Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, May 30, 2025

Hommage à Suzette Magloire (29 avril 1942 – 26 mai 2025)

Suzette Gilbert Magloire
29 avril 1942 - 26 mai 2025

English version

Aujourd’hui, c’est un pan entier de notre mémoire familiale, intellectuelle et éducative qui s’effondre silencieusement.

Suzette Magloire, née Marie Éléonore Suzette Gilbert, s’est éteinte ce lundi 26 mai 2025, à l’âge de 83 ans, à l’hôpital des Baradères, en Haïti, emportée par une courte maladie.

Elle était notre sœur, notre mère, notre belle-sœur, notre tante, notre cousine, notre amie. Femme discrète mais solide, lumineuse sans éclat tapageur, sa vie fut un long chant de dévouement et de dignité. Pour tous ceux qui l’ont connue, elle fut bien plus encore : une présence bienveillante, un esprit éclairé, une âme ferme et douce à la fois.

Dans les derniers mois de sa vie, confrontée à l’insécurité grandissante qui ravage la capitale haïtienne, Suzette avait quitté Port-au-Prince pour se réfugier aux Baradères, chez des parents proches. Elle fuyait non par peur, mais en quête d’un peu de répit — de lumière, de paix, de silence — loin de la tourmente chronique et de l’effondrement progressif des structures hospitalières de la ville. Ce retrait n’était pas un abandon, mais un ultime acte de sagesse, un geste lucide, fidèle à ce qu’elle fut toujours : posée, enracinée, profondément humaine.

Fille aînée de Barnave Gilbert et d’Yvanna C. Gilbert, Suzette était originaire de Jérémie, ce haut lieu de culture et de conscience, berceau d’intellectuels, de poètes et de pédagogues. Elle s’inscrivait dans une lignée éducative remarquable : son père, Barnave Gilbert, fut un directeur et inspecteur de district respecté dans la Grand’Anse ; son oncle, Marcel Gilbert, enseignait la philosophie et dirigea le prestigieux lycée Pétion à Port-au-Prince. À leur suite, Suzette embrassa le noble métier d’enseignante avec ferveur. Elle transmit, avec patience et exigence, le goût du savoir, le respect de l’autre, l’amour du travail bien fait.

Après avoir enseigné à l’école Édmée Rey de Jérémie pendant cinq années, aux côtés de son amie Paula Brierre Laforest, elle poursuivit sa vocation à l’école République d’Argentine, à Port-au-Prince, jusqu’à sa retraite. Femme de rigueur, de constance et de bienveillance, elle fit partie de cette génération d’enseignantes d’élite aux côtés de figures comme Elda Pierre, Inès Lafleur, Adrienne Perrault, Jacqueline Allen, Andrée Guillard, Amelle Desgraff Bontemps, Luce Desroches, Marlène G. Joseph, Gisèle Mayas, Eddye Saint-Louis et Andrée Couba — toutes femmes-piliers de l’éducation haïtienne.

Suzette Magloire laisse dans la peine ses quatre enfants, nés de son union avec son époux Jeannot Magloire : Marie Régine, Carine, Jeannot Jr. et Jean-Robert. Elle laisse également dans le deuil sa belle-fille Marie Guerdy et son beau-fils Ralph Magloire.

Son départ est ressenti profondément par sa fratrie nombreuse et unie : Marlène, Carl, Micheline, Rosemarie Maude, Hervé, Gardy, Flore et Hugues Gilbert — tous témoins de sa constance, de sa générosité et de sa profonde humanité.

Sa disparition nous laisse un vide immense — un silence tissé de souvenirs, de mots justes, de gestes simples, d’une tendresse rare. Mais elle nous lègue un héritage précieux : celui du savoir, de la persévérance sans bruit et de l’amour indéfectible pour un pays meurtri mais jamais oublié.

Suzette Magloire fut de celles qui ont su, avec peu de mots, transmettre beaucoup de sens — à la vie, à l’effort, à l’avenir. Elle s’en va, mais elle demeure dans nos cœurs, dans nos mémoires, dans les traces qu’elle a laissées sur notre route.

Que la terre des Baradères, où elle avait trouvé refuge face à la tourmente qui secoue Port-au-Prince, lui soit douce et légère.

À notre douleur s’ajoute celle de l’absence : en raison de l’insécurité généralisée dans le pays, il ne nous a pas été possible, à nous ses frères, sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, de l’accompagner dans son dernier voyage. Nos cœurs sont lourds de cette séparation imposée. Mais nous sommes, en pensée, en prière et en silence, à ses côtés.

Nous adressons nos plus sincères remerciements à la famille Vincent, ainsi qu’aux parents, amis et proches qui, malgré les circonstances difficiles, nous représentent et nous soutiennent.

Du fond du cœur, mille mercis!

Les familles Gilbert-Magloire

Wednesday, May 21, 2025

MES SOUVEVIRS D’EDDY LÉVÊQUE

Eddy Lévèque (1978)


Par Eddy Cavé






Ottawa, le 6 mai 2025

À notre entrée à l’École Frère Paulin de Jérémie en 1946, notre  premier professeur s’appelait Séjour Cajoux. Cet homme de belle taille, au port altier et à la  prestance d’un officier de l’Armée n’avait pas la moindre tendance à l’autoritarisme et il nous aimait comme son propre fils Paul. Cet homme au physique imposant était l’exemple parfait du bon père de famille devenu éducateur par amour du métier. Photographe à temps partiel, il avait son studio à l’entrée de sa résidence du bas de la Grand-rue, mais il photographiait gracieusement ses élèves à l’école même. C’est ainsi qu’en nous prévoyant une amitié éternelle, il a, un jour, photographié les trois Eddy de sa classe : Eddy Lévêque, Eddy Julien et Eddy Cavé. Les deux premiers ont effectué un parcours rectiligne et sont allés droit vers le but qu’ils visaient. Eddy Lévêque voulait être médecin et il s’est spécialisé aux États-Unis en physiatrie et réhabilitation, tandis qu’Eddy Julien, qui avait toujours eu la vocation, a mis sa vie au service de sa foi et a opté pour  la prêtrise.                                             

Quant  au troisième larron, l’auteur de ces lignes,  il avait caressé le rêve d’être professeur de philosophie, mais il s’est, par la force des choses,  contenté de traverser les portes qui s’ouvraient devant lui après la perte d’une bataille : la grève des étudiants de 1960-1961. Il a ainsi fait son droit et œuvré tour à tour dans les domaines de la banque commerciale, de la banque centrale et des statistiques économiques avant de se recycler au Canada dans la traduction économique et juridique. Le voici aujourd’hui, devenu par défaut historiographe et  gardien de la mémoire collective de sa ville, en train de dire aux contemporains et à la postérité qui était Eddy Lévêque. Ce, après leur avoir rappelé qui étaient les condisciples Eddy Julien, Jean-Claude Samedy,  Serge PicardJean-Claude Fignolé, Frédéric (Dak) Cadet et Joseph Dieufène Azor.

Par un de ces déroutants caprices du destin, le condisciple Jean-Claude Chassagne, qui est omniprésent dans nos souvenirs d’enfance,  est actuellement en train d’organiser à Atlanta les funérailles de son épouse née Frédérique (Didi) Jean.  Le professeur Séjour avait bien raison de nous photographier tous, car ces amitiés nées dès la classe enfantine dont il avait la charge étaient appelées à survivre aux épreuves combinées de  la distance, du passage des ans, du déracinement et de l’exil.  À preuve cette photo des trois Eddy prise à New York au mois de juin 2010, lors du lancement de mon premier livre De mémoire de Jérémien: Ma vie, ma ville, mon   village.   


Eddy Julien, Eddy Cavé et Eddy Lévêque
(New York 2010)
Eddy Lévêque, le leader du trio,  ayant  décidé un jour que nous nous appellerions « Tokay » entre nous, nous avons pris l’habitude de nous interpeler et de nous appeler ainsi. Ordéa a retrouvé la petite photo du trio prise en 1946 par le professeur Séjour et elle m’a promis de me l’envoyer dès qu’elle la retrouvera. En 2010, Jean-Claude Chassagne et Dak Cadet se joignaient aux trois Eddy à un restaurant du quartier d’Eddy Lévêque à Long Island pour participer au lancement de mon premier,livre de souvenirs sur Jérémie.               

Eddy Lévêque était un personnage fascinant qui, sous des dehors de bonhomie et de  simplicité, dissimulait un modèle d’humanisme, de militant des bonnes causes et de travailleur de l’ombre. C’était aussi un lutteur infatigable qui avait horreur des projecteurs et faisait tout pour passer inaperçu. Donc, une sorte de militant clandestin, un bénévole presque anonyme qui, toujours sur le qui-vive, volait sans préavis au secours des populations dévastées par des cataclysmes naturels, des inondations, des ouragans, etc. Tout le contraire de l’ami commun et condisciple Serge Picard qui faisait beaucoup de bruit dans les médias.                        

Sa carrière de bénévole des secours d’urgence a commencé dès les lendemains du qui a dévasté presque toute la Grand’Anse en octobre 1954. Nous avions alors 14 ans et, dès l’été de nos 15 ans, nous allions faire partie des brigades de jeunes mobilisés dans les opérations de distribution des rations alimentaires apportées par un bateau américain du nom de Saïpan. 

Jean-Claude Chassagne, Père Wismick Jean-Charles, Eugène Joassaint,Eddy
Julien et Dak Cadet (Long Island 2010)

La disparition de son père, décédé à 36 ans à l’époque, le place en quelque sorte dans un rôle d’assistant-père d’une famille de six enfants. Il s’affirme aussi comme le pôle d’attraction du petit groupe de camarades de promotion qui s’orienteront en majorité vers la médecine, soit Didier Cédras, Jean-Claude Samedy, René Hérard, Frédéric Cadet et Serge Picard. Sa débrouillardise légendaire et sa personnalité de leader datent sans doute de cette époque.            

En revenant d’un après-midi de football à Sou Planton avec Didier Cédras et Serge Pierre, Eddy fait la connaissance d’Ordéa Azor et perd pour ainsi dire la tête. C’est le coup de foudre et, surtout, la naissance d’un grand amour qui se  perpétuera même au-delà de  sa mort. L’âme sœur le suivra à Port-au-Prince durant ses études de médecine, puis pendant ses deux années de résidence, la première à Croix-des-Bouquets, la seconde au Centre de santé du Portail Léogâne.  À cette étape de sa carrière, il aura un patron exemplaire en la personne du  Dr Hénoch Titus, réputé pour ses idées socialistes et sa vision hautement humanitaire de la pratique de la profession.                  

Après avoir réussi ses examens d’équivalence aux États-Unis, Eddy s’installe à New York où il commence à travailler en 1969 au très réputé Kings County Hospital Center de Brooklyn. Combinant harmonieusement vie de famille, travail et engagement social. Il se spécialise alors en physiatrie et en réhabilitation, tout en contribuant activement à l’éducation de ses trois enfants Gregory, Ordith et Bernard. C’est pendant cette tranche de sa vie passée à New York qu’il aura  comme patient l’ancien président en exil Daniel Fignolé avec qui il développera une relation de grande confiance.

Autour des 90 ans de l'hôpital Saint-Antoine de Jérémie

Arrivée de l'équipe de New-York à l'aéroport de Numéro-deux de Jérémie
De gauche à droite (Christine De Cameo, Rodrigue Dossous, Ken Mercado,
Eve Marie Bruno, Jean Alexandre, Frédérick Dak Cadet, Dany Luc, Paul levin,
Eddy Lévèque, Vilbrun Levin.                                                                             

Lorsqu’en avril 1986,  soit deux mois après le départ de Jean=Claude Duvalier pour l’exil, Daniel Fignolé revient au pays, c’est un homme terriblement diminué par 29 années d’un douloureux exil que les foules mobilisées par son ancien parti politique, le MOP, ovationnent dans les rues de Port-au-Prince. Sa santé chancelle et les deux hommes forts du pays, Henri Namphy et William Régala, font discrètement tout ce qui est en leur pouvoir pour essayer de l’aider à  remonter la pente. Le médecin qu’ils retiendront pour accompagner le mourant à New York et tenter de sauver sa vie sera nul autre que notre ami Eddy Lévêque.                                                                          

Tokay s’acquitta avec honnêteté, compétence et patriotisme de cette délicate mission, mais le mal était déjà fait. Selon une rumeur assez vraisemblable, le patient collabora très peu avec ses médecins après avoir découvert certaines irrégularités commises dans la gestion des fonds du Parti après son retour en Haïti. Dans les derniers jours du mois d’août suivant, Eddy  revenait au pays  avec la dépouille et la famille de l’ancien président pour les funérailles nationales. Il s’était acquitté de sa délicate et importante mission avec une telle discrétion qu’en dehors des cercles proches du pouvoir, de la famille et du Parti, très peu de gens le surent.                           

Comme ce fut le cas pour le président Estimé, mort en exil en juillet 1953, le cercueil de Daniel Fignolé fut d’abord exposé au Palais législatif où des milliers de sympathisants défilèrent pour rendre un dernier hommage à ce leader populaire tant redouté des défenseurs du statu quo. Par pure coïncidence, j’étais en vacances à Port-au-Prince cette semaine-là avec mon épouse Monique et c’est sur place que j’ai appris le rôle que l’ineffable Tokay avait joué au chevet de l’illustre Professeur.                                                               

La lune de miel du Conseil militaire avec la population fut de courte durée et, devant les signes évidents de l’échec de cette première tentative de transition démocratique, Eddy ne tardera pas à retourner aux États-Unis.  Au détour de la cinquantaine, il a réussi sa carrière professionnelle et sa vie familiale. À New York, où il s’est véritablement épanoui, il a constitué un réseau  solide d’amitiés et de relations professionnelles qui l’aideront énormément dans ses œuvres de bienfaisance. En outre, il est à 8 heures d’auto de Montréal, où se sont installés sa mère, Madame Ernest Lévêque, ses deux frères Ernso et Jean-Robert, et ses trois sœurs Gertha, Marie-Marthe et Joëlle. Libéré de tout souci de ce côté,  il a toute la latitude nécessaire pour se donner pleinement à son idéal de jeunesse et de boyscout, qui tient dans un seul mot : SERVIR.             

Survient alors l’événement totalement inattendu qui marque un tournant radical dans  sa vie : le tremblement de terre du 12 janvier 2010. En apprenant l’ampleur des dégâts et des besoins, Eddy se met en mode Panique et prend la tête d’une vaste et audacieuse opération de secours. En quelques jours, il monte une équipe multidisciplinaire internationale de bénévoles  et prend l’avion avec eux jusqu’aux Bahamas. C’est de là qu’ils se rendront directement à Jérémie pour réaliser une opération humanitaire sans précédent dans les annales de la région.                       

Parallèlement à cette gigantesque opération de solidarité et de bienfaisance, les frères Jean-Arthur, Roger et Gary Rouzier mettaient au service de la population le traversier Trois Rivières qui transporta à Jérémie des centaines de victimes forcées de quitter la Capitale en ruines pour  rentrer dans leurs patelins.  Autant d’actes de solidarité agissante qu’il ne nous est pas permis d’oublier.

En plus d’être l’aboutissement d’un audacieux projet d’aide humanitaire, cette opération a marqué la naissance d’une organisation dynamique et appelée à grandir et à prospérer si Haïti doit survivre : From here to Haiti (FHTH). Cette organisation caritative à but non lucratif a été créée sur le tas en vue de répondre aux besoins de réparation d’édifices  publics tels que des écoles, des églises, des orphelinats, des établissements de santé, etc. Elle contribue ainsi à créer des emplois locaux et à stimuler l'autosuffisance des populations locales concernées.  


L’organisation est placée sous la présidence de Mme Patricia Brintle et Eddy en était le vice-président jusqu’à la date de son décès. Les autres membres de la Haute Direction sont la secrétaire générale, Ellen  Rhatigan; le   trésorier, Joseph Brintle; l’Agente de liaison à la jeunesse, Elizabeth Faublas; l’agente de liaison au développement, Chantal Westby; la coordinatrice d'événements Lisa Scardamaglia. Nous tenons à profiter de cette occasion pour rendre hommage à leur dévouement à la cause d’Haïti.        

Au cours des cinq dernières années, l’Organisation a mené à terme un grand nombre de projets de réparation d’écoles, d’églises, d’établissement de santé et autres dans des régions carrément abandonnées par les pouvoirs publics. Il suffit de visiter son site Web pour se renseigner sur l’originalité de sa vision, l’efficacité de son mode de fonctionnement et les services qu’elle rend à la nation. À elle seule, l’existence de cette organisation constitue un élément important de l’héritage moral et matériel qu’Eddy nous a laissé.  


Ce témoignage serait très incomplet si je négligeais de faire état de la contribution qu’Eddy a apportée en Haïti au fonctionnement de l’Université de la Fondation Dr. Aristide (UNIFA) dont il a été le vice-recteur et à la mise sur pied de l’École de Soins Thérapeutiques de cette institution. Travailleur infatigable, Eddy s’est acquitté de ces fonctions, tout en participant à la conception, la réalisation et les supervision des projets d’envergure moyenne  de son organisation américaine From Here to Haiti dont nous venons de parler. Au vu de cet ensemble impressionnant de réalisations,  il semble opportun de se poser un certain nombre de questions sur la personnalité de ce militant infatigable de toutes les bonnes causes, par exemple : quelles étaient ses sources de motivation et d’énergie ? Qu’est-ce qui le poussait à entreprendre, simultanément ou tour à tour, autant de grandes choses quand la plupart des gens qui ont eu un parcours similaire au sien se sont contentés d’une vie paisible et confortable bien méritée ? Où ce jeune homme qui n’a jamais eu un physique de colosse trouvait-il les forces physiques et morales nécessaires pour mener à bien tous les projets qu’il concevait ?                                        

L’explication facile, simple, simpliste même  qui vient à l’esprit quand on observe les personnages de ce genre, c’est qu’ils sont  faits d’une étoffe peu commune. Pour avoir côtoyé et observé Tokay depuis notre plus tendre enfance, je ne saurais honnêtement me contenter d’une explication aussi réductrice de ses mérites et de ses réalisations. Il y a certainement beaucoup plus que cela dans le parcours carrément atypique de ce citoyen peu ordinaire.                            

Comme les deux autres Tokay du trio, Eddy Lévêque n’a jamais été un premier de classe, un bolide qui récoltait toutes les médailles et alimentait tous les espoirs. C’étaient plutôt Jean-Claude Chassagne et Jean Dimanche qui récoltaient ces honneurs au primaire, chez les Frères de l’Instruction chrétienne. C’étaient aussi  Jean-Claude Samedy et Jean-Claude Fignolé qui remportaient cette palme au Collège Saint-Louis. Mais aucun des trois Tokay.                              

Dans le jeune âge, Eddy Lévêque était, comme les autres condisciples et moi, un enfant qui allait à l’école parce qu’il le fallait et à qui il arrivait de temps à autre de somnoler ou de rêvasser en pleine classe. Dans mon cas à moi, cela ne m’a pas empêché de faire toutes mes classes et même de décrocher divers titres de compétence. Toutefois, je n’ai jamais été cette espèce de « Sésame ouvre-toi » auquel on a recours pour sauver un ex-chef d’État qui se meurt,  ni le leader né capable de prendre la tête d’une brigade aéroportée de secours d’urgence après un cataclysme naturel de grande envergure.  

Le moins qu’on puisse dire d’Eddy Lévêque, c’est qu’il était spécial, hors du commun. Les conversations que j’ai eues avec ses proches ces deniers jours m’ont aidé à replacer dans leur vrai  contexte les nombreux souvenirs que j’ai gardés de lui. À mieux percer les secrets de sa vie intérieure afin de mieux apprécier les leçons de choses et de vie qu’il nous a laissés.              

Pour son jeune frère Ernso, le grand secret d’Eddy résidait dans le fait  qu’il n’a jamais connu ce qu’est le stress. Jamais pressé, jamais préoccupé par quoi que ce soit. S’il arrive en retard à une activité quelconque où il est attendu, il ne voit même pas la nécessité de s’excuser, car il n’a rien fait de mal. Avec un tempérament comme celui-ci, il est certainement beaucoup plus facile de s’éloigner des exigences du moment pour concevoir, imaginer et construire mentalement un tas de choses. En effet, Eddy était « un gars véritablement cool » qui ne dramatisait rien et prenait le temps qu’il fallait pour remplir sa mission au jour le jour.                                 

De son côté, Jean-Robert, que nous appelions Blan Lévèk, a expliqué dans son éloge funèbre que son frère se savait omniscient et ne cessait de dire aux plus jeunes : « Ou pa konn anyen. Se mwen kap di w. » Et il avait raison.                                              

Confirmant le côté «  solutionneur de problèmes » de son frère aîné, Gertha m’a raconté qu’il  était en visite chez elle à Laval, l’an dernier, quand son téléphone a sonné. C’était un appel au secours en provenance d’Haïti au sujet d’une amie commune qui se mourait à Port-au-Prince. On cherchait désespérément un lit d’hôpital pour elle  et on n’en trouvait nulle part. Visiblement soucieux, Eddy s’écarte un peu des amis réunis dans le salon et appelle une bonne dizaine de personnes vivant en Haïti. Le lit une fois  trouvé,  on lui dit qu’il n’y a personne pour aller le chercher et l’apporter chez la mourante.  Il reprend son téléphone,  place une autre série d’appels et  trouve sur-le-champ un chauffeur qui va prendre possession du lit et le transporter à l’adresse indiquée.  

Les gens présents dans la salle à ce moment-là ont encore de la difficulté à croire qu’Eddy Lévêque était, à plus de 3 000 km de distance, la seule personne capable de régler un tel problème en un tournemain.  Mais, ça c’était lui : l’équivalent haïtien du « Sésame, ouvre-toi » du conte Ali Baba et les Quarante Voleurs.  

  Guy Cupidon se souvient qu’Eddy avait reçu à un moment donné,  grâce à ses contacts dans le milieu médical américain, un don en nature évalué à des dizaines de milliers de dollars qu’il destinait à l’Hôpital Saint-Antoine de Jérémie.  Il s’agissait d’un stock de fournitures et  d’appareils médicaux flambants neufs qui avait été entreposé à Miami chez le Dr Rodrigue Dossous et qui ne pouvait être expédié à Jérémie en raison du coût très élevé du transport. Après avoir discuté du problème avec Eddy et Rodrigue, Guy sollicita un certain nombre d’amis jérémiens, réunit les fonds nécessaires et s’occupa, avec l’aide de Rodrigue et de deux travailleurs mexicains engagés pour la circonstance, de vider l’entrepôt, de remplir deux immenses containers et d’embarquer la marchandise.    

Il  est douloureux de mentionner ici  qu’après l’arrivée des conteneurs en Haïti, il fallut neuf mois de démarches  pour pouvoir les dédouaner, parce que le gouvernement exigeait le paiement d’une facture de près de 5 000 dollars US de droits de douane.

En dehors du cercle familial, l’une des personnes à avoir le mieux connu mon Tokay était Rodrigue Dossous. Nés tous les deux à l’Anse d’Hainault le même jour et dans des maisons situées l’une en face de l’autre,  ils ont passé ensemble leur tendre enfance et ont été séparés, une première fois, lorsqu’Eddy est entré à l’école primaire à Jérémie. Ils se retrouveront néanmoins chaque année pendant les vacances d’été jusqu’à leur entrée au secondaire. Leurs rencontres s’espacent quand Rodrigue étudie chez les Frères du Sacré-Cœur, à Port-au-Prince, pour entrer dans les ordres, tandis qu’Eddy poursuit son secondaire à Jérémie, puis à Port-au-Prince.                            

Après un début de carrière comme professeur dans sa congrégation, Rodrigue entre à la Faculté de médecine de Port-au-Prince l’année où Eddy commence son internat. Leur amitié repart alors de plus belle, se nourrissant d’une passion commune pour l’étude et la pratique de la profession choisie. Mais les temps sont durs et l’émigration s’impose presque pour un nombre croissant de professionnels. Dans un intervalle de moins de dix ans, Eddy s’établit aux États-Unis pendant que Rodrigue termine sa médecine, crée une famille avec Adeline Dubreuil et opte dans un premier temps pour le Venezuela, puis pour la Floride.

Toutes les conditions d’une parfaite symbiose sont alors réunies. Leur vision similaire du militantisme social et leurs réflexes de missionnaires aidant, ils s’engageront à fond dans l’action communautaire pour Haïti et deviendront graduellement, selon les propres mots des Lévêque, deux frères jumeaux. On trouvera sur ce même parcours (photo ci-dessous) des camarades de promotion  comme le médecin Jean-Claude Samedy, décédé le mois dernier en Argentine, et le prêtre Eddy  Julien, fauché en 2016 à Jérémie au terme d’un long calvaire, ainsi que le dentiste Pierre Michel (Pèpè) Smith. Beaucoup plus jeunes que nous autres, Pèpè et l’écrivain Max Dorismond s’initièrent aux vertus du scoutisme sous la direction des Chefs de troupe Jean-Claude Samedy et Eddy Lévêque.

À mes questions sur les motivations, les secrets et la philosophie d’Eddy Lévêque en matière de coopération au développement économique de son pays, de protection de l’environnement et de soins médicaux, Rodrigue m’a répondu sans la moindre hésitation :  « Eddy a été toute sa vie un vrai scout et il n’a jamais dévié de l’idéal du scoutisme.  D’abord, la devise ‘’ Toujours prêt’’  était devenue pour lui un vrai réflexe : être prêt à aider les autres, à faire face aux situations les plus périlleuses et à toujours agir avec courage, détermination, vigilance et disponibilité. Ensuite, le scout est l’ami de tous et un frère pour les autres scouts. Il est bon citoyen, place l’honneur et l’éthique au haut de ses principes de vie, en plus de travailler à son développement physique, émotionnel, social et spirituel.

Enfin, dans sa soif insatiable de connaissances, il ne s’est jamais enfermé exclusivement dans la médecine. Il lisait continuellement, en particulier des livres d’histoire. Un de ses titres préférés était Written in Blood, de l’ancien colonel américain Robert Heinl. Il aimait beaucoup les livres également de son ami Eddy Cavé [rires] et les recommandait continuellement à ses autres amis… »

Dans mes souvenirs personnels, mon Tokay apparaît aussi comme un grand lecteur de romans de cap et d’épée et nous en avons dévoré des dizaines et des dizaines quand nous étions au secondaire. Nous lisions de tout : Michel Zévaco, Alexandre Dumas, Jean Brierre, Victor Hugo, Alphonse Daudet, les grands romanciers russes, les romantiques du 19e siècle…   

Rodrigue a évoqué récemment avec moi le souvenir d’une conversation qu’il a eue avec Eddy  en 1952, après leur réussite aux examens du certificat d’études primaires. Il m’a raconté qu’en se parlant de balcon à balcon, comme ils le faisaient souvent, Eddy lui a dit ce matin-là : « M aprann ou pral fè frè, men pa bliye qu’il est écrit qu’il y plus de joie dans le ciel pour un seul  pécheur qui se repent que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de repentance. Intrigué par la profondeur de l’idée et le réalisme du propos, je ne pus m’empêcher de murmurer en mon for intérieur : « Sa a, se pa koze ti moun ! »                                                                                          

En quelques minutes de recherches, je me rendis compte que la phrase venait telle quelle du Chapitre 5, Verset 17 de l’Évangile de Saint-Luc et qu’Eddy en avait déjà fait sa boussole. J’avais également 12 ans cet été-là et j’étais alors certainement incapable de formuler un jugement d’une telle profondeur. Mais au-delà de la question de la source du propos, il y a celle de son application pratique : que pouvait signifier une telle remarque dans l’esprit d’un gamin de cet âge ? Cela signifiait-il qu’il avait déjà réfléchi lui aussi sur le sujet et fait un choix différent ?              

Si l’on s’en tient exclusivement à la lettre du propos, je conviens que cela pouvait bien  vouloir dire : « Si c’est ce que tu veux, vas-y. Quant à moi, je choisis la voie des pécheurs et j’aurai amplement le temps de me repentir… » Mais ce serait très mal connaître Eddy Lévêque que de lui prêter de pareilles idées. En optant pour la laïcité, il ne rejetait nullement les préceptes de la morale et du catholicisme pour décider de se livrer corps et âme dans le péché. Dans son esprit, il allait avancer dans la voie des justes et il mettrait un jour au service de l’humanité les bienfaits de la profession qu’il aura choisie. Son engagement dans l’action humanitaire et les réalisations de son organisation  From Here to Haiti découlent en ligne directe de ce choix, comme le montre le projet réalisé à Chambellan en 2019 et cité comme exemple dans les rapports annuels de celle-ci.

De haut en bas: de g à d .Première rangée: Léo Joseph,Serge Légagneur, Yves Bijou,Serge Cabane,
 Gérard Caïdor, Rony  Apollon, Hector Fourcand. 2è rangée : Fred Sansarick,
Daniel Sansaricq, Pierre-Marie Jean-Baptiste
Jean-Claude Jacob, Éric Girault, Carl Alcindor,Emmanuel, Danis, Emmanuel Lundi, Ulrick Cajuste, Jean-Claude Samedy,
Wilner Jean-Baptiste. 3è rangée : Guy Félix,Eddy Cavé, Locker Bourdeau, Jean Dimanche, Jean Arthur Rouzier, Ernest
Pierre, Gérard Chassagne, Eddy Vincent. 4è rangée: Raymond René, Maurice Bontemps, Serge Picard, Jean Gérard
Desgraff, Ripert Clermond, Frédérick Cadet, Fred Vilaire, Archange Fontaine, Freddy Marcel. 5è rangée: Eddy
Lévèque, Serge Bontemps, Jacques René, Charlie Roumer, Yves Bontemps, Francis Besson, Yves Sévère, Pierre Fils

Il y a maintenant 75 ans environ, la direction de l’École Frère Paulin de Jérémie réunissait dans la cour de l’établissement, à l’occasion d’une fête religieuse, l’ensemble des Croisés de l’établissement pour une photo souvenir. Sur la photo prise à cette occasion, qui a maintenant valeur historique, on voit une bonne partie des jeunes qui représentaient à l’époque l’avenir de la ville.  Qui aurait pu imaginer, lors de cette séance de photo, que le petit bonhomme assis à l’extrémité gauche de la première rangée, Tokay Lévêque, était appelé à devenir le colosse qui a réalisé, pour la survie et le rayonnement de son pays,  toutes les belles choses relatées  dans le présent hommage ?    

Que son âme repose en paix!


N.B:En guise d’hommage au professeur Séjour Cajoux, je reproduis ici une photo prise vers 1950 où il apparaît au premier plan,  entouré, de gauche à droite, de : Clervius Clerville, Toussaint Léonidas, Ivan Philoctète, Emmanuel (Timan) Legagneur, Frère Zéphirin.En arrière-plan : Bido Desroches et Frère Martin (La photo est- une courtoisie de  la veuve du Pr Yvan.)



Tuesday, May 20, 2025

Pouvoir, sexe et déshumanisation : quand la richesse révèle les failles de l’âme

Diddy:des excés à l'extérieur à la rigueur de la prison

Par Hervé Gilbert

Derrière le succès de Diddy, se dévoile une mécanique de pouvoir brut : là où la fortune protège,  les abus se multiplient. La gloire, parfois, masque  une lente déchéance morale.

Alors que les projecteurs se détournent peu à peu des figures de pouvoir pour mieux en révéler les zones d’ombre, le procès de Sean "Diddy" Combs agit comme un signal d’alarme. Derrière les excès d’une célébrité mondialisée se dessine une réalité plus dérangeante : l’argent, lorsqu’il n’est pas encadré par une conscience éthique, peut devenir un levier de déshumanisation. Ce texte n’est pas un réquisitoire, mais une réflexion sur les effets corrosifs de l’ascension sociale quand elle s’exerce sans frein moral ni respect de l’autre.

Une réussite qui dissimule une chute

Dans l’imaginaire collectif, la réussite incarne la promesse d’un avenir meilleur — émancipation, confort, liberté conquise. Mais cette lecture linéaire masque une vérité moins flatteuse : certains, en s’élevant socialement, ne grandissent pas humainement. La richesse devient alors le révélateur de pulsions longtemps refoulées, l’occasion d’imposer sa volonté, de réduire l’autre — souvent une femme — à un simple instrument de satisfaction.

Diddy et Cassie Ventura

Le cas de Sean “Diddy” Combs illustre avec acuité ces dérives. Poursuivi dans le cadre d’un procès fédéral, il est accusé de trafic sexuel, de racket et de transport à des fins de prostitution. Il aurait dirigé un réseau impliquant femmes et hommes, forcés à participer à des soirées marquées par la coercition, l’usage de drogues et des abus sexuels. Parmi les plaignants figure son ex-compagne Cassie Ventura, qui l’accuse de violences physiques, sexuelles et psychologiques. Derrière le vernis de l’entrepreneur à succès, apparaît le portrait d’un homme ayant utilisé sa richesse comme instrument de domination.

Dans un contexte d’instabilité économique et d’hyperindividualisme, l’enrichissement soudain agit souvent comme un révélateur brutal. L’histoire de cet homme devenu fortuné en peu de temps, dont le changement de statut a transformé ses rapports à autrui — notamment à sa compagne — en est un exemple saisissant.

Le corps comme territoire d’asservissement

Longtemps perçue comme une figure discrète, presque effa
cée, Cassie Ventura révèle aujourd’hui une autre facette de sa réalité. Selon les révélations du procès, elle aurait été contrainte de participer à des “freak-off parties” (des soirées déjantées), soumise à des pratiques sexuelles imposées, sous le regard satisfait — voire exalté — de Combs. Il ne s’agissait pas d’expériences consenties ou partagées, mais d’une mise en scène de la domination.

« En remplaçant la dignité par le spectacle, il a troqué l’intime pour le démonstratif, l’amour pour la possession. Et ce faisant, il a détruit en elle ce qui résistait encore à la marchandisation de soi. »

De tels comportements ne relèvent pas d’une simple excentricité individuelle. Ils traduisent un mécanisme social où la richesse, loin de guérir les failles intérieures, les exacerbe. Elle agit comme un amplificateur de pathologies : narcissisme, soif de contrôle, objectivation de l’autre.

Il ne suffit pas de dénoncer des comportements individuels : encore faut-il interroger les structures qui les permettent, les valident, voire les valorisent. Pourquoi certains hommes, une fois au sommet, s’autorisent-ils à franchir les limites du respect et du consentement ? Qu’avons-nous négligé dans notre éducation affective et sociale, pour que le succès soit perçu comme une licence à transgresser les fondements de l’humanité ?

L’histoire de Cassie offre aussi une leçon aux hommes d’aujourd’hui : être en relation ne signifie pas pouvoir "réparer" l’autre. Chacun porte ses blessures, et la guérison ne peut être déléguée. Aucune relation saine ne peut se bâtir sur des traumatismes non traités.

Après leur séparation, les liens entre Cassie et Diddy sont restés ambigus, affectant possiblement ses relations suivantes, notamment avec Kid Cudi ou son mari actuel. Cela illustre combien il est difficile de se libérer d’un passé douloureux, surtout lorsqu’il n’a pas été pleinement confronté.

Dans une époque obsédée par la performance et l’image, il devient urgent de réhabiliter la valeur humaine. Une société qui tolère que l’on piétine l’intégrité d’autrui au nom du plaisir, du pouvoir ou du prestige est une société en danger. Tant que l’ascension matérielle ne s’accompagne pas d’une véritable élévation morale, elle ne produira ni modèles, ni héros — seulement des tragédies. Et parfois, des monstres.

Hervé Gilbert



Sunday, May 18, 2025

L’homme qui murmure à l’oreille de Donald Trump pour blanchir l’Amérique

 «Envoyez-les moi, les déshérités que la tempête m'apporte...»(Emma Lazarus)
 

Par Max Dorismond

Cette phrase extraite d’un poème d’Emma Lazarus 1 est gravée, comme une invitation aux immigrants, sur le socle de la Statue de la Liberté aux USA. L’Amérique a-t-elle renié sa vocation? Voyons voir! 

Selon un vieil adage, le bon génie naît de siècle en siècle. En est-il de même pour le mauvais, son âme damnée? N’empêche, nos souvenirs de lecture à propos des évènements des années 30-45 en Europe nous donnaient déjà froid dans le dos. Le même décompte dans l’actuelle décennie n’augure aujourd’hui rien de positif. À présent, les élucubrations, les soubresauts du génie du mal font trembler la base du temple au niveau mondial. Allons voir de quel bois il se chauffe!           

L’un des auteurs de ce fatal revirement se nomme Stephen Miller, de confession juive. Étant chef de cabinet-adjoint de la Maison-Blanche, il inspire toutes les décisions de Trump en matière d’immigration. Il est allergique à tous les nouveaux arrivants, surtout les Arabes, les Noirs, les Latinos, etc. La politique de séparation des familles à la frontière est bien de lui. Ses propres parents l’envoient paître pour son absence de solidarité envers ces déshérités de la terre.           

Or une virgule plus tôt, Miller ne serait pas citoyen américain. Il n’y serait même pas né. En 2018, son oncle, David Glosser, le traitait d’«hypocrite» sur le blog d’informations Politico. En effet, il rapporte que les aïeux de Miller, arrivés aux USA quelques années avant le pogrom, ont échappé de justesse à la fermeture des frontières américaines, contre des millions de Juifs en fuite, sous la pression des adeptes du Nativisme. Les malheureux refoulés ont été tous massacrés par la suite par les nazis. 

Et c’est quoi, au juste, ce Nativisme? D’après la toute dernière théorie, c’est une idéologie rétrograde, fondée sur la peur des immigrants, sur une nostalgie identitaire, selon laquelle le degré d’appartenance à une nation se mesure en matière d’ancienneté» et, partant, d’une certaine forme de «pureté 2». Pureté, mon œil! Vous me voyez venir. Tout est prétexte à la blanchité. 

Et l’Allemagne, avec son propre concept, qui se définit par la «Race aryenne» se rapproche de cette doctrine quant à la perfection de l’espèce, au point que des Juifs, de sixième génération, qui se croyaient Allemands de souche, se retrouvaient pieds et mains liés devant le peloton d’exécution des nazis. C’est un outil d’ingénierie sociale qu’on repêche sous de différents noms dans le socle idéologique du Rassemblement National de Marine Le Pen ou chez Éric Zémour, une dynamique immatérielle avec des visées non avouées. 

Et triste paradoxe, ce Miller, qui rédige les discours de Trump, est un descendant de cette race martyrisée au nom de ces idées saugrenues, au cours de la 2e Grande Guerre. Dans le livre de J. Guerrero, «Hatemonger» ou (Fomenteur de haine), ont été rapportées les paroles d’un autre de ses oncles, Bill Glosser, qui traite ce présomptueux de «trou de cul», de «crétin prétentieux». 

Néanmoins, c’est un sujet d’intérêt que chevauchait déjà l’organisme «Heritage Foundation», un Think Tank de droite, ultraconservateur, à la source de l’ouvrage phare «Project 2025», un bouquin proposant une feuille de route à Donald Trump. Ce que ce dernier avait maintes fois récusé en mentant effrontément tout au long de sa campagne électorale. Aujourd’hui, les divers programmes de ce document en partie anti-immigration sont mis en application par sa présidence à un rythme effarant. 

Selon Richard Hétu de La Presse, «Miller avait planifié les assauts actuels de Donald Trump contre les fondements de la nation américaine, y compris la citoyenneté de naissance garantie par le 14e amendement 3 de la Constitution». Quand Trump désigne les expatriés Mexicains au même degré que «des animaux», des «vendeurs de drogues» qui rentrent au pays pour violer des femmes, les musulmans pour de potentiels terroristes, ou les Haïtiens comme des mangeurs de chiens, de chats des voisins, voyez la main de son rédacteur, derrière ces farces grotesques. 

Toute dénonciation de ce Stephen Miller a été décrite pour montrer  sa haine des immigrants, étant lui-même descendant de ces derniers. Mais ne nous y trompons point, il n’est pas le seul. En dessous de la table se faufile une armée qui s’anime dans l’ombre, « évoquant une invasion des États-Unis par des criminels venus de l’étranger ». D’ailleurs, l’acceptation, ce mois-ci, des fermiers sud-africains à titre de nouveaux arrivants, nous annonce d’avance la couleur de l’avenir. L’expression de «Great Reset», mieux connue sous l’appellation de «Grand Remplacement», effraie déjà la race blanche. Donc, les acteurs s’entredéchirent pour éviter cet état de fait appréhendé. 

Mais, revenons sur terre. Nous avons un coin de paradis prénommé Haïti. Par la méchanceté, l’insinuation, l’envie, nous sommes devenus un loup pour l’autre. «Ses fils dégénérés» n’hésitent point à débaucher, à défalquer la caisse pour aller vivre, les poches bien garnies, dans les parenthèses enchantées. S’exiler, avec l’arrière-pensée que notre soudaine richesse nous ouvrira toutes les portes, demeure une utopie, en rapport à la versatilité de l’être? La réappropriation de notre sol demeure l’unique solution. Nulle part, nous ne sommes les bienvenus. 

En conséquence, soyons plus ou moins rationnels pour laisser à nos héritiers un coin où se réfugier quand le 14e amendement 3 sera réformaté. Car le trumpisme n’est pas qu’un simple épisode de télé-réalité. Loin de s’annihiler, il pourrait contribuer à notre effacement de la surface de la Terre.  

Je prie le ciel, mille fois, pour la non édification de cette blanchitude rêvée, cette MAGA secrète qui ne dit pas son nom, puisque nous risquons de nous retrouver gros jean comme devant, n’ayant plus de pays où déposer nos besaces. 

Max Dorismond

 

–NOTE— 

1 — Ce sont quelques vers gravés dans le bronze, au pied de la statue de la Liberté dont la torche se dresse haut dans le ciel, à l’entrée du Nouveau Monde. Ils sont extraits d’un poème écrit en 1883 par Emma Lazarus, fille d’une famille de juifs portugais installée à New York, révulsée par les pogroms russes et sûre que son pays serait le refuge des réprouvés. «Donnez-moi vos pauvres, vos exténués, qui en rangs pressés aspirent à vivre libres. […] Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte. J’élève ma lumière et j’éclaire la porte d’or!» Source : Le journal «Libération». (Août 2015). 

2 — Voyez les livres : Le nativisme, une nostalgie identitaire de Christophe Bertossi, Jan Willem Duyvendak… ou Les petits matins, ouvrage écrit par Aurélien Taché 

3 — Le 14e amendement de la Constitution américaine garantit la citoyenneté de naissance. Tout enfant né sur le territoire américain est de facto citoyen, même si ses parents sont des illégaux. Trump pense s’attaquer à ce droit sacré pour déconstruire selon lui l’hypocrisie de l’immigration.