Par Max Dorismond
« Ils sont venus, ils
sont tous là »! Des rêves pleins la tête et les « bagages minces »,
ils se présentent à toutes fins utiles à la frontière américano-canadienne, au
chemin Roxham et se constituent prisonniers ou réfugiés. Ce sont les immigrants
de la nouvelle formule. Pour survivre, ils s’engouffrent dans le milieu
hospitalier, surtout dans le réseau des CHSLD1
au salaire minimum en acceptant n’importe quoi.
À ces endroits tristes et
désespérants, avec un agenda de fin d’existence, le tableau n’est point
invitant. Ils y côtoient les gens du troisième âge, malades, séniles, déments
etc, sur leurs derniers milles, dans le train de la vie qui laisse descendre à
chaque arrêt, un ou deux de ces candidats qui s’en vont dire bonjour à
St-Pierre.
Bien avant le dernier adieu,
plusieurs d’entre eux ne recevaient aucune visite. Leurs journées, monotones à
souhait, « ne payaient pas de mine ». Ces humbles immigrants, appelés
« Préposés au malade », se sont transmués en leurs enfants adoptifs,
car leurs services premiers, toilettage, bain, nourriture et autres étaient
assurés par ces serviteurs affables, et souriants, tombés du ciel. Ils s’échinent
comme de véritables esclaves, avec un salaire de misère, facilitant une
généreuse distribution de dividendes aux proprios de ces boîtes de fin de vie.
C’est ainsi que, pour plusieurs pensionnaires, ils avaient hérité du nom
d’Ange-Gardien.
Puis, soudain, le choc! À
la fin de l’hiver 2019, un invisible virus fit son apparition : C’est la
covid-19. Un poison foudroyant qui tue sans demander son reste. Les personnes
âgées et les employés tombent comme des mouches. Plusieurs des professionnels
désertent et prennent congé en catimini. Il s’ensuit une pénurie de main
d’œuvre. Pour éviter la désertion, on sort le violon pour louer le courage des
braves. Le titre d’Ange Gardien est accolé à tous ceux qui opèrent dans le
milieu. C’est la fête, la grosse fanfare, les banderoles… On les applaudit pour
tromper la mort.
Hop-là! En s’approchant un
petit peu, on remarqua qu’il y manquait beaucoup d’infirmières sur la première
ligne de soins. Dans les CHSLD ou autres centres pour aînés, les vrais anges se
révèlent être des préposés-immigrants, sans masque et sans protection, qui
faisaient le sale boulot sur la ligne de feu. Et pire encore, selon les agences
qui les livrent, pieds et mains liées, à ces mouroirs dédiés, ils n’ont pas le
droit de refuser de travailler sous aucun prétexte, sous peine de ne pas
obtenir le salutaire « document de travail » qui leur procurera le
statut de résident. Joignant l’utile à l’exécrable, ils y
travaillent 16 heures et parfois 24 heures, passant en des places différentes
pour gagner leur pitance. Ce qui a eu pour conséquence de répandre le virus
d’un point à un autre.
Haro sur le baudet! Du
jour au lendemain, les anges sont déchus. En pleine pandémie, on a trouvé le
bouc émissaire parfait qui distillait le poison fatal. L’émotion a une
province. Ah! Les maudits immigrants. Tout a failli basculer, et même le lynchage
n’était pas trop loin, si certains malades reconnaissants et d’autres
professionnels avisés ne s’étaient pas mis debout, pour sortir du puits la
vérité toute nue et se porter à la défense de ces infortunés, exploités à
outrance, par des assoiffés de richesse facile, comme jadis, sur le dos des
esclaves.
Ces bons samaritains ont
prouvé, noir sur blanc, que le système était croche depuis des lustres, au
point que les familles disposaient des caméras cachées dans les chambres de
leurs proches pour les protéger contre certains abus, pensent-elles, en raison
d’une pénurie chronique de main-d’œuvre, depuis l’an 2000. Mais les
gestionnaires n’en avaient cure.
En réalité, ce n’est jamais
la faute des immigrants. Au contraire, ces pauvres anonymes étaient toujours placés
en première ligne. Voilà pourquoi ils tombent et meurent par grappes. Le triste
cas du préposé Marcelin François, décédé chez lui, dans un cri de rage, « Mon
Dieu, je meurs, laissant mes deux enfants », dixit sa femme, en est une preuve
vivante. Au contraire, acclamez-les. Décorez-les. Ils ne sont point des démons.
Le système a longtemps roulé sur leur dos. Chercher l’erreur.
En effet, pour avoir une
idée précise de la tâche de ces anges aux ailes noires, relisons quelques
extraits d’un texte de Pierre Foglia, du journal La Presse de Montréal, écrit en
2014, relatant un instant dans la carrière et la vie des « Préposés au
malade », dans les hôpitaux, dans les centres spécialisés, tels les CHSLD,
à l’époque où certains parents, outrés de la carence des soins, posaient des
caméras cachées dans les chambres de leurs proches.
La caméra pas cachée. (De Pierre Foglia)
« Une plainte monte du couloir. Encore M. Filion, dit une préposée. Encore constipé. La plainte devient une sorte de beuglement. Ça doit être coincé et ça le déchire, commente une autre préposée, j’y vais. Elle entre dans la chambre où M. Filion, prostré, impuissant, humilié sans doute aussi, pleure doucement. La préposée lui prend la main. Là, là, M. Filion, on va arranger ça. Elle baisse son pyjama, défait sa couche et, de son doigt ganté, dégage l’anus du vieux monsieur ».
« La caméra avec laquelle j’écris
cette chronique n’est pas cachée. Ce que je vous montre, n’importe qui peut le
voir. Prenons la plus courante des tâches, celle qui est répétée le plus
souvent dans tous les CHSLD de la province. Le bain partiel quotidien. Avec un
gant de caoutchouc, la préposée lave la figure, les fesses, la vulve, le pénis
du vieux ou de la vieille. Enlève les champignons de son nombril avec un
coton-tige. Éponge le liquide brun et épais qui suinte de ses oreilles… »
« Nettoyer les ongles des mains. Mais
surtout sous les ongles. Je viens de le dire, 80 % des bénéficiaires sont en
couche. Plusieurs jouent dedans. Avec la sénilité revient, comme chez les
tout-petits, la fascination de la merde. Mais parfois, aussi, c’est tout
simplement parce que ça les pique… »
« Les nourrir. Madame X, madame Y, monsieur Z
ont pris place dans leur chaise à têtière, qui leur tient la tête droite. Pour
les gaver, une seule préposée, assise, elle, sur une chaise à roulettes pour
pouvoir aller plus aisément de l’un à l’autre. Hop, une petite cuillère de
crème de blé à madame X. Hop, une autre à madame Y. Oups ! Monsieur Z ne veut
pas ouvrir la bouche. Miam-miam, la bonne crème ! Hop, elle revient à madame X,
qui a régurgité. D’abord lui essuyer les coins de la bouche avec une serviette
en papier. S’il vous plaît, monsieur Z, je vais me faire gronder par
l’infirmière si vous ne mangez pas. Les lèvres de M. Z se desserrent, il aspire
un peu de crème de blé. S’étouffe, la recrache. La préposée en a plein ses
lunettes. Finalement, c’est madame Y qui a presque tout mangé. Et quand elle a
été bien pleine, elle a déféqué. Hon ! Madame Y ! Venez, on va vous
changer… »
« Reconnaissez au moins que ce n’est
pas un job comme les autres. Que ce n’est pas un job normal. Reconnaissez que
ceux et celles qui la font sont admirables. Pour moins de 400 piastres2 net par semaine, sacrament3, les mains jusqu’aux coudes dans la marde4 de vos parents. Et vous les espionnez? Et
vous les traitez de chiens sales? Vous n’avez pas honte? ».
En effet, du jour au
lendemain, le public qui rêvait de fêter des anges aux ailes blanches, vient de
découvrir tout le contraire. La reconnaissance en a pris pour son rhume.
Certains grands-cœurs réclament la résidence permanente pour ces malchanceux. Les
gouvernements hésitent. Un programme a été mis sur pied pour embaucher de vrais
anges à 26,00$ de l’heure, moyennant une formation de 3 mois, payée 21,00$
l’heure. Les demandeurs d’asile en sont exclus. C’est à ne rien comprendre!
Les politiciens agissent
selon le baromètre du vote et non du cœur. À les voir refuser ces immigrants
décidés, qui vont jusqu’à s’immoler sur l’autel de la stupidité pour s’intégrer
dans leur pays d’accueil aux fins de contribuer à l’édification d’une société
juste basée sur la liberté, l’espoir et l’optimisme... C’est à perdre le nord!
Néanmoins, nous n’avons
encore rien vu. Pensez-vous que même à 26,00$, l’ange aux ailes blanches aura
tout le courage de l’immigrant pour « défaire la couche et, de son
doigt ganté, dégager l’anus du vieux monsieur? ». Je les vois déjà! L’avenir
nous le dira!
Max Dorismond
Attention :
Dernière nouvelle, sous la pression des citoyens estomaqués et des
manifestations de rue, aujourd’hui 12 juin 2020, selon la Télé de Radio-Canada,
le gouvernement fédéral a décidé d’accorder le statut de Résident aux réfugiés-immigrants,
ces « préposés au malade », ces Anges aux ailes noires qui avaient risqué
leur vie dans les CHSLD.
Note :
1 – CHSLD : Centre d’hébergement
et de soins de longue durée, pour
les personnes âgées en perte d'autonomie sévère dont la condition requiert une
surveillance constante, des soins spécialisés et dont le maintien à domicile
est devenu impossible et non sécuritaire.
2 – Piastre : C’est pour l’auteur un emploi fantaisiste du mot
dollar. Dans la réalité, la piastre est le nom commun de différentes monnaies.
C'était initialement, au XVI siècle, une monnaie de la république de Venise.
3 – Sacramant : Toujours une utilisation
fantaisiste de l’auteur en faisant un jeu de mots avec « sacrement ».
Pour tout dire, au Québec, les expressions liturgiques sont utilisées comme
jurons.
4 – Marde : Idem pour le mot
« merde »
Une bien piètre consolation.
ReplyDeleteLa vérité c'est que depuis les années 70,l'aide soignante, les prestations globales des soins, l'offre médicale dans les institutions de santé sont assurées en grande partie par ces "québécois venus d'ailleurs" et cela devient de plus en plus grandissant. Reste à savoir combien de temps encore la nouvelle cohorte d'anges aux ailes blanches tiendra le coup au premier rang. Cependant, peu importe l'issu, la présence haïtienne, il faut le dire, noire assez visible dans le réseau n'est pas seulement quantitative. Puisqu'en effet, les professionnels de la santé d'origine haïtienne apportent une contribution nettement qualitative et significative avec leurs égales compétences et expertises enrichies par leur sensibilité culturelle. Ce qui constitue une habilité et un atout nettement nécessaire et à proximité dans l'évaluation et la prise en charge globale de la clientèle de plus en plus diversifiée. Imaginons un arrêt de travail de 48 hres de tous ces fournisseurs aux ailes noires et de l'impact de leur absence dans le réseau. Pardon, on ne faisait qu'imaginer, notre responsabilité professionnelle et notre sens de l'éthique ne nous permettront pas d'aller au delà de notre seule imagination. Tout ceci pour te dire, mon cher Max, que ton analyse nous dépeint une réalité que nous n'ignorions peut être pas mais dans ta plume, elle nous émeut et nous oblige à nous questionner et à "imaginer". Au fait, en vérité, nous avons tous une part à jouer dans l'échiquier car déjà, les ainés, tout comme le système de santé, c'est aussi nous.