le
carnaval national aura lieu aux Cayes. Point barre. » Le
président avait parlé. Déclaration claire et simple à mon goût, mais annonciatrice d’un type de leadership pour le
moins inquiétant !
Ainsi, le nouveau maître des lieux
s’installait à la fois dans la peau de l’éléphant qui écrase tout sur son
passage et du lion qui fait la loi, l’applique à sa manière et règne en maître
absolu.
Au grand dam d’une opposition morcelée,
épuisée par une campagne électorale de plus d’un an et endormie par le délai de
grâce des 100 premiers jours, Jojo se mit à marquer des points : réussite
spectaculaire du carnaval national des
Cayes; caravanes de l’espoir dans le Sud, et l’ Artibonite; révélations tapageuses
sur les prix de l’asphalte et ses miracles
de magicien au service de la Patrie commune; promesses inconsidérées
faites avec l’assurance d’un chef d’État qui n’a pourtant pas les moyens
financiers de ses politiques. On découvrira plus tard que, tout en suivant les
préceptes de La Fontaine, Jojo
appliquait une consigne prêtée à
Voltaire par un adversaire peu scrupuleux : « Mentez, mentez, il en restera
toujours quelque chose. » Soit dit en passant, Voltaire n’a jamais prêché
pareille ineptie.
Dans la foulée des promesses d’argent dans les
poches du citoyen, de nourriture dans toutes les assiettes et d’emplois pour
tous, Jojo lancera aussi le slogan Elektrisite nan 24 mwa qui est en train
de lui éclater au visage en ce début de
février 2019.
Le corbeau et le renard
Dans l’euphorie du carnaval national des Cayes
et du concert de louanges qui accueille le couple Jojo-Titinne au Palais
national, le président oublie très vite la leçon de la fable du corbeau et du renard : « Tout flatteur
vit aux dépens de celui qui l’écoute ». Aussi
distribue-t-il à tour de bras les
largesses du pouvoir aux « hypocrites caressants » qui l’encensent sur tous les
tons à longueur de journée. Les grands bénéficiaires sont ceux et celles qui
chantent le plus fort et se rasent et se cirent
le crane le plus souvent possible en guise de serment d’allégeance.
Les contrats juteux pleuvent alors sur
l’oligarchie qui a financé sa très coûteuse campagne électorale et qui attend à
bon droit les retours d’ascenseur. Adulé
par ce beau monde du milieu des affaires, l’ami Jojo flotte sur un nuage. Il sillonne le pays à la tête de sa caravane,
concentrant entre ses mains les fonctions d’un premier ministre invisible et
des ministres introuvables des Travaux publics, de l’Agriculture, etc. La
réussite est totale, le bonheur parfait! Mais personne ne voit que les prix montent,
que la gourde coule et que le marasme s’installe insidieusement, Un seul
refrain :
« Que vous êtes
joli! Que vous me semblez beau!»
Amateur de formules simplistes, Jojo oublie
toutefois celle-ci : « Qui trop embrasse mal étreint. » Il
accumule ainsi gaffe sur gaffe en
un temps record : constructions de mauvaises routes sans études
préalables; improvisations dangereuses dans l’agriculture avec la promesse de
création de dix zones de production;
nominations partisanes dans tous les secteurs, diplomatie comprise;
projet de téléphérique dans le Nord; gestion catastrophique du budget dont le
déficit croissant entraîne la gourde
dans un trou sans fond. Jojo se bat sur tous les fronts et adore les bains de
foule dont les inaugurations les plus insignifiantes lui donnent l’occasion.
Le loup et l’agneau
Jojo avait appris en mémorisant Le loup et l’agneau que la raison du plus fort est toujours la
meilleure. Comme il n’a jamais oublié cette maxime qui fait le bonheur des
puissants de ce monde, il fonce tête
première dans l’exercice solitaire du pouvoir
et dans une prise de décision autocratique et complètement aberrante. La
griserie du pouvoir aidant, il oublie très vite qu’il a été propulsé au pouvoir
sans préparation adéquate et il ne fait aucun effort pour s’initier à
la pratique de la délégation. Il sait qu’il est le plus fort et que tout ce qui
est bon pour lui est bon pour son entourage et pour le pays.
Chaussé de ses solides, mais peu esthétiques,
bottes de construction, il se fait bon papa, stratège, tacticien, gestionnaire,
directeur de chantier et occupe à lui seul tout l’espace médiatique. Ce
faisant, il s’entoure d’une armée de courtisans qui applaudissent à tout rompre
à ses initiatives les plus saugrenues. Une seule promesse mirobolante manque à son programme de gouvernement :
la création de murs entre les zones de
non-droit et les beaux quartiers. Bravo Jojo, diraient-ils! Bali bwa, chofè!
Dans un premier temps, Jojo, le plus fort des
forts, est gratifié de tous les
honneurs, mais quand, au bout de quatorze de mauvaise gestion, les émeutes éclatent, il est contraint de
congédier son premier ministre et d’écarter, du moins officiellement, certains
proches devenus trop encombrants. En ce début de 2019, les manifestations de
rues ont gagné en importance et
inquiètent de plus en plus, et
l’interlocuteur le plus fort est
en train de devenir la rue. Avec les nombreux changements d’allégeance que
cela entraîne.
En hommage à la vérité, il faut toutefois dire
qu’en rusé compère, il se voit aussi en renard. Admirateur silencieux de cette
engeance sortie des fables de La Fontaine, il a, avec la complicité de Titine,
leurré durant toute la campagne électorale les Gwo Soso, Valérie, Christine et autres grandes dames du PHTK. Une fois
installé dans ce qui reste du Palais national, le terrible duo les écarte
habilement du Palais et fait place nette pour les nouveaux invités au banquet
du pouvoir.
Le renard de La Fontaine
Qu’il s’agisse des maîtres chanteurs et «
parle-menteurs » Jacques et Gracia, de l’homme d’affaires Edo, du
tout-puissant Shérif ou de Micky
lui-même, on observe maintenant que le vent a tourné. Et, avec lui, les
girouettes accrochées au mât du navire. Pas surprenant que les deux anciens
présidents du Sénat qui avaient appuyé en 2010 Myrlande Manigat contre Michel
Martelly aient repris leurs places dans les rangées de l’opposition. « La
politique haïtienne est byzantine! », se plaisait à répéter Leslie
Manigat. Jojo est en train de l’apprendre à ses dépens.
Le laboureur et ses enfants
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Vue partielle de la plantation d'Agitrans en 2016 |
La publication, fin janvier, du rapport de la
Cour supérieure des comptes sur la
dilapidation des fonds de Petro Caribe a remis sur le tapis le scandale
d’Agitrans. Autrement dit, de l’abandon des installations de la gigantesque
exploitation agricole qui a propulsé Jojo sur la scène nationale en 2015-2016.
Après avoir coûté des millions de dollars aux contribuables du pays et servi de
rampe de lancement de Jojo au timon des affaires, Agitrans a simplement été
fermée et la plantation de bananes, abandonnée à elle-même. La seule opération
d’exportation connue est un trompe-l’œil qui finalement n’a trompé
personne : l’exportation de quelques caisses de bananes vers l’Allemagne
sur un convoyeur pratiquement vide. Et
la vie a repris son cours dans ce pays
où les scandales ont la réputation de durer 17 jours, soit deux semaines et un
week-end additionnel.
Si Jojo avait appris la fable du laboureur et
de ses enfants et s’en était souvenu, il aurait tout fait pour sauver les
bananeraies. Il aurait retenu que, les enfants du fermier n’ayant pas trouvé le trésor prétendument enfoui dans le
terrain légué par leur père et qu’ils passèrent une année complète à labourer,
il était très rentable de l’ensemencer et de récolter. Comment comprendre donc
que les stratèges qui ont monté et financé Agitrans pour nous donner Jojo comme
président n’aient rien fait par la suite pour sauver et rentabiliser
l’investissement initial? Qu’ils aient
refusé de remettre en mouvement
cette unité de production qui n’attendait qu’un tour de clé pour
alimenter un marché international avide de produits biologiques et un marché
national en proie à des pénuries chroniques?
Quoi de plus simple, Eddy, me répondent tous
les jours les gens qui prétendent
détenir la clé de l’énigme? « L’objectif du projet n’était pas de faire
d’Haïti un grand exportateur de bananes biologiques. C’était de propulser Jojo la banane à la présidence et cet
objectif a été atteint. » En
gestion de projet, m’explique-t-on, comme si je venais d’une autre planète, la
réalisation d’un projet ne va au-delà de
l’atteinte des objectifs. Point barre!
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
Ottawa, le dimanche 3 février 2019
Eddy Cavé eddycave@hotmail.com