Par:Emmanuelle Gilles
Le conflit entre la République Dominicaine et
Haïti autour de la déportation des Haïtiens ne date pas de cette semaine ni de
ce mois. Depuis le début du millénaire, plusieurs douzaines d’Haïtiens étaient
régulièrement arrêtés de façon arbitraire et déportés sur le champ vers Haïti.
Ces actes étaient perpétrés tous les vendredis par des officiers de migration
envers les Haïtiens à peau noire. Le quotidien de la RD « El Caribe » exposait
cette pratique sous le titre «les Rafles du Vendredi ». Le problème des
Haïtiens en République Dominicaine à plusieurs facettes, d’une part il existe
un flux d’Haïtiens traversant la frontière illégalement, d’autre part, ils sont
vulnérables a des violations de droits humains des plus odieuses. Les récentes
mesures ont été annoncées par les Dominicains depuis plus d’un an. Le
gouvernement Haïtien disposait amplement du temps pour organiser la
réintégration des Haïtiens et leurs descendants dans notre pays comme tous pays
soucieux de leurs ressortissants. Force est de constater que ce n’est ni le
premier et ce ne sera peut-être pas le dernier gouvernement à afficher leur
indifférence vis-à-vis nos compatriotes de l’autre côté de l’ile. Depuis la
présidence de Sténio Vincent, le Traffic des Haïtiens remplissait leur poche au
grand dam d’un peuple bafoué, qui jadis n’oserait rêver du denier de la
veuve.
Tenu au rencart depuis deux siècles, La tentation de Venise devient l’unique
porte de sortie de la masse isolée. Le gouvernement Haïtien doit prendre les
enfants du bon Dieu pour des imbéciles, lorsque, pour maintenir ses relations
intéressées avec la République Dominicaine avait opté pour des négociations
bilatérales sachant que ces négociations n’auguraient rien de concret. Quel
résultat pouvait-on espérer d’une oligarchie raciste et xénophobe? Les
pressions internationales auraient peut-être été plus musclées, mais faites
gaffe et gardons-nous d’être trop naïfs car l’oligarchie occidentale, elle
aussi a ses intérêts de l’autre côté de l’ile. Les Espagnols, le tourisme. Les
Italiens et les Américains, l’industrie sucrière. L’immobilier pour l’ensemble
et l’élite économique Haïtienne, la source de leur commerce étant des
revendeurs et non des producteurs. Le développement économique de l’ile voisine
attire la main d’œuvre haïtienne, alors qu’en Haïti, leur modèle n’est pas ce
qu’il faut pour Haïti, n’est-ce pas paradoxal ? A la place de l’investissement
en Haïti, ce sont les Haïtiens qui sont eux-mêmes soumis à l’exploitation
étrangère tandis que leur pays languit dans un conservatisme absurde pour
préserver un monopole égoïste déjouant la compétition. La meilleure façon de
moucher les voisins c’est de couper les ponts avec eux et stopper l’importation
de leurs produits.
Rendons hommage au feu Guy Alexandre pour les
efforts déployés en vue de la coordination d’une réponse internationale, en
dépit de ses démarches irrésolues et avortées. Que son âme ait succombé
d’indignation en constatant la complicité du gouvernement Haïtien avec son
homologue Dominicain, on s’en souviendra.
Guy Alexandre,ancien Ambassadeur d'Haïti en République Domincaine. |
Très souvent, on parle de pression, pensons-nous vraiment qu’il peut exister
une pression internationale envers la République Dominicaine dont le plus fort
des capitaux générés dans ce pays appartiennent aux forces puissantes
étrangères qui ont saisi les terres de la RD tout de suite après l’occupation?
5 à 10% des terres arables dominicaines dont une partie abrite la plus grande
industrie sucrière à la Romana, sont contrôlées par Gulf and Western dont le
siège central se trouve à New York. Ces terres constituent un total de 1113 km2
dont 44% en production de canne à sucre et 47% en terres d’élevages. Le « Gulf
et Western » contrôle non seulement l’industrie sucrière mais une partie de
l’économie nationale de la République Dominicaine. Rappelez-vous que les
grandes puissances n’ont que des intérêts. Jusqu’ici, malgré les nombreuses
manifestations, les négociations, les déclarations de haut placés, la
République Dominicaine entend régulariser le statut des immigrants Haïtiens qui
d’après eux envahissent leur pays. Pour accorder une légitimité à la décision
de réduire le nombre des Haïtiens chez eux, ils ont fait appel à l’expertise
même des instances internationales en vue de développer leur plan de régularisation.
Avec ou sans manifestations, leur plan sera mis en œuvre! Dans la mesure où
cette décision n’affecte pas la production sucrière avec la main d’œuvre
esclavagiste haïtienne, la RD ne recevra aucune pression. Et si elle en recoit
c’est pour mieux preserver l’esclavage auquel sont soumis les Haitiens depuis
1919.
Des coupeurs de canne en RD |
Si les Dominicains sont tenus d’accorder cette
« vie meilleure » que cherchent les Haïtiens et Haïti, quelle est sa
responsabilité vis-à-vis de ses propres citoyens? Je me demande le sens de la
révolution de 1804 lorsqu’on constate la complicité des Haïtiens eux-mêmes dans
le trafic de leurs ressortissants érigés en esclaves dans l’ile voisine. A ce
stade des conflits, les autorités Haïtiennes ont l’obligation de venir en aide
à leurs citoyens en République Dominicaine et les aider à régulariser leur
statut, soit en leur accordant la nationalité haïtienne pour ceux qui sont dans
une situation d’apatride, d’aider ceux qui possèdent déjà la nationalité
Dominicaine et qui sont menacés illégalement par cette mesure. Ainsi, nous
mettrons fin à cette guerre picrocholine.
Les Haïtiens dans l'un des bateys |
Les présidents Trujilio (RD) et Lescot (Haïti) trinquant leur verre lors de leur rencontre de 1939 en Domincanie. |
Dans l’immédiat :
1) Organisation d’un téléthon invitant chaque
Haïtien à l’intérieur comme à l’extérieur à contribuer $20 par tête ou 1000
gourdes – 1 million de personnes a 20 dollars en une semaine, on aurait déjà
collecté 20 millions de dollars, ou 2 millions de personnes contribueraient 40
millions de dollars.
2) Les Haïtiens des bateys vivent dans des
campements permanents très sommaires et dépourvus de tous services tandis que
les colons de la Gulf et Western produisent un volume annuel de production
supérieur à 1,3 milliard de tonnes de sucre. Les Haïtiens doivent demander
officiellement a la République Dominicaine de mettre fin à effet immédiat aux
travaux des travailleurs Haïtiens dans les Bateys. Rapatriement total des
Haïtiens travaillant dans les Bateys.
Haïtiens réfugiés dans le camp (batey) Munoz à Puerto Plata |
4) Le gouvernement devrait disposer d’une zone
vierge, en particulier dans le nord d‘est pour le rapatriement de ses citoyens,
ces zones étant inhabitées sans aucun plan de développement serviraient à la
construction d’une nouvelle ville qu’on nommerait « la ville fierté»;
5) 40 millions de dollars construiraient près
de 8,000 maisons à $5,000 dollars par famille sans les couts de la main
d’oeuvre. Ces maisons seraient construites en utilisant la force des rapatriés
comme main d’œuvre. En d’autres termes, ils auraient du travail et comme
fruits, ils auront leur propre habitat.
6) Les rapatriés auraient droit à une cantine
trois fois par jour durant toute la période de la construction de leur logement
qui se ferait simultanément.
7) L’Etat ferait appel à des volontaires parmi
des ingénieurs Haïtiens désireux d’assister nos compatriotes dans le projet
moyennant une réduction d’impôts pour leur contribution qu’ils auront à
déclarer lors du paiement des impôts.
8) L’Etat Haïtien devrait mettre des bus à
disposition des Haïtiens dans les endroits annoncés pour leur rapatriement et
empêcher que la République Dominicaine déporté nos frères et sœurs mais plutôt
les Haïtiens rapatrient leur peuple. L’achat des bus aurait été plus utile qu’un
concert de quelques heures sur le Champ de Mars.
9) Un Comité d’accueil sérieux et efficace
devrait être établi dans les zones frontalières qui enregistrerait leurs noms
et d’autres détails les concernant ;
10) Un recensement de tous les rapatriés devrait
être réalisé en vue d’une meilleure planification de leur réintégration.
11) A l’arrivée des rapatriés, des tentes
seraient mises à leur disposition comme logements temporaires Ils se rendront
au travail pour une durée déterminée dans la construction de leur habitat.
12) Dans un deuxième temps, l’Etat devrait
aider les nouveaux résidents à travailler dans des plantations que l’Etat
devrait prévoir dans le cadre du développement de l’agriculture. Par exemple,
planter des légumes et des fruits pour la consommation locale. Il est à noter
que la firme Haïtienne qui fournit la MINUSTHA en légumes les obtient de la
République Dominicaine.
13) Développement d’une industrie haïtienne de
canne à sucre la ou les Haïtiens peuvent travailler et produire le sucre localement;
Une étude de faisabilité devrait être réalisée à cet effet en vue d’une action
concrète.
14) En attendant les récoltes, chaque famille
recevrait une allocation de 5,000 gourdes afin d’injecter dans la nouvelle vie
une activité économique. Les 5,000 gourdes devraient aider la famille à une
activité entrepreneuriale (achat et vente des produits) pour commencer.
15) L’Etat se chargerait de construire un
lycée dans la zone qui tiendrait compte de la langue Espagnole qui serait
largement parlée dans la nouvelle ville.
16) Ceux qui ont des familles en Haïti et qui
ne font pas parti des Haïtiens nés et grandis en RD devraient rejoindre leur
famille.
Dans un long terme :
1) Il est absolument essentiel que la décentralisation des villes ait lieu et
qu’un gouvernement local soit développé et sa capacité renforcée dans toutes
les villes. Le gouvernement local doit assurer le développer de sa zone
respective sans passer par Port-au-Prince. Ceci est sérieux si on veut éviter
d’exacerber le problème d’émigration de notre peuple vers l’ile voisine et
d’autres villes des Caraïbes.
2) Relancement d’un plan de production
agricole pour éliminer toute importation de la République Dominicaine, c’est
une conséquence que la RD devra assumer. Haïti ne doit plus accommoder
l’économie dominicaine si ce n’est que par des échanges commerciaux mutuels.
3) Investir dans la recherche minière de
manière à créer une main d’œuvre dans le secteur minier. Le développement d’une
main d’œuvre qualifiée à travers le pays doit être parmi les points importants
de l’agenda de chaque gouvernement.
4) Analyse et recherche sur les capacités de
rendement dans chaque zone géographique et impliquer la population dans le
développement de leur ville. Si nous cherchons notre corne d’abondance, nous la
trouverons ;
5) Prévoir une protection de nos champs
agricoles afin d’éviter des actes de sabotage par les voisins.
6) L’Etat Haïtien doit investir dans la
construction de campus universitaires dans plusieurs départements géographiques
au service d’un plus grand nombre d’Haïtiens afin que nos étudiants n’aient pas
à verser $10,000 dollars par tête aux universités privées Dominicaines. A noter
que 70% des étudiants dans les universités privées en RD sont des Haïtiens, ce
qui revient à dire que ces universités ont été créées pour attirer des devises
haïtiennes. Ce sont des devises qui seraient utiles à notre pays.
7) Haïti doit se moderniser et pour cela, il
faut la participation de tous les membres de ses élites. On ne peut blâmer le
professeur qui admet « qu’Haïti se trouve actuellement « au bord du précipice
de l'histoire », il nous appartient de renverser la tendance. Nous ne pouvons
demeurer une société perpétuellement en crise. L’écrivain Dorvilier constate
que cette « longue crise haïtienne du développement résulte du fait que les
principaux sous-systèmes culturel, social, politique et économique n'ont pas su
remplir adéquatement leurs fonctions respectives. Ils ont en effet fonctionné
de manière anachronique, perverse et chaotique. » Une nouvelle direction
s’avère donc nécessaire ;
8) Pour citer le sociologue Claude Souffrant «
Haïti entretient des archives et des musées, institutions de conservation du
passé. La sociologie haïtienne contemporaine demeure obstinément diachronique.
Chez ses meilleurs représentants, les vues prospectives sont rarement
développées au-delà des limites ... le regard haïtien est fixé sur son passé.
Avec ce regard borgne, on entre dans l'avenir, inattentif à la nouveauté du
temps, insouciant à l'inédit qu'amène le futur, imperméable aux innovations,
prisonniers de l'héritage sacré des anciens, répétant le discours bègue du passé,
le discours de l'aliénation. » Moi je dis, relevons le défi du développement,
regardons vers l’avenir et utilisons nos moyens et développons les
possibilités. Faisons preuve d’innovation !
9) Haïti a besoin d’une révolution
industrielle. Beaucoup d’Haïtiens de la diaspora souhaitent investir dans leur
pays mais la situation sécuritaire, le monopole de l’Elite économique aussi
bien que le style mafieux observé dans la gestion des affaires publiques les
découragent. Haïti importe pratiquement tout de la République Dominicaine et
même les produits de première nécessité qui auraient pu être fabriqués sur
place. Le gouvernement doit faciliter le développement de l’industrie afin
d’élargir l’économie et de réduire le monopole par quelques familles.
10) Chaque président sortant doit laisser
leurs empreintes en établissant, ou sponsorisant ou une industrie locale, ou
une ou des institutions dans les domaines suivants ;
• Agriculture
• Education/Formation (Sciences techniques)
• Industries pour la fabrication de produits de première nécessité
• Santé
• Logements
• Environnement
• Mines et energie
11) Développer une campagne d’information et
de conscientisation sur le maltraitement des Haïtiens en République
Dominicaine, en particulier les bateys à l’intention des masses à travers des
documentaires filmés. Ceci servira à décourager les Haïtiens à s’enfuir vers la
RD. Apprendre aux Haïtiens à conserver leur dignité, et leur fierté, Les
inculquer une responsabilité citoyenne. c’est un minimum qu’on leur doit.
12) L’explosion démographique pèse très lourd
sur le développement du pays. Le gouvernement ne planifie jamais pour sa
population mais pour une poignée de gens, est ce pourquoi il ne réalise jamais
un recensement annuel. Loin de planifier pour eux, il les abandonne, les isole
et les laisse à la recherche de leur propre survie. A cause de leur statut de
sous-classe, ils sont marginalisés partout où ils vont et sont traités comme
des parias.
13) Repenser la gouvernance car sans une
réforme totale des institutions et des engagements phares à être respectés par
tous les secteurs, on ne saurait nous orienter vers la modernité. Il faut une
consultation citoyenne et une commission nationale de réformes des institutions
et de l’Etat afin de construire un Etat solide. Pour l’instant, l’Etat est une
foire d’empoigne à la solde des dirigeants et de l’élite économique aussi bien
que quelques poignées d’opportunistes.
14) Les préjugés envers les masses Haïtiennes
sont aussi à l’origine des problèmes. Garder un peuple dans l’ignorance parce
qu’ils sont en majorité noire, est un crime contre l’humanité. C’est l’occasion
pour que les autorités haïtiennes réparent le tort qu’ils ont fait à la grande
majorité livrée à elle-même. Nous ne pouvons plus faire litière d’une situation
des plus macabres que nous avons occasionnée durant deux siècles.
15) Une table ronde doit être organisée
invitant les élites du pays (économique, politique et intellectuel) vers le
développement d’un « compact » national à s’engager dans des responsabilités
propres. Comme l’a fait remarquer le Professeur de l’Administration Publique
louis Coté, « Le premier indicateur qui permet de savoir si un Etat va se
développer ou s'inscrire dans la modernité, c'est un projet commun de
développement partagé par l'ensemble des élites » ; L’assiette au beurre doit
prendre fin car nul n’est né dans la pourpre dans notre pays.
16) Nous avons perdu la face au monde entier
et nous avons trop longtemps frisé le ridicule. Si nous ne pouvons pas nous
entendre pour faire cet ultime sacrifice en vue de ramener notre pays aux
portes de la modernité, je repose la question à savoir « A quoi servait la
révolution de 1804 » ? sinon mettons-nous à pied d’œuvre pour construire
l’Etat.
Emmanuelle
Gilles
3 Juillet 2015
3 Juillet 2015