Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Tuesday, November 18, 2025

Haïti: De Vertières à la Coupe du monde - Une victoire qui réveille la mémoire

Par Hervé Gilbert

Il y a des dates qui ne vieillissent pas. Elles ne s’effacent ni dans les discours ni dans les cœurs. Le 18 novembre fait partie de celles-là. En 1803, elle a donné naissance à l’idée haïtienne de liberté. En 2025, elle a rappelé que malgré les blessures, Haïti sait encore se lever.

Cette date n’est pas seulement une commémoration : c’est un battement de cœur national. C’est le jour où, sur le champ de Vertières, une armée composée d’anciens esclaves, de paysans et de soldats improvisés a déjoué l’un des plus puissants régimes militaires du monde, faisant naître l’idée haïtienne de dignité et d’existence.


Ce 18 novembre 2025, le pays a vécu une autre émotion, dans un autre registre, mais portée par le même élan intérieur. Ce soir, les Grenadiers ont fait plus que se qualifier pour la Coupe du monde : ils ont réveillé une fierté longtemps enfouie. Une victoire sportive, certes, mais surtout une victoire symbolique — presque philosophique : celle d'une nation qui, malgré ses douleurs, trouve encore la force de se célébrer.


Une équipe en exil, mais jamais sans drapeau


La qualification n’a pas été facile. L’équipe nationale a joué loin de ses terres, privée de stade, de public, parfois même de repères. Une sélection en exil, contrainte de représenter un pays que beaucoup regardent avec inquiétude ou compassion, rarement avec admiration. Pourtant, match après match, la conviction est née : l’Haïti du football n’était pas seulement une équipe — elle était une résistance.

Le match décisif, disputé loin du sol national, fut comme un écho de Vertières : silence, tension, incertitude… puis explosion de vie. Une victoire 2-0, modeste sur le papier, mais immense dans sa portée. Ce soir , les supporteurs n’ont pas seulement célébré un score — ils ont célébré une preuve : Haïti existe encore — et dans l’avenir.


Et c’est précisément cette coïncidence qui donne à l’événement sa force symbolique. Ce 18 novembre, deux siècles après le combat fondateur, le pays a connu une autre forme de victoire — pacifique, collective, mais chargée de la même idée : se lever face à l’impossible.


Dans les rues défoncées de Port-au-Prince, du Cap-Haïtien, dans les quartiers de Montréal, Miami, Paris ou Santiago, diaspora et pays se sont rejoints dans le même souffle. Dans les radios communautaires, sur Facebook, Instagram, TikTok, dans les salons populaires et les familles dispersées, une phrase revenait : « Vertières encore ». Ce n’était pas une nostalgie. C’était une continuité.


Cette victoire ne change pas tout. Mais elle change quelque chose. La qualification à la Coupe du monde ne résoudra ni l’insécurité, ni la pauvreté, ni l’exil. Mais elle réveille quelque chose de précieux : la conscience que malgré ses blessures, Haïti n’a pas dit son dernier mot.


Cette victoire, à la frontière du sport et de la mémoire, ne fabrique pas de trophées — elle fabrique des regards. Elle transforme la perception que les Haïtiens ont d’eux-mêmes, et c’est peut-être là le premier pas de toute renaissance.


Vertières fut une conquête militaire. Cette qualification est une conquête symbolique. Mais toutes deux se rejoignent dans une même idée :Haïti ne renonce jamais.


Hervé Gilbert



Nu Look en Symphonie à Boston – Une Note Élégante et Vibrante

Quand le compas se fait symphonie, Boston retient son souffle…


Par Hervé Gilbert, 

Le 16 novembre 2025, ce n’était ni un simple spectacle, ni un concert parmi tant d’autres : c’était une rencontre entre l’élégance du son et la noblesse de l’émotion. Dans la majestueuse enceinte du Boston Symphony Hall, bâtie au début du XXᵉ siècle et foulée par les plus grands orchestres du monde, Nu Look — en formation symphonique — a offert une soirée où la musique n’était plus seulement entendue : elle était ressentie, habitée, respirée.

Sous ces voûtes conçues pour magnifier l’acoustique, chaque note trouvait sa place naturelle, comme si la salle elle-même avait été créée pour accueillir cette fusion entre la sophistication orchestrale et la sensibilité haïtienne. Nu Look n’a pas simplement interprété ses titres : le groupe les a transformés en récits sonores, en paysages d’émotion, en fragments de mémoire collective.

Une brève fenêtre sur l'atmosphère du Boston Symphony Hall


Boston a battu au rythme d’une élégance rare. Orchestre emblématique du compas moderne, Nu Look y a livré bien plus qu’une performance : une symphonie vivante, où chaque note devenait émotion et chaque accord, récit. Arly Larivière, fidèle à son style — sobre, charismatique, presque orchestral — a conduit musiciens et mélomanes comme un chef d’orchestre mène ses violons.

La voix, les cuivres, les cordes et les percussions se sont entremêlés dans une harmonie soyeuse, rappelant que lorsque Nu Look joue en mode symphonie, ce n’est pas juste de la musique : c’est une conversation entre l’âme et le tempo.

Les classiques du groupe, revisités avec délicatesse, ont pris la couleur d’un souvenir, la texture d’une brise familière. À Boston, le compas a dansé avec la distinction — et Nu Look, une fois de plus, a prouvé qu’il pouvait faire vibrer les cœurs avec la même intensité qu’il fait vibrer les pistes de danse.

Le public est reparti comblé, mais avec une seule certitude : cette symphonie, on voudrait l’entendre encore… et toujours.

Hervé Gilbert


Wednesday, November 5, 2025

États-Unis - 4 Novembre 2025: une nuit de renouveau démocrate

Abigail Spanberger     Zohran Mamdani        Mikie Sherril   
 

Par Hervé Gilbert

Les élections locales d’hier soir ont redessiné le visage politique américain. Deux femmes élues gouverneures, la victoire du progressiste Zohran Mamdani à New York, et une vague bleue confirmée en Californie et au New Jersey. Une recomposition politique s’amorce, sous le signe du renouveau et de la compétence.

Un souffle nouveau sur l’Amérique politique

Zohran Mamdani

La victoire de Zohran Mamdani, 34 ans, nouveau maire de New York, symbolise un basculement générationnel. Issu d’une gauche urbaine ancrée dans les réalités sociales, Mamdani incarne une politique du terrain, audacieuse et connectée aux citoyens.
 « Mon election de ce soir  met un terme à une dynastie de la politique new-yorkaise. C’est une victoire pour tous ceux qui persistent à croire que cette ville peut redevenir un espace de justice et d’opportunité », a déclaré  le candidat victorieux, hier soir, dans un discours à la fois sobre et empreint d’émotion.

Mais la soirée a surtout été marquée par l’ascension de deux femmes d’envergure : Abigail Spanberger en Virginie et Mikie Sherrill au New Jersey. Deux profils solides, deux parcours exemplaires, et un même message : celui du retour à la compétence et à la rigueur au sein du Parti démocrate.

Abigail Spanberger : de la CIA à la gouvernance

Abigail Spanberger

Ancienne agente de la CIA, Abigail Spanberger devient la première femme élue gouverneure de la Virginie. Élue pour la première fois au Congrès en 2018 dans un district historiquement républicain, elle s’est imposée par un style direct et pragmatique, axé sur les enjeux économiques, la santé publique et la recherche du consensus.

« Les Virginiens ne veulent plus de querelles idéologiques, ils veulent des résultats », a-t-elle lancé lors de sa victoire. Sa trajectoire atypique, entre services de renseignement et action publique, fait d’elle une figure de stabilité dans un paysage politique fragmenté.

Mikie Sherrill : la rigueur militaire au service du New Jersey

Mikie Sherrill

Dans le New Jersey, Mikie Sherrill, ancienne pilote d’hélicoptère de la Marine américaine et ex-procureure fédérale, s’impose face à un adversaire soutenu par Donald Trump. Élue députée en 2018, elle a bâti sa campagne sur la sécurité, la lutte contre la vie chère et la protection des familles.
 Sa victoire confirme la capacité des démocrates à conquérir des territoires modérés et à parler à une classe moyenne en quête de sérieux et de stabilité.

« Ce que nous avons prouvé ce soir, c’est qu’une politique de bon sens peut encore gagner en Amérique », a-t-elle affirmé devant ses partisans.

Un parti démocrate revigoré

Entre la Virginie, le New Jersey, la Californie et New York, les démocrates sortent renforcés. Ces succès traduisent un désir profond de renouvellement, de compétence et de leadership féminin. Le parti, souvent perçu comme divisé, montre sa capacité à reconcilier pragmatisme et vision progressiste, tout en s’ouvrant à une nouvelle génération de leaders.

Mais le défi reste immense : transformer ces victoires électorales en résultats concrets sur les sujets qui minent le quotidien — logement, sécurité, inflation, cohésion sociale.

Les républicains en quête de repères

Du côté républicain, la soirée a un goût amer. Les revers successifs en Virginie et au New Jersey confirment une érosion du socle électoral traditionnel, notamment chez les jeunes, les femmes et les classes urbaines.Le parti conservateur semble toujours prisonnier de son aile la plus radicale, incapable de séduire au-delà de sa base.

« Nous avons besoin d’un discours d’avenir, pas d’un écho du passé », a reconnu un stratège républicain sous couvert d’anonymat.

Une vague bleue… en devenir

Cette nuit électorale n’est pas une révolution, mais une transition. Les démocrates reprennent du souffle, les républicains s’interrogent. Les Américains, eux, semblent avoir envoyé un message clair : le leadership se mérite désormais par la compétence, la crédibilité et la proximité.

Si la vague bleue continue de monter, elle pourrait bien transformer cette soirée électorale en tournant historique pour la politique américaine.

Hervé Gilbert

Tuesday, November 4, 2025

Réplique à Amos Cincir : Quand la verve remplace la vision

     Himler Rébu           Jean Ernest Muscadin

Par Hervé Gilbert 

Le texte d’Amos Cincir, intitulé «  Haïti : quand les justiciers de circonstance deviennent les prophètes d'une République perdue », a le mérite du style, mais il pèche par excès de posture. Il dénonce, sans comprendre ; il accuse, sans situer ; il moralise, sans mesurer la profondeur du désastre. Son indignation est brillante, mais elle demeure stérile. 

L’auteur, juché sur sa tribune diplomatique autoproclamée, voit en Jean Ernest Muscadin et Himmler Rébu les symboles d’une dérive populiste et autoritaire. Il leur oppose l’idéal d’un État rationnel, d’une République réconciliée avec le droit. Belle idée, certes, mais dans le pays réel — celui des routes éventrées, des commissariats sans cartouches, des postes de police sans policiers et des tribunaux sans juges — la morale, à elle seule, ne suffit plus. 

Quand l’État s’effondre, il ne reste que des fragments de légitimité : l’homme d’action, le chef local, le justicier improvisé. Muscadin n’est pas un symptôme d’arriération, il est le produit d’un vide. Le vide laissé par un État absent, par ceux qui, depuis trente ans, ont réduit la politique et la sécurité du pays à de simples bavardages, laissant la nation livrée à elle-même.

Quant au colonel Himmler Rébu, on peut railler son verbe martial, mais l’on ne saurait effacer l’ombre d’une époque qu’il symbolise — celle où servir l’État se confondait encore avec un acte de foi, presque religieux. Il fut de cette génération d’hommes persuadés que l’uniforme suffisait à incarner la vertu, que la posture tenait lieu de bravoure. Ses détracteurs parlent de discipline, mais n’en connaissent que la légende. Ils n’ont jamais senti le froid du matin dans la cour d’un casernement, ni entendu le silence lourd qui précède l’ordre de marcher.

Pourtant, de ce corps jadis proclamé d’élite, Rébu n’a conservé que la voix — une voix d’airain usé, résonnant dans le vide. Il parle comme un tambour crevé au fond d’un carnaval républicain : beaucoup de bruit, peu d’écho. Théoricien sans champ de bataille, général sans armée, il s’est réfugié dans le confort de la rhétorique, faisant du mot son dernier uniforme. Le verbe, chez lui, a remplacé l’action comme la parade remplace la guerre. 

Et tandis que les discours s’empilent comme des drapeaux délavés, d’autres hommes — plus frustes peut-être, mais plus entiers — se dressent dans la poussière. Là où Rébu déploie sa grammaire, Muscadin brandit sa témérité.

L’un théorise la République depuis un balcon, l’autre la défend, sabre invisible à la main, au milieu du fracas et du sang.

Sans l’élan de cet héroïsme brut, le Grand Sud serait depuis longtemps un territoire perdu, livré aux corbeaux — tout comme Martissant, à quelques kilomètres à peine de la résidence du colonel Rébu, est devenu un champ de désolation où même la honte a cessé de pousser. 

Dans un pays où les généraux parlent et où les justiciers agissent, il faut bien parfois que la balle accomplisse là où la phrase échoue. 

Car c’est bien là le cœur du drame haïtien : les uns parlent au nom de la loi qu’ils n’ont jamais su défendre, les autres agissent dans le vide qu’ils ont laissé. Et entre les deux, le peuple, ce peuple qu’on accuse d’émotion, survit dans un théâtre d’hypocrisies. 

Haïti ne mourra pas d’un trop-plein d’action, mais d’un trop-plein de paroles. Elle ne se relèvera que lorsque la parole retrouvera le courage de se salir les mains, et que l’action cessera d’être aveugle. Ce jour-là seulement, la République cessera d’être un mirage récité à voix haute, et redeviendra ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un devoir silencieux, mais vivant. 

Hervé Gilbert

Friday, October 31, 2025

Jérémie 1975: l’épopée des oubliés qui ont défié les géants du football national

Les anciens joeurs présents au Gala du 20 septembre 2025
De la gauche :
Saul Noël, Eric St-Surin, Pierre-Richard Legagneur, Richard Jacob, Maurice Chéry


Par Hervé Gilbert

Il est des victoires qui ne se mesurent pas seulement à la lumière des trophées, mais à la profondeur des émotions qu’elles éveillent, aux rêves qu’elles rallument dans le cœur des peuples.

L’histoire du football haïtien, écrite dans l’élan d’une décennie flamboyante, porte en elle l’empreinte de ces triomphes discrets qui, bien au-delà du sport, racontent une lutte acharnée pour l’existence, la dignité et la reconnaissance.

En 1975, Jérémie — la « Cité des Poètes », capitale mélancolique de la Grand'Anse  — offrit à la nation l’une de ces pages immortelles : une épopée née dans le sillage de la Coupe du Monde 1974 en Allemagne, à laquelle Haïti participait pour la première fois.

L’enthousiasme était alors national, presque mystique : le football devenait miroir de l’identité, promesse d’unité et symbole d’espoir et de développement. Dans ce souffle d’ivresse collective, la Fédération haïtienne de football organisa de prestigieux championnats interrégionaux. C’était dans ces tournois que s’affrontaient les fiertés locales, que foisonnaient les talents de demain. C’était là aussi que se forgeait, loin des projecteurs, le socle humain de l’équipe nationale.

Jérémie, l’outsider aux rêves d’absolu

Pourtant, au cœur de cette effervescence, Jérémie se dessinait dans la marge. Elle n’était ni Port-au-Prince ni Cap-Haïtien. Elle ne régnait pas sur les pelouses : elle les effleurait avec timidité. Ses terrains, souvent poussiéreux, n’avaient rien des grandes arènes. Mais ses enfants, eux, portaient dans leurs veines la flamme de l’insoumission et le désir d’écrire leur propre destin.

Une photo d'archives de l'équipe jérémienne vers les années 1955

Maurice Léonce
Dans ces clubs modestes mais valeureux que furent Hazel et Jupiter, s’élevaient des noms qui, pour beaucoup, résonnent encore dans la mémoire jérémienne: Maurice Léonce, Maxan Juste, Éric Pierre, Barnave François, Jean-Claude Tabuteau, Jean-Claude Jean-Louis — que l’on appelait Jean-Claude « Deux Pieds » —, Albert Marcel, Jean Martin Monlouis, alias Tat, Georges Laforest.Sr, Jean-Joseph Charles, Louis Lafortune, Gibson Jacob — « Gogo » pour les siens —, Raoul Cédras Jr., Jean-Claude Monlouis, Jean-Parnel Bontemps, Max Dorismond, Gérard Glode, Marcel Bourdeau,  Gérard Mercure, Pierrot Alcindor, Louis Timothé, dit Ti Loulou Bata, Jean-Claude Chassagne, Georges Cajoux. Dans le fracas des matches de quartier, au Parc Saint-Louis balayé par les vents  marins qui déviaient souvent le ballon de sa trajectoire, une génération dorée rêvait de bousculer, le moment venu, l’ordre établi.

Le jour où Jérémie fit trembler l’ordre du football

Nous étions en 1975. Le Stade Sylvio Cator, plein à craquer, vibrait comme un cœur au bord de l’explosion. Jérémie affrontait Saint-Marc en finale du championnat interrégional. Tout semblait déjà écrit, comme une fatalité tracée sur le parchemin du destin : les outsiders devaient s’incliner. Mais le match, âpre, haletant, disputé avec une ardeur farouche, demeura stérile jusqu’au bout. Aucun but ne vint dénouer l’affrontement, aucune faille ne s’ouvrit dans les défenses héroïques. Alors, dans ce théâtre de tension où chaque souffle retenu pesait plus lourd qu’un cri, le destin décida de se jouer aux nerfs. La finale s’en remit aux tirs au but — ce rituel cruel où les héros se forgent ou s’effondrent. Là, sous les projecteurs tremblants, dans une atmosphère où l’histoire semblait s'écrire au bout de chaque frappe, Jérémie fit mentir les pronostics.

Pierre-Richard Légagneur
& Clermont Coamin
D’un courage insolent, d’une foi plus forte que les doutes, les siens écrivirent leur légende, une frappe après l’autre, jusqu’à ce que l’explosion d’un dernier but consacra leur victoire. L’histoire bascula : Jérémie l’emporta 3–2. Et toute une région, longtemps marginalisée, surgit au centre de la scène.

Dans les rues de la Grand'Anse, les tambours résonnaient, le son guerrier des conques déchirait l’atmosphère.Les « Héros de 1975 » étaient portés en triomphe, célébrés comme les artisans d’une révolution sportive. La presse, émerveillée, parla de « l’épopée de Jérémie », symbole d’un football régénérateur d’une jeunesse dévouée et indomptable.

Les visages de la gloire

Derrière ce triomphe, des visages et des noms se dressèrent comme les silhouettes héroïques d’une génération entière, à jamais gravés dans la mémoire collective: Maurice Chéry, gardien vigilant; Pierre Richard Legagneur, capitaine courageux; Luckner Laguerre; Eddy Gilbert; Orel Lamarre; Parnel Michel; Louis Lafortune; Éric St-Surin; Agnus Chéry; Bradler Ogé; Gérard Charles; Richard Jacob; Bonera Moïse; Éric Saint-Fleur; Saül Noël ;Mario Fauché; Richard Scylla; Jean Gérard Pierre. Entraineurs:Dominique Jean-Michel ;Rolin Fauché.

La sélection de 1975 
Photo prise aux landes des Gabions, Aux Cayes (1975)

Chacun d’eux portait en lui la flamme de l’insoumission et le courage des oubliés. Certains furent plus tard appelés à rejoindre les camps de l’équipe nationale, prolongeant ainsi une épopée née dans l’ombre pour s’inscrire dans la lumière de l’histoire. Parmi eux, Pierre Richard Legagneur porta plus loin encore le flambeau jérémien en rejoignant le prestigieux Violette Athletic Club de Port-au-Prince — champion de la Concacaf en 1984 — inscrivant durablement l’esprit de 1975 dans les grandes arènes du football national. Jusqu’en 1984, son talent prolongea, au sommet, le souffle victorieux né sur les terres de la Grand’Anse.

Devant:de la gauche: Parnel Bontemps,Guy Cupidon, Pierre Richard
Legagneur, Mme  Richard Jacob. En arrière plan: Mme & Mr Saul Noël,
Mme Pierre- Richard Legagneur, Richard Jacob.                                       \

La gloire comme héritage

Cette victoire unique, solitaire et pourtant immense, laissa dans les mémoires une trace indélébile. Elle inspira des générations entières, y compris ceux de la diaspora qui, loin du pays, continuèrent de porter fièrement cette histoire comme un talisman.Des décennies ont passé. Les visages ont mûri, les voix se sont adoucies, mais la mémoire de cette épopée demeure intacte.

Guy Cupidon
Raymond Jn-Louis
Cinquante ans plus tard, à New York, dans le quartier de Brooklyn, le 20 septembre 2025, un gala empreint d’émotion réunit, au Lago Kache Restaurant & Lounge, ces anciens combattants de la gloire. Sous le parrainage de Guy Cupidon, et avec la collaboration de Raymond Jean-Louis, la cérémonie se déroula dans une atmosphère à la fois solennelle et fraternelle — comme un rite de passage entre générations. L’initiateur de l’événement, M. Cupidon, remit à chacun des coéquipiers présents une bague commémorative : non pas un simple souvenir, mais un sceau d’honneur, destiné à sceller à jamais leur place dans la mémoire collective. Le capitaine de l’équipe de 1975, Pierre Richard Legagneur, reçut des mains du champion de 1981, Clermont Coimin, un trophée honorifique — symbole éclatant d’un flambeau transmis au fil du temps.

Ce geste, salué par les Jérémiens et Grand'Anselais dispersés aux quatre coins du monde, vint réparer l’injustice de l’oubli, raviver la flamme de 1975 et ressusciter, dans le cœur des témoins, la lumière indélébile de cette épopée.

Moments forts de la soirée en vidéo, animés par Raymond Jean-Louis


Conclusion

L’histoire de Jérémie 1975 est celle d’une région qui refusa l’effacement. C’est l’histoire d’un match devenu métaphore de l’existence, d’une victoire qui, bien plus que sportive, fut sociale, culturelle et identitaire. Elle rappelle que les grandes conquêtes naissent souvent dans les lieux que l’on croit insignifiants, et que les rêves les plus fous s’écrivent parfois avec les pieds nus des enfants sur des terrains poussiéreux.

Dans la mémoire d’Haïti, cette épopée demeure un poème de courage et d’espérance — un poème que rien, jamais, ne pourra effacer.

Hervé Gilbert


Thursday, October 16, 2025

Robert “Bobby” Denis : le souffle du son, l’éternité d’un producteur

Robert Bobby Denis
La mémoire vivante de la musique haïtienne

Par Hervé Gilbert

Robert Denis, que tous appelaient tendrement Bobby, s’est éteint le mardi 14 octobre 2025, comme s’achève une chanson au dernier souffle du vent.

Fondateur d’Audiotek, ce sanctuaire du son où tant de voix haïtiennes ont trouvé leur timbre éternel, Bobby laisse derrière lui un silence vibrant — un écho suspendu entre mémoire et mélodie — celui d’un homme qui avait fait de chaque note une prière et de chaque enregistrement une œuvre d’amour.

Mais Bobby Denis ne fut pas seulement un maître du son. Président de Canal Bleu et de l’Association nationale des médias haïtiens (ANMH), il a également marqué de son empreinte le paysage audiovisuel et médiatique du pays. Par sa vision et son engagement, il a contribué à professionnaliser la radiodiffusion haïtienne, à défendre la liberté de la presse et à bâtir des institutions qui donnent voix à la culture et à la vérité.

Discret mais essentiel, Robert Bobby Denis a façonné pendant plus d’un demi-siècle la trame sonore de la musique haïtienne. Des vinyles d’hier aux formats numériques d’aujourd’hui, il fut le témoin, l’artisan et le passeur d’un patrimoine qui ne s’éteindra pas avec lui.

Il est des hommes qu’on ne voit jamais sur scène, mais sans qui la musique ne respire pas. Dans l’ombre des projecteurs, ils tissent le fil invisible qui relie les artistes à l’immortalité. Robert “Bobby” Denis était de ceux-là — un alchimiste du son, un artisan de l’âme musicale haïtienne, un maître silencieux dont la disparition laisse dans le milieu culturel un vide à la fois immense et insonore.

Depuis les années des vinyles et des bandes magnétiques, Bobby Denis a accompagné la grande aventure du "Konpa Dirèk", enregistrant, mixant et produisant les voix qui allaient faire danser, rêver et pleurer plusieurs générations. Il appartenait à cette famille d’ingénieurs du son et de producteurs qui, sans jamais chercher la lumière, donnaient à chaque note sa justesse, à chaque instrument sa place, à chaque artiste la possibilité d’être entendu.

Dans son studio, le temps semblait suspendu. Il y régnait un mélange de rigueur et de fraternité, de passion et de patience. Bobby Denis n’enregistrait pas seulement des musiciens : il écoutait des histoires, des âmes, des fragments de vie qu’il transformait en musique. Sa console devenait une scène intime où se rejouait, encore et encore, le dialogue entre tradition et modernité.

Son oreille, d’une précision presque légendaire, était sa signature. Elle lui permettait de déceler, derrière une voix ou un accord, la vérité émotionnelle qui fait la grandeur d’un morceau. Il savait que la musique haïtienne, pour toucher le monde, devait d’abord être sincère, enracinée, vibrante de cette humanité que seul un peuple blessé mais debout peut exprimer.

Au fil des décennies, il a vu défiler les modes, les succès, les départs. Mais jamais il n’a cédé à la facilité. Fidèle à son exigence, il rappelait aux jeunes artistes que la technique sans l’âme n’est que bruit. Aujourd’hui, le milieu musical pleure un mentor, un ami, un repère. Ceux qui ont eu la chance de travailler avec lui évoquent un homme calme, généreux, rigoureux, dont la passion avait quelque chose de sacré.

Robert Bobby Denis s’en est allé, mais son empreinte demeure dans les sillons de nos disques, dans les mémoires sonores du pays, dans le cœur vibrant d’Haïti. Et tandis que ses mélodies continuent de voyager dans le temps, une question demeure suspendue, comme un dernier écho dans le silence du studio :qui, demain, saura encore écouter le son… avec l’oreille du cœur ?

Hervé Gilbert






Wednesday, October 8, 2025

Adieu à un esprit noble : Gérald Vincent

Au revoir à un Prof admiré : Gérald Vincent

C’est avec une profonde tristesse et une immense consternation que nous avons appris le décès de Maître Gérald Vincent. La nouvelle de sa disparition a laissé un grand vide dans le cœur de tous ceux qui ont eu la chance de le connaître. Jérémien de souche, il était une figure emblématique de cette communauté, un homme dont nous admirions unanimement le tempérament calme, le savoir-faire exceptionnel, la sagesse profonde et, par-dessus tout, une humilité qui forçait le respect.

Gérald Vincent (1970)

Gérald était un homme aux multiples talents. Bel homme au charme discret, il était à l’époque, un célibataire respectueux avant de devenir un époux et un père de famille aimant et responsable.  Sa carrière professionnelle fut tout aussi riche et diversifiée. Banquier respecté à la banque nationale, il a su faire preuve d'une grande rigueur et d'une intégrité sans faille. Mais beaucoup se souviendront de lui comme un pédagogue inné, un professeur de chimie passionné qui avait le don de transmettre son savoir avec une clarté et une patience à toute épreuve.  Même au sommet de sa gloire, Gérald était resté toujours égal à lui-même : accessible, simple et profondément humain. C'était là, une qualité plutôt rare et remarquable pour l’époque.

Gérald, tu as mené le bon combat, celui d'une vie droite, généreuse et tournée vers les autres. Sans même t'en rendre compte, tu as été un modèle pour plusieurs de cette génération. Tu as inculqué, à ton insu, bien plus que des formules de chimie ; tu nous as enseigné des leçons de vie, un savoir-vivre qui continue de nous guider.  Nous te serons éternellement reconnaissants pour ta disponibilité et ton dévouement. Au nom de tous les bacheliers à qui tu as si généreusement offert ton temps et tes connaissances les samedis, même après tes longues semaines à la banque, nous te disons un immense merci.

Aujourd'hui, nos pensées les plus émues et empathiques accompagnent la famille Vincent. La famille Decoste présente ses plus sincères condoléances à son épouse, à ses enfants et à toute la famille étendue. Nous espérons que vous trouverez un peu de réconfort et de baume au cœur en vous remémorant les souvenirs heureux et les inoubliables moments passés en compagnie de cet homme d'exception.

Gérald, tu as été une source d'inspiration et un modèle pour plusieurs de notre génération. Ta mémoire restera gravée en nous.

Que la terre te soit légère! 

Michel & Gertha Decoste

           Ottawa