Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Sunday, June 28, 2020

Antoine Jean, l'Immortel

 Un hommage de Dr Pierre Michel Smith à l'illustre Antoine Jean
Antoine Jean
24 juin 1920 -24 juin 2020

Un autre Hazel secoue la Grande-Anse. L'homme de Versailles s'est effacé. Il est parti, éteint, parti pour toujours. Les gens s’appellent, s’interpellent autour du départ de cette figure rassurante et crédible. L’atmosphère pesante morbide. Une réalité qui surprend tout le monde. Je veux en quelques mots saluer la réussite personnelle de cet homme d'engagement et d'action.

Ma vraie rencontre avec Antoine eut lieu il y a environ 30 ans, alors qu’il était venu en tant que patient à la clinique de Miami. Une relation sincère et spontanée s'est nouée dès l'instant. Je lui raconte mon entrée en amour à Versailles. Ma première idylle avec cette femme assise à ma droite dont la beauté m'a saisi. J'en étais affolé. Antoine, qui aime les ambiguïtés du cœur humain, qui aime raconter, faire raconter, étaler, fouiller, l'homme charmeur au verbe agile qui aime ces choses-là, me bombarde d'anecdotes cocasses dont Versailles est la scène. Vite je découvre en cet homme une attraction, un puits d'histoires. On prend rendez-vous chez sa nièce, puis suivent des visites à répétition chez moi en Floride. Voilà le début d'une relation de parenté, persistante, sincère, fidèle. De mutuelles affections garanties, jurées.

Je l'invite à Montréal avec l'intention de réunir quelques amis de Jérémie pour un B.B.Q. de retrouvailles et de vigueur. Seulement au bruit de sa présence au Canada les cœurs étincellent et s'enflamment. D'autres groupes veulent se partager Antoine. On décide alors d’une fête pour tous, à sa mesure, au Château Champlain de Montréal. Le tapis rouge déroulé pour le distingué visiteur. Une célébration joyeuse et optimiste, grandiose et intimiste. Le bruit de la fête diffuse comme l'éther. La radio et la télévision en font écho longtemps.

À son retour à Jérémie, Antoine n'a cessé de m'y inviter. L'occasion s'est présentée lors des funérailles du Dr Pierre Mayas, l'ancien préfet. Un défilé grandiose autour de la place Dumas. Je lui ai susurré qu'à son enterrement ce sera pareil, processionnellement la ville le conduira au cimetière. La Covid-19 en a décidé autrement.

Au cours d’entretiens interminables, il me conte tout depuis son débarquement, pauvre et nu, dans la ville des poètes, son immersion dans le milieu, ses rêves, ses réalisations. Enfin Versailles, son plus beau titre de gloire,fait après tant d’obstacles vaincus, à force de sacrifices. Aucun autre coin ne séduit aussi habilement. Il kidnappe le cœur.Ce n’était pas un ''Night club''. Ce fut un cadre de référence, une structure sociale dans laquelle les gens se situaient en tant qu’êtres humains, qu’individus, en dehors des dualités, des chicanes de classes, des étiquettes, des présupposés tenaces qui étaient une caractéristique de la ville de Jérémie. Par-delà des confessions religieuses différentes, des niveaux de culture différents, un rapport différent à la chose civile, publique, à l'école même, il érige une société plurielle où les gens dansent, s'embrassent, débattent ensemble dans le respect et la bienveillance. On y va également pour jouir de la fraîcheur de l’air, du murmure des vagues, de la tombée du crépuscule. Il a fallu de l'émotion, de l'effort, du jugement, une capacité d'adaptation aux milieux, au temps, à l'histoire de la région. Un travail sublime.

Arrivé au sommet de la montagne il continue néanmoins de grimper, donnant du travail et du pain au plus grand nombre possible d’individus. Il s’investit dans le commerce, dans l'industrie, dans la restauration, dans le domaine bancaire, touchant à tous les secteurs. Un homme qui s'est construit, s'est libéré du poids du regard arbitraire de l'autre qui a trop tendance à le déterminer.

Yo di ke mwen se moun vini, disait-il, mais Jérémie est ma vraie patrie, ma maison. C'est là que le destin m'a donné rendez-vous ; c'est là que j'ai mûri“. Antoine était content d'avoir servi la région avec ce dynamisme, cette fougue et tant de zèle.

Aujourd'hui, c'est un puits de force qui s'en va. Une volonté forte qui brise le destin. Une très haute figure de l’Haïtien.Quoique parvenu à une aisance certaine, Antoine n'a jamais négligé ces visites discrètes auprès des plus démunis, souvent à pied, dans des quartiers marqués par la misère et l'indigence, faisant un geste candide de partage.

Antoine Jean, un visionnaire, un rêveur. Bref, une étoile qui tombe.

Toute l'histoire de l'homme est faite de rêves. Les grands progrès de l'humanité se sont accomplis parce que d'autres humains ont souhaité une meilleure vie pour les autres et ont tout fait pour y parvenir.

Adieu Antoine. Partez en paix.

Vous partez, Immortel, dans le cœur de plusieurs générations de Jérémiens !

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