Les poutres métalliques tordues sous le feu ardent Photo (Le Nouvelliste) |
Réagissant au désastre ayant frappé les “petites marchandes” suite à l’incendie du Marché en Fer de Port-au-Prince, l’auteur de l'article publié ci-dessous, ne peut s'empêcher de dévoiler sa colère. Dans un style acerbe et rempli d'amertume, il fustige l'irresponsabilité des dirigeants haitiens qui, selon lui, sont en train de précipiter Haïti dans les abîmes.
Orlando, le 18 février 2018
Une marchande qui crie sa douleur, on dirait qu'elle vienne de perdre toute sa famille. |
Quelle ne fut notre surprise de recevoir des vidéos
du « Marché
en fer » en feu, depuis 2 heures du matin du 13 février 2018, étalant la
vive douleur de pauvres marchandes
qui entrent en crise, hurlant leur rage à gorge déployée comme si elles
viennent de perdre toute leur famille. C’est à arracher nos tripes. En fin de
compte, elles pleuraient la perte de leurs marchandises
stockées sans assurance et non encore payées; d’autres se demandaient, face à
ce spectacle tragique, où étaient les pompiers, alors que 70% du marché avaient
été presque totalement consumés.
Devant le doute, naturellement on s’abstient de
porter des jugements de valeur, avant d’entendre ou de lire un organe officiel.
En jetant un coup d’œil sur les journaux du jour, je suis tombé à la
renverse à la lecture de ce paragraphe ahurissant, sous la plume de Robenson
Geffrard et Frantz Duval:
« Selon le constat du photographe du Nouvelliste, Casimir Veillard, les sapeurs-pompiers du camion
de lutte contre-incendie, remarqués sur place, ont fait de leur mieux pour
essayer de circonscrire le feu sans succès. Arrivé sur les lieux le camion
n’avait pas d’eau et ce n’est qu’au fil des heures que d’autres véhicules de
lutte contre-incendie ont renforcé la lutte contre le sinistre ».
Là, je viens de saisir l’état de la situation. Chers
lecteurs : Avez-vous bien lu? À décoder la trame de cette tragédie, à
visualiser dans notre imaginaire la raison de cet horrible désastre, on en
vient à tomber dans les pommes. Le constat de ces journalistes nous a scié les
deux jambes. Ce fut comme l’effet d’un coup de massue sur la gueule. Et nous en
diaspora qui rêvions encore de ce si beau coin qui avait bercé nos premiers
pas! Ce coin n’avait pas ce qu’il y avait de plus huppé, à dire vrai. Mais, il
était plus ou moins vivable et surtout il était et demeure notre coin natal.
Marteen Boute PDG de Digicel |
Ce n’est pas tout! La surprise s’est révélée encore
plus sidérante, plus pétrifiante lorsque le promoteur du « Marché en fer
», celui qui avait attribué un sens, une nouvelle vie à ce monument historique,
le PDG de Digicel1, Marteen Boute, a déclaré péremptoirement au micro
de Radio Télé Guinin que « C’est l’irresponsabilité de l’état qui est le
seul à blâmer pour l’incendie du Marché… Aussitôt informé, je les avait avisés
qu’une « pile » de fatras et d’immondices brûlait près de la partie sud de
l’édifice public en question… Digicel a estimé de son devoir d’avertir
d’urgence, les autorités et les pompiers qui ne sont pas intervenus pour maîtriser
les flammes ».
Revenons sur terre! Voilà bien le résultat de la
gabegie, du nivellement par le bas, de la corruption folle , de la médiocrité
en cravate! Un pays, un morceau de terre enclin aux catastrophes naturelles,
dirigé par des individus amorphes, incompétents, négligents, voleurs,
inconscients qui n’ont d’yeux que pour une seule et unique chose : l’argent à
piller. Il n’arrivent même pas à gérer un micro incident. Sans doute,
attendaient-ils l’aide des voisins, les Dominicains, les Américains et
les autres. Or comme les voisins arrivent rarement les mains vides, l’heure du
pillage avait carillonné au clocher des professionnels aux doigts croches et à
l’esprit atrophié. Seigneur, vos enfants vous supplient, protégez-les de ces
mécréants.
« Sur place, le feu brûlait encore en milieu de matinée à l’intérieur du marché » soutient la journaliste Nancy Roc. « … Le
feu était si puissant que les poutres en fer du toit ont été déformées par la
chaleur ardente ».
Les "madan sara" sont aux abois et ne savent plus à quel saint se vouer... |
Voilà la nation dans laquelle des milliards et des
milliards de dollars venant de bons samaritains internationaux ont
été engloutis, et ceci en pure perte! Voilà le pays qui invite sa diaspora et
les étrangers à le visiter et à y investir! Mais le ou les idiots qui caressent
ce rêve de nous revoir, ont-ils une idée de la viabilité d’une nation
organisée? C’est à croire qu’avec les circonstances entourant l’incendie du
Marché en fer, n’importe quelle étincelle suffira pour faire disparaître
Port-au-Prince ou n’importe quelle autre ville, l’espace d’un éclair. Imaginez
l’explosion d’un char en plein carnaval! Ce sera la catastrophe propre à brûler
vif des gens de toute une zone, vu que les escouades des pompiers sont quasi
inexistantes et que leurs camions ou appareils sont vides d’EAU.
Lorsqu’on vole sans vergogne les milliards dédiés à
extirper Haïti de la fange, lorsqu’on empoche sans une once de jugement et
d’humanité, le salaire du pauvre fonctionnaire, du misérable employé, on se
croit intelligent. Mais ce dernier, mon Dieu, « n’est pas égaré », comme
le souligne l’adage. Pour nourrir ses enfants, ne sachant à quel saint se
vouer, il utilise l’arme de la ‘débrouillardise’, vendant les
pneus, les pièces, les couvertures des égouts, les moteurs des camions à
incendie, les tuyaux d’eau de la ville, les robinets, etc. Il vend tout
aux plus offrants.
Il n’y a eu aucune surprise dans le jeu du « pwenn
fè pa ». Tout le monde le savait depuis longtemps. C’était un secret de
Polichinelle. Les pompiers n’avaient qu’à faire semblant de venir. Et ils sont
arrivés très tard, sirène hurlante, en jouant en dernier lieu, aux étonnés, aux
idiots devant la citerne vide, et le marché en feu. Les services d’incendie
dans toutes les villes [haïtiennes] sont fantomatiques . C’est un simple nom,
« Service des Incendies de… », inscrit sur une feuille de papier pour
voter un budget, un stratagème pour mieux siphonner la caisse. Ce n’est pas le
souci des édiles. « Pito nou lèd nou la! » « Et nou pa ka pa la
». Des camions ont été bien commandés aux USA par l’Etat. Mais ils ont été
revendus par la suite en cours du transfert ou de la traversée et livrés
à des compagnies privées siégeant en Haïti ou dans les Antilles.
Et arrive, après coup, malgré les accusations du PDG
de Digicel, ce gouvernement d’imprévoyants, avec Jovenel Moise en tête,
capitalisant sur le malheur des pauvres, annonçant son programme de
réhabilitation des pertes encourues. « Trouvez les noms de ces travailleurs,
s’écrie Jovenel, nous allons tous les dédommager ». Et les idiots applaudissent…
Le marché coûtait plus de 18 millions pour sa construction |
Ce scénario n’est pas nouveau. Ce n’est que de la
poudre aux yeux pour se donner bonne conscience face aux victimes. Le 30 mai
2008, ce même « Marché en fer » ou « Marché Hyppolite » avait été
incendié. Le gouvernement d’alors avait répété exactement la même chose.
Une liste de 600 noms avait été dressée. Mais aucune marchande de la place, les
vraies victimes n’y figuraient. Les « listeurs » avaient inscrit les
noms de leurs femme, de leurs filles, de leurs voisines, de leurs maîtresses,
etc... Les pauvres marchandes n’avaient rien reçu... jusqu’à nos jours. Voilà
comment chez-nous, on roule le petit peuple dans la farine.
Chers prédateurs, vous êtes intelligents, on n’en
disconvient pas. Mais, un de ces quatre matins, vous risquez de mourir rôtis,
les poches remplies de frics. Nous savons que ce ne sera jamais une leçon pour
personne. Et la tradition continuera. Incidemment, c’est la descente aux
enfers d’Haïti. Et l’horloge du temps dans sa marche inexorable ne se fait
point prier. D’ailleurs, une anecdote au Parlement dans les années 90 avait
bien résumé cet état de fait. La voici :
Un jour d’avril, dans l’enceinte de la vénérable
institution, quelques députés désoeuvrés, s’enguelaient, se chamaillaient entre
eux. Mettant fin à l’altercation, un 1er déclara : « Je m’en va
». Un second lui demanda : « Mes zami où vons nous ». Et un 3èm de
rétorquer : « Nous vons de bîme en bîme, jiska la bîme final ».
Et nous voilà arriver à bon port. Pour s’en sortir, il faudra embrayer en
marche arrière. Qui osera? Qui osera poser ce geste! Fòm ta wè!
Hervé Gilbert
Note – 1 : Digicel, je crois, est le seul
citoyen corporatif à ciseler son nom sur un édifice en Haïti et à intégrer
d’autres activités sociales. Tous les autres sont là pour piller, ne pas payer
leur portion d’impôts et puis s’en vont. On doit se poser des questions.
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