Leslie, Lelius, comme j’aimais t’appeler,
Te voilà parvenu au terme d’une vie
riche et bien remplie.
Mirlande Manigat |
Tu aimais tant la vie dont tu
appréciais les richesses variées, admirant un coucher de soleil ou dégustant un
bon repas. Tu avais un goût éclectique pour la musique, aussi bien un boléro
latino-américain que les classiques des grands maîtres, le Requiem de Mozart,
surtout le sublime Dies irae qui touchait au plus profond l’âme du chrétien que
tu étais, mais aussi tu étais séduit par la musique de chez nous et nos
compatriotes ont été étonnés de lire la critique musicale que tu avais faite de
Haitiando.
Tu aimais la vie, mais tu n’avais pas
peur de la mort et, dans les derniers moments, accablé par la maladie, tu
implorais Dieu, de manière pathétique, de mettre fin à ton existence. Je me
souviens de ton cri de douleur lorsque je t’ai annoncé, en prenant mille
précautions, la mort de Guy Alexandre. Tu t’es écrié en pleurant : « Pourquoi
Guy , mon Dieu ? Pourquoi pas moi ? »
C’était ta manière de déplorer le
départ de cet ami que tu aimais comme s’il était ton fils.
Je sentais que la fin approchait et je
constatais, impuissante, la détérioration de ton état. Tu as été, toi aussi,
victime du terrible chikungugna, qui a achevé de décimer ton état déjà
fragilisé. Tes médecins, Jean-Robert Mathurin, Bernard Beauboeuf, le savaient
mais ils se sont abstenus de me communiquer une échéance quelconque, impossible
à déterminer au demeurant avec certitude et, sans doute, anticipaient-ils que j’en
décèlerais par moi-même l’évidence. Pour eux, disaient-ils, tu n’étais pas un
malade ordinaire : tu étais leur ami et cela voulait tout dire. Du fond du
cœur, je les remercie pour leur attention constante et leur fidélité.
D’autres personnes ont évoqué et
parleront de tes éminentes qualités : l’homme, l’ami attentif et taquin, le
professeur ; l’intellectuel doté d’une prodigieuse capacité d’analyse ; le
leader politique conducteur d’hommes et de femmes ; le patriote passionné du
bien public, défenseur acharné de l’État de droit et de la préservation des
vertus républicaines ; ta capacité infinie à écouter les autres ; ta
générosité, ta lucidité hallucinante sur toi-même et sur les autres, cette
faculté d’introspection sur ce que tu aurais voulu faire et que tu n’as pas
réalisé, ta défense de la trilogie doctrinale dont tu as imprégné le RDNP :
démocratie, nationalisme, justice sociale ; ta foi en la jeunesse du pays et à
qui ton dernier message public lui a été destiné le 10 mars 2014.
Il faudrait pouvoir reconstituer l’être
exceptionnel que tu as été en associant, en une symbiose enrichie, toutes ces
vérités à partir des témoignages épars de ta vie et de ton œuvre.
Leslie Manigat ne m’appartient pas,
mais à tous et tous se sont manifestés.
Leslie, ne sens-tu pas cette
rafraîchissante ondée de sympathie, de respect, ces regrets qui s’expriment à
l’occasion de ton départ ? Ces manifestations venues de tous les milieux, des
plus humbles aux plus éminents ?
Ils sont venus, ils sont tous là, pour
répéter Aznavour que tu aimais. Ils sont là autour de ton cercueil,
physiquement ou en pensée. Et leur sollicitude éplorée est un baume de
réconfort qui ne dissipe pas la douleur, mais la rend plus supportable.
Tu ne m’appartiens pas, mais à tous
ceux qui vénèrent ta mémoire. Au nom de la famille, je leur exprime une
profonde reconnaissance. On comprendra que je détache les frères de St-Louis de
Gonzague qui ont généreusement offert leur local pour cette célébration,
St-Louis où tu as fait toutes tes études et qui est demeurée l’alma mater.
On n’entendra plus le tonitruant «
Soyons sérieux », qui a fait école, ce sérieux qui caractérisait ta vie et tes
œuvres, éclairées toutefois par un puissant goût de la vie et une gaité que
beaucoup de gens ne soupçonnaient pas chez le professeur plutôt campé sous une
figure austère.
À quel titre je m’exprime aujourd’hui ?
Épouse, compagne des heures exaltantes ou difficiles, témoin privilégié des
tourments du patriote affligé par l’état du pays, la gardienne de ta mémoire,
la vestale de ton œuvre sur laquelle ta famille, avec en particulier ta fille
Sabine et ton petit-fils Matari, nous veillerons jalousement.
Michel & Sophia Martelly |
Tu ne m’appartiens plus. Est venu le
moment fatidique de la séparation définitive. Tu es parti avant moi. Tu me
taquinais souvent à ce sujet en me disant que tu demanderas à Saint Pierre de
me réserver une place auprès de toi au Paradis.
Leslie, lorsque ce moment viendra, on
allongera mon corps près du tien, mais ces deux enveloppes charnelles ne se
rejoindront pas. Mais nos âmes si. Elles se sont rencontrées, se sont aimées,
ont travaillé ensemble. Ensemble, elles ont rêvé.
Pour cette merveilleuse union façonnée
dans l’unité, le respect, la correspondance, au moment de te quitter, au moment
du dernier monologue que ceux ici présents comprendront, je te dis tout
simplement :
Adieu, mon amour, et Merci ! »
Mirlande H Manigat