Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Wednesday, April 30, 2025

Marjorie Michel : l’héritière lucide au cœur du pouvoir canadien

Marjorie Michel

 

Par Hervé Gilbert

Dans l'arène politique canadienne, une nouvelle figure se distingue par son parcours singulier et sa profondeur d'engagement: Marjorie Michel. Elle incarne une nouvelle voix du Canada pluriel — enracinée dans la mémoire haïtienne, façonnée par l’expertise technocratique, guidée par une intelligence politique affûtée. Marjorie Michel, récemment élue députée de Papineau, entre en scène avec une trajectoire remarquable : brillante, ancrée, déterminée.

Fille de feu Smarck Michel, ancien Premier ministre haïtien dont le court mandat a laissé une empreinte durable, Marjorie n’a jamais compté sur le prestige d’un nom. Bien au contraire: c’est par la rigueur, le service public et une conscience aiguë des enjeux sociaux qu’elle a construit sa propre légitimité. Aujourd’hui, elle devient la nouvelle voix de Papineau, cette circonscription emblématique autrefois représentée par Justin Trudeau — un passage de flambeau hautement symbolique.

Formée en Belgique en psychologie sociale et organisationnelle, elle amorce son parcours au sein de la haute fonction publique canadienne, où elle développe une compréhension fine des politiques sociales. Sa vision et son professionnalisme la propulsent rapidement dans les sphères du pouvoir : cheffe de cabinet au ministère des Familles, cheffe de cabinet auprès de la présidence du Conseil du Trésor, puis, en 2021, cheffe adjointe de cabinet au bureau du Premier ministre — une première historique pour une femme noire au Canada.

Mais son regard ne s’est jamais limité, elle mène un combat discret mais tenace pour la reconnaissance, dans un contexte où chaque avancée est une victoire de principe et de dignité.

Son élection dans Papineau marque aujourd’hui un tournant. À la croisée des héritages et des expériences, Marjorie Michel incarne une rare synthèse : la précision administrative, la mémoire diasporique, et l’ambition d’une politique plus inclusive.

Dans un paysage politique en quête de sens et de renouveau, elle incarne une promesse rare — celle d’un leadership ancré dans l’humanité, la compétence, et une fidélité assumée à ses racines. Et si l’avenir du progressisme canadien s’écrivait désormais au féminin, avec des racines venues du Sud et une vision résolument tournée vers demain ?


SVP… Évitez de faire rire les oiseaux d’Haïti

Pour de plus amples informations, voir les vidéos ci-jointes en notes

Par Max Dorismond 

En cette période cruciale pour cette île des Caraïbes, on se perd en conjectures, ne sachant quoi penser, ignorant quelle prière réciter pour rectifier la fatale et funeste trajectoire qui conduit Haïti vers un triste sort. 

La semaine écoulée, j’ai eu l’occasion de lire quelques intéressantes lettres adressées au CPT (Conseil Présidentiel de Transition), communément appelé «Ti Transit» par les loustics. Ces documents, qui ne tournent pas autour du pot, ne réclament ni plus ni moins que la démission de ce club tentaculaire après une année d’existence sans l’ombre d’une résolution de paix pour le peuple. 

Demande irréaliste, s’il faut en tout et pour tout reconsidérer la tradition. Connaissez-vous, tout en jetant un regard rétrospectif sur l’histoire de ce coin de terre, un chef d’État qui avait déjà remis volontairement l’écharpe présidentielle pour incapacité ou incompétence? Continuez de rêver, frérot! Dans le passé, aucun d’entre eux n’avait jamais exaucé les ambitions du diable. Allez voir pour les neuf mongols d’aujourd’hui qui caressent en catimini et mutuellement le fantasme d’un CPT à vie. 

Les observateurs critiquent ces privilégiés pour leur inaction, leur impuissance à désamorcer le drame  appréhendé dans un pays, ankylosé par l’insécurité. Quant à leur train de vie royal, on rentre en plein dans la démesure : voyages internationaux farfelus, salaires mirobolants, plans budgétaires fantasmagoriques, alors que toutes les institutions étatiques sont en proie à la déconfiture. 

Juste à titre d’exemple, le Parlement est dysfonctionnel. Ne siège nul député, ni sénateur, mais un budget faramineux1 a été alloué à ce corps fantomatique. Trouvez l’erreur! Ce ne sont que des Ali Baba en puissance. Même les singes refusent de croire que ces gens-là descendent d’eux.

Dans la première semaine d’avril, le Canada est entré en élection. Les candidats de l’opposition reprochent à l’ancien gouvernement Trudeau ses dons somptuaires en aides internationales. En un clin d’œil, sur la télévision, aux nouvelles de 18h, j’ai vu défiler sur l’écran le nom d’Haïti qui aurait bénéficié de 172000000,00 $. C’est à tomber des nues! 

Et de là, à comprendre l’incompréhensible, il n’y a qu’un pas. La vanne de Petro Caribe est bel et bien fermée, c’est au tour des 9 larrons de ne laisser passer aucun penny. Ils n’en ont cure de la détresse du peuple. Pourvu que leur besace soit remplie, le temps du transit. S’il faut se fier aux documents mis en ligne par le RNDDH, chacun des membres du CPT dispose2 mensuellement d’un montant de 10 millions de gourdes ou 76923,08$ US. Une rémunération plus élevée que celle des présidents américains. Tandis qu’en Afrique de l’Ouest, au Burkina Faso, le jeune Ibrahim Traoré, «avek Ti kòb kapitèn li ya», avec son petit salaire de capitaine, a réalisé des merveilles pour son coin de terre en moins de deux ans de gouvernance. Chez nous, tout le monde veut aller au ciel en passant par la politique. 

Nos 9 privilégiés ont été à la bonne école, ce qui les porte à s’empiffrer davantage. On ne les entend presque pas, en raison de leur bonne éducation (hic). On leur avait appris à ne jamais parler la bouche pleine. En conséquence, la demande de démission en poésie, titrée : «Lettre au CPT», résonne comme de la musique classique à leurs oreilles. Ces radoteurs sourient dans leur barbe, face à cette réclamation, à leurs yeux, impromptue et archaïque, qui «fait vraiment rire les oiseaux d’Haïti». Je ne serais nullement étonné, après la lecture de ces missives, de les entendre fredonner en chœur la sécurisante ritournelle martiniquaise : Ça fait rire les oiseaux/ ça fait danser les écureuils… 

En un mot, il n’y a pas dix solutions. Depuis plus de 200 ans, la corruption demeure un sport national, et une minorité y a décroché le gros lot. Dans 99% des cas, des politiciens désargentés s’accaparent du pouvoir, avec leurs amis et complices, font main-basse sur la caisse et s’enfuient après leur mandat, vers un pays d’outre-mer, où ils vont se la couler douce pour le restant de leurs jours. La Jamaïque, toute proche, était autrefois leur terre de prédilection. 

Nous ne sommes plus au stade de la littérature. La situation réclame notre intervention pour nous débarrasser de ce système rétrograde maintenu par nos voisins hyper puissants depuis plus de deux siècles. Il faut passer en quatrième vitesse, transcender l’émotion, s’extraire du conformisme. Trop de larmes versées, trop de victimes innocentes. La comédie a trop duré. Quand nos droits sont bafoués, le recours aux armes s’impose dans toute sa force et dans toute sa laideur. Agissez pendant qu’il est encore temps, avant que la Dominicanie n’occupe Haïti! 

Max Dorismond.

 

-NOTE- 

1 – Voir la page 7 du Budget d’Haïti 2024-2025 : https://budget.gouv.ht/storage/app/uploads/public/670/d14/0b2/670d140b2e651371766509.pdf 

2 - Le RNDDH accuse le CPT de détournement de fonds:    https://youtu.be/uSis26HQp68?t=316

Sunday, April 27, 2025

MES ADIEUX À MON AMI JOE JACQUES

 

Par Eddy Cavé, edddynold@gmail.com

Ottawa, le 23 avril 2025

Joe Jack
Des nombreux amis, collègues et connaissances que j’ai pratiqués ou côtoyés de près pendant les trois ou quatre dernières décennies, Joe Jacques est sans conteste un de ceux qui m’ont le plus marqué. Qui ont le plus influencé mon quotidien, allant  enrichir jusqu’à ma manière de voir le monde.

D’abord, Joe m’a sensibilisé à la réalité et aux défis auxquels les non-voyants sont confrontés à chaque minute de leur existence. La seule phrase « Le monde est beau, dit-on, tout est fait pour la vue », tirée de la très belle chanson Entre voir et t’aimer, révèle en peu de mots le tragique dilemme des non-voyants et ce qui pourrait être chez lui un motif permanent de frustration. Joe étant un stoïque qui ne s’est jamais laissé abattre par les caprices d’un destin très peu tendre à son endroit, il a cherché et trouvé dans la spiritualité les forces nécessaires pour surmonter chacun des obstacles rencontrés sur sa route. 

Ensuite, Joe m’a fait découvrir, du dedans, le monde  très particulier du spectacle haïtien, avec ses moments forts et ses passages à vide, ses beautés et ses laideurs, ses actes admirables de solidarité ainsi que les coups-bas qu’on s’y donne entre confrères et entre vrais ou prétendus amis. Il m’a également initié au clavier électronique, me donnant un passe-temps dans lequel je me réfugie toutes les fois que la fatigue physique ou mentale s’empare de moi après des heures d’intense labeur. 

Enfin, Joe n’a jamais cessé de m’impressionner par la profondeur de son jugement, l’originalité de ses idées sur les sujets les plus variés et le côté tranchant de ses réparties. Cet aspect de sa personnalité sera sans doute le plus durable des souvenirs que je garderai de lui. Joe n’a pas seulement été pour moi un compagnon de route, un ami intime ou un frère. En plus de tout cela, il a été pour moi un modèle, un guide, un objet permanent d’admiration. Par son extraordinaire résilience, sa combativité, l’étendue de son savoir, sa curiosité intellectuelle et sa capacité d’adaptation à l’évolution technologique, il n’a jamais cessé de m’inspirer et de me stimuler. Il a, par-dessus tout, contribué à modifier en profondeur ma vision du monde et de la société dans laquelle nous vivons. 

À ma question de savoir si, au détour de la cinquantaine, il n’était pas trop tard pour que je m’initie à la musique, Joe me répondit sans réfléchir une seule minute : «  Absolument pas, mon cher ami. Tu as fait des choses beaucoup plus difficiles que cela dans la vie… Sans compter qu’il y a maintenant le piano électronique que je définis comme « la musique mise à la portée des sous-doués, des béotiens comme on dit. Achète-toi pour quelques centaines de dollars un Yamaha semi-professionnel usagé ou un bon Casio et je t’apprends à jouer en un week-end. À ton retour chez toi à Ottawa, tu pourras jouer dans ton auto tes propres enregistrements. J’ai tous les appareils qu’il te faut pour cela dans mon studio. » 

Chose dite fut faite. Je m’achète un Yamaha d’occasion et nous passons ensemble, à Montréal, le premier long week-end de l’été 1990. Au moment du retour chez moi à Ottawa, le lundi midi, il me remet une cassette contenant, outre une chanson créole, mes premières interprétations des grands succès internationaux qu’il m’a appris à jouer : And I Love You So, de Perry Como, et Spanish Eyes, d’Engelbert Humperdinck. Insistant pour que j’ajoute un boléro haïtien à mon répertoire de départ, il m’avait fait jouer également Manman Nanotte, un des grands succès de Gérard Dupervil. Pour dire toute la vérité, j’ajouterai seulement que, dans le but d’accélérer cet apprentissage, j’avais fait quelques séances de travail avec mon cousin Michel Fleury à Ottawa. Ce week-end d’initiation « pour sous-doués » avec Joe restera gravé pour toujours dans ma mémoire… 

Ce que la plupart des gens qui parlent de Joe Jack ou écrivent à son sujet ne savent pas, c’est qu’il était un éducateur-né et qu’il a commencé sa carrière professionnelle comme professeur d’anglais avant d’enseigner la musique avec un rare bonheur. Sa carrière de musicien professionnel est venue plusieurs années après.

Joe était également un leader doté d’extraordinaires talents d’organisateur, en plus d’avoir un flair tenant presque du génie. En fait foi son expérience de fondateur-maestro des groupes de non-voyants Les Quatre Cloches, qui deviendront Les Sept Cloches à la fin des années 1960. La découverte de l’accordéon électronique, qu’il appelait « un piano à bretelles », déclenchera chez lui l’intuition géniale de se transformer en homme-orchestre et de faire cavalier seul.

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Joe Jack
Je me suis lié d’amitié avec Joe par l’entremise de mon Valère Cécil Philantrope à la fin des années 1980 et nous ne nous  sommes jamais séparés depuis. Voyant que les promoteurs abusaient souvent de son handicap, je lui fis part un jour timidement l’idée de m’occuper de la gestion de ses contrats et il me nomma son manager, sans la moindre réticence. Avec enthousiasme même. C’était l’époque où il entrait dans une nouvelle modernité en passant du « piano à bretelles » au synthétiseur Technics KN 1000, qu’on voit ici. Les recettes de notre première tournée servirent à l’achat du modèle haut de gamme KN 7000, de micros unidirectionnels sans fil, d’une enregistreuse haut de gamme et de divers autres accessoires. Ainsi commençait une nouvelle étape de sa carrière qui allait durer plus de vingt ans.

En ma qualité d’accompagnateur et de manager improvisé, j’ai vécu avec lui des moments de joie intense, de bonheur indescriptible, ainsi que des aventures désopilantes. Joe étant très porté vers l’autodérision, il n’a jamais cessé de me raconter des anecdotes où il n’avait pas nécessairement le meilleur rôle : des blagues sur les bègues, les aveugles les promoteurs qui ne respectaient pas leurs engagements à son endroit. Témoin cette blague relative à une soirée qu’il devait animer chez une connaissance, tandis qu’il devait jouer à un night-club. Furieux d’apprendre que Joe se produisait ailleurs pendant que les invités l’attendaient avec impatience, le bonhomme partit à sa rencontre avec, prétendument, l’intention de le forcer à revenir avec lui. Jouant à fond la carte du cynisme, Joe lui répondit tout simplement : « Se pa lakay ou mwen ye la a. Eskizem monchè » (Tu veux me dire que là où je suis en train de jouer, ce n’est pas chez toi ? Désolé, mon cher !). Joe m’a finalement expliqué  que c’était un fait exprès et une revanche prise à l’encontre d’un voyou qui avait au préalable abusé de sa confiance.  

Joe  a souvent raconté au micro également une petite mésaventure qu’il a eue dans un des minibus de la route de Carrefour. Cédant à ses réflexes de séducteur, il commence à baratiner et à assommer de compliments une jeune dame assise à côté de lui, tandis que l’ami qui l’accompagne ne cesse de le piétiner pour lui dire d’arrêter. C’est seulement à leur arrivée à destination que l’ami lui expliquera que la belle dame en question était une religieuse en uniforme… Cela l’amusa au plus haut point. 

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Un souvenir inoubliable

À l’approche du dimanche de Pâques 1991,  j’accompagne Joe à New York pour une tournée de trois jours organisée par Jéroboam Raphaël, le président-fondateur de la firme Geronimo Records. Le moment fort du programme d’activités de cette organisation est le traditionnel concert du dimanche de Pâques  donné à l’auditorium du Brooklyn City College et qui affiche « COMPLET » chaque année.  Joe est le troisième nom inscrit au programme de cette année, et le promoteur n’a ménagé aucun effort pour lui redonner la place qui lui revient sur la scène musicale haïtienne. 

Ti Pwofesè lekòl


Une demi-heure avant l’heure prévue  pour le lever du rideau, la salle est déjà pleine à craquer, et le public commence à s’impatienter, réclamant bruyamment le premier groupe inscrit au programme, Lakol. Les musiciens sont sur les lieux, mais ils ne sont pas en mesure de commencer, car ils arrivent de Boston où ils ont seulement pris le petit-jeuner. Le promoteur invite alors Dieudonné Larose, le deuxième artiste de la liste, à combler le vide. Larose refuse, affirmant qu’il ne va pas « chauffer » la salle pour les autres musiciens. En désespoir de cause, Jéroboam m’appelle et me demande, avec beaucoup de tact, si je ne pourrais pas convaincre Joe d’ouvrir le spectacle. 

Ayant pleinement confiance dans la force de frappe de mon ami, je l’encourage à foncer, lui disant que c’est sa chance de reprendre sa place au Palmarès après une éclipse qui n’a que trop duré. Il comprend vite les enjeux et accepte. En gravissant les marches du podium, je lui demande s’il conserve l’agencement préparé en prévision de la troisième place figurant au programme ou s’il commence par une autre chanson. Il me répond calmement qu’il ne sait pas encore : « Je dois d’abord prendre le pouls de l’assistance, me dit-il, en humant l’air ambiant. Je déciderai ensuite. »

Par les bruits et les vibrations qui viennent de la salle et par les commentaires qui fusent de partout, Joe détermine le profil et les attentes de l’auditoire. Après un court mot de remerciement prononcé pendant lequel il exécute quelques arpèges, il met son clavier en mode démarrage synchronisé (« Syncro Start ») et commence à fredonner sans accompagnement musical le premier couplet du tube qu’il vient de choisir :

« Mignone enfant vieille à huit ans

Quelle douleur glisse du cœur

Dans tes  romances où la souffrance verse des pleurs

Tu cours les rues dans tes guenilles

Sans nul soutien et sans famille

Et dans le soir, pleine d’espoirs, ta voix s’écrie … » 

Perspicace et seul maître du jeu, Joe fait alors une pause bien calculée, puis il plaque le premier accord qui met le système en route. Pendant que la salle résonne des milliers de décibels qui traversent l’atmosphère, la foule, déjà chauffée à blanc par la vue de son artiste retrouvé, entonne d’une seule voix avec lui : « Men kafe griye. » 

\Le pari est gagné. Un  immense frisson traverse l’auditorium, tandis que les gens se lèvent spontanément pour applaudir à l’unisson « le retour de l’enfant prodigue ». Dans ma longue expérience d’amateur de spectacles de ce genre, je n’avais jamais rien vu de tel : un public accordant une ovation debout à un artiste avant qu’il ait joué une seule note. C‘était, pour moi  du moins, un fait sans précédent dans les annales du spectacle, une véritable première… Et je n’en ai jamais vu d’autres, non plus, par la suite.

Au milieu du tonnerre d’applaudissements qui semble s’éterniser, Joe enchaine en plaquant un accord qui réactive la synchronisation. La salle retentit alors de mille vivats et le succès est total. Pendant que l’enchantement se poursuit, Joe entame le second couplet :  

Seule tu passes trainant

Hélas et sa douleur

Ta voix plaintive qui se lamente et qui se meurt

Et tu reviens dans la nuit noire

Sans nul soutien que tes déboires

En toussotant contre le vent  et gémissant

Men kafe grye

Les centaines de spectateurs entassés dans cet immense auditorium super équipé en matériel acoustique  se trouvent ainsi plongés, sans transition ni préparation, dans une euphorie collective indescriptible. Sans doute que la plupart d’entre eux connaissaient déjà la chanson, mais ils sont cette fois interpelés par le sujet et ils sympathisent avec cette gamine, sans doute une restavèk, qui court les rues en guenilles dès le lever du jour pour vendre du café grillé. 

Au plus fort de cette euphorie collective, une jeune dame totalement inconnue se précipite vers l’estrade,  s’improvise directrice de chorale et fait chanter la foule. Avec son flair habituel, Joe s’ajuste immédiatement à cette situation complètement imprévue et rejoue en boucle une partie de la chanson pendant que le public se laisse aller à l’improvisation… C’était la première et la seule fois de ma vie que je voyais un spectacle commencer par une ovation debout et dans un tel brouhaha.                                                                                    

La chanson terminée, le public réclame une reprise et la jeune dame saute cette fois sur l’estrade pour prendre véritablement les choses en main. Craignant de perdre le contrôle de la situation, trois gardes de sécurité s’interposent pour l’en empêcher. Elle les engueule vertement, leur disant que ce sont eux, les Américains, qui ont l’habitude de tuer leurs vedettes : « Nous autres Haïtiens, nous ne tuons pas nos vedettes. Nous les embrassons. » Là, elle se rue vers Joe, le couvre de baisers sous les applaudissements nourris de la foule et de Joe lui-même.

L’incident terminé, Joe reprend son tour de chant qui se soldera par des tonnerres d’applaudissements et de nombreuses invitations. Dès lors, j’avais entre mes mains un carnet de commandes bien garni, avec des propositions pour Miami, Orlando, Boston, Chicago et de nouveau New York. 

Nous avons par la suite connu d’autres moments d’euphorie, mais celui-ci était unique. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en pensant à Michèle et à Andrée-Anne, à Mercédès, à Sabine, à Patsy, aux enfants et petits-enfants de Joe, j’ai tenu à intégrer à cet hommage le souvenir de ce couronnement de notre homme-orchestre à New York. 

Mon très cher Joe, si la Nature ne t’a pas toujours comblé de ses bienfaits, elle t’a donné les immenses ressources spirituelles et autres qui t’ont permis de toujours survivre dans l’adversité. Et surtout de t’épanouir dans ce monde où, comme tu le dis si bien, « tout est fait pour la vue ».

Hommage de Valério Saint-Louis à Joe Jack




Saturday, April 26, 2025

Funérailles du pape François : l'Église catholique au cœur de l'histoire universelle

Le cardinal Pietro Parolin se tient debout devant le cercueil du pape


Par Hervé Gilbert

Samedi 26 avril 2025, la basilique Saint-Pierre de Rome a été le théâtre d’un événement d’ampleur mondiale : les obsèques du pape François. Plus de 200 000 fidèles, 130 délégations officielles et 80 chefs d’État et de gouvernement se sont réunis pour saluer la mémoire d’un pontife qui, durant plus d’une décennie, a marqué l’histoire contemporaine par son plaidoyer en faveur de la justice sociale, du dialogue interreligieux et de la dignité humaine.

À travers cette cérémonie empreinte de solennité, l’Église catholique a démontré, une fois de plus, sa capacité unique à rassembler au-delà des frontières politiques, culturelles et confessionnelles. Symbole vivant d’une tradition millénaire, elle s’est affirmée comme un pilier incontournable de la civilisation occidentale, tout en portant la voix des peuples du Sud.

Les figures majeures de notre époque étaient présentes

Sous les voûtes séculaires de la basilique Saint-Pierre, le monde entier retenait son souffle pour l’ultime adieu rendu à François. Dans cette solennité vibrante d’émotion, défilaient les figures majeures de notre époque : le président des États-Unis, la chancelière allemande, le président français, le roi d’Espagne, l'ancien président Joe Biden, ainsi que de nombreux représentants venus d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, porteurs de l’hommage universel.

Cependant, l'absence, lourde de sens, de Vladimir Poutine, du président chinois, du dirigeant nord-coréen et du Premier ministre israélien rappelait, en filigrane, les fractures géopolitiques d’un monde en quête d’équilibre, même en ses instants de recueillement.

Parmi la foule compacte, une silhouette attira tout particulièrement les regards : celle de Volodymyr Zelensky. Ovationné à son arrivée, le président ukrainien, visage fermé, portait en lui la détresse silencieuse de son peuple meurtri. À travers sa présence, c’était toute la tragédie d’une guerre toujours en cours qui s'invite, pudique mais poignante, au cœur d'une messe pour la paix.

Un bref échange entre Zelensky et Trump

Et lorsque les caméras capturèrent cet instant suspendu — un bref échange entre Zelensky et le  président Donald Trump —, la mosaïque d’écrans du monde entier fit ressurgir les échos d’un passé orageux. Mais dans la lumière tamisée de Saint-Pierre, cet aparté furtif semblait effacer, l’espace d’un souffle, l’âpreté des divisions.

Ainsi, au pied de l’autel où reposait François, le combat pour la paix, l’unité et la dignité humaine trouvait une résonance poignante. À travers le deuil du monde, c’est aussi une fragile espérance qui levait la tête, témoin discret mais tenace d’une humanité aspirant à des jours meilleurs.

Le cercueil  du pape quittant la Basilique Saint-Pierre

Les funérailles du pape François n'ont pas seulement été un moment de recueillement religieux : elles ont incarné un rare instant d’unité mondiale, où les clivages habituels semblaient suspendus au profit d'une mémoire collective partagée. Premier pontife issu du continent américain, François avait su, tout au long de son pontificat, replacer les périphéries au cœur du message catholique, prônant une Église "pauvre pour les pauvres", ouverte au monde et attentive aux défis de son temps, de l’écologie intégrale aux migrations humaines.

Cardinal Giovanni Battista

La liturgie, à la fois simple et solennelle, fut ponctuée de lectures en plusieurs langues, illustrant la diversité de l’Église universelle. Dans son homélie, le cardinal Giovanni Battista  Re, doyen du Collège des cardinaux , a rendu  hommage au pontife défunt en évoquant sa dernière bénédiction « Urbi et Orbi », soulignant qu'il fût un homme de paix, un artisan d’espérance et un bâtisseur de ponts entre les peuples. Sous un ciel printanier, la foule massée sur la place Saint-Pierre pria et chanta dans une émotion partagée, marquant la fin d’une époque et l’entrée dans une nouvelle ère pour l’Église.

Au-delà du religieux, ces funérailles rappelèrent la centralité persistante du Vatican dans l’imaginaire mondial : un lieu où, face aux tumultes de l’histoire, palpite encore le cœur fragile mais indomptable du destin spirituel de l’humanité.


Les moments clés des funérailles du pape François 

Une courtoisie de CNN

Tuesday, April 22, 2025

François s'en est allé, l'Église cherche son nouveau pasteur

Pape François est parti: Rome entre deuil et décision


Par Hervé Gilbert

C'est une scène immuable, presque sacrée, qui traverse les siècles: un ciel romain scruté par des milliers de regards, une cheminée d’où s’élève une fumée. Noire ou blanche. Espoir ou attente. Mort ou renaissance.

Pape François
À chaque vacance du siège apostolique, le monde retient son souffle. Au cœur du Vatican, entre pierres millénaires et traditions séculaires, se déroule un rituel codifié, empreint d’une intensité spirituelle unique: le conclave.

Mais avant que la blancheur ne scelle le nom d’un nouveau pape, la fumée noire règne. Elle charrie l’écho du doute, des négociations, des prières. Voile discret, elle dissimule les débats d’une Église enfermée dans le silence de la chapelle Sixtine, en quête de son avenir.

Ce documentaire propose une plongée dans l’histoire méconnue de ce signal sombre, à la fois signe d’attente et miroir des époques. De l’obscurité du Moyen Âge aux remous du XXe siècle, les traditions du Vatican ont évolué, se sont transformées, parfois au prix de controverses.

À travers les images, les récits et les symboles, redécouvrons ensemble ce que la fumée noire a toujours su dire… sans jamais parler.

Nul ne peut changer le cours de l’Histoire. À l’annonce du décès du pape François, tous les regards se tournent de nouveau vers le Vatican, redevenu pour quelques jours le centre de toutes les attentions. C’est là, entre silence et recueillement, que la célèbre cheminée de la chapelle Sixtine diffusera la fumée révélatrice : noire pour l’attente, blanche pour l’élu.

Défunt François repose dans son cercueil
Jorge Mario Bergoglio, devenu pape François en 2013, fut le premier pontife issu du continent américain et le premier jésuite à accéder au trône de Pierre. Né à Buenos Aires en 1936, fils d’un cheminot d’origine italienne, il s’est imposé par son humilité, sa simplicité de vie et sa parole directe, souvent dérangeante pour les cercles traditionnels de l’Église. Marqué par les réalités sociales de l’Amérique latine, il fit de son pontificat un combat pour les pauvres, les migrants, la justice climatique et la réforme ecclésiale. Sa mort, au-delà du deuil, ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de l’Église : celui de la succession, dans un monde profondément bouleversé. Dans la basilique Saint-Pierre, baignée d'une lumière pâle, le corps du pape François repose dans son cercueil, revêtu des ornement liturgiques, les mains sur un crucifix. Le silence de Rome pèse lourd, seulement troublé par les prières discrètes des fidèles venus lui rendre un dernier hommage. Étendu dans son dernier lit, il semble déjà tourné vers l'éternité, offrant à l'histoire l'image d'un pontife demeuré humble jusqu'au seuil de la mort.

Vue de la Basilique Saint-Pierre

Chapitre I – Le théâtre du silence

Le Vatican. Moins d’un demi-kilomètre carré, mais un empire de signes et de silences. Au lendemain de la mort d’un pape, ses murs retiennent leur souffle. L’agitation du monde s’arrête à ses portes. Le protocole s’enclenche : la chambre papale est scellée, l’anneau du pêcheur brisé, et les cloches sonnent en deuil.

Mais derrière les cérémonies, un autre théâtre se prépare — celui de la succession. Depuis des siècles, les murs de la chapelle Sixtine enferment une scène invisible où s’écrit le futur spirituel de l’Église. Là commence le règne du silence et de la fumée.

Dans ce micro-État bardé de mystère, chaque geste est symbole, chaque silence, un message. Les cardinaux arrivent de tous les continents, porteurs de langues, d’expériences, de sensibilités différentes. Et pourtant, une seule tâche les unit : discerner la voix de l’Esprit. Le monde extérieur ne pénètre plus ces murs. Seul un petit conduit de pierre reliera encore le Vatican au reste de l’humanité : celui d’où montera la fumée.


Chapitre II – La fumée noire : un symbole d’attente 

La fumée noire
La fumée noire… elle s’élève sans dire un mot, mais tout le monde comprend. Elle annonce que l’heure n’est pas encore venue. Que l’Esprit Saint n’a pas encore soufflé son nom.

Depuis le XIIIe siècle, les papes sont choisis à huis clos. Le conclave — du latin cum clave, « à clé » — est une pratique née de l’urgence, lorsque les décisions se faisaient attendre. Mais c’est au XXe siècle que cette fumée est devenue un langage universel. Noire : il faut patienter. Blanche : habemus papam.

La fumée blanche s'échappant de la chapelle 
Sixtine en 2013 annonçait l'élection du pape François
Pendant longtemps, le signal fut artisanal, parfois maladroit. On ajoutait du goudron, du foin humide, des substances diverses pour noircir la fumée. Les fidèles, eux, levaient les yeux vers le ciel, entre espoir et interprétation. Aujourd’hui, des composés chimiques garantissent la clarté du message. Et pourtant, la symbolique reste intacte : dans le secret des scrutins, l’humanité cherche à entendre Dieu.

Ce nuage sombre, éphémère et solennel, devient alors le souffle d’un monde suspendu. Il ne révèle rien, mais dit tout.


Chapitre III – Les conclaves d’hier : pouvoir, intrigues et révélations

Des cardinaux à la Basilique Saint-Pierre (2022)

Si le conclave est aujourd’hui un rituel sobre, il fut autrefois le théâtre d’intrigues, d’influences politiques et d’alliances inattendues. L’histoire des papes est aussi celle des puissances terrestres.

Certains conclaves ont duré des mois, voire des années. Celui de 1268 à Viterbe mit trois ans à désigner un successeur. Le peuple, excédé, enferma les cardinaux, réduisit leurs rations alimentaires et fit démonter le toit du palais pour hâter leur décision.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les grandes monarchies européennes — France, Espagne, Autriche — imposaient leur veto sur certains candidats. L’Esprit Saint devait parfois composer avec les jeux des cours royales.

Et pourtant, malgré les tensions, c’est dans ces instants suspendus que l’Église s’est choisi un visage. La fumée noire, dans ce contexte, n’était pas tant un signe divin qu’un symptôme humain : celui des compromis, des doutes, des calculs… et parfois des trahisons.


Chapitre IV – Du secret à la transparence : le Vatican à l’épreuve du siècle

Aujourd’hui, le Vatican ne peut plus vivre en vase clos. La pression médiatique, l’attente des fidèles, le poids des scandales ont transformé le regard porté sur le conclave. Le secret demeure, mais il est scruté. Le silence persiste, mais il résonne au-dehors.

Les papes modernes, de Jean-Paul II à François, ont été élus sous l’œil du monde entier. Une foule immense, place Saint-Pierre. Des millions de téléspectateurs. Des réseaux sociaux en alerte. Jamais l’attente n’a été aussi collective, ni aussi impatiente.

Le pontificat de François, avec ses appels à la réforme, à la justice sociale, à une Église « pauvre pour les pauvres », a creusé des fractures tout en suscitant de vastes espérances. Sa disparition pose une question essentielle : quelle Église pour demain ?

La fumée noire n’est plus seulement un signe d’attente : elle est devenue une épreuve. Celle d’une institution millénaire confrontée à un siècle où la foi, la vérité et la transparence ne peuvent plus se dissocier.


Conclusion – Le souffle des siècles

Elle s’élève une dernière fois, la fumée noire. Fugace, silencieuse, elle emporte avec elle les doutes, les prières, l’attente.

Puis vient le silence… avant la lumière.

Dans cette parenthèse suspendue, l’Église cherche son souffle.
 Entre héritage et renouveau, entre rites anciens et appels du présent, le conclave s’achève — la mission commence.

La fumée noire disparaît. Mais son message demeure :
 le chemin vers la clarté passe toujours par l’ombre.

La cheminée de la chapelle Sixtine, immobile sous un ciel romain, puis fondu au noir.

« La foi, c’est marcher dans l’obscurité, une main tendue vers la lumière. »
 — Cardinal John Henry Newman


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A travers la fumée noire sur le Vatican (Part 1)

A travers la fumée noire sur Vatican (Part 2)


Le C.T Jean Claude Samedy

C.T (chef de troupe) Jean-Claude Samedy

Cette disparition me tombe sur le crâne comme un violent coup de poing: une atteinte vitale. L’esprit engourdi, secoué de toutes mes fibres, dévasté. Je n’ai jamais pu anticiper l’inévitable. Comment imaginer Jean Claude Samedy hors de la vie et de toute vie? 

Physiquement quelque chose est aspiré hors de moi, quelque chose a volé en éclats. Des pensées, des émotions, des affects, des souvenirs se succèdent inlassablement en moi. D’un coup, la vie m'a l’air fragile et précaire; je prends conscience que nous sommes jetés sur terre pour un temps et des raisons inconnues.  Je revois la vie dans sa finitude, sa mortalité. Suis-je normal ou suis-je dépressif ? Je m’entends réciter ce poème de KiplingSi quil ma fait apprendre dans ladolescence comme un véritable bréviaire de force intérieure. Ce n’est pas seulement le souvenir, c’est sa présence qui continue de vivre intensément en moi 

Le chef de file 

Dans les années 50, le scoutisme était pour la jeunesse de Jérémie une admirable école de formation virile et rayonnante qui correspondait aux aspirations et aux besoins de nombreux jeunes. On dirait une sorte de service militaire, une armée organisée, encadrée, disciplinée. Des personnalités brillantes, de belles sources d’inspiration Bido, Cazo, Maxime Antoine, Robert Samedi guidaient le scoutisme. 

Au milieu de la décennie, Jean Claude Samedy vint. Il a en charge la troupe. De valeurs morales, éthiques, altruistes élevées, il est animé   de rêves grandioses. Ce jeune C.T s’élance en vainqueur à la conquête de nouvelles tâches, de nouvelles responsabilités. Sa présence constitue un appui, une force. Il est capable de faire travailler les scouts en commun, d’utiliser les capacités de chacun, de donner à tous le sens de leur responsabilité. Il inspire le respect, il est respectable et respecté. Lorsqu’il parle, les autres écoutent, il a les mots parfaitement adaptés au bon moment.  

L’aumônier à l’époque était le père Rio, autoritaire, tant soit peu dominant, cassant, avec des accès de colère. L’autorité supérieure. Oui, le commandant ! Il érige les lois et les règlements et les fait respecter, une des prérogatives essentielles du commandement. Jean Claude Samedy avec cette prestance, cette présence, cette façon de parler éclipse le père Rio. Il n’a pas besoin de réclamer le silence comme le fait l’aumônier. Le silence se fait tout naturellement lorsqu’il parle. Aucun des scouts n’échappe à cette impression de force qui émane de cet homme. 

Jean Claude ne se contente pas d’être le chef qui transforme le scoutisme, il est comme un éducateur qui développe vis-à-vis des co-équipiers une disposition bienveillante. Cet homme qui vit de livres et d’idées est un symbole de l’esprit chevaleresque dans ses meilleurs aspects. L’initiative et la responsabilité, le sentiment d’être utile sont des besoins vitaux qu’il veut inculquer. Son message est centré sur l’être individuel et sa croissance. Il intéresse les scouts à tous les domaines du savoir et met très haut les joies de l’esprit. Chaque scout possède un immense potentiel, la réalisation de ce potentiel doit être désormais le but. La vie peut-être parfois difficile, douloureuse, injuste. Il veut que le scout se prépare à traverser des caps difficiles. Tituber, tomber, se relever et réapprendre à marcher fut son leitmotiv. 

Toutefois ce sérieux, cette rigueur, cette image d’ascète abstinent ne plaisait pas à tous. Le droit au plaisir et au désir est moins admis chez lui. Il prône une forme de contrôle des pulsions, la chasteté en pensée et en action. Il ne s’intéresse pas aux seins et aux fesses des jolies filles comme c’était habituel chez les garçons de son âge. 

La force de l’amitié 

Jean Claude Samedy était connu comme un homme capable d’actes étonnants. Des jeunes s’assemblent autour de lui et le suivent. Son succès indéniable. J’avais environ 10 ans quand j’ai eu la chance insigne, le privilège de le rencontrer.  L’émerveillement fut immédiat, un immense échange d’amour vrai s’est établi entre nous. Une amitié dure et magnifique s’installe chez nous, ininterrompue, comme un vrai partage entre deux êtres de ce qu’ils sont et de ce qu’ils aiment.  On passe cinq, dix ans sans se voir, mais dès qu’on se retrouve la flamme de l’amitié se rallume instantanée. Une amitié sélective, gratuite.  

Jean Claude savait que je n’avais pas d’attirance particulière pour les maths et qu’à finir les études secondaires à Jérémie je risquerais d’échouer au baccalauréat. Un jour il m’a fait venir derrière sa maison au bord de mer pour me demander de considérer la section A à Port-au-Prince. Le grec n’était plus enseigné à Jérémie. Il s’est engagé à me donner des leçons de grec pendant son année sabbatique après la philo pour me faire sauter l’équivalent de 3 années de grec. Chose dite, chose faite.  

À l’examen d’admission en seconde au lycée Pétion, le professeur de grec Raoul Fréderic, étonné des résultats, voulait savoir d’où j’ai appris le grec. Je lui ai dit que c’était l’ouvrage de Jean Claude Samedy. Il a vite fait de communiquer avec le père, inspecteur scolaire à Jérémie pour lui présenter ses compliments. Autrement dit, Jean Claude apprenait ma réussite avant que je ne le lui aie dit. 

Parti pour l’Argentine après l’année passée à Jérémie, la correspondance entre nous se maintient active, vivante. À la fin de mes études secondaires, je suis admis aux Hautes Études Internationales. Jean Claude n’a pas cessé ses lettres vives, adaptées, persuasives, signées “kabrit nan mòn” à “chatte nan lèt” nos totems scouts. Il voulait me persuader de considérer d’abord un métier, une profession me permettant de vivre librement sans dépendre d’un chèque de l’État haïtien. Avoir le souci du bien-être, du bonheur, de l’avenir d’un ami est aussi important pour lui. Combien d’autres cas concrets, des expériences, des fragments de réalité de ma vie le captivent et le préoccupent ! 

Premier Haïtien en médecine à Cordoba, il a été pour les étudiants après lui un compagnon, un partenaire d’une constante bienveillance. 

Une délégation officielle arrive à Buenos Aires avec le président d’Haïti René Préval. On cherche une figure haïtienne, rassurante et crédible et perçue comme telle. On fait appel à Jean Claude à mille cinq cents kilomètres de la capitale. Le lendemain il était déjà sur la route, en vieux routier de toujours, avec la même vocation de chevalier, la vraie vocation de croisé. Ses interventions ont eu un tel impact que son aura s’est immédiatement répandue. 

Souvent Jean Claude passe ses vacances chez moi tantôt à Montréal tantôt en Floride. Un voisin de Miami nous observant discuter à longueur du jour et de la nuit, fasciné par cette relation humaine, chaleureuse, différente, est venu nous demander bien poliment si on était “2 straight”. C’est qu’il avait de la difficulté à nous suivre, il nous voyait comme un bloc radicalement étrange et ferme et mystérieux. 

Héritage de Jean Claude Samedy 

Cet homme remarquable a eu plusieurs épisodes dans sa vie. De Haïti à Cordoba puis Catamarca, Tinogasta en Argentine, c’est un chemin long, sinueux. Il a certes connu les tribulations de la vie avec ses hasards, ses embûches et ses pièges. Les gens peuvent le voir différemment et avoir sur lui des approximations et des interprétations inévitables. Jeanco Parisien, écrivain et poète jérémien , l’ami fidèle de Jean Claude, assis avec moi sur un banc dans le Vieux-Québec, on contemple ensemble l’étendue du Saint-Laurent, la danse des vagues qui se préparent, montent, s’accroissent et se brisent. On se reconnecte aux autres, on se projette dans le passé. On revoit Jérémie, nos promenades à Lapointe, ce havre de quiétude, apaisant et revitalisant au cœur de son environnement matériel. C’est alors qu’il me fait part de son intention d’écrire un livre sur Jean Claude Samedy. Non pour exalter l’homme, mais pour exposer à la jeunesse ce garçon de quinze ans, déjà formateur en développement personnel, le coach qui insuffle l’espoir, communique la flamme. Il est le dernier C.T de Jérémie, de toute la Grand’Anse. Après lui, le scoutisme s’est évanoui, éteint. Il doute qu’ailleurs en Haïti on trouve un autre échantillon de cette humanité. Il est difficile de trouver dans la jeunesse d’aujourd’hui des jeunes qui rêvent et font partager aux autres l’idéal dont ils vivent. Ce livre est une nécessité.  Il a la conviction d’avoir à transmettre sa mémoire et son message. Nul ne peut le faire à sa place. À ceux qui pensent que Jean Claude d’âge mûr n’est certes pas celui de l’adolescence, il répond qu’il est illusoire de penser que notre force physique, notre énergie intérieure restent identiques tout au long de la vie. 

Six mois plus tard, ce fut un coup de téléphone de Jeanco m’annonçant un cancer au poumon dépisté chez lui et sa mort dans six mois. Ce livre, certes, n’est pas écrit. Jeanco nous a fait ses adieux. Pour lui Jean Claude Samedy se résume surtout à ces années d’adolescence qui transmettent une sagesse de vie par la force de l’exemple. Il a changé certes, il a mûri, mais l’essentiel demeure intact. C’est la même matrice, le même chromosome, la même unité de foi : un homme qui se passionne pour une affaire qui n’est pas son affaire. 

Jean Claude Samedy, 70 ans d’amitié non interrompue. Cette amitié contient une vérité et une beauté absolues. Une réussite humaine incontestable, un trésor impalpable. Il y a dans cette amitié quelque chose d’indestructible, de divin que même la mort ne peut détruire. 

Pierre Michel Smith 

Montréal 15 Avril 2025