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Michelet Michel |
Après les «golden
sixties » des années 1960, la majorité des pays du Sud ont connu pendant la
décennie 70 des problèmes économiques importants : dégradation des termes de
l’échange, endettement croissant, chocs pétroliers, crise économique, mauvaise
gestion et bureaucratie, financement de projets démesurés (les fameux «
éléphants blancs »), détournements de fonds, fonctionnaires « prédateurs »,
instabilité et incuries politiques, affaiblissement progressif du rôle de
l’Etat. Quels bilans ?
En quelques années
pendant la décennie 80, la majorité des PVD a dû accepter un PAS, condition sine qua non pour obtenir des
liquidités, accéder aux prêts à taux préférentiel de la Banque Mondiale et aux
autres prêts sur les marchés internationaux et privés. Ces 30 dernières années,
la quasi-totalité des PVD a connu au moins un et souvent plusieurs programmes
d’ajustement structurel (PAS) consécutifs. Malgré tout, depuis le début des
années 1990, les crises systémiques se sont multipliées et se sont diffusées
internationalement :
•
en 1994, tension sur les
marchés obligataires ;
•
en décembre 1994 et
février 1995, crise mexicaine ;
•
en février 1995,
défaillance de la Barings Bank ou Barings
;
•
à l’automne 1997, crise asiatique ;
•
pendant l’été 1998,
difficultés financières russes à la suite de la Chute du Mur de Berlin ;
•
de novembre 1998 à
janvier 1999, crise brésilienne ;
•
en 2001 et 2002, crise
turque et argentine d’une ampleur dramatique…
Dans la plupart des cas l'on a assisté à une sortie de capitaux supérieure
à l'entrée de capitaux frais. Ainsi, en 1997, le FMI a prêté 105 milliards de
dollars en Asie, 31 milliards en Turquie en 1999, 21 milliards en Argentine en
2001… qui sont immédiatement ressortis du pays en direction de leurs riches
créanciers.
Or, nous ne saurions
trop le souligner, les PAS imposés par les organismes financiers internationaux
(FMI, Banque Mondiale) aux pays du Sud ont pour objet leur intégration dans
l’économie du marché mondialisé.
Cependant, leur
application provoque des effets sociaux considérables, fruits du démantèlement
des structures économiques locales et de l’affaiblissement de l’Etat. Ces
effets se traduisent par une réduction drastique des politiques sociales,
sanitaires et éducatives. En l’espèce Haïti, l’unique PMA des Amériques, est un
« écolier modèle. ». C’est dans ces conditions d’austérité infligées aux
populations les plus fragiles que les révoltes "du
pain" éclatent.
Pour mémoire, nous croyons judicieux de braquer les projecteurs sur quelques
évènements majeurs, des dates-clés qui jalonnent notre histoire récente, ici en
Haïti, ou ailleurs en Amériques centrale (Mexique) et du Sud (Brésil), par
exemple :
•
mai 2018, Brésil, pays producteur de pétrole : crise des routiers face à la nouvelle politique de prix pratiquée par
l’entreprise publique Petrobras. Dans ce pays émergent (7ème
économie mondiale) au sein des BRICS
(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), la démocratie vacille.
•
avril 2018, Nicaragua : le Gouvernement du président Daniel Ortega,- père de la révolution
sandiniste qui avait pris les rênes du pays le 19 juillet 1979 suite au
renversement du dictateur Anastasio Somosa),- présente, sur la recommandation
du Fonds Monétaire International (FMI), un projet de réforme du système des
retraites qui augmente les cotisations et abaisse en même temps les pensions.
Le pays s’embrase ! À date, plus de 280 morts et 2000 blessés, sont
comptabilisés...
•
06 janvier 2017, Mexique (pourtant pays
producteur de pétrole) : émeutes et pillages
après une hausse soudaine du prix de l’essence. Les manifestations qui ont
dégénéré en scènes de chaos, plongent le pays dans la crise ;
•
3 avril 2008, Haïti : «
émeutes de la faim » (nous gran gou) sous le gouvernement Préval/Alexis: le mouvement démarre dans la ville des
Cayes, puis s’étend rapidement à tout le pays : manifestations violentes,
barricades de pneus enflammés, casses, jets de pierre, destructions diverses…
Au moins cinq (5) personnes y trouvèrent la mort. Plusieurs centaines de
blessés sont enregistrés. Ces manifestations ont été interprétées comme le
rejet brutal, inconditionnel et sans compromis possible, la remise en cause
intégrale des mesures économiques dictées au Gouvernement haïtien par les
Institutions Financières Internationales (IFI) dont le FMI, estimant que
celles-ci sont la cause première à avoir provoquer une 3ème
augmentation du prix de l’essence en trois (3) mois, et la hausse vertigineuse
des prix des denrées/produits alimentaires de base (riz, maïs, pois,
sucre).
Questionnements
Les PAS et leurs
conditionnalités ont rencontré/rencontrent de vives critiques. Est-ce que par
leurs conséquences sociales et culturelles, les PAS ne représentent pas une
menace directe pour la cohésion des sociétés du Sud ? Est-ce que comme l’écrit
Eduardo Galeano (in Les veines ouvertes
de l’Amérique Latine, Plon, 1981), le « bombardement du Fonds Monétaire
International (FMI) » ne contribue pas à faciliter « le débarquement des
conquistadores » car il n’attaque pas les vraies causes de l’offre insuffisante
de l’appareil de production nationale ? Que le FMI lance ses charges de
cavalerie contre les conséquences, écrasant encore plus la maigre capacité du
marché interne de consommation dans ces pays d’affamés ? Les témoignages
recueillis et différentes études semblent confirmer la réalité de cette menace.
À l’analyse il ressort
que pour une grande part ce sont ces mêmes mesures qui, aujourd’hui, sont
proposées au Gouvernement et aux populations haïtiennes au risque d’allumer des
« feux de forêts » dévastateurs. Dès lors, une question essentielle se pose : le FMI
est-il l’opérateur des capitaux en vue de les faire fructifier sur le dos des
citoyens ? Alors ? Pompier-pyromane ?
L’avers, l’envers et le revers du consensus de Washington et alliés
Dans le nouveau contexte
de globalisation financière, les Institutions Financières Internationales (IFI)
sont devenues des instruments contribuant à imposer, souvent avec la complicité
tacite ou résignée des États nationaux, des politiques du Consensus de Washington
de maîtrise des dépenses publiques et de réduction du rôle de l’État, de
privatisations et de libéralisation du commerce, de déréglementation des
marchés. En liaison étroite avec les Clubs de Paris et de Londres qui sont des
rouages importants de l’ordre financier international, elles se sont muées, au
fil des décennies, en des instruments à travers lesquels le capitalisme
transnational impose aux pays dépendants et endettés, des préceptes
d’organisation que recouvre le terme « ajustement structurel. » Ces politiques
sont au cœur des programmes d’ajustement structurel (PAS) du FMI (ATTAC, Que faire du FMI et de la Banque
mondial ? Editions Milles et Une Nuit, 2006).
L'action du FMI est
aussi fortement dépendante de la volonté politique des gouvernements des pays
qui subissent une situation de crise, et ce, à toutes les étapes de son
intervention. Le FMI ne peut agir que quand les gouvernements en font la
demande. Or, ceux-ci ne font souvent appel à l’institution que lorsque la
situation apparaît impossible à maîtriser sans un soutien financier
important. Si d’un point de vue
scientifique il est difficile de se forger une opinion objective, il est en
tout cas évident que si les PAS ne sont pas les seuls responsables de
l’ensemble des problèmes politiques, sociaux et économiques que vivent
actuellement la grande majorité des PVD, il n’en demeure pas moins qu’ils
constituent l’élément de trop, l’intervention qui provoque l’éclatement de
sociétés déjà fragilisées par toute une série d’autres contraintes.
Depuis le début des
années quatre-vingt-dix, de nouvelles versions des programmes d’ajustement
structurel des années quatre-vingt ont vu le jour. Aujourd’hui, l’appellation «
ajustement structurel » a tendance à passer de mode. De nouvelles terminologies sont apparues,
comme les « Cadres Stratégiques de Lutte contre la Pauvreté » (CLSP). Mais, in fine, les conditionnalités imposées
par le FMI et la Banque Mondiale sont toujours présentes et leurs effets sont
renforcés par la mondialisation croissante. Or, la mondialisation, dans ses
formes actuelles, exacerbe les conflits. Elle affaiblit la régulation publique
et la capacité de correction des déséquilibres. Dans un monde globalement de
plus en plus riche, la pauvreté augmente. Les inégalités prennent des proportions
insoupçonnables. Les discriminations sont la règle. Dès lors, sur quels leviers
s’appuyer pour imposer une économie au service des hommes et non du seul profit
?
Comme le dit un «
proverbe » de Wall-Street « les arbres ne
montent pas jusqu’au ciel. » Les crises les plus fortes ne sont pas sans
fond. Les PAS ont été remis en cause. La Banque mondiale essaye de les adapter.
De nos jours, on voit se développer de plus en plus des réponses locales. Ce
sont ces alternatives qui allient l’innovation sociale à la prise en compte des
richesses culturelles spécifiques à nos sociétés actuellement en crise: banques
pour les plus pauvres, nouveau rôle socio-économique de la femme, associations
d’intérêt commun, coopératives d’épargne et de crédit (CEC), commerce
équitable, économie « verte », etc. En cette espèce particulière, la lutte
contre la pauvreté ne saurait remplacer le droit au développement. Il ne s’agit
pas seulement de secourir les pauvres mais d’assurer l’accès pour tous aux
services de base et à l’égalité des droits. Chez nous, en Haïti, la définition
d’un nouveau modèle économique doit être à l’ordre du jour des politiques
nationales. Il est souhaitable d’aller vers la création d’un FONDS NATIONAL
D’INVESTISSEMENT (FNI) POUR LE DEVELOPPEMENT, chargé de financer les projets
les plus urgents et d’approprier les nécessaires transferts de technologie.
Quelle conclusion ?
Dans le contexte socio-politique fragilisé et tourmenté issu des évènements
qui se sont produits les 06, 07 et 08 juillet 2018, le Pouvoir exécutif ne doit ni ne peut pas
attendre que sonnent les « trompettes sous les Murailles de Jéricho » pour
agir, interagir et/ou réagir. La crise actuelle est profonde. Multiforme. Plurielle. Polymorphique. Elle
interpelle l’urgence de prendre certaines décisions stratégiques majeures par
la mise en commun de toutes les compétences et de toutes les énergies,
collectives et/ou individuelles, dans le but d’assurer la survie des
populations et le sauvetage national dans un monde de plus en plus interdépendant
et certainement beaucoup plus exigeant.
À bien les interpréter,
les émeutes populaires récentes charrient un ras-le-bol massif. Un
avertissement clair. Un signal. Ce doit être un déclic. L’occasion pour le
Président Jovenel Moïse, ébranlé, « de réviser ses objectifs, de refaire ses
devoirs » (Le Nouvelliste, No.40649, Samedi 28 et dimanche 29 juillet 2018).
Déjà, le Parlement haïtien, crucifié par la vindicte publique, semble vouloir
donner le ton avant d’être submergé. Par la voix de son Président, le « Grand
corps » promet de chasser rapidement « les marchands du temple » par une
réduction proportionnelle mais significative de certains privilèges économiques
et financiers astronomiques, impensables et scandaleux, alors que les trois
quarts de la population se noient dans un océan de pauvreté. Coupes budgétaires
? Mise en œuvre des mécanismes affectation/réaffectation des ressources
inscrites dans la Loi des Finances (le Budget National)? Poker menteur ?
Opération de charme ? Catharsis rituelle, expiatoire et propitiatoire? Paroles
incantatoires pour exorciser les stigmates du « quand la nation demande des
comptes ? » Quid du Palais national ? De la Primature ? Le Citoyen, vigilant,
observe ! Prend note !
Au-delà des effets de
mode, une véritable alternative politique est nécessaire pour réduire les inégalités
des revenus et des richesses. Le développement durable n’est pas compatible
avec le népotisme érigé en système de gouvernement, les prébendes et la
corruption avec comme soubassement la dictature du marché associée à la
prédominance des intérêts privés et la domination égoïste des oligarchies. Un
nouveau modèle de développement durable dans le long terme ne peut être
économiquement efficace que s’il prend en compte les droits sociaux des populations
(réduction des inégalités et de la pauvreté de masse, protection sociale,
santé, éducation) et s’il respecte les normes écologiques contraignantes pour
tous les peuples. Transcendant l’écueil du choix d’un nouveau Premier Ministre
après la démission de Monsieur Jack Guy Lafontant, le samedi 14 juillet 2018,
les problèmes auxquels le Président Jovenel Moïse fait face sont énormes et
très compliqués. Pour les résoudre, il faut être prêt à prendre des mesures
impopulaires. Elles ne seront pas toujours faciles, ni toujours agréables.
Mais, elles existent. Peut-il réussir dans cette entreprise ? La réponse à
cette question nous est fournie par Lee IACCOCA (IACOCCA, La success story d’un géant américain de l’industrrie
automobile américaine, Robert Lafont S.A, Paris,1985) : « TOUTE ENTREPRISE
EST GLORIEUSE, MÊME DANS L’ÉCHEC. »
Aujourd’hui, la
mondialisation, ça ne marche pas. Ça ne marche pas pour les pauvres du monde.
Ça ne marche pas pour l’environnement. Ça ne marche pas pour l’économie
mondiale (Joseph E. Stigliz, Ibid). Il faut des politiques de croissance durable,
équitable et démocratique. Telle est la raison d’être du développement.
Développer, ce n’est pas aider une poignée d’individus à s’enrichir.
Développer, c’est transformer la société. Améliorer la vie des pauvres. Donner
à chacun une chance de réussir, l’accès aux services de santé et d’éducation.
Chez nous, en Haïti, ce développement-là n’aura pas lieu si seules quelques
personnes dictent sa politique au pays. En conséquence de quoi, il devient
urgent pour nos dirigeants de rejeter les vieilles recettes qui n’ont fait que
LAMINER LES CLASSES MOYENNES, EXPLOITER LES PAUVRES, PAYER LES RICHES...
Gestionnaire Financier
Date : 30 juillet 2018