Parnel Clédanor (Allias Malou) |
Ottawa le mardi 8 août 2017
Après avoir bercé, charmé, ensorcelé plusieurs générations de
Jérémiens et de Jérémiennes, Malou les fait pleurer
aujourd’hui en déposant sa guitare et en
éteignant son micro. Son départ précipité
plonge en effet dans la consternation des centaines d’amis et d’admirateurs
convaincus qu’il continuerait longtemps encore à animer les retrouvailles
annuelles de Palm Coast, des
Amis de la Place Dumas, les croisières de la Saint-Antoine Hospital Funds de Miami. Sans parler de ses cercles
de fans de New York et du New Jersey, du
Canada, etc. Mais Hélas!
La
nouvelle est tombée dimanche soir à Montréal durant une réunion de Jérémiens
où l’on parlait de la soirée culturelle de la veille, une célébration de la vie
de Ghislaine
Charlier, la mère de Maxon, Jacky et André Charlier et veuve de l’historien
socialiste Etienne Charlier. Ghislaine
était une Jérémienne réputée comme conférencière, militante de gauche, historienne,
critique littéraire, etc. morte à la veille de son centenaire au début de l’année
aux Gonaïves,
chez sa belle-fille Gérarda Élysée, l’épouse de Maxon.
Après
les décès successifs des poètes Claude
C. Pierre, Serge
Legagneur et Jean-Claude
Fignolé, qui ont été un rude coup pour les lettres jérémiennes et
haïtiennes en général, personne ne s’attendait à ce que cet autre volet de la
culture qu’est la musique soit frappé aussi vite et aussi durement. Claude
Pierre est parti, le 24 juin, Serge Legagneur, le 29 du même mois, Jean-Claude
Fignolé le 11 juillet. On pouvait de bon
droit s’attendre à ce que la caravanne des corbillards observe au moins une
pause pour reprendre son souffle et nous permettre de reprendre le nôtre. Mais
rien de tel ne s’est produit. Les traitements de Malou semblaient donner des
résultats encourageants quand brusquement l’hôpital a téléphoné à la famille
pour dire que son cœur avait cédé. Quel choc!
Lourd
bilan de pertes pour la première partie de l’année post- Matthew qui a détruit nos écoles, notre hôpital,
notre économie, nos infrastructures
routières et autres. Avec le départ de Malou,
c’est un volet de notre vie culturelle et sociale et de l’histoire du
divertissement à Jérémie
qui s’écroule.
De
quatre ans plus âgé que Malou, je l’ai vu grandir à Jérémie
et j’ai suivi avec intérêt ses premiers pas dans la musique. C’est toutefois à
l’étranger que j’ai découvert l’artiste achevé qu’il était devenu. Au début des
années 1960, tandis que je commence ma carrière d’employé de banque à Jérémie, Malou
est déjà un passionné de musique et consacre presque exclusivement ses heures
de loisir à ce passe-temps. Durant la journée, il s’installe sur la galerie de
la maison familiale et interprète inlassablement ses chansons préférées. Son genre favori est alors la ranchera
mexicaine et son idole, Miguel Aceves Mejia.
Les Javier Solis, Amalia Mendoza et Cuco Sanchez viendront ensuite.
Les Fantaisistes de Jérémie (1967) (De la gauche vers la droite) Fito,Gwo Ben,Malou, Renel Azor allias Doroseau,Gogo Jacob.Second plan:Louperou, Ti Miguel et Antoine Jean (de la gauche vers la droite). |
À
la tombée de la nuit, surtout les soirs de pleine lune, il emmanche sa guitare,
rejoint sa cohorte d’amis musiciens et part pour les sérénades à La Pointe, sur
le Place d’Armes… sous les balcons des fillettes à séduire. Il se fait ainsi
une réputation de crooner, de chanteur
de charme qu’il entretiendra jusqu’à
sa mort. Après la dissolution du groupe Jérémia de Joe Bontemps fils, au
début des années 1960, il crée Les Fantaisistes de Jérémie avec quelques
copains du groupe embryonnaire Juventa et le soutien actif du visionnaire
Antoine Jean, propriétaire de Versailles Night Club. Malgré les amusantes rivalités
qui marquent l’apparition du groupe Hispaniola de Wilfrid Siméon, les Fantaisistes
volent de sommets en sommets, embrasant les rues de Jérémie pendant les jours
gras et partant à l’assaut du très gâté public de Port-au-Prince. Au Rex Théâtre de la Capitale, ils font un
vrai tabac vers 1968 et leurs noms sont sur toutes les lèvres. Par la suite, après 1970, je prendrai
connaissance de leurs progrès à partir du Canada. Je reçois alors régulièrement
leurs enregistrements et je suis à la fois les progrès personnels de Malou et
ceux des formations qu’il crée.
El Hombre digital (2004) |
Malou
a dans l’intervalle diversifié ses styles, son répertoire et s’est affirmé
comme un grand animateur. Il chante en français, anglais, espagnol et créole, perfectionne
sa diction et son accent dans chacune de ces langues et prend l’habitude
d’occuper intégralement les scènes sur lesquelles il se produit. Chemin
faisant, il ajoute à son répertoire des classiques français comme La vie en rose,
La chanson d’Orphée, Les divorcés, etc. Doué d’un merveilleux sens de l’organisation, il
intègre les synthétiseurs à son attirail et
crée aux États-Unis une formation musicale très légère faisant dans le
style des Les
Fantaisistes de Jérémie. Il n’a alors aucune difficulté à fidéliser les clientèles
jérémiennes du New Jersey, de New York, Nayak, Miami, Boston, Chicago,
Montréal, etc.
El
Hombre Digital, CD sorti en 2004 est un
vrai petit bijou de Malou dans lequel Il chante en français, anglais, espagnol
et créole. Il y a ajouté aussi ses
propres grands succès, dont La femme et la boisson, Ti
Kalap, Pari Nan Yon Baskou, etc. Le
chanteur a atteint sa pleine maturité, il chante juste, les accompagnements
sont bien choisis, le rythme excellent, la diction impeccable, et l’homme maîtrise
pleinement la technologie du numérique. Ce
CD est une vraie pièce de collection que j’encourage chaque Jérémien, chaque
jérémienne à ajouter à sa collection et à conserver précieusement.
En
2004, je suis à Jérémie
pour la Saint-Louis
et je redécouvre Malou en vivant une sorte d’euphorie indescriptible. Le style
troubadour est à l’honneur et Malou s’y est converti avec bonheur. Il n’a pas
fait le voyage cette année-là, mais il a envoyé dans sa ville une cargaison de
son dernier CD, Malou, El Hombre
Digital. Un vrai petit bijou que, treize ans plus tard, je ne me suis jamais
lassé de jouer et de rejouer : le potpourri réalisé à partir des Divorcés,
des classiques de Franck Sinatra, Before the Next teardrop de Freddy Fender. Il
y a ajouté aussi ses propres grands succès, dont La femme et la boisson, Ti
Kalap, Pari Nan Yon Baskou, etc. Le
chanteur a atteint sa pleine maturité, il chante juste, les accompagnements
sont bien choisis, le rythme excellent, la diction impeccable, et l’homme maîtrise
pleinement la technologie du numérique.
Encore
un peu, je me serais cru aux États-Unis à l’époque des grands succès de Michael
Jackson où vous descendiez d’un taxi où vous aviez entendu le chanteur pendant
toute la course et que vous entriez dans un restaurant ou un grand magasin pour
être accueilli par la voix du même chanteur. Eh bien, partout où je mettais les
pieds à Jérémie, on jouait du Malou qui n’avait pas fait le déplacement :
chez Antoine Jean, aux réunions annuelles de Daniel Étienne à Roseaux, de
Jean-Claude Tabuteau à Buvette, d’Edwin Magloire, à Rochasse, chez Brunel
Pierre à la Haute Ville. Partout. Ce CD
est une vraie pièce de collection que j’encourage chaque Jérémien, chaque jérémienne
à ajouter à sa collection et à conserver précieusement.
Le groupe Juventa
Je
n’oublierai jamais la mine qu’il a faite, le lendemain soir, quand il est passé
avec Eric et Cécil Philantrope à l’appartement-bibliothèque de Serge, au
boulevard Gouin. On y marchait
pratiquement sur les livres, et ce gars de New York n’en revenait pas de voir notre
vieux célibataire vivre seul et déambuler avec le plus grand naturel au milieu
de tous ces livres. Raymond Charles, un autre ami de New York, de passage aussi
à Montréal, nous expliqua ce soir-là qu’il n’y avait pas à New York un seul
concierge qui laisserait un occupant accumuler autant de livres dans un
appartement. En général, ils alertent le Service des incendies de la ville et
les inspecteurs vous somment de réduire radicalement le risque d’incendie que
représente un tel stock de livres.
Par
la suite, j’ai raté plusieurs occasions de rencontre avec Malou, en particulier
à Miami et à Palm
Coast. Mais j’ai continué à m’intéresser à ses travaux, à suivre ses
succès, à écouter sa musique. Les comptes rendus des
rencontres annuelles des Jérémiens
en Floride abondent en photos et en bandes sonores illustrant les derniers
tronçons du long parcours de Malou sur la scène musicale. Le lecteur intéressé
trouvera dans les articles de Max
Dorismond et des frères Gilbert
de Haïti
Connexion Network une profusion d’excellents souvenirs à conserver.
Après
avoir sonné sur le monde des lettres de la Grand’Anse avec les décès des
Ghislaine Rey Charlier, Claude C. Pierre, Serge Legagneur, Jean-Claude
Fignolé, le glas s’est tourné vers le monde du spectacle. Malou était un
grand artiste jérémien et il a apporté une importante contribution à la vie
sociale de sa ville, puis aux communautés jérémiennes de la diaspora
nord-américaine. Ne serait-ce que pour cette raison, il a droit à toute notre
affection, à notre gratitude et à notre respect.
Une nouvelle génération qui s’éteint
À
l’annonce du décès de Malou, Jean-Robert Lestage a publié sur sa page Facebook
une photo du groupe Juventa, qui a donné naissance aux Fantaisistes de Jérémie
au début des années 1960. Il soulignait, non sans tristesse, qu’il était le
seul survivant du groupe des musiciens. Je viens de faire la même remarque en
sortant de ma collection la photo de la page 3 des Fantaisistes, que je dois au
sens du partage de mon ami Jean-Renel Azor. Quand Renel m’a donné cette photo, il n’y figurait
que deux survivants, Malou à la guitare et lui au micro. Malou parti, Jean-Renel reste le seul survivant de la
formation qui a pavé la voie à Jean-Jean Roosevelt, à Galaxie et aux groupes
modernes de la ville.
En principe, l’extinction graduelle des générations avec le temps
ne devrait avoir en soi rien de particulièrement inquiétant. Mais dans le cas
de Jérémie et d’Haïti,
elle suscite de graves inquiétudes. Non seulement nous ne voyons pas s’affirmer
une relève digne de confiance et capable d’enrichir ou même d’entretenir le
riche héritage légué par les générations précédentes, rien ne se fait pour
ensemencer de nouveau ces terres encore fertiles qui ont donné tant de belles
têtes et de belles voix et fait la renommée internationale de la Grand'Anse.
Dans le monde du spectacle, nous avons bien eu Jean-Jean Roosevelt,
Steve Brunache, Lody Auguste et
bien d’autres mais, pour toutes sortes de raisons, nous ne voyons pas encore
pointer à l’horizon le digne remplaçant d’un Malou Clédanor.
Mon cher Malou, je me prosterne très bas devant ta dépouille en te
disant :Tu as bien servi ta famille, ta
communauté et ton pays. Que ton âme repose en paix!
Eddy Cavé,
Ottawa, ce mardi 8 août 2017
Illustrations:HCC
La femme et la boisson
est l'un des anciens succès des Fantaisistes de Jérémie
remanié et rejoué à travers le disque « El
Hombre Digital » en 2004 dans un style “Twoubadou” par Parnel Clédanor dit
Malou, le chanteur coqueluche de ce groupe musical qui a existé à Jérémie vers
les années 60-70. Lors des retrouvailles annuelles de Palm Coast en 2016, hommes et femmes dansaient en compagnie de Malou au rythme de ce
hit qui rappellent tant de souvenirs ayant fait des moments heureux.
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