Tant qu’il existe des obscurantistes, des nostalgiques du «
privilège blanc », des rêveurs impénitents d’un passé révolu, il y aura
toujours sur la route, des anarchistes, des Qanon, des attaquants du Capitol un
6 janvier 2021, qui rêvent d’un Donald Trump, en profiteur dédié, qui ne se
fera point prier avec une offre à l’instar du MAGA (Make America Great Again),
nouvelle mouture. Le temps passe et repasse en faisant table rase des
incongruités de la vie, mais certains persistent et signent en pataugeant dans
le déni pour perpétuer, malgré vents et marées, le monde de leurs
ancêtres.
C’est ainsi que cet article tonitruant , ci-dessous, du journaliste C. Rioux, dans les colonnes du journal «Devoir de Montréal», a fait grincer les dents à la communauté noire universitaire et surtout celle de la diaspora haïtienne.
Dans une réponse appropriée et bien tournée du professeur Samuel Pierre, le journaliste évaluateur a été remis à sa place avec le contraire de ses allégations à propos de la place de Mme Claudine Gay, d’origine haïtienne, nommée récemment, présidente de l’Université Harvard aux États-Unis.
Je vous invite à prendre connaissance du commentaire du Dr Pierre d’abord et les élucubrations du journaliste du Devoir Christian Rioux, ensuite. Bonne lecture.
Max Dorismond
Le commentaire du Dr Samuel Pierre :
Où va l’Université?
Commentaires
et questions sur un article de M. Christian Rioux, paru
dans Le Devoir du 13 janvier 2023
Par Samuel Pierre [1]
J’ai lu, dans Le Devoir du 13 janvier dernier, un article de M. Christian Rioux qui analyse la nomination historique de la professeure Claudine Gay comme présidente de la prestigieuse université Harvard des États-Unis. J’ai vite senti le besoin de réagir à cet article dont la publication ne fait honneur ni à son auteur ni au journal qui l’a publié.
Dans son article, M. Rioux écrit : « L’idée ne serait venue à personne de contester l’autorité que Summers pouvait exercer sur ses pairs. » C’est bien mal connaître le milieu universitaire que de croire que le président d’une université exerce de l’autorité sur ses pairs qui, dans certains cas, ont plus de notoriété scientifique ou intellectuelle que le président lui-même.
Claudine Gay |
M. Rioux poursuit en prédisant ceci : « Il n’en va pas de même de la nouvelle présidente qui vient d’être nommée. » Ne pense-t-il pas que c’est l’expression de son propre préjugé envers quelqu’un qui n’est même pas entré en fonction et qui n’a donc pas encore eu l’occasion de se faire valoir dans son nouveau poste? La professeure Claudine Gay a occupé auparavant des postes de direction universitaire. En journaliste professionnel assujetti à des exigences d’objectivité, n’aurait-il pas été mieux pour M. Rioux d’aller investiguer sur la gestion passée de cette professeure plutôt que de prédire que l’autorité « de la nouvelle présidente qui vient d’être nommée » sera contestée? Merci d’être objectif!
Dans une démarche qui relève de l’imposture, M. Rioux s’érige en évaluateur universitaire et s’interroge « sur la minceur de son dossier universitaire ». M. Rioux, que signifie pour vous « la minceur de son dossier universitaire »? J’aimerais bien vous entendre là-dessus. Son dossier est si mince qu’elle a pu obtenir sa promotion au rang de professeure agrégée (tenured) de l’université Stanford, suivie de sa promotion au rang de professeure titulaire puis doyenne à l’université Harvard? Êtes-vous en train d’insinuer que Harvard dont la réputation n’est pas surfaite, où on « trouve quelques-uns des plus grands esprits de ce monde » a bafoué ses propres règles d’excellence académique dans le recrutement et la promotion de la professeure Claudine Gay?
M. Rioux
cite David Randall en relevant que, « en vingt ans de carrière, cette
professeure d’études afro-américaines n’a publié que 11 articles universitaires
et pas un seul livre à l’exception d’un ouvrage collectif ». Question pour M.
Rioux : Comment se compare le dossier global (professeur, gestionnaire) de
Madame Gay avec ceux des présidents ou recteurs des autres universités
nord-américaines, en considérant qu’un recteur est avant tout un gestionnaire
de haut niveau? M. Rioux y va même d’une comparaison : « À titre d’exemple, son
prédécesseur, Lawrence Bacow, avait à son actif une bonne trentaine d’articles
et l’historienne Drew Gilpin Faust, première femme à diriger Harvard, cinq
livres majeurs. » Sous l’angle des attentes en matière de publication, d’aucuns
jugeraient tout aussi minces ces dossiers universitaires montrés en exemple par
M. Rioux qui se trouve devant une nouvelle énigme : « Comment expliquer que la
présidente de l’université la plus prestigieuse du monde n’ait pas écrit un
seul livre digne de ce nom ? » Serait-elle la première présidente ou rectrice
d’université nord-américaine à n’avoir « pas écrit un seul livre digne de ce
nom ? ».
Citant toujours la seule source qui lui sert de référence pour étayer son préjugé, M. Rioux endosse ce qui suit : « Il ne fait guère de doute pour Randall que Claudine Gay n’a pas été nommée sur la base de son dossier universitaire, mais essentiellement pour des raisons de discrimination positive. » Pensez-vous, M. Rioux, que toutes les nominations au poste de président ou de recteur d’université ont toujours été faites sur la base du dossier universitaire? Savez-vous que plusieurs présidents ou recteurs viennent de milieux non universitaires et donc ne possèdent aucun dossier universitaire « digne de ce nom »? Avez-vous questionné par le passé ces universités qui, même ici au Québec, ont fait ces choix?
« Eût-elle été d’un autre sexe et d’une autre couleur, elle ne serait pas présidente de Harvard », toujours selon M. Rioux faisant la leçon au comité de sélection de cette prestigieuse université qui a su recruter « quelques-uns des plus grands esprits de ce monde ».
« Comme si l’université, qui fut le foyer de la pensée universaliste, était devenue un lieu de maquignonnage entre communautés ethniques qui se disputent les places sans aucun critère d’excellence. », regrette-t-il. M. Rioux, je suis membre du comité des chaires de mon établissement universitaire où siègent des personnes de toutes les couleurs, de tous les sexes et de toutes les races. Je peux vous assurer que le choix de ces membres est fondé essentiellement sur l’excellence, pour promouvoir et reconnaître celle-ci. Ce n’est pas du journalisme professionnel que de déclarer péremptoirement, sans preuve, que de tels comités sont des lieux où « se disputent les places sans aucun critère d’excellence ». Seriez-vous en train d’insinuer que l’appartenance à une communauté ethnique est incompatible avec les critères d’excellence? J’y vois là l’expression d’une certaine idéologie que vous avez du mal à dissimuler. Attention!
Vous dites que « S’il importe d’aider les populations défavorisées à accéder à l’université, et j’en suis, encore faut-il le faire en amont et jamais au détriment de l’excellence ». Toujours le même biais idéologique, probablement inconscient : l’appartenance à une communauté ethnique ne rime pas avec excellence, selon M. Rioux qui poursuit : « À défaut de compromettre sa mission, la fonction de l’université ne saurait être de réparer les injustices sociales, mais d’instruire ». Et pourquoi pas, M. Rioux? La lutte contre les injustices doit être l’affaire de toute la société, incluant l’Université qui n’opère pas dans un vacuum et qui se doit d’être exemplaire. Oui, l’Université a pour mission première d’instruire, mais aussi de contribuer à réparer les injustices – présentes dans toutes les sphères de l’activité humaine – en les reconnaissant et en travaillant à leur disparition en vue de parvenir à améliorer la société.
« Il est triste de devoir rappeler que jamais la couleur de la peau, le sexe ou l’orientation sexuelle ne feront la qualité d’un professeur, encore moins d’un président d’université ». Merci de le rappeler, enfin, M. Rioux! Mieux vaut tard que jamais! Mais, il est dommage de constater, à la lecture de cet article, que M. Rioux semble plutôt penser le contraire.
M. Rioux pose la question existentielle suivante : « Quel respect celui qui a été ainsi choisi pourra-t-il imposer à ses pairs ? » Pourquoi êtes-vous si impatient M. Rioux? Laissez à madame Claudine Gay faire ses preuves comme nouvelle présidente! De mémoire, je ne me rappelle pas avoir vu M. Rioux écrire pour objecter au choix d’un recteur d’université québécoise. Et pourtant, les choix n’ont pas toujours été heureux et les dossiers de ces recteurs n’ont pas toujours été un modèle de publications scientifiques, même lorsqu’ils proviennent de milieux universitaires. J’ai connu d’excellents chefs d’établissement universitaire dont le dossier de publication était plutôt mince.
M. Rioux y va de son verdict : « Cette façon de faire est non seulement la recette de la médiocrité, mais elle jette le discrédit sur tous ceux qui, issus de minorités, se sont hissés là où ils sont par leurs propres moyens. » M. Rioux, merci de ne pas vous occuper de ce discrédit. Vous vous obstinez dans l’amalgame et les préjugés : l’appartenance à une communauté ethnique est incompatible avec les critères d’excellence, selon vous. Vous semblez déplorer aussi que « L’autre effet pervers de cette façon de faire, c’est la loi du silence qu’elle instaure. Qui osera en effet critiquer ces nominations se verra aussitôt soupçonné de racisme. » Oui, pas nécessairement à tort, surtout quand on le fait de manière si sélective, pour ne pas dire ciblée. De mémoire, redis-je, je ne me rappelle pas vous avoir vu écrire pour objecter au choix d’un recteur d’université québécoise. Je ne vois pas la nécessité de se défendre contre un soupçon de racisme. C’est à la personne qui subit le racisme de dénoncer tout comportement qui s’y apparente et dont elle est victime.
« Comment des institutions censées représenter la quintessence de la pensée ont-elles pu sombrer dans une telle confusion idéologique ? », se demande M. Rioux. Serait-il en train de dire que Harvard est la seule entité à verser dans cette confusion idéologique? Que dirait M. Rioux à d’autres qui pensent que son article n’est ni plus ni moins que l’expression et la défense d’une certaine idéologie?
Sans aucune donnée statistique ni analyse, M. Rioux expose enfin l’essence même de sa pensée : « L’ensauvagement américain devrait nous en convaincre. Un demi-siècle de discrimination positive n’a pas le moins du monde apaisé les tensions raciales. » Cela ressemble à du révisionnisme, en plus d’être un sophisme. M. Rioux, seriez-vous en train de dire que la société ne devrait pas chercher à utiliser l’intégralité de ses ressources humaines, sans discrimination aucune qui pourrait être basée sur le sexe, la race, l’origine ethnique?
Pour terminer, M. Rioux, je vous invite à reconnaître que le talent n’a ni sexe, ni race, ni origine ethnique. D’où la nécessité, dans une quête de justice, d’inventer des dispositifs capables de mettre en application cette évidence, même lorsque ces dispositifs seraient imparfaits pourvu qu’ils contribuent à réduire les injustices. Libérez-vous de cette idéologie que l’appartenance à une communauté ethnique est un obstacle à l’excellence. Car, contrairement à ce que vous pensez, le maintien du contrat social en dépend.
[1]
Samuel Pierre est professeur titulaire au département de génie informatique et
génie logiciel à Polytechnique Montréal (http://www.larim.polymtl.ca/index.php/biographie)