Tant qu'à
corriger nos fautes de français, allons-y gaiement
Au bord du Lac Témiscamingue enneigé. 30-03--2013
Le
correcteur corrigé
J'ai souvenance encore, d'un épisode
rocambolesque à blanchir un nègre, dans un cours de Math Financière à
l'Université de Montréal, (HEC). Le prof titulaire, griffonnait
quelques notes au tableau. Ces gestes empiriques ne se
posent plus aujourd'hui. C'est une époque révolue. Le tableau noir est
obsolète. Autre temps, autres mœurs : vive l'ordinateur, adieu craie, crayon, cahier
…
Un étudiant d'origine haïtienne, en perdant
sa boussole sur la frontière entre le réel et la fiction,
interpelle le professeur à propos d'une faute de français au tableau. Ce
cas me rappelle la blague un peu rigolote de Languichatte, "Mr
l'ambassadeur" qui voulait tant se faire remarquer à bord d'un transatlantique.
Bref, troublé et stupéfait, le magister, dépose sa craie, ajuste ses lunettes,
prend place sur un des coins de son bureau et déclare péremptoirement : «
Jeune homme, le français, à ce que je sache, est et demeure ma langue
maternelle. Je la parle, je l'écris et j'en mange à longueur de jours. Je suis
ici pour donner un cours en sciences financières et non un cours
de grammaire. Le livre dont vous vous servez, porte ma signature. Si par hasard,
vous y remarquez des fautes de français, en votre qualité de correcteur, ayez
l'amabilité de vous adresser à mon éditeur. Il a été payé
grassement pour se faire. Quant à la faute, ici, présente au
tableau, je m'en balance, pourvu que vous compreniez l'essence de la formule de
la «valeur actuelle d'un montant à recevoir dans x
années ». Paf! Silence de mort, de gros yeux roulent dans la salle. Notre
compatriote est dans ses petits souliers. Pas une mouche ne vole. Son attitude a
déclenché des soupirs et des regards sous-entendus.
Loin de passer outre, le monologue continu.
Le prof déchaîné, enfonce les clous du cercueil : «Entre autres, cher
correcteur, sans risque de me tromper, vous venez d'une ancienne
colonie française? Suis sûr que votre pays a été colonisé! Car,
c'est un complexe caractéristique des ex-colonisés. Ils souffrent
immanquablement de ce syndrome maladif, celui de ressembler à leur ancien
maître : le même pattern, le même faciès, la même fixité morbide avec le
sempiternel instinct du tueur, le réflexe du dominateur, le panache du
narcissique. Il se pète les bretelles, croyant porter le chapeau du Pic de la
Mirandole. En fin de compte, ce n'est que du vent. Sur ce, mes
chers amis, je prends congé de vous. A la prochaine
chicane».
Rouge de colère, le prof met fin au cours
avant terme, reprend ses livres et s'en alla. J'ai prié pour qu'il nous revînt
en santé le lendemain, car, la colère est ingrate et ne tue que son maître, très
rarement le provocateur. Sans mot dire, la classe déguerpit en silence, tout en
maudissant le trublion. Des grognements sourds d'insatisfaction entremêlés de
bruit de sacs et de pupitres déplacés, laissent percevoir une note de fin de
Requiem, une pointe dramatique qu'un mélomane averti peut facilement associer
à la magistrale pièce : " Agnus Dei Qui tollis peccata mundi
(Largo) " de " La grande Messe en Do mineur (K. 427) "
de Mozart. Sur la pointe des pieds, je me faufile à l'extérieur,
sans jeter un coup d'œil furtif en arrière pour ne pas croiser le regard troublé
du «profésè franceu».
Max Dorismond Après cet incident qui fit le tour du campus, j'ai eu à apprendre que ce ne fut pas la première fois. Plusieurs profs avaient déjà eu maille à partir avec des étudiants étrangers à propos de ce contentieux. Les champions, toute catégorie confondue, demeurent naturellement les Haïtiens. Plusieurs ont raté leur diplôme. Certains enseignants semblent se liguer contre eux. A preuve, j'en connais quelques-uns, selon leurs assertions, bien sûr. Sauf qu'après le constat surprenant d'un échec difficile à expliquer, la cause peut facilement porter le bonnet de la théorie du complot. Cette expression demeure la note subliminale qui coiffe le refrain.
Les
donneurs de leçons
A la célèbre émission hebdomadaire de télé, "
Tout le monde en parle", Dany Laferrière qui a toujours le sens de la formule,
soutient qu'en Haïti, à propos des fautes en français, « un Haïtien préfère
être cocu que d'être taxé d'avoir fauté ». Nous n'avons rien de plus à
ajouter.
Sur le web, les accusations de « faute de
français», faute de ceci, faute de cela, fusent souvent entre les chevaliers de
la plume. On s'embarrasse de moins en moins de civilités. On confond les
insultes et les arguments. En essayant de corriger les autres, on entre dans une
dangereuse spirale de paranoïa et d'intentions mal définies. Je ne rate jamais
l'occasion de dégager un large sourire face à ces correcteurs du dimanche qui se
prennent pour Dieu. Mes congénères ont du culot à
vendre.
A peine 2% de nos concitoyens sur 10 millions
parlent le français. L'Européen nous a fait don d'une langue fonctionnelle,
juste pour nous apprendre à obéir : Apporte-moi un jus! Vas laver le pot de
chambre! Enlève mes chaussures! Débarrasse la table! C'est tout. On pourrait
compter sur les doigts le nombre d'écoles secondaires dans les villes de
province dans les années 60-70. Des universités! N'en parlons pas. Des écoles
primaires dans l'arrière-pays, nada! Oublie ça! Un dénommé Boyer, un
obscurantiste notoire, avait, au début du XIXe siècle, fermé toutes les écoles
du pays ou presque. A part Port-au-Prince, avec la bibliothèque de l'Institut
Français, la capitale peut s'enorgueillir de posséder, au moins, une institution
digne de ce nom. Là encore, faut ajouter un bémol. La France n'a aucun intérêt à
nous offrir tous les livres en rapport à notre histoire, pour éviter de trop
s'ouvrir sur son rôle ingrat durant sa brève et contrariante colonisation.
D'ailleurs, comme j'avais déjà rapporté cette citation : «La vraie histoire
d'Haïti et d'autres pays colonisés dorment encore dans les sous-sols des
bibliothèques européennes ». C'est ce travail à contre-courant que réalise
présentement le jeune Jacques Casimir en nous édifiant gratuitement sur
l'envers de l'histoire qu'on nous avait gavée. Malgré tout, on
trouve des cerveaux délavés qui réfutent toute contradiction. En outre, si
l'Académie française avait distribué certains satisfécits à quelques Haïtiens
choisis, ce ne fut pas un choix délibéré. Tout était calculé à l'avance. Il
fallait contrôler les plus ou moins instruits, aiguiser l'appétit des rêveurs,
émousser leur envie de décorations pour mieux les asservir. «Il faut porter
les Haïtiens à vivre en français, à consommer français, à penser français »,
souligné dans une note de la France à son ambassadeur en Haïti lors du
couronnement de Soulouque. (Charles Dupuis : le coin de l'histoire).
Donc, toujours armé de mon éternel rictus, je
contemple dans l'expectative, ces donneurs de leçons qui prétendent détenir
toutes les ficelles d'une langue aussi complexe, et capricieuse. D'ailleurs,
j'ai l'habitude de dire à ceux qui ont écopé de leur dénonciation : si quelqu'un
te tient pareil discours, tu devrais y voir trois compliments. La première, s'il
est vraiment sincère, c'est qu'il t'a lu : Remercie-le. La deuxième, c'est que
tu déranges et on veut te remettre à ta place : Sauve-toi. En dernier lieu, ton
accusateur a peur. Il tremble dans ses frocs. Tu l'as dérangé dans son p'tit
confort : Fuies-le.
A l'heure de l'Internet, du
cellulaire, les jeunes écrivent le français en hiéroglyphe sur les MSN ou
messages textes. Dans certains milieux, et surtout chez les plus jeunes, on
parle déjà d'écrire le français au son pour faciliter l'apprentissage d'une
nouvelle génération. Bien sûr, la résistance au changement fait grimper les
puristes dans les rideaux, et c'est normal, mais l'idée fait déjà son bonhomme
de chemin. A voir des compatriotes qui ne possèdent aucune langue propre, autres
que des langues d'emprunt, nous entretenir du bon parler ou du bien écrire, il
faut avoir du front pour impressionner le monde. Au lieu de libérer la parole et
les énergies du petit peuple, trop longtemps comprimées, ils optent pour le
statut quo : plomber les langues. Tandis que le monde évolue, se métamorphose,
d'autres cherchent à l'envelopper. Attention! Nous sommes encore au fond des
cavernes. Après avoir feuilleté quelques bouquins, certains se prennent encore
pour le pape. Avec l'internet le règne du royaume des aveugles est
périmé.
L'art d'en dire et l'art d'en taire
Dans les circonstances, je détecte un certain comportement de sous-développés dans ce type d'attitude. Sur le web, le scribouilleur ne peut se payer le luxe d'un correcteur, même s'il existe des logiciels qui s'y prêtent à ce genre d'exercice. Mais, il n'y a rien de parfait ici-bas. Les relatives mises en gardes n'ont pas été ajoutées pour le plaisir des yeux. C'est un comportement d'esclaves ou d'ex-esclaves : « M'palé pi bon fransé pasé intel ». Ne te laisse pas décourager, mon vieux. Autrefois, l'apanage du dire ou d'écrire, appartenait à un p'tit groupe, une p'tite «zuite», pour répéter notre Titide. Fais ton devoir. Le temps de la gérontocratie a une fin, c'est maintenant et rien d'autre. Oublie les «péteurs de tête», les illusionnistes friands de clichés réducteurs et simplistes. Lance tes réflexions, exprime-toi dans la langue de ton choix, anglais, français, espagnole ou créole, de la façon qui te plaît, à l'aune de tes rêves. L'essentiel, c'est le message et non le messager. 90% de nos frères ne lisent pas. On ne peut s'adresser à eux sous aucune forme. Notre isolement est consacré et consommé. Écrire en haïtien (le créole), c'est perdre son temps. Complexés, ils ne lisent pas cette langue. Chercher l'erreur! Même si d'incommensurables efforts sont déployés présentement dans l'île pour y remédier, c'est de la blague. Ils ne lisent point. Dans la langue de Molière, c'est la critique assurée et sans commune mesure, juste pour se faire voir. Or, écrire en français demeure déjà une injure à la langue naturelle de la nation où le ridicule le dispute à l'odieux.
De surcroît, la jalousie a une
communauté et c'est bien la nôtre. Bête et méchante, elle sape notre ultime
confiance en soi. Ne te laisse point abattre. Sais-tu que si Dany
Laferrière écrivait en Haïti, il serait un p'tit écrivailleur de province sur un
cahier de quinze sous. Notre arrogance imbécile l'aurait voué au mépris de tous.
Et pourtant, regarde son étoile briller dans le firmament du Québec, de la
France et de toute la francophonie. Sans diplôme universitaire, on lui déroule
le tapis rouge. Ses livres sont traduits dans une cinquantaine de langues. Ses
œuvres sont étudiées dans les plus grandes universités du monde, le Japon
compris. Il a représenté plusieurs fois le Canada au Salon du livre de Paris.
Alors, mon ami, dis à tes détracteurs, d'aller se faire voir.
Conclusion
Malgré tout, rien ne doit t'arrêter. C'est à ton
tour de parler, de dire tout ce qui te passe par la tête, tes réflexions, tes
frustrations, ton bonheur retrouvé. Lance tes messages. C'est le moment ou
jamais de réveiller les identités bafouées. A la croisée des chemins, le
bouche-à-oreille peut continuer ton oeuvre. C'est comme une bouteille à la mer.
Diffuse tes réflexions, pourvu que tu l'accomplisses avec circonspection et
respect. Sans preuve, ne t'aventure pas sur les terrains marécageux de la
médisance sans avoir préalablement assuré ses arrières. Un gouffre peut s'ouvrir
sous tes pas. N'offre jamais ton flanc, sans être sûr de tes énoncés. Éviter de
tomber dans la fange des mécréants. Tes censeurs n'attendent qu'une petite
erreur pour te tomber dessus en grappe. Dorme sur tes deux oreilles du sommeil
du juste. Considère ces avis comme nuls et sans fondement, tel un bourdonnement
d'abeille dans une bouche vide. Pour ma part, je les décris comme un
chatouillement qui amuse les aisselles et ne flétrit jamais le cerveau. Ainsi
prévenu, écris sans nulle crainte. Leur souci c'est toi! Ta motivation, ce sont
eux.
Sur les rives du Lac de Témiscamingue (Enneigé)
30 mars 2013